Chapitre onze

Un homme arriva, portant Maelia dans ses bras. Feary était rassuré de la voir sauve.

— J'ai la demoiselle. Elle est un peu sonnée, mais elle va bien, claironna le charmant jeune homme blond, dont l'un des sourcils était pourvu d'une balafre.

— C'est bien, Egert. Tu as été efficace.

— Tu en doutais ? demanda-t-il en rigolant. Les autres finissent de dépouiller les corps et ils nous rejoignent.

Drystan, l'homme à la carrure de bûcheron donna des ordres pour que tout soit emporté. Feary allait se manifester pour demander à récupérer sa monture qu'il avait abandonnée plus loin, mais il n'en eut pas le temps. Un homme encapuchonné apparu tirant son hongre par la bride.

Il ne chercha pas Fuku, car il avait repéré son ami depuis longtemps. Sur une branche, son plumage blanc le rendant magnifique, d'une pureté presque surréaliste au milieu de toute la noirceur de cette nuit, et de la souillure des actes qui s'y étaient déroulés.

Ensuite ils furent amenés plus loin dans les bois, sans réelle brusquerie. Feary ne se sentait pas menacé de toute façon, et son instinct ne l'avait jamais trompé, donc il se laissait faire. Curieux de connaître la suite.

Le géant leur avait parlé franchement, ils les amèneraient à leur camp pour que leur sort soit décidé, sauf s'ils tentaient quelque chose avant, dans ces cas-là, ils nourriraient les vers. Ça avait été concis et très clair.

Tagan n'était toujours pas tranquille. Désarmé il se sentait nu. Surtout entouré d'autant de personnes qui contrairement à lui ne l'étaient pas. Plus rien ne dépendait de lui et il n'aimait pas ça. De plus, la décontraction de Feary l'irritait. Il se demandait de plus en plus sérieusement s'il n'avait pas à faire à un simplet. Personne de sain d'esprit n'afficherait le sourire qu'il arborait, et encore moins cet air de décontraction comme s'il était à la cueillette aux champignons.

Les rebelles étaient bruyants. Certains riaient, d'autres parlaient avec force, et aucun d'eux ne prenait de précaution pour marcher discrètement. Ils se conduisaient comme les maîtres des lieux. Ce qu'ils devaient être. Ce qui confirma ce qu'il s'était imaginé, sans leur accord il ne pourrait jamais partir.

La plaie à son bras le lançait de plus en plus clairement. Il l'avait inspecté rapidement. C'était superficiel, mais avec la fatigue il avait la sensation de ne sentir que ça.

Ils arrivèrent à un campement de fortune où quatre foyers diffusaient leur chaleur et leur lumière réconfortante. On les invita à s'asseoir près de l'un d'eux après avoir été fouillés.

— Je pouvais marcher, grommela Maelia quand Egert la relâcha enfin.

Le rebelle partit s'asseoir plus loin en rigolant sans lui répondre.

— Tu vas bien ? s'enquit Tagan.

— Oui, c'est l'autre empaffé qui n'a pas voulu me laisser me servir de mes jambes.

— Je connais cette catégorie d'homme, il essaie juste de te charmer pour obtenir tes faveurs. Il faut bien qu'il s'occupe, les distractions ne doivent pas être légion par ici, constata Tagan.

— Étrangement, je pense que tu viens juste de reconnaître l'un de tes semblables, c'est pour ça que tu connais si bien cette catégorie.

Tagan s'esclaffa, et même Feary sourit.

— Tu ne nies pas, remarqua Maelia.

Tagan haussa les épaules et lui fit un clin d'œil.

Drystan, le grand homme qui paraissait diriger le groupe vint vers eux avec de l'eau et une pochette de cuir. Quand il l'ouvrit, Maelia comprit que c'était une trousse de soins. Le géant dut insister un peu pour que Tagan se mette torse nu et qu'il se laisse soigner. Mais ce ne fut pas long, Drystan avait l'air rompu à l'exercice, il fit quelque points après avoir désinfecté, enroula le haut du bras dans une touaille et les laissa. Une seconde après, Tagan reprit une discussion banale, il se mit à parler équitation avec Feary.

Tout paraissait tellement bizarre, comme si tous essayaient de paraître les plus normaux possible. Ils avaient frôlé la mort. Et elle avait frisé bien pire. Pourtant ils plaisantaient. Comme les autres types autour des flammes, qui pourtant venaient de commettre un vrai massacre. Ou alors c'était juste elle qui était ébranlée. Peut-être que tous les autres avaient l'habitude.

Elle avait scruté chacun des visages de leurs sauveurs, cherchant son frère, mais il n'y était pas. Par contre elle avait repéré au moins une femme au milieu des visages masculins. Cela l'avait étonné, car elle était armée d'une épée et elle s'en était servie. Apparemment ici peu importait le sexe pour se battre. Et Maelia ne s'en sentait que plus lâche. Plus inutile.

Drystan vint les voir à nouveau, leur donnant des couvertures et leur apprenant que demain ils les guideraient jusqu'au camp principal, avant de les encourager à dormir.

— Du repos et de la chaleur, il ne nous manquerait plus qu'une couche confortable et ce serait le paradis, commenta Tagan une fois le colosse parti.

Maelia et lui ne se firent pas prier davantage et se pelotonnèrent près du brasier. Feary par contre gardait un œil sur sa monture qui était délestée de ses affaires, et surtout de la cage de Fuku.

L'homme qui s'en chargeait regardait le panier tressé au dessous du tissu, d'un air interrogateur. Ce qui fit pousser un cri strident à Fuku qui n'était jamais très loin.

Feary arrangea le brassard à sa main gauche, qui lui servait autant à se protéger l'avant-bras quand il tirait à l'arc, qu'à le préserver des serres acérées de son ami, et leva le bras.

D'un vol majestueux, la chouette plongea du châtaignier où elle observait la scène, avant d'effleurer le sol et de venir sur le bras de son maître.

Feary caressa son ami qui s'ébouriffa de plaisir.

L'homme qui s'occupait du cheval vint vers lui, tenant le panier.

— Je suppose que c'est à lui.

Feary acquiesça.

— L'élevez-vous depuis longtemps ? demanda l'homme dont les yeux bleus brillaient d'envie.

— Huit ans, la moitié de ma vie. C'est un ami fidèle. Il s'appelle Fuku, et je suis Feary.

— Sane, enchanté. J'ai vu votre épée, c'est l'une des vingt n'est-ce pas ?

— Oui, je suis un homme chanceux Lune m'a choisi.

— Nous avons un autre détenteur d'une telle épée dans nos rangs, vous le rencontrerez demain, quand notre chef décidera si vous pouvez nous rejoindre ou non.

— Personne ici n'a formulé l'envie de vous rejoindre, répliqua Feary avec amusement.

— Les seules personnes qui viennent ici le font soit pour la récompense pour la tête du chef, soit pour faire partie des nôtres. Dans quel cas êtes-vous ?

— Le second, mais je ne suis pas sûr que ce que tu viens de dire corresponde aux deux autres.

— Nous verrons bien. Vous pouvez garder votre rapace. Je vous souhaite une bonne nuit.

Sane s'en alla d'une démarche féline et gracieuse. Feary sentait une forme de duperie dans ce qui venait d'avoir lieu, mais il ne savait pas où était le problème. Quoi qu'il en soit, il savait déjà que Sandayu était ici, c'était pour ça qu'il était là. Il ne le connaissait pas, mais cet homme était une légende, tant pour sa maîtrise de sa lame, que pour son caractère exécrable et taciturne, sauf avec les femmes. Cependant il avait eu envie de le rencontrer, et comme souvent il faisait confiance à ses désirs.

Tagan n'avait rien loupé de l'échange. Sane parlait comme un noble et marchait comme un guerrier aguerri. Que faisait un homme de cette trempe au milieu de rebelles ? Le roi avait-il sous-estimé l'importance de la résistance ? Est-ce qu'il se trouvait sur le seuil du changement ? À l'orée d'un soulèvement ? Cadwil le seul ami qu'il n'ait jamais eu risquait de se faire tuer si jamais cela arrivait, en tant que prince il serait leur cible.

Les choses devenaient de plus en plus compliquées. Demain il aurait des réponses et pourrait mesurer l'étendue de la rébellion.

Il réfléchit un moment, mais le sommeil eut raison de lui avant qu'il n'arrive à tout appréhender.

Le campement s'animait à peine quand Tagan se réveilla. Feary était déjà éveillé, il regardait avec bienveillance le panier ou sa chouette dormait.

Après l'avoir salué, il déclara :

— Merci pour hier, tu es venu te jeter dans la gueule du loup pour nous aider et je ne pense à te remercier que maintenant.

— Je n'ai pas été d'une grande aide, mais je savais que les rebelles approchaient, Fuku était très agité. Il suffisait juste de gagner du temps.

— Pratique ton compagnon à plume... Dis-moi, ton épée comment tu l'as obtenu ?

— Le destin m'a choisi, répondit-il calmement.

— Pas à moi. Les foutaises magiques, c'est bon pour le peuple.

— Si tu n'y crois pas, je n'ai malheureusement rien de plus à te dire.

Tagan souffla de contrariété et se concentra sur l'agitation du camp. Feary était sûrement un arnaqueur, et un bon. Sous ses faux airs de bienheureux, il devait manigancer quelque chose. Les légendaires épées. Et puis quoi, encore ? Des elfes ? Des magiciens ? Des dragons ?

Egert vint leur rendre leur sac, dépourvu des armes qui se trouvaient à l'intérieur. Il leur tendit aussi du pain rassis avant qu'ils ne se mettent en route.

Presque cinq heures furent nécessaires pour qu'ils atteignent le camp. Maelia avait été de plus en plus fébrile, impatiente de retrouver son frère. Feary était resté fidèle à lui-même, souriant tout le trajet. Et Tagan sentait qu'il mettait les pieds dans une impasse d'où il ne pourrait jamais repartir.

Les actes nobles, sans réelles arrières pensées, quelle fadaise ! Et il s'était lui-même piégé en se sentant responsable de Maelia. Quel pigeon il faisait ! Défendre les faibles n'avait jamais été son problème. Et elle avait débarqué avec son regard farouche et son corps meurtri, puis sans qu'elle ne lui demande quoi que ce soit il s'était entêté à l'aider. La couronne du roi des idiots lui revenait.

Les guetteurs camouflés dans les arbres les regardaient pénétrer dans la clairière.

Tagan en eut le souffle coupé. Des cabanes en bois, des tentes et du monde, beaucoup de monde. Des centaines de personnes. Au moins trois cents. Armés pour la majorité, même les femmes. Il y avait aussi des enclos à bestiaux. Le camp était en expansion, il y avait une effervescence presque étouffante. Du bois attendait dans un coin près d'établis où s'activaient, avec ardeurs, des hommes épais dont les muscles saillaient sous l'effort.

Personne à la cour n'avait la moindre idée de ce qui se tramait ici. Tout avait l'air parfaitement régi. Tagan fit de son mieux pour dissimuler sa surprise.

On les guida jusqu'à l'un des deux plus grands chalets.

La chaleur à l'intérieur les enveloppa immédiatement. Elle était diffusée par trois âtres en pierre disposés chacun sur un mur différent. Des marmites étaient suspendues sur des trépieds juste à côté et une excellente odeur de nourriture envahit les narines de Tagan, qui se mit à saliver.

La cabane entière était un réfectoire, où s'attardaient encore quelques personnes devant leur écuelle.

L'organisation du camp était militaire. Il était en présence des débuts d'une armée. Ils ne le laisseraient pas partir après avoir vu tout ça. Il n'avait aucun choix, il devait les convaincre qu'il les rejoignait sinon ils le tueraient.Les persuader serait ardu, mais pour survivre il fallait faire des efforts... Et après il aviserait.

Maelia balayait l'environnement des yeux, s'attardant sur chaque visage, jusqu'à ce qu'attabler devant un bol elle l'aperçoive. Ses cheveux châtains étaient courts, mais elle reconnut ses yeux noirs rieurs.

— Beag, murmura-t-elle avant de reprendre plus fort.

Il la fixa. Mais sa figure ne trahit rien. Il ne la reconnaissait pas. Ce constat créa un trou béant sans sa poitrine et la paralysa. Elle était persuadée que c'était lui. Même si l'homme qu'elle avait devant elle n'avait plus rien d'un enfant insouciant.

— Beag, recommença-t-elle.

Il se leva, contourna la table à pas mesurés et s'approcha d'elle. Il était grand, plus grand qu'elle.

Il se planta devant elle. Et la fixa. Elle ne respirait plus, n'osait pas bouger, tellement ce moment était inespéré.

— Mae, dit-il en la serrant dans ses bras, si je m'étais attendu à ça.

Elle mit un moment à réaliser qu'il l'écrasait contre son torse et à lui rendre son étreinte.

Elle inspira son odeur qui lui était totalement étrangère désormais. Il ne sentait plus l'agrume et la terre, mais le feu de bois, le pin et la sueur. Une odeur qu'elle chérirait toute sa vie.

Il mit fin à leur accolade, trop vite au goût de Maelia qui ne voulait plus jamais le quitter.

— Cette femme est ma sœur, le premier qui envisage de l'approcher de trop près aura affaire à moi. N'est-ce pas Egert ? dit-il à la cantonade entre humour et réel avertissement.

— Ca marche chef, répondit ce dernier en riant.

Maelia s'empourpra jusqu'au front.

— Dès que la corvée de l'interrogatoire est passée, toi et moi irons parler, je veux tout savoir, glissa-t-il à sa sœur. Maintenant je veux les détails, ordonna-t-il à Drystan.

Durant le compte rendu des rebelles, Maelia n'écouta rien. Elle contemplait son frère avec une faim presque insatiable, comme si elle voulait graver chaque détail dans sa mémoire pour l'éternité.

Il était chef de la rébellion. Son petit frère, un garçon qui avait été doux, drôle et d'une gentillesse infinie, était chef de guerriers. Elle ne s'y ferait jamais.

Après que ses hommes lui aient fait leurs rapports et leurs comptes rendus, il invita les trois nouveaux arrivants à s'asseoir et leur fit servir à manger. Les deux hommes avec sa sœur devaient être dangereux. Le blond ne l'inquiétait pas plus que ça. C'était un des porteurs des vingt épées, il était même plutôt satisfait d'en avoir attiré un second. Par contre, l'autre avait dans ses affaires beaucoup d'armes de haute qualité, des habits onéreux et des manières qui rappelaient celles de Sane. Où sa sœur avait dégoté un homme de cet acabit ?

Il commença par celui qui lui semblait le plus simple à cerner et questionna Feary.

Plus il l'écoutait parler, plus il se demandait si cet épéiste n'était pas un peu trop doux pour être vraiment utile. Il ne le voyait pas tuer quelqu'un, mais le mec avait une épée presque mythique, ce qui rendait l'assemblage louche. Il allait charger Sane de le surveiller. Il avait confiance en lui, même si sur le camp il était bien le seul. Mais il était aussi le seul à savoir ce qu'il cachait.

Quoi qu'il en soit comme, à chaque fois, il allait se laisser une semaine pour décider de l'avenir des nouveaux, en leur collant une foule de personnes aux basques pour relever tout ce qui serait douteux.

Son récit terminé, Feary sollicita Beag pour savoir s'il pouvait aller s'occuper de ses animaux. Ce que Beag lui accorda. Pressé de mettre toutes les obligations derrière lui et de passer du temps avec Maelia.

Il questionna Tagan, dont le récit fut complété par Maelia. Et se retrouva vite dans une impasse. Tagan avait sauvé sa sœur. Mais Beag n'arrivait pas à lui faire confiance. Sauf que tuer le seul homme qui était venu en aide à Maelia semblait un peu extrême. Avec la semaine pour décider et en apprendre plus, il espérait avoir de quoi se faire une opinion tranchée. Dans le pire des cas il proposerait gentiment à l'homme de rentrer chez lui et il le ferait tuer en chemin. Maelia n'en saurait rien, et tout serait en ordre.

De plus Tagan sentait la richesse à plein nez. Ses hommes avaient été clairs, il avait tenu à distance, à lui seul, une foule d'hommes, et sans un excellent maître d'armes personne ne savait faire ça. Il n'était pas là pour la récompense, car, si comme Beag le pensait, Tagan venait de la cour royale, il devait certainement savoir que la récompense n'était pas vraie. Qu'elle ne venait pas du roi. Que l'affiche était un acte de rébellion, une façon de rendre son visage familier au peuple, d'attirer dans les bois des hommes armés pour les dépouiller et aussi une façon de faire croire à la masse que le soulèvement était assez grand pour faire aussi peur. Car il devait reconnaître que le prix qu'il avait choisi d'afficher pour sa tête était indécent.

Au départ les affichettes avaient été arrachées, mais il avait prévu cette réaction et à force de les renouveler les autorités pour ne pas être discrédité les avaient laissées. Il attendait d'ailleurs de plus en plus nerveusement le retour de bâton, persuadé qu'ils ne laisseraient pas cet acte impuni.

Peut-être que Tagan était un assassin venu régler le problème. Comme, au moins, les deux individus que personne n'arrivait à saisir et qui rodaient dans les bois depuis quelques semaines.

Tant de danger menaçait sa vie que Beag n'arrivait pas à être effrayé, il était simplement excité.

Il assigna des hommes à la surveillance et comme guide aux nouveaux, puis se chargea lui-même de sa sœur. Pressé de partager ses projets et d'en apprendre plus sur elle



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