Chapitre quarante

Maelia était camouflée dans une immense cape qui cachait même son épée. Son sac, et les affaires de ses amis étaient dissimulés dans les bois. Ils s'étaient séparés pour glaner des informations dans la ville. La fête du roi aurait lieu dans une dizaine de jours, Maelia était de plus en plus agitée.

Elle déambula un moment, se perdant souvent, elle avait transité un temps ici en tant qu'esclave, mais elle était trop rebelle pour que son maître la laisse faire des courses, ou la laisse sortir, donc, à part quand elle l'avait accompagné, elle avait peu vu la capitale. Donc elle avait hérité de coins peu enfoncés dans le méandre des rues, tout comme Feary. Sane quant à lui avait assuré avoir déjà vu des plans des rues, donc tout comme Tagan originaire d'ici, et Arzel qui y était déjà venu en cherchant son père, ils arpentaient les profondeurs de la ville.

Tagan ne pouvait s'empêcher de s'en faire pour Maelia, une femme seule dans des tavernes attirait forcément les hommes mal intentionnés. Mais en même temps elle était la plus sûre d'obtenir quelque chose, les hommes étaient souvent stupides à vouloir se vanter pour impressionner les femmes.

Il soupira, il ne pouvait rien faire à part avoir confiance en elle.

Il reprit son chemin jusqu'au plus important marché du royaume.

Il déboucha sur la place grouillante de vie, malgré lui il leva les yeux vers le château et ses murailles surplombant la ville. Sa poitrine se serra. C'était ici même que tout se jouerait dans moins de deux semaines, et qu'il reverrait Cadwil. Il était hanté par ces prochaines retrouvailles. Il savait qu'il y avait des chances que son ancien frère ne sache même pas qu'il soit là, surtout si l'un des deux mourrait avant que la situation ne soit maîtrisée par l'un des deux camps. En un sens il espérait presque que ce soit le cas, il n'était pas prêt à voir la trahison dans ce regard qui avait toujours été bienveillant envers lui.

Il se fondit dans la masse, fit abstraction de ses doutes et laissa traîner ses oreilles.

Arzel était déjà en poste, serein, car les personnes autour de lui n'avaient pas l'air d'avoir conscience de sa présence, ce qui le détendait. Il n'y avait pas encore de soldats dans l'auberge, il espérait que cette journée serait instructive. Il se détesterait s'ils échouaient si près du but.

Sane était heureux d'avoir longtemps étudié cette ville, après quelques tâtonnements, il y avait vite pris ses marques. Par contre, il regrettait de n'avoir rien entendu d'intéressant. Il avait pourtant passé son temps dans la rue attenante au baraquement principal des gardes de la ville, au plus près du château. Il restait moins d'une heure avant de partir retrouver ses camarades, il espérait qu'elle serait déterminante. Il le fallait. Plus ils auraient le temps de se préparer précisément, plus leurs chances de réussites seraient grandes.

Feary avait pour une fois sa bonne humeur entamée, il rentrait bredouille.

Il laissa derrière lui les dernières habitations et serpenta entre les champs, il n'était pas pressé d'annoncer sa mauvaise fortune aux autres.

La nuit commença à prendre ses droits sur le jour, allongeant les ombres et rendant la forêt devant lui noire et peu accueillante. Il espérait repérer Fuku dans le ciel, mais son ami devait dormir encore après les journées épuisantes dans son panier.

Il eut l'impression de voir bouger entre les arbres, mais en fixant l'obscurité il ne perçut rien.

Se sentant bête, il reprit sa route.

Il était presque sous les arbres quand le plumage de Fuku se détacha du ciel assombri. Feary stoppa sa marche et tendit sa main gantée. Toutefois l'animal ne s'arrêta pas, il vira et se mit à faire un cercle au-dessus des arbres en criant. Feary inquiet tira son épée. Il perdit de vue la chouette, qui suivait la personne qu'elle avait repérée par-dessus la futaie.

Le jeune homme partit à sa suite, sachant que ce n'était pas très prudent. Il se fia aux appels de Fuku pour se diriger, se faisant quand même légèrement distancer. Puis il eut l'impression que Fuku n'avançait plus, avant de ne plus émettre un seul son.

Le cœur de Feary manqua déchirer sa poitrine quand la peur le gagna. Suffoquant d'angoisse, il se mit à courir sans se soucier de sa sécurité. Avant d'être interpellé :

— Je t'aurais tué bien avant que tu ne parviennes jusqu'ici, lança Exurie dans un sourire où Feary perçut une immense douleur.

Maladroitement il rangea sa lame, pris par l'émotion. Fuku était perché sur le bras de la femme presque chauve. Feary se précipita vers elle, faisant s'envoler le rapace, et, même s'il n'avait jamais eu de contact aussi intime avec la traqueuse, il l'enserra dans ses bras.

Gênée elle ne bougea pas, mais il la sentit se détendre.

— C'est bon de te voir, souffla-t-elle.

Il relâcha son étreinte, fixant son amie amaigrie, ses yeux bleus sans leur noir habituel, et ses cheveux légèrement plus longs que d'habitude, mais qui laissaient exposer une immense cicatrice.

— Comment tu te portes, demanda-t-il inquiet.

— Mieux chaque jour. Et toi ? D'autres sont avec toi ?

— Moi, ça va, je voyage avec Sane, Tagan et Maelia, ainsi qu'un de leurs amis, un excellent chasseur du nom d'Arzel.

— Si peu, s'attrista la frêle femme qui lui faisait face.

— Et avec toi ? osa enfin demander Feary.

— Cylia et Kenelm, les deux amis d'Eunan, et c'est tout, malheureusement. C'est eux qui m'ont trouvé et soigné.

— Présente les-moi, que je vous amène aux autres.

— Je vous attends ici, va les chercher, ce sera moins long, lui indiqua Exurie.

Feary ne se fit pas prier et partit chercher ses camarades.

Exurie se sentait heureuse, et encore plus triste qu'avant. Un mélange qu'elle n'aimait pas. Elle ne savait pas si elle devait se réjouir, ou pleurer ceux qu'elle ne reverrait plus. Elle était informée qu'une quinzaine de rebelles étaient prisonniers pour le moment. Beag était celui dont elle était presque sûre de la présence, ils avaient aussi su qu'un géant faisait partie des prisonniers : Bulk ou Drystan. Mais pour le reste c'était le flou. Sans parler des autres mauvaises nouvelles, d'autres rebelles allaient s'ajouter à ceux déjà prisonniers, les gardes avaient traqué ses compagnons durant des semaines, en avait tué une grande partie et capturé un petit nombre qui devait servir au spectacle macabre de l'anniversaire du roi, comme clou du spectacle. Une surprise, connue seulement de quelques gardes et d'un survivant qu'ils avaient eu la chance de croiser il y a quelques jours à peine. Blessé, brisé, il n'avait pas voulu rester avec elle. Si elle n'avait pas autant dépendu de Kenelm et Cylia, elle aurait sûrement choisi le même chemin que lui, tellement le découragement l'avait submergé ces derniers jours.

Même ce soir ce n'était pas elle qui avait aperçu Feary, mais Kenelm qui était vite venu la prévenir, et lui avait laissé de l'intimité, même si elle savait que c'était surtout pour ne pas laisser la voyante seule.

Ses amis arrivèrent enfin. L'ambiance était étrange, elle voyait qu'eux aussi semblaient déchirés entre joie et tristesse.

Elle les conduisit à leur cabane, un abri construit au pied d'un gros roché esseulé au milieu de la végétation. Dans cette disposition un de leur flan était couvert, il faisait le feu du repas un peu plus loin, c'était sommaire, mais suffisant. Durant le trajet elle répondit à leurs questions, annonçant mauvaise nouvelle, sur mauvaise nouvelle. Ils lui exposèrent leur stratégie, et autres idées. Elle écouta, mais ne commenta pas.

Sane était de plus en plus inquiet, l'Exurie qu'il venait de retrouver, n'était que l'ombre de celle qu'il avait connue. L'enthousiasme d'avoir retrouvé une alliée de taille était remplacé par l'anxiété de se retrouver avec un handicap, et ça c'était avant d'apercevoir l'aveugle assise sur un tronc qui lui souriait. Il fut dépité. Que pourrait-il faire avec des personnes aussi diminuées.

— Bonjour, moi c'est Cylia, se présenta-t-elle avec entrain, avant de fixer Feary. Tu as de très jolies couleurs, conclut-elle, comment tu t'appelles ?

Feary se présenta, intrigué par le regard de cette personne a priori non-voyante qui le suivait et qui lui avait fait un drôle de compliment. Ce comportement n'échappa pas à Sane.

— Que vois-tu ?

— Que me regarder te contrarie, répondit-elle sans se départir de son sourire.

— Je ne suis pas sûr de comprendre.

— Je ne vois plus rien de ce que vous voyez, mais je vois d'autres choses. D'ailleurs si vous entrez en contact avec moi, je verrais précisément ce que vous êtes, ça ne me gêne pas, mais ça peut vous embarrassez-vous. C'est vous qui décidez, je ne fais que vous avertir.

— Mais de quelle magie s'agit-il ? s'enquérit Sane, complètement interloqué.

— Je ne sais pas. Ce n'est pas important.

— Arrête de la fixer comme ça, intervint Kenelm, qui s'interposa.

Sane s'excusa et partit s'installer près des autres.

La discussion s'anima, les histoires se confrontèrent, les constations avec, tous étaient focalisés sur leur but commun, sans prendre la peine de se découvrir un peu plus.

Ils préparèrent le repas du soir dans une relative bonne ambiance. Maelia avait décidé de passer du temps avec d'autres femmes pour une fois, la compagnie de tous ces hommes lui avait pesé. Cylia ne pouvant pas fouiller les bois à la recherche de nourriture, de bois, ou aller remplir les gourdes, elle nettoyait les légumes. Maelia et Exurie l'aidèrent.

Au début aucune ne parla, avant que Maelia ne se décide à poser une question espérant lancer la discussion :

— Tu as perdu le noir pour tes yeux ? C'est la première fois que je te vois sans, c'est étrange.

— Non, mais je n'ai pas eu envie d'en remettre, j'étais assez inutile dernièrement.

— Tu n'as pas le droit de parler comme ça, la rouspéta Cylia, tu le sais en plus. Maelia a raison, tu devrais t'en remettre, et te couper les cheveux, j'ai entendu Tagan, si je ne me trompe pas de personne, te faire la remarque.

— On verra, éluda Exurie.

— En parlant de Tagan, reprit Cylia en se focalisant sur Maelia, vous vous aimez tellement que quand vous vous regardez vos couleurs recouvrent celles des gens autour de vous. C'est tellement magnifique.

Maelia rougit et ne prit même pas la peine de répondre, de peur que son trouble s'entende.

Exurie ricana :

— Même au campement ça se voyait que vous vous aimiez, enfin surtout lui, je n'ai pas besoin du don de Cylia pour voir ce genre de choses.

Maelia ne répliqua toujours pas, elle s'en voulait d'avoir engagé la discussion, être le centre de l'attention ne lui plaisait pas, surtout qu'elle savait que non loin dans son dos Tagan préparait la viande et qu'il avait dû entendre. Elle refusait de trop penser à lui aussi près de son frère qui devait souffrir. Durant leur voyage, ils avaient volé quelques moments d'intimités, mais ici il n'était plus temps. C'était déjà miraculeux qu'ils arrivent jusque là sans encombre, aussi près du danger, il fallait qu'ils restent concentrés.



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