Chapitre quinze

Le nombre de candidats pour l'épreuve d'escrime était important. Tagan grimaça. Plus d'affrontements éliminatoires, plus de risques d'être blessé ou épuisé quand arriveraient les duels, en toute logique, les plus difficiles, sauf si on manquait de chance dès le départ.

Il frotta son biceps droit sans s'en rendre compte. Quand il réalisa son geste, il dut reconsidérer les choses. La réelle question, c'était combien de temps son muscle tiendrait avant de flancher. La blessure était bénigne. Jusque là, cela n'avait été pour lui qu'une légère démangeaison, mais il ne l'avait pas sollicité dans la durée.

Dans le pire des cas, il changerait de main, même s'il préférait éviter de leur livrer cette information. De plus, malheureusement, il n'excellait pas autant qu'avec son bras d'arme et afficher ce genre de faille ne l'enchantait pas.

Le juge n'était autre que Sandayu quand il ne combattrait pas, assisté de Beag, et d'un borgne, assez âgé du nom de Charbel.

N'ayant pas les moyens de faire un tirage au sort dans les règles, c'était le maître épéiste taciturne qui choisissait les affrontements. Accomplissant enfin ce qu'il voulait depuis l'arrivée de Feary, c'est-à-dire testé les compétences de ce jeune porteur d'épée.

Feary soupesa le bois lesté dans sa paume, plus lourd que Lune, mais peu de lames pouvaient se targuer d'être comme sa fidèle amie. Cependant il se retrouvait désavantagé, car il n'avait plus l'habitude, mais il supposa que c'était aussi le cas de son adversaire. Et de toute façon il décida de prendre cela sous le bon angle, chaque victoire n'en serait que plus belle.

Beag les invita à commencer. Les deux hommes se jaugèrent avec quelques passes timides, avant de rentrer dans le vif du sujet. Feary ne cacha pas sa joie non seulement de se mesurer à Sandayu, mais surtout, Avel son maître d'armes lui avait souvent parlé des manies des uns et des autres et grâce à ça il vit encore plus rapidement l'erreur de garde de son adversaire. Avec rapidité et un enchaînement millimétré Feary remporta le duel, à la stupéfaction générale.

Perplexe Tagan scruta Sandayu dont une certaine satisfaction était visible et déroutante sur ce visage qui ne c'était pas encore déridé jusque-là. Il n'avait sûrement pas tout donné, la surprise des autres membres des rebelles était éloquente.

Sandayu le félicita et annonça les duels suivants, sans trop laisser de répits à Feary, qui vit son tour arrivé plus vite que prévu, avec un nouveau duel qui s'annonçait intéressant, face à Sane.

Tagan était excité. Il savait que le combat qu'il allait voir allait être digne des meilleurs.

Feary souriait, c'était plus fort que lui. Affronter Sane était un vrai honneur.

Sandayu donna le coup d'envoi. Sane et lui se tournèrent autour. Le temps se suspendit, Feary emplit ses poumons et frappa.

Évidemment, il fut repoussé par une violente contre-attaque. Il dut user de tours et d'agilité pour esquiver, en sautant en arrière, puis en se baissant, pour finir par bloquer l'arme adverse durant son revers. Son regard croisa les yeux brillants d'excitation de Sane qui semblait métamorphosé. Tout comme pendant son passage au tir à l'arc.

Les deux hommes s'écartèrent, Sane fit un petit signe de tête en marque de respect.

Aucun échange sauvage n'eut lieu, c'était stratégies et techniques qui s'affrontaient. La foule retenait son souffle, comme Tagan et Maelia. Cette dernière restait bouche bée devant ce spectacle surréaliste. Leur rapidité et leurs gestes mesurés l'hypnotisaient. Elle n'en revenait pas d'être entourée d'autant d'hommes de valeur. Elle n'avait pas la moindre idée de qui allait l'emporter, pareillement que Tagan qui admirait le moindre déplacement, la moindre respiration et qui se rendait à l'évidence, contre l'un de ces hommes il n'était pas sûr de gagner.

La lutte fut longue et sans concession, mais finalement Sane s'inclina. Tagan savait que c'était une grande part de hasard, car les deux hommes se valaient. Il avait pensé que Sane gagnerait, car la garde de Feary s'était vite retrouvée plus basse. Mais les choses n'étaient pas toujours prévisibles...

Les huit autres duels lui semblèrent d'une fadeur incommensurable. Puis vint son tour, qui ne fut qu'une formalité, comme les deux rencontres qu'il eut ensuite.

Jusqu'à ce qu'il tombe nez à nez avec Drystan.

Le géant dévoilait toutes ses dents tellement sa joie était grande. Et Tagan dut se l'avouer, il était terrifiant.

À la seconde où Sandayu lança les hostilités, Drystan se retrouva sur lui. Sa masse imposante et ses immenses bras lui fournissant une portée très large. Tagan dut encaisser en parant, car il lui était impossible de s'écarter assez.

Ses muscles tressaillirent sous l'effort, la douleur de l'impact du bois contre le bois parcourant chaque millimètre de son être, rampant de ses doigts au reste de son corps.

Il serra les dents et dans un effort intense, utilisant ses deux bras, il repoussa son garde. Sans le lâcher des yeux, il réfléchit à toute vitesse, pour conclure amèrement qu'il devait changer de bras, il ne pourrait pas supporter un autre assaut tout en force.

Lestement il recula d'un bon et passa son arme à sa seconde main, par la même occasion il adopta la posture d'un gaucher. Ça l'avantagerait, car peu de personnes avaient l'habitude d'affronter un gaucher, mais il devenait nettement moins rapide, car moins bien entraîné dans ce schéma.

Drystan recommença, avec une nouvelle démonstration de force brute.

Tagan malgré sa volonté n'arriva pas à le faire reculer, c'est difficilement qu'il reconnu que ce bras était moins fort que son dominant.

Il se calma, refluant toutes pensées parasites, avant de se laisser couler sous la garde du géant, dérobant sa lame factice au duel viril. Drystan partit en avant, déstabilisé, Tagan enfonça le clou en le percutant avec l'épaule. Il ne tenta rien d'autre, et s'en félicita. Le géant, en plus d'être une brute, se remit prestement, fauchant tout autour de lui.

Tagan était raide comme un piquet, ça ne lui ressemblait pas.

Il respira. Encore. Et encore. De plus en plus mal à l'aise sous le feu du regard adverse.

Il jura intérieurement, il était en train de se faire intimider.

Il effectua un moulinet avec son poignet armé. Il allait gagner. Il ne se laissait pas le choix. Il devait reprendre le contrôle.

Il braqua ses yeux verts sur la montagne devant lui, et décocha un sourire carnassier, ce qui élargit encore plus celui de son adversaire.

Ils se tournèrent autour. Tagan s'imprégna du rythme de Drystan, se calquant sur lui, puis se lança.

Le combat fut épique, mais le géant ne compensait pas assez la grande taille de ses bras avec la vitesse. Tagan, après quelques échanges musclés réussis à appuyer son morceau de bois sous la barbe du vaincu.

C'est haletant qu'il félicita Drystan, qui le gratifia d'une grosse tape dans le dos qui le fit chanceler.

Il alla s'asseoir sur un banc, insensible aux applaudissements.

Feary avait un dernier duel à effectuer avant qu'ils ne se rencontrent en finale. Son adversaire une femme blonde, n'était pas dépourvue de talent, mais Bertin ne faisait pas le poids face au jeune homme. Tagan regretta qu'elle ne soit pas meilleure pour avoir plus de temps pour se reposer.

Drystan s'était assis à côté de lui, en silence, mais il avait surpris un regard soucieux vers son bras. Le géant était une vraie mère poule.

En trois jours ils s'étaient rapprochés d'une façon que Tagan ne saurait pas décrire, entre eux il y avait une affinité indéniable. Il espérait ne pas avoir à le tuer en se défendant, selon comment allait tourner les évènements.

Sandayu leur offrit cinq minutes de pause avant de les laisser engager la finale. Quand Tagan se leva, Drystan l'encouragea.

— Fait de ton mieux, même avec toute la bonne humeur que possède l'autre, je pense que tu es meilleur.

Tagan hocha la tête en souriant, imitant Feary, qui l'attendait. L'éternelle bonne humeur qu'il affichait était assez dérangeante. Et pourtant, il n'était pas stupide, contrairement à ce que Tagan avait imaginé au départ. Il était simplement heureux en permanence. On pourrait lui couper une main qu'il continuerait à sourire.

Il raffermit sa prise sur son arme et entra dans la mêlée.

Tagan était impressionnant, son assurance et sa posture étaient par nature intimidantes. Il s'imposait comme s'il habitait tout l'espace. Feary était électrisé par ce qui allait suivre. Il était venu jusqu'ici pour approcher Sandayu, dont la réputation n'était plus à faire, mais jamais il ne se serait imaginé rencontrer autant de bretteurs de talent.

Autant l'un que l'autre avait eu le temps de se jauger durant le déroulement de cette après-midi, et Tagan paraissait affecté par la fatigue. Il n'allait pas faire durer les échanges, Feary en était persuadé. Et il ne se trompa pas. En deux pas rapides, Tagan était sur lui, fendant l'air du dessus de sa tête vers sa clavicule. Il dévia l'arme et tenta de s'extraire de l'axe d'attaque de son adversaire.

Trop prévisible.

Tagan le devança, pivotant dans l'autre sens et envoya son coude dans son estomac. Feary, le souffle coupé, se laissa tomber à terre, juste à temps pour éviter un coup de taille féroce, qui aurait pu lui briser des côtes.

Tant bien que mal Feary se releva, positionnant sa garde... trop basse. Son bras fatiguait de plus, autant que Tagan il n'avait pas intérêt à ce que ce duel s'éternise. Le poids de la lame et le combat acharné contre Sane l'avaient éprouvé.

Faisant preuve d'une synchronisation parfaite avec son adversaire, il retourna aux contacts.

Tailles, estocs, parades, feintes, ils se lancèrent tous les deux dans une démonstration de compétence obstinée. Le claquement du bois et leurs respirations hachées ponctuaient le ballet effréné.

Plus par hasard qu'avec l'intention de le toucher à cet endroit, Feary tapa le poignet de Tagan qui lâcha son arme. Ce genre de touche ne mettait pas fin au combat, sauf s'il y en avait trois. Feary poussa néanmoins son avantage, vainement. Aussi rapide qu'un courant d'air, Tagan se jeta au sol pour saisir son arme de la main droite. Pris par surprise Feary tenta le tout pour le tout en visant la poitrine. Toujours à genou Tagan lui toucha le ventre, au même instant que sa pointe en bois atterrit au-dessus du cœur.

Ils se dévisagèrent, seules leurs côtes bougeaient rapidement et troublaient leur immobilité.

— Il s'avérerait que nous ayons deux vainqueurs... ou deux perdants... énonça Sandayu.

Feary tendit le bras à Tagan pour l'aider à se redresser et le félicita.

— Tu es coriace, constata Tagan en se redressant.

— Compliment partagé.

Feary se retint de s'excuser en voyant Tagan masser son poignet. Mais son compagnon d'infortune eut l'air de comprendre son inquiétude, car il lui offrit un air rassurant, avant de se faufiler dans la masse pour prendre un verre d'hydromel, suivit de près par la montagne chargée de le surveiller.

Feary apprécia la fête, les gens le félicitèrent, ce qui l'amena à boire un peu trop. Il ne l'avait jamais expérimenté, mais il savait que demain serait difficile. Cependant il profita de la musique et de l'ambiance joviale. La nuit s'était vite établie. Paresseusement installés dans leur brasero, plusieurs feux animaient les ombres. Le pain à la farine de châtaigne remplissait l'atmosphère de son odeur alléchante. Il se sentait bien.

Il fit la connaissance de Bertin, la jeune femme qu'il avait battue plus tôt, elle lui demanda des conseils. Et c'est ravi, et plus fier que ce qu'il aurait dû, qu'il essaya de lui faire une démonstration, mimant avec une épée invisible, la botte qu'il avait utilisée pour la désarmer.

Il décortiqua les mouvements... et perdit l'équilibre.

Il grogna contre la terre froide.

Sane le releva et l'entraîna dans leur tente. L'aide était plus que bienvenue, car il n'arrivait plus à coordonner ses gestes. Il se laissa faire.

Tagan revenait de l'infirmerie avec Drystan, qui avait tenu à refaire son bandage avant la nuit quand il aperçut Sane, traînant un Feary qui avait abusé de l'hydromel. Spontanément il alla l'aider à le ramener sous leur tente, ou plutôt : leur prison.

Ne dormaient ici que leurs gardiens et eux.

Tagan ne s'en plaignait pas, l'espace était chauffé par un brasero, ils avaient de grosses couvertures épaisses, les couches étaient saines et assez confortables.

Drystan lui proposa de retourner à la fête, mais il refusa, les regards appuyés et incessants de Beag lui soufflaient qu'il devait l'éviter. À n'en pas douter, il voulait lui parler, et Tagan préférait avoir l'esprit clair avant que cela n'arrive.

Il allait devoir s'expliquer sur son passé, et il n'était pas encore sûr de ce qu'il devait dire. Mais faire semblant d'être moins bon qu'il ne l'était l'aurait desservi. Car Beag savait qu'il avait extirpé sa sœur de soldats qui l'amenaient à la mort, et il savait qu'il avait tenu à distance des hors-la-loi.

Feary s'endormit, rapidement imité par Sane. Egert n'arriverait pas de si tôt, car il l'avait aperçu en charmante compagnie un peu plus tôt.

— Sois honnête avec Beag demain, chuchota le géant.

— Je ne mens pas... quand je dis que je suis ici sans arrière-pensée.

— Je le sais... mais tu nous caches des choses, on ne pourra pas le tolérer, réfléchis-y.

Tagan ne répondit pas et laissa Drystan prendre un repos mérité. Quant à lui, il n'arrivait pas à se détendre assez pour trouver le réconfort des rêves. Même bercé par le léger ronflement du jeune Feary.

La fête se calmait dehors, il entendait les gens passer pour retourner à leur dortoir. Certains chahutaient plus que d'autres. Mais l'absence de musique rendait ses droits à la nuit, ce qui incita même Egert à rentrer.

Le calme se répandit rapidement, jusqu'à ceux que Fuku le brise en se posant sur la tente.

Tagan aimait bien la chouette. Il avait été témoin de la symbiose entre Feary et elle. C'était Fuku qui veillait sur son sommeil la nuit dans les bois et qui lui servait d'éclaireur en cas de problèmes. L'intelligence de l'animal le surprenait.

Fuku poussa quelques cris et s'agita, mais quoi qu'il fasse, Feary était dans un tel état qu'il ne se réveillerait pas.

De toute façon, sans être accompagné, aucun des deux n'avait le droit de quitter la tente, même pas pour des besoins naturels.

Le rapace n'arrêta pas son manège, toujours juché sur le piquet. Et Tagan était pris d'une envie impérieuse de se rendre à l'extérieur. Il réveilla Drystan, prétextant une envie pressante. Il devait marcher, l'agitation de la chouette était contagieuse.

Pendant un battement de cil, le géant paru contrarié, avant de lui sourire en lui administrant une tape bourrue et de l'accompagner.

L'un des coins d'aisance se situait derrière l'étable. Il leur fallut un petit moment pour s'éloigner des lieux de vie, puis suivre la clôture avant d'arriver à l'orée du campement.

Le bruit feutré du vol de Fuku les accompagnait.

En tournant derrière le grand abri longiligne en bois, Tagan et Drystan se figèrent en découvrant un homme les braies aux chevilles, en pleine besogne avec une femme. Ils se détournèrent. Mais en bifurquant à l'angle, Tagan aperçut une dernière fois le duo en périphérie de sa vision.

Dans la noirceur de la nuit, il capta le regard de la femme dont le visage était appuyé contre les planches.

Il pivota la tête précipitamment et distingua la scène plus nettement... la femme était contrainte. Il ne dit rien. Il se contenta d'agir, se précipitant sur le lâche qui s'en prenait à une femme.

Quand la victime le vit arriver comme une trombe, elle tenta de crier, comme si elle avait peur qu'il se ravise et l'abandonne à son sort. Il n'en fit rien, empoignant l'homme par la cotte il le tira en arrière et le précipita au sol. Drystan, qui l'avait suivi de près en comprenant la situation, redressa l'homme en l'empoignant par les parties. Une plainte digne d'un animal à l'agonie s'échappa de la gorge du violeur, avant que Drystan ne le fasse taire en envoyant son poing à la rencontre de son visage.

Tagan n'avait rien eu le temps de faire, il ne serait pas étonné de découvrir que l'homme était mort de la main de Drystan, un bruit écœurant s'était répercuté dans l'air glacial de la nuit quand les phalanges avaient rencontré la face de l'agresseur. Et pour avoir expérimenté la force contenue dans les bras du géant, il savait qu'il avait la puissance suffisante pour tuer quelqu'un avec ses muscles gigantesques.

Tagan porta son attention sur la femme recroquevillée au sol contre la cloison en bois, ses yeux brillaient de larmes contenues, mais ce qu'il y vit surtout c'était une haine indomptable, braquée contre le corps inanimé dans l'herbe.

Il s'accroupit, n'esquissant aucun geste, attendant qu'elle le remarque.

Des souvenirs qui le rendaient malade lui vinrent en mémoire.

Il n'était pas encore un homme à cette époque, mais le tuteur qui s'occupait de l'apprentissage des enfants royaux et d'une poignée d'autres enfants nobles avait tenu à les traîner une fois au front, dans un camp. Il était dressé près d'un petit hameau, constitué d'éleveurs de bétails.

Pire que les horreurs du carnage de l'acier, des plaies et des immondices, ce qu'il n'oublierait jamais c'était la résignation des femmes et des filles de la bourgade. Des yeux vides, traversés par la peur dès qu'un homme approchait... Et il avait vu les soldats venir et se servir... Cela l'avait profondément dégoûté. Sûrement alerté par le hurlement de l'homme des personnes accoururent.

Drystan expliqua la situation et chargea deux hommes de transporter l'homme inconscient. Avant de renvoyer tout le monde dormir d'une voix forte et autoritaire.

La femme n'avait pas bougé. Tagan la trouvait terriblement fragile.

C'était toujours le même problème avec lui, dès que ça concernait les femmes, il avait besoin d'intervenir.

Quand Drystan s'accroupit à son tour, elle sembla se reprendre, s'éclaircissant la gorge, se redressant maladroitement et rajustant au mieux le tissu déchiré de ses vêtements.

— Merci, lâcha-t-elle d'une voix blanche.

Le géant paraissait tout aussi mal à l'aise que lui. Cette femme était une guerrière, il l'avait vue au concours de tir à l'arc et elle n'était pas dénuée de talent. Ni lui ni Drystan n'avait envie d'être gauche.

— Je vais retourner à mon lit, dit-elle en se retournant.

Ils la laissèrent partir, toujours sans rien dire. Une fois qu'elle disparut Tagan sursauta, son garde grogna et lui ordonna de le suivre.

— Ce pleutre, je vais lui faire bouffer ses bijoux de famille et le frapper jusqu'à ce que même sa mère ne puisse plus le reconnaître, marmonna le géant sur le trajet jusqu'à l'infirmerie qui servait aussi de dortoir aux personnes du commandement.

À l'intérieur se trouvait Egert, Beag, le violeur, Charbel le borgne et Gatien un bon archer de ce que Tagan avait pu constater.

Il remarqua aussi Maelia appuyée contre un gros meuble en bois. Son frère avait dû la garder avec lui. De toute façon, Egert et Drystan n'occupaient plus leur lit ici vu qu'ils étaient de corvée de surveillance, il y avait donc de la place.

Beag demanda des explications à Drystan, qui les lui fournit. Tagan resta impassible, même s'il remarqua les tentatives de son gardien pour montrer à quel point il avait été utile dans la tâche pour l'aider. Son attitude lui donna chaud au cœur.

Les débats s'enflammèrent quant au sort de l'homme. Tagan ne s'en préoccupa pas, il fixait Maelia, qui elle aussi le regardait. Il ne pouvait pas s'empêcher de l'imaginer à la place de la fille qu'il avait secourue... et ça le rendait malade.

Plus que pour n'importe qu'elle autre femme, il se souciait réellement d'elle. Son frère marchait sur un chemin qui ne comportait pas de long terme, il mourrait jeune et il l'entraînerait avec lui. Cette idée révoltait Tagan au plus profond de lui, même s'il ne comprenait pas bien pourquoi.

Quand la discussion fut close, Tagan ne sut pas ce qui avait été décidé, mais il était persuadé de le savoir bientôt. Il regarda l'homme toujours inanimé se faire traîner vers un endroit où il serait entravé.

Beag congédia tout le monde sauf lui, il n'en était pas étonné.

— Tu m'as soigneusement évité ce soir.

— Il semblerait que ça n'ait servi à rien.

Beag ricana et s'assit sur la table en bois usée.

— Merci pour Maulde, et bien joué pour tes excellents résultats durant le tournoi.

— Drystan a exagéré je n'ai rien fait de particulier...

— Tu vas m'obliger à te demander comment tu as appris tout ça ?

— ...

Tagan se frotta le visage il était lessivé, il n'arrivait pas à réfléchir correctement et Beag en était conscient.

— Alors ? s'impatienta le chef.

— J'ai grandi à la cour, j'ai bénéficié d'une éducation similaire à celle de la famille royale, répondit-il en arrimant son regard à celui de Beag.

Les dès étaient jetés. De toute façon mentir n'était pas une bonne idée. C'était ce qu'il se répétait, et ce qu'il se répéterait si jamais il venait à se faire exécuter. Même s'il n'était pas sûr que cela le console.

— Je veux tout savoir de ta vie, le pourquoi tu as eu cet apprentissage, et le comment tu te retrouves ici aujourd'hui.

— J'étais destiné à être le général des armées du royaume, mais quand les nobles on découvert que j'étais le fils d'une esclave je me suis retrouvé en disgrâce, j'ai dû apprendre à vivre différemment... mais c'était il y a bien longtemps.

— Est-ce que tu essaies de regagner ta place là-bas en te servant de ma tête comme preuve de tes qualités ?

— Je pourrais assassiner toutes les familles royales des trois autres royaumes que ça ne changerait rien.

Beag le dévisageait, et il ne put s'empêcher de sourire. Il avait envie d'être téméraire, alors il reprit :

— Même si je pourrais commencer ici...

— Je ne vois pas de quoi tu parles, déclara Beag, tout en restant maître de lui.

— Je l'ai reconnu, je ne le dirais pas, mais je sais qui est Sane. Je ne sais pas comment tu t'es retrouvé à le compter dans tes rangs, mais tu joues un jeu dangereux.

— Tu me fournis beaucoup de raison de te tuer, constata Beag.

— Ou beaucoup pour te prouver que je suis quelqu'un de confiance. Je pourrais t'être utile. Te donner des conseils pour tenir ton camp et tes hommes. J'ai étudié les stratégies de guerre. Je peux entraîner tes soldats... prendre soin de ta sœur.

— Pardon ?!! s'exclama Beag en se mettant debout.

— Tu ne peux pas toujours être avec elle, alors, même si tu ne m'autorises pas à être armé, laisse-moi rester près d'elle.

— Je peux prendre soin de Maelia seul, s'énerva Beag. Je ne te fais pas confiance, cracha le jeune homme.

— Si j'avais voulu te tuer, j'aurais déjà pu et je pense que tu as conscience que, sans prostituées dans ton camp, l'incident de ce soir se reproduira encore.

— Garde tes conseils...

Beag lui tourna le dos, puis pianota avec ses doigts sur la table, avant d'enfin se retourner.

— Ecoute, je ne sais pas encore quoi penser de toi. Mais je dois reconnaître que tu peux être utile... si jamais tu restes parmi nous. Pour les filles de joie, malheureusement c'est comme pour les forgerons, nous n'en avons pas... Et je sais que ça manque. Je n'ai pas besoin que tu me le fasses remarquer. Tu peux partir, j'ai appris ce que je voulais savoir. Pour ma sœur... demain je lui demanderais de passer la journée avec toi... tu n'as peut-être pas entièrement tort, lâcha-t-il les dents serrées d'avoir dû admettre ses limites.

— Merci, bonne nuit.

Tagan ne savait toujours pas s'il avait eu raison d'être aussi franc, mais un tourbillon de joie se baladait dans sa poitrine. Il préféra ne pas penser aux raisons de ce bonheur, ce n'était pas le lieu.

Drystan et lui retournèrent sous leur tente, prendre enfin le repos qu'ils méritaient.



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