Chapitre trente-deux

L'air libre, Sane ne le montra pas, mais il était soulagé d'avoir quitté les grottes. Il regarda Fuku voler au-dessus de leur campement, la journée avait été rude, ils s'étaient éloignés des caves avec la peur d'être surpris par des soldats qui auraient passé la montagne à pied, même si l'ascension semblait périlleuse.

Il jaugea Arzel qui revenait d'une chasse fructueuse, malgré le noir. Cet homme semblait exceptionnel dans la traque et avec son arc. Un bel atout.

Ils mangèrent presque jusqu'à satiété ce soir-là. Feary leur avait certifié qu'ils ne leur restaient plus que deux jours de marche, alors ils avaient entamé leur provision avec moins de parcimonie qu'à l'accoutumée.

Dans une trouée à travers les branches Maelia regarda le ciel et ses étoiles, elle était exténuée, mais elle savait qu'en s'endormant quand elle se réveillerait la longue journée de demain commencerait, elle voulait faire durer ce moment de paix et de solitude. Fuku faisait le guet, elle le voyait passer parfois, une ombre blanche, presque un mirage quand il plongeait pour attraper un petit rongeur. Le lien et la confiance que Feary avait dans ce rapace la rendaient parfois perplexe, toute leur sécurité reposait sur la chouette. Et malgré elle, elle pensa que la nuit où tout avait basculé Fuku ne les avait pas avertis. Les conditions n'étaient pas identiques ce soir que l'autre, et blâmer le fidèle ami de Feary lui semblait déplacé. Toutefois sa confiance était ébranlée. Elle se sentait stupide et se concentra sur les veilleuses au-dessus de leur tête.

L'aube était arrivée trop vite au goût de Tagan, il aurait pu dormir des heures encore. Ce quotidien sempiternel l'épuisait, les lieux différaient, mais tout le reste était pareil, il n'en voyait pas la fin et il avait le sentiment de ne rien connaître d'autre que ça. Et depuis hier, il était fatigué plus qu'à l'acoutumé, la nuit n'avait rien arrangée. Cependant il ne dit rien et fit comme les jours précédents, priant silencieusement que Feary ne leur avait pas dit n'importe quoi.

Feary était usé, trois jours qu'ils avaient quitté le passage sous la montagne et savoir qu'ils étaient proches du but faisait peser davantage la fatigue sur ses membres trop sollicités ces derniers temps. Mais il savait que dans quelques minutes ils verraient la citée se détacher au-dessus d'eux, ils leur suffisaient de passer dans la prochaine vallée.

— Oh ! s'exclama Maelia en avisant l'édifice.

— Je sais, c'est impressionnant, profitez de la voir maintenant, une fois dans les bois nous ne l'apercevrons plus.

Sane se remémora les peintures qu'il avait vues de ce lieu tant convoité, rien ne rendait justice à son gigantisme. Imprenable. C'est le mot qui lui venait en tête.

Ils reprirent leur route, pressés d'arriver et de se reposer, Fuku les avait d'ailleurs devancés.

Alors qu'ils montaient une pente assez raide, une silhouette assise sur une pierre attira leur attention. Tous mirent la main sur leurs armes, mais Feary les stoppa dans leur geste.

— C'est Felim.

— Qui ? demanda Maelia.

— L'elfe qui a forgé Lune.

Tagan qui n'avait jamais cru dans aucune légende, ni dans la magie, scruta attentivement la personne dont ils approchaient. La légère brise dévoila une oreille pointue, Tagan pensa à une malformation, bien décidé à ne pas se laisser emporter dans un monde où les elfes existaient réellement.

Mais au fur et à mesure qu'il avançait, il remarqua les couleurs étranges des cheveux et des yeux de la créature devant lui. Le roux insolite de ses cheveux lui fit penser aux feuillages automnaux, il ne pouvait s'empêcher de chercher d'autres différences avec les hommes.

— Ce n'est pas très poli dans vos coutumes de dévisager les personnes de la sorte, je crois, ni dans les miennes d'ailleurs. Je suis Felim, et qui sont tes amis, Feary ?

Feary présenta tout le monde et n'osa pas demander ce que l'elfe faisait là à les attendre, mais le vieil homme parut deviner ses pensées.

— J'ai vu ton ami Fuku voler, et je sentais Lune se rapprocher, je venais voir si tu avais trouvé ta voie, dit-il en détaillant la troupe avec curiosité.

— Je pense être à ma place, oui. Venez-vous me mettre en garde ?

L'elfe regarda le jeune homme avec étonnement.

— Non, pourquoi cette étrange question ?

— Sandayu a sous-entendu que vous étiez venu le voir une fois.

— En effet, je sentais Cendre changer, et j'ai voulu comprendre pourquoi.

Arzel écoutait l'échange avec attention, mais l'elfe ne disait plus rien, et le fixait intensément.

— Connaissais-tu l'épéiste? finit par demander Felim qui avait remarqué l'intérêt soudain du chasseur.

— C'était mon père, mais je ne l'ai jamais connu.

— Je vois, il aurait été ravi d'apprendre ton existence. Cendre est faite pour les amoureux de l'amour, et non pour les hommes ayant offert leur cœur à une seule femme, ce qui était le cas de son porteur. C'est ce qui influençait la lame, et m'a forcé à aller lui parler. Aujourd'hui elle n'est plus la même que la dernière fois qu'elle s'est offerte.

Arzel encaissa ce que les rebelles lui avaient plus ou moins fait comprendre, Sandayu avait aimé profondément sa mère. Cela le rendit encore plus triste du gâchis de leur vie.

— Et toi, Tagan, pourquoi me fixes-tu toujours ? Tu es un pragmatique, je le perçois. Je suis bel et bien en cher et en os, si c'est ce qui t'interpelle.

— Mais où vivent les vôtres ?

— Nous ne sommes plus que deux, il est facile d'être discret, surtout en vivant dans les bois, il fixa ensuite tout le monde tour à tour avant de reprendre. Vous devriez aller dans la caverne aux épées, on ne sait jamais. Il est peut-être temps que plus de mes lames sortent de leur cachette, votre espèce à besoin d'inspiration. Et vos amis aussi, sait-on jamais. Quand Cendre est revenue, j'ai cherché à savoir comment c'était arrivé, des rumeurs de sa disparition courant dans votre royaume. Votre cause a besoin du soutien de la magie, l'espoir que des choses miraculeuses puissent arriver peut vous aider. Votre espèce va bientôt manquer de temps et gaspiller le sacrifice de la mienne si vous ne vous reprenez pas. Tu le sais Feary, tu le sens.

— De quoi parle-t-il ? réclama de comprendre Sane en fixant le porteur de Lune.

— Du mur près du camp des rebelles, il faut le finir si on veut empêcher dans l'avenir une horde d'animaux qui veut notre disparition de nous tomber dessus. Exactement ce que disent les légendes en somme.

— Le projet est démesuré, ce mur est aussi haut qu'un château pour les parties existantes. Tu ne peux pas croire ça Feary.

— Feary vous dit pourtant la vérité, mon peuple a créé une barrière magique qui n'est pas infinie dans la durée et dans quelques siècles elle finira par céder, elle s'affaiblit de plus en plus.

Tagan secouait la tête comme s'il refusait ce qu'il entendait. Maelia se sentait dépassée par ce qui arrivait. Sane fixait tour à tour l'elfe et Feary, cherchant à déchiffrer leurs émotions. Chose sûre Feary avait l'air de le croire, mais lui n'y parvenait pas.

— Vous êtes septiques, suivez-moi.

Sans hésitation Feary lui emboîta le pas, et les autres l'imitèrent.

L'elfe s'agenouilla devant une flaque près d'une rivière, et sans vérifier que les jeunes gens le regardent, sa main frôla la surface immobile de l'eau qui se troubla.

Sous les yeux des rebelles, l'onde s'opacifia, déformant les reflets qui y étaient apparents et un immense ours gris aussi haut qu'une maison apparut en plein rugissement muet. Le plan s'élargit. Et sous les yeux ébahis de tous, toutes sortes d'animaux immenses furent visibles en plein saccage d'un village. Des corps jonchaient le sol et la furie des bêtes semblait incontrôlable.

— Qu... Pourquoi ? bégaya Maelia.

— Ils furent des elfes, mais leur haine et leur incompréhension des hommes les a menés à penser que notre planète se porterait mieux sans votre présence.

— Votre mur n'arrêtera pas les oiseaux, lâcha calmement Tagan, qui n'avait pas encore décidé s'il croyait ou non en ce qu'il venait de voir.

— Il faudra pourvoir le mur en conséquence, en effet, et c'est pour cette raison que le mur doit tenir, car il ne faudra pas que les êtres volants passent. Je n'ai rien de plus à vous dire les enfants, et ne vous offusquez pas pour le titre, pour moi, vous êtes scandaleusement jeunes.

L'elfe se détourna d'eux sans attendre qu'ils lui répondent, même si quelques secondes plus tard ils saluèrent l'elfe qui venait de changer à jamais leur vision du monde.

Alors qu'ils avaient repris leur route depuis plusieurs minutes Tagan brisa le silence :

— Vous y croyez ? Je veux dire, j'ai vu sa magie aussi, mais cette armée de bêtes, ça paraît... fou.

— Je suis aussi dubitatif que toi Tagan, mais il faut reconnaître que ce serait étrange que toutes les légendes sur les elfes ou des épées magiques soient vraies et pas celles sur les animaux géants, de plus il nous l'a montré. Il faudrait être idiot pour ne pas prendre cet avertissement en considération.

— Tu te rends compte que tant que les quatre royaumes se feront la guerre finir le mur à cheval sur notre royaume et le tien ne va pas être possible ?

Arzel jeta un regard interrogateur à Sane, puis à ses amis, pour comprendre l'échange, mais personne ne releva et Arzel n'était pas le genre à demander, il comprendrait bien assez tôt, il lui suffisait d'écouter.

— J'en ai conscience, mais ces informations devraient nous motiver davantage à réussir notre objectif.

— C'est-à-dire ? Offrir notre royaume au tien en débarrassant Bisror de ses dirigeants ?

— Je ne parle pas de conquête. Je ne cherche pas à faire prospérer Finkel. Ces guerres de royaumes sont puériles et stupides. Bisror et Finkel en s'associant dissuaderaient les royaumes d'Honorat et d'Abizmil, tout pourrait s'arrêter.

— Tout ça en tuant la famille royale d'ici, ce qui vous placerait en position de mettre les personnes qui vous arrangent au pouvoir.

— Ne me prête pas des intentions que je n'ai pas ! C'est moi qui devrais te questionner sur ton envie de garder le roi et sa famille en vie juste pour sauver ton ami Cadwil.

Les deux jeunes hommes se défièrent du regard, avant que Feary ne se mette entre eux et encourage tout le monde à reprendre la route.



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