Chapitre quarante-six

Arzel avait rejoint ses amis en début d'après-midi.

— Tu as vu des poursuivants ?

— Non, la ruse a été efficace.

—Va avec Exurie en avant, vérifiez que la voie est libre. Cylia ne voit rien, mais on n'est jamais trop prudent.

Maelia avait retrouvé des forces, elle marchait seule, même si elle n'était pas complètement ragaillardie. Elle n'avait qu'une hâte c'était de rejoindre Tagan. Et cette idée la revigorait.

Ils finirent par rattraper les éclaireurs, ils avaient commencé à organiser le campement, ce qui choqua Maelia, Feary, Kenelm et Sane.

— Rien n'était prêt ? s'inquiéta Maelia.

Exurie secoua négativement la tête.

— Vous êtes sûr qu'on est au bon endroit ?!

— Oui, Maelia. Mais il doit y avoir des tonnes de raisons qui peuvent expliquer l'absence de Tagan.

— Comme le fait qu'il soit mort, paniqua la jeune femme.

— Ou emprisonné. Ou simplement occupé ailleurs. Tagan est débrouillard, ce n'est pas le genre de personne facile à tuer.

— Ça ne veut rien dire, ce que tu dis ! On est tous mortels ! s'énerva Maelia.

Cylia lui toucha le bras, et tenta de la rassurer.

— Il faut aller le chercher ! exigea Maelia.

— Non, fais-moi confiance, nous allons nous installer et définir un plan digne de ce nom.

Maelia se mura dans le mutisme, elle devait attendre. Seule, elle n'arriverait à rien dans cette ville immense.

Une fois toutes les tâches attribuées, Sane chargea Kenelm et Cylia d'aller en ville trouver Tagan ou des informations. Il les avait choisis, car il était sûr qu'aucun d'eux n'était recherché, et qu'en plus, Cylia avec son handicap ne passerait jamais pour une menace.

Il leur tendit une bourse.

— Dormez là-bas, revenez demain.

— Garde ton argent, on a ce qu'il faut. On fait un détour par la rivière pour se rendre présentable, et on y va.

— Bien, bonne chance, et pas de risques inutiles.

Ensuite, il envoya quatre des rescapés acheter des vivres et posta Arzel, Feary et Exurie à la surveillance.

Tagan reprit conscience difficilement, les gardes ne l'avaient pas raté. Il lui avait fait payer cher d'avoir tué leurs camarades. Il grogna en se retournant. Il était à même le sol dans une des geôles, seul, sans voisin immédiat, comme avant son entrevue avec le roi. Il tourna la tête et vit qu'il était dans la même cellule, en face celle de Beag, qui était en train de le fixer.

Il n'osait pas parler, les gardes mettaient des coups à travers les barreaux si jamais ils essayaient, il en avait déjà fait l'expérience.

— T'es enfin réveillé, fit un garde.

Tagan acquiesça.

— Bien, le roi n'aurait pas aimé si on t'avait trop abîmé.

— Quel dommage, ne put s'empêcher de railler Tagan.

Le coup fut rapide, dans l'estomac, Tagan toujours assis au sol ne put l'éviter. Il grogna en reprenant son souffle.

— Tu fais moins le malin sans tes épées magiques, hein ? Oh, tu peux me regarder comme ça, je sais que tu meurs d'envie de m'empaler avec elles, mais si tu le fais c'est les autres qui trinqueront, donc tu n'oseras pas.

Tagan prit sur lui et répliqua :

— Je ne serais pas toujours enfermé ici, et de plus tu ne sais pas ce que je peux faire avec mes lames, ne me cherche pas.

L'un des gardes revint, à priori essoufflé, il se mit bien droit à sa place, suivi du prince qui marcha à pas mesuré dans le large couloir.

— Tagan, je suis venu te faire honorer ta promesse.

— Je n'ai pas l'impression que mes amis ont été soignés et qu'ils ont mangé à leur faim.

— La nourriture arrive. Pour les soins, notre chirurgien s'occupe de ton ami manchot avant de venir voir les autres.

Des gardes portèrent en effet des outres et des écuelles aux deux cages.

— Maintenant que tu es rassuré, dis-moi, as-tu réellement quitté la Cité des épées seul ?

— Non, mais je suis le seul en ville.

— Oh, ça, je veux bien le croire. Tu savais qu'on allait avoir de nouveaux rebelles dans ces cellules, non ?

— Oui, comme je savais que les rebelles allaient tenter de les secourir.

— Vingt-cinq, ils ont tué, vingt-cinq de mes hommes, et il nous a été impossible de les rattraper.

Tagan resta impassible. Il espérait que Maelia allait bien.

— Avoue ! Avoue que tu as rejoint les rebelles de ton plein gré !

— Je ne sais plus comment te le dire Cadw...

Un coup lui coupa la parole, le garde le rabroua pour qu'il s'adresse avec politesse au prince.

— Prince, comme je vous l'ai dit, j'ai réellement été fait prisonnier par les rebelles, après qu'ils m'aient sauvé la vie. J'ét...

— Ça suffit ! Je sais tout ça, tu es arrivé chez eux avec la sœur du chef, s'énerva-t-il en montrant Beag. Tu as rejoint la rébellion, soit directement pour me nuire, soit pour plaire à une femme. J'aimerais simplement que tu te montres enfin honnête. Ne gaspille pas le temps qu'il te reste en mensonges.

— Je ne comprends pas ce que vous voulez savoir, Prince, si vous savez déjà tout.

Cadwil et Tagan se fixèrent. Le cœur de Tagan se brisa en voyant la peine que ressentait son ami.

— Si j'avais réellement été un traître, je ne serais pas venu vous voir pour essayer de trouver une issue pacifique à cette histoire.

Tagan vit Beag le regarder avec colère, ainsi que les autres rebelles, il passait pour un traitre à leurs yeux aussi. Il n'y avait qu'Eunan, qui le regardait avec une sorte de curiosité.

Cadwil ricana, un son plein de mépris, qui lui fit l'effet d'une gifle.

— Si tu avais cherché une issue pacifique, tu m'aurais averti pour l'attaque des rebelles.

— Je vous l'aurais dit, si vous aviez accepté de gracier ceux déjà présents dans vos cellules. Je n'allais pas condamner davantage de personnes !

— Et mes vingt-cinq soldats, ne les as-tu pas condamnés par hasard ?!

— Qu'est ce que vous essayez de faire ? De compter les points ? Qui déplore le plus de pertes ? Est-ce que je vous reproche d'avoir massacré une centaine de rebelles alors qu'ils dormaient ? Il y avait des jeunes femmes et des jeunes hommes à peine adultes dans le lot. Des personnes à qui vous aviez déjà tout pris ! Leurs parents, leurs foyers, leur vie ! Et c'est les rebelles que vous blâmez ? Avec tout le respect que j'ai pour vous, je pense qu'il serait préférable de ne pas s'engager sur ce terrain. Il y a bien un moment où un camp devra être capable de mettre sa rancœur et son désir de vengeance de côté pour que le malheur cesse. Et je sais, parce que je vous connais, Prince, que vous comprenez tout ça.

— N'aies pas la prétention de revendiquer me connaître. Les lois sont les lois, et elles doivent être appliquées. Vous êtes tous morts, et ceux qui nous ont échappé ne vont pas rester en vie longtemps. Tu as la possibilité d'épargner les vies des braves soldats de notre royaume si tu nous aides. Voilà, qui serait raisonnable.

Tagan se redressa, il ancra ses jambes au sol, prêt à arrêter le coup que le garde allait lui mettre quand il commencerait à parler.

— Tu me déçois, Cadwil ! asséna-t-il en attrapant la hampe de l'hallebarde. Tu agis comme ça parce que tu es vexé. Tu es aveuglé par ta vie facile entre ces murs. Toi, et ton père, vous êtes les seuls responsables de tous ces morts.

Il fut interrompu par un second garde qui tenta de le frapper, mais il lui arracha l'arme avant de la laisser tomber au sol. Le prince dut demander aux gardes d'arrêter d'intervenir.

— N'as-tu pas conscience que même ton armée souhaite que l'on réussisse ? Malgré leur infériorité numérique, les rebelles ont gagné plusieurs combats, pour la seule raison que ton armée est constituée de gens qui n'ont plus d'espoir. Tu les obliges à se battre uniquement pour garder ta famille sur le trône. Ce serait si grave que les quatre royaumes vivent dans la paix ? Et pourquoi pas, qu'ils redeviennent un seul et unique pays, gouverné par des érudits. Que les gens prospèrent ? Toutes les familles de ton royaume portent le deuil de plusieurs de leurs membres. Tes terres se dépeuplent. Quand ouvriras-tu les yeux ? demanda-t-il avec un air de défi.

Le prince passa sa main entre les barreaux et le saisit par le col.

— J'ai eu un frère, murmura-t-il, il est mort le jour où il a quitté ses murs, tu n'es plus rien pour me faire la morale. Et je n'ai pas à écouter tes élucubrations, dit-il en le relâchant, avant de reprendre d'une voix plus forte et en tournant les talons. Il sera le premier exécuté.

La matinée était presque achevée quand Kenelm et Cylia rejoignirent le campement.

— Alors ?! s'impatienta Maelia en leur sautant pratiquement dessus.

Sane et plusieurs autres étaient venus à leur rencontre.

— Tagan est vivant, déclara Cylia en souriant, savourant le soulagement dans les couleurs de Maelia.

— Pourquoi n'est-il pas revenu avec vous ? demanda Sane, devançant Maelia.

— Il est prisonnier, expliqua Kenelm. Il s'est fait capturer dans le château. Les rumeurs disent qu'il a tenté d'assassiner le prince.

— C'est impossible, il n'aurait jamais fait une chose pareille.

Maelia était d'accord avec Sane. Elle se fichait des raisons, il fallait qu'elle aille libérer son frère et Tagan.

— Ce n'est pas ce qu'on a entendu de plus extravagant, continua Kenelm. Tout le monde parle de Tagan, le traître, revenu avec d'étranges pouvoirs. Plusieurs affirment l'avoir vu dans la salle du trône faire apparaître des épées magiques dans ses mains, et il aurait tué beaucoup de gardes, avant de se rendre.

Sane dévisagea Kenelm peu sûr qu'il soit sérieux, avant de se tourner vers Feary.

— C'est possible ?

— Mon maître m'a dit qu'il avait déjà vu Kast le faire, mais j'ai pensé que c'était de l'humour.

Sane regarda l'épée à sa taille, ce que Maelia faisait déjà.

— Si c'est vrai, ça peut être un grand atout.

— Vrai ou pas, si on ne sait pas comment faire, ça ne nous avancera à rien, réagit Maelia. Il faut aller libérer les autres.

— À ce sujet, la ville est en ébullition, il y a encore plus de soldats, et le périmètre surveillé pour le jour de l'exécution est en train d'être élargi. On a croisé des patrouilles de soldats fouillant des maisons pour en retirer toutes les armes.

— La population ne doit pas être ravie, marmonna Sane, les yeux fixés au sol en pleine réflexion.

— Ce n'est pas tout, reprit Kenelm. Il y a des affiches partout, plus ou moins fidèles de vous. Feary et toi, vous êtes les plus fidèlement représentés.

— Il faut que nous apprenions à invoquer nos épées. Il nous faut changer de plan.

— Quoi ? s'écria Feary ébahi, ce qui n'était pas dans sa nature. On est que trois ici à avoir une épée, si tu imagines qu'on passera le périmètre pour les faire apparaître après, c'est de la folie. N'oublie pas que, toi et moi, on sera reconnu avant d'approcher d'où que ce soit.

Sane sourit, la cicatrice à son œil se froissa, lui donnant un air presque démoniaque.

— Nous verrons !

Feary regardait Lune à quelques mètres de lui, la lame n'avait pas bougé. Il avait essayé de la faire apparaître dans sa main, sans y être parvenu. Il l'avait imaginé, l'avait appelé, s'était visualisé s'en servir, mais rien. Maelia et Sane n'avaient pas plus avancé que lui.

— C'est forcément n'importe quoi cette histoire, se découragea Maelia. On perd notre temps.

Feary s'assit contre un arbre, et essaya de repenser à sa discussion un an plus tôt avec Avel, puis il bredouilla :

— Je crois que Kast avait le fourreau.

— Comment ça ? s'enquit Maelia.

— Dans ce qui se disait dans la cité, la lame était retournée seule dans le fourreau.

— Ça me paraîtrait bizarre que Tagan ait eu les fourreaux sans les lames, il est le seul à pouvoir les dégager.

— En attendant on n'a pas mieux, s'impatienta Maelia, on a qu'a essayé comme ça.

Ils reprirent sans plus de résultats.

Sane regardait Détermination et sa gaine vide dans sa main, puis il eut une idée.

— Kenelm, attrape Détermination s'il te plaît, et amène-la-moi.

De mauvaise grâce le jeune homme obéit. Il sentit une intense chaleur en touchant le cuir végétal, interloqué il recula.

Sane regarda son arme luire, son fourreau aussi, la main le tenant fourmillait, puis elle devint plus lourde, dans un éclat lumineux intense l'arme était retournée dans son étui.

Tous les rebelles avaient regardé le phénomène, certains avaient crié mélange de peur et d'admiration.

— Es-tu blessé, Kenelm ?

— C'est maintenant que tu t'en préoccupes, râla-t-il. Je vais bien, mais ce n'est pas grâce à toi.

Maelia regardait de plus près la main de Sane, avant de demander :

— Et toi, tu as eu mal ?

Le prince lui dit que non et décrivit ce qu'il avait ressenti, avant que Maelia et Feary n'en face l'expérience, malgré le peu de volontaires pour toucher leurs armes après la démonstration de Sane.

— Passer avec des fourreaux vides, ça ne sera pas facile non plus, avança Feary, devinant que c'était l'idée de Sane.

— Ni que quelqu'un nous les restitue au bon moment, ajouta Maelia.

— Je sais. Mais je reste persuadé que Tagan avait été délesté des fourreaux et des lames, je pense que c'est possible de faire apparaître les deux.

— Que ce soit possible ou non, on n'arrive pas à le faire ! L'exécution est dans quatre jours, on ne peut pas continuer à perdre notre temps à essayer de faire apparaître nos épées, Tagan, mon frère et les autres comptent sur nous.

— Je m'octroie encore la journée à essayer, conclut Sane en les laissant.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top