Chapitre quarante-quatre
Cylia était loin du campement des soldats, elle distinguait mal ses amis avec la distance, mais pour ne pas les ralentir dans leur fuite elle n'avait pas pu les accompagner. L'idée de la mort qui allait frapper lui donnait la nausée. Les couleurs de ses amis, et de Kenelm ne reflétaient pas les mêmes qu'elle, ils étaient entièrement déterminés, un gris irisé, métallique, létal. Malgré son incapacité à aider au cœur de l'action, elle devait surveiller que personne n'approche. Si jamais les renforts devaient rallier leurs camarades, ils ne s'en sortiraient pas. Elle espérait ne rien voir.
Elle était tendue, et réprimait difficilement des tremblements. Elle poussa son don au-delà de ce qu'elle avait pu imaginer possible, pour ne rien louper. Elle en avait mal à la tête. Mais elle ne serait pas la faille de leur plan.
Exurie était anxieuse, un peu pour elle, mais surtout pour Cylia, seule, aveugle au milieu des bois, elle admirait son courage. Elle approchait des trois soldats préparant le déjeuner, c'était ceux les plus excentrés du campement : ses cibles. Ils n'avaient pas trouvé d'autres solutions que de tuer tout le monde, car leurs amis étaient au centre, très bien gardés, et trop entravés pour imaginer une quelconque fuite sans être libérés.
Elle trouva la position idéale, empoigna son arc, vérifia la corde, et se prépara à encocher un trait, puis, elle siffla, son léger et strident, pour signifier qu'elle était en place. Et elle attendit.
Feary entendit le signal d'Exurie, c'était elle qui était supposée avoir l'emplacement le plus délicat à occuper et elle était en place en premier, il était admiratif. Il continua à ramper précautionneusement, l'arc en main, si son carquois ou son fourreau, tous deux à sa taille s'accrochaient à quelque chose il serait repéré. Il avança autant qu'il put pour être le plus proche des soldats, mais toujours à couvert. Il n'avait pas de signal, pour la seule et simple raison qu'il était celui le plus exposé et que les gardes pourraient le localiser uniquement en essayant de situer le son. Il attendit les doigts crispés sur son arc que les autres soient en place, et que les hostilités commencent.
Maelia grimpa précautionneusement à l'arbre, elle n'était toujours pas rodée à l'exercice, mais elle faisait de son mieux. Arzel grimpait non loin d'elle. Ils étaient chargés de couvrir Kenelm, Sane et Feary. Elle avisa le ciel dans une trouée, et espérait qu'il finisse par se couvrir définitivement, elle avait peur qu'un passage du soleil n'indique leur position par un simple éclat d'acier. Elle eut une pensée pour Exurie qui se battrait seule de son côté du campement. Personne pour surveiller ses arrières, puis elle se reconcentra. Ils avaient vingt-cinq ennemis, et ils n'étaient que six.
Elle atteint enfin sa branche, avança un peu dessus, mais pas trop pour ne pas qu'elle craque ni qu'elle bouge, il lui fallait de la stabilité. Elle enfourcha la branche, serra les cuisses et testa sa stabilité. Elle regarda Arzel, qui avait une position légèrement différente, grâce à l'inclinaison de sa branche, il avait pu se mettre pratiquement à genou, les pieds croisés sur l'écorce pour se stabiliser, alors que toute sa force pour tenir en place était dans ses genoux. Il lui fit un léger signe de tête, qu'elle rendit, il siffla à son tour.
Sane entendit le dernier signal, et lui et Kenelm se déplacèrent discrètement dans a forêt mal-entretenue qui rendait difficile de se déplacer sans bruit.
Il s'adossa à un arbre juste avant la clairière, empoigna Détermination, expira et vérifia que Kenelm était prêt.
Il siffla.
Trois traits firent mouche alors que l'appel strident de Sane n'était pas mort. Sane et Kenelm chargeaient les soldats en train de s'agiter dans leur direction. Feary tira un autre trait avant d'abandonner son arc et d'empoigner Lune et de rejoindre ses deux amis déjà au contact. Il dut éviter un sauvage coup de taille et se retrouva avec un adversaire dans le dos et un devant. Il se contorsionna, para, évita, dévia, mais il avait du mal, puis un trait lui vint en aide en se débarrassant d'un des soldats.
Exurie avait attendu que tous les soldats aient le dos tourné pour lancer sa flèche sur celui le plus proche d'elle. Il mourru sans un bruit. Il touchait à peine le sol qu'elle tira à nouveau. La corde à peine lâchée, elle abandonna son arc durant son saut, empoigna ses deux dagues à peine au sol et parcourut le plus vite possible le tronçon de bois qui la séparait du troisième soldat. Il tourna la tête, la vit, mais n'eut le temps de rien. Rapide comme l'éclair Exurie lui trancha la gorge. Elle jeta un œil sur la bataille, trop était encore debout, au lieu d'un raid éclair, ils allaient se retrouver avec une bataille rangée qu'ils ne pourraient pas gagner. Elle retourna à son arc, attrapa son carquois et avança à nouveau dans la clairière. Elle se mit à arroser les soldats dos à elle, tout en continuant d'avancer. L'un d'eux la remarqua, il demanda l'aide et elle se retrouva à nouveau avec trois adversaires. Elle lâcha son arc, et empoigna à nouveau ses lames.
Maelia et Arzel avaient vidé leur carquois. Ils couraient pour rejoindre les autres. Maelia mit Obscurité au clair et se jeta sur le premier soldat venu. Arzel resta en retrait, prêt à aider qui aurait besoin d'aide avec son couteau de chasse.
Sane avisa rapidement autour de lui, tous ses amis luttaient, mais les soldats étaient loin d'être des novices, ils tentaient de les encercler. Ils étaient à quatre contre neuf, leurs adversaires guettaient les failles, ils n'avaient pas besoin de se presser. Exurie se battait seule contre deux adversaires. Ils l'épuisaient, elle n'avait aucune portée avec ses armes.
— Arzel ! Va aider Exurie, hurla le prince.
Le chasseur acquiesça, mais un soldat lui barra la route, il évita un coup frontal grâce à sa grande agilité, cependant il dut se jeter au sol, et se retrouva vite acculé. Le coup de grâce lui fut évité de justesse, par une lame qui jaillit du ventre de son assaillant. Maelia venait de lui sauver la mise. Il n'y avait pas le temps de parler, il se releva prestement et la jeune femme se retourna vivement pour briser un assaut.
Les onze prisonniers s'agitaient, et les encourageaient.
— Un dernier effort ! les ragaillardis Sane, avant de pousser un cri sauvage et d'entrer en frénésie.
Feary regarda Sane perde en partie le contrôle. Il ne savait pas trop si c'était une rage berserk ou simplement une très grande ardeur, quoi qu'il en soit, ça l'inquiétait.
Un cri de douleur étouffé échappa à la bouche de Maelia quand une lame mordit dans son bras, elle mit un violent coup de pommeau dans la tête de son assaillant avant de le finir. Feary était inquiet, la blessure semblait profonde, mais il n'avait pas le temps de venir à son aide.
Elle ne regarda pas les dégâts, par chance c'était son bras désarmé qui avait été blessé, instinctivement elle l'avait levé pour dévier un coup. Il restait peu de soldats debout, elle ne devait pas flancher.
Exurie et Arzel arrivaient à leur aide dans le dos des soldats rescapés et le combat se termina en une véritable curée.
Le dernier soldat au sol Maelia se laissa tomber, appuyant sa main valide sur l'épanchement sanglant. Sane donna des ordres, Arzel vint s'occuper d'elle, pendant que Kenelm partait rejoindre Cylia et que les autres s'occupaient des prisonniers.
Sans un mot Arzel prit le bras de Maelia, il termina de déchirer la manche à l'aide de son couteau. Il alla chercher une gourde, rinça, sortit une petite fiole d'un alcool que Maelia ne connaissait pas, mais qui la brûla comme l'enfer sur sa coupure. Agile et rapide, Arzel la recousit.
— Tu sens tes doigts ? finit-il par demander.
Elle les bougea et confirma.
— Bien, si jamais tu as des sensations étranges dis-le-moi. Ou si ça se remet à saigner trop fortement. J'ai fait au mieux, mais le saignement n'est pas complètement stoppé. Bouge ton bras le moins possible.
— Merci, il faut aller aider les autres, il y a des blessés aussi dans les prisonniers.
— J'y vais, toi, tu restes assise, tu bois de l'eau, on n'a pas besoin de toi. Récupère.
Tellement choquée qu'il ait parlé autant, Maelia ne put que l'écouter.
Arzel avait essayé de rester neutre, mais la blessure de Maelia était sérieuse. Sans soin elle aurait fini par se vider de son sang, sans parler de la chance qu'elle avait eu que son os ne se brise pas, il avait été mis à nu. Arzel avait vu des gens tourner de l'œil pour moins que ça.
Maelia était nauséeuse et elle se sentait affreusement faible. Ce n'était pas passé loin cette fois, sans Tagan pour veiller sur ses arrières elle n'avait pas eu l'impression d'être à la hauteur. Mais, elle n'avait pas l'énergie de trop y penser, elle s'allongea, et, sans le vouloir, elle s'endormit.
— Comment va-t-elle ? demanda le prince.
— Elle a eu de la chance, mais il lui faut du repos.
— C'est un luxe que nous n'avons pas. Pourra-t-elle marcher ?
— Oui, avec de l'aide.
— Bien. Soigne les prisonniers sommairement, il faut qu'ils tiennent jusqu'à ce qu'on soit hors de danger.
Exurie, Feary et Arzel s'attelèrent à prendre en charge leurs amis. Pendant que Sane et les rebelles à nouveau libres qui en avaient la force dépouillaient les soldats de leurs armes.
Cylia fut soulagée de voir Kenelm approcher, mais un nœud pesait dans sa gorge, qui était mort ?
Il l'enlaça en la retrouvant, lui prit la main pour l'entraîner à la rencontre des autres.
— Nous avons réussi. Il n'y a eu que des blessés. Maintenant, il nous faut partir.
Cylia fut allégée d'un poids et emboîta le pas à Kenelm. Quand ils arrivèrent, les couleurs de tout le monde se chevauchaient dans un chaos terrible. Il y avait beaucoup de peur des verts foncés, sales, de la douleur du rouge. Il y avait quelques auras aciers, des personnes déterminées, elle reconnut celle de Sane, car elle irradiait beaucoup, et elle avait toujours quelque chose, comme des lignes plus fragiles, plus pâles. Et il y avait aussi celle de Feary qu'elle ne pouvait jamais louper, il y avait toujours une sorte de chaleur dans ce qui l'entourait, à leur première rencontre elle l'avait de suite remarqué.
— Qui dort ? demanda-t-elle.
— Maelia, elle a une coupure assez moche sur le bras.
— J'espère que ça va aller pour elle. Pourquoi tout le monde s'agite ? Que font-ils ?
— Ils détachent les chevaux. Les chariots sont trop encombrants, surtout celui avec la cage.
Arzel vint les voir, il semblait préoccupé.
— Commencez à avancer, et prenez Maelia. Si vous êtes trop lents, je n'aurais jamais la possibilité de faire suffisamment disparaître vos traces.
Kenelm secoua doucement Maelia, elle était pâle, le corps recouvert de sueur.
— Il faut commencer à avancer, l'informat-il en l'aidant à se relever.
— Merci, souffla-t-elle, refusant de montrer qu'elle ne s'en sentait pas capable.
Kenelm la soutenait comme il pouvait quand ils contournèrent les corps pour éviter que Cylia ne trébuche contre l'un d'eux. Pour ne pas le gêner, elle tenait l'arrière de son vêtement. D'autres blessés leur emboîtèrent le pas, aidés par Exurie et Feary.
Sane regarda la lente colonne s'éloigner, il craignait vraiment qu'ils ne soient pas assez rapides. Il chassa de ses pensées les éléments qu'ils ne pouvaient pas changer, pour se concentrer sur le reste. Il finit de serrer les sangles, et tendit les rênes à Wilton, l'un des rescapés les plus en forme. Les quatre chevaux enfin chargés, ils finirent de se mettre en route.
— Soit prudent Arzel, ne fais rien d'inconsidéré.
— Ce n'est pas mon genre, en attendant que vous vous éloigniez, je vais vérifier alentour, et récupérer les éventuelles armes oubliées.
— Bien. À plus tard.
Sane le laissa. Il retourna inspecter le bois, pour effacer les traces de Kenelm et Cylia. Il en profita pour récupérer l'arc de Maelia, et quelques flèches en bon état qui avaient été oubliées. Il évitait de regarder les vingt-cinq corps. Il ne regrettait pas. Mais il était conscient que tous ces hommes avaient des familles qui allaient les pleurer, et il n'aimait pas se sentir responsable de ça, surtout avec l'œil accusateur de certains corps, fixé dans le vide qui donnait l'impression de le suivre. Il s'appuya contre un arbre et nettoya ses lames, et les aiguisa, rassuré de ne pas entendre de galop effréné des renforts qui étaient supposés arriver.
Il suivit la piste de ses amis, vérifiant qu'elle était visible, mais, sans paraître évidente, puis petit à petit, il se mit à enlever quelques traces, à retirer des branches brisées du passage, pour rendre la piste de plus en plus difficile à distinguer. Le travail était long, surtout quand il estima qu'il était tant de ne plus en laisser paraître aucune, ou presque. Puis il arriva enfin à l'endroit où ses amis avaient bifurqué, les ruines d'une statue tronaient sur un socle en pierre complètement recouvert de végétation. La représentation était brisée par le temps qui ne l'avait pas épargé, les traits étaient gommés par les intempéries, Arzel n'aurait pas su dire à quoi avait pu ressembler ce dieu oublié et il n'en avait pas le temps, mais il était toujours intrigué par ces statue qu'il coisait un partout dans des lieux inhabités. Le jour commençait à décliner, mais il ne devait surtout pas bâcler cette zone, tout leur plan de fuite était basé sur ce point, il le vérifia un nombre incalculable de fois jusqu'à ce que le noir total ne l'en empêche.
La nuit était tombée, il avait trop traîné, mais il ne pouvait pas partir, il n'avait pas assez couvert leur fuite. Son seul avantage, c'était que les soldats ne pourraient pas avancer de nuit non plus. Il se mit en hauteur pour passer la nuit, mangea un morceau de viande séchée, et somnola.
Sane avait ordonné une halte, ils avaient dû charger en cours de route deux rebelles sur des chevaux, car ils étaient incapables d'avancer assez rapidement. Tout le monde était épuisé, lui aussi.
Ils ne firent pas de feu, et mangèrent frugalement, même s'ils donnèrent plus aux anciens captifs et aux blessés qui avaient beaucoup souffert durant leur captivité.
Wilton vint s'installer près de lui.
— Tu as un plan pour libérer les autres ?
— Oui, mais il sera périlleux, le roi s'attend à ce que nous tentions de les libérer.
— On ne peut pas abandonner ! On a tous trop donné ! s'exclama Wilton.
— Je sais.
— Certains ont déserté nos rangs quand ils ont appris la captivité de Beag. J'ai eu envie de les buter... mais je ne l'ai pas fait, je ne veux pas être un monstre...
— Personne ne veut en être un, répliqua le prince avec tristesse.
— Je ne t'ai jamais apprécié, tu sais.
— Je sais, ne put s'empêcher de sourire Sane, et tu n'étais pas le seul.
— Tu donnais toujours l'impression de nous prendre de haut. Mais je dois admettre que c'est bien pratique de t'avoir sous la main. Tu fais peur à nos adversaires.
— Comment ça ?
— Beh, tu sais, l'échauffourée où Beag a été capturé, entre l'épée de Sandayu, qui a disparu, celle de Feary qui chatoyait, de ce qu'ils en disent, et, toi, qui te battait comme un démon, les survivants ont dit qu'ils avaient affronté des mages et des démons.
— Un démon ? Moi... dit-il en accusant le coup, il n'avait jamais voulu que les gens aient peur de lui, même s'il avait conscience que c'était ce qu'il fallait dans leur situation.
— Bah, tu sais, nous on sait que tu es comme nous, humain, je veux dire. Tu ne nous fais pas peur à nous.
Sane ne répliqua pas, il se força à sourire, il était plus affecté par cette histoire qu'il ne l'aurait voulu. Sane le démon. S'il rentrait chez lui, deviendrait-il Ridwen le prince démon ? Serait-il accepté, si jamais les gens apprenaient qu'il devenait fou sur un champ de bataille ? Son père ne l'accepterait jamais, ça, il en était certain.
Il instaura des tours de gardes, et pris le premier, il avait trop de choses en tête pour dormir.
Cylia regarda avec peine Sane s'éloigner du camp, elle avait senti son humeur changer, le bleu avait remplacé le gris, elle se demandait ce qui avait pu le toucher à ce point, mais elle ne pouvait rien faire. Elle s'endormit près de Maelia, qui s'était assoupie à peine la pause instaurée. Kenelm les couvrit et s'installa à son tour.
Exurie et Feary montaient la garde avec Sane. Feary regarda Exurie, heureux de l'avoir retrouvée comme avant leur défaite, le noir avait retrouvé sa place autour de ses yeux, ça la rendait très intimidante, surtout avec le sang séché qu'elle n'avait pas pu encore nettoyé. Il imaginait faire autant peur à voir qu'elle.
Il profita de son tour pour nettoyer sa lame et affûter ses flèches, et vérifier leurs pennes.
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