Chapitre deux

Le soleil accablait les prisonniers, enchaînés les uns aux autres, marchant vers un avenir plus qu'incertain.

Au bout de l'une des cordées, une silhouette fluette peinait à suivre l'allure infernale que leur faisaient endurer leurs geôliers. Ses pieds traînaient sur le chemin sec, poussiéreux, commun en cette saison et dans cette partie du royaume de Bisror.

Une main contre son flanc, la jeune fille tanguait de plus en plus dangereusement. Ses cheveux bruns balayaient son visage, bouchant progressivement sa vue au fur et à mesure que sa tête s'affaissait.

Jusqu'à ce qu'un rocher prenne en traître l'un de ses pieds, et qu'elle se retrouve allongée sur la poussière et les cailloux dans le sillon creusé par le passage fréquent de charrettes.

La confrontation de son corps avec le sol lui fit inspirer de la terre. Mais malgré tout cet inconfort, elle se sentait presque bien. La lassitude la prenait sournoisement, l'incitant à s'endormir. Sauf que l'un des gardes ne lui en laissa pas l'occasion. Après lui avoir ordonné sèchement de se relever, il le fit lui-même, la propulsant derrière les autres prisonniers qui avaient déjà repris leur route.

Elle serra les dents, se donnant comme but seulement le pas suivant. Malgré l'évidence de sa fin prochaine, que ce soit par la blessure suppurante à son flanc, ou par la décision des juges qui allait la condamner à mort, elle n'arrivait pas à se résoudre à lâcher prise.

Elle n'avait pas été élevée de cette façon, même si les enseignements de ses parents étaient loin désormais et qu'elle avait passé plus de temps en étant captive que libre.

Elle n'oubliait pas.

Le convoi de prisonniers arriva aux abords d'une petite communauté. Maelia ne savait pas à combien de jours de marche ils se trouvaient de Senacnacsor, la capitale du royaume, mais, après cette harassante journée de voyage supplémentaire, elle sentait que son mental ne lui suffirait pas. Ce constat lui ôta un poids. Celui de savoir si elle serait restée digne pour monter sur l'échafaud, sans montrer sa peur.

Parce que la mort l'effrayait. La mort froide, calculée, orchestrée et servant de divertissement. Elle frissonna en imaginant tous les regards d'une foule braqués sur elle, alors que l'on glissait une corde autour de son cou. Quelle fin atroce.

Le camp sommaire fut dressé à l'orée d'un petit bois.

Les deux hommes entravés à elle se mirent à discuter, lui coulant des regards désolés. Elle savait qu'ils la voyaient déjà morte, comme le quatrième de leur chaîne, qui à bout de force, avait été passé au fil de l'épée par l'un des gardes et son corps abandonné au bord du chemin.

C'était ça la guerre, personne ne pouvait s'encombrer des inutiles. La plupart des autres prisonniers n'étaient pas des esclaves comme elle, mais seulement de pauvres gens qui n'avaient pas pu payer les taxes. Comme son père à l'époque, sauf que lui avait résisté lors de son arrestation, et en était mort.

Les détenus seraient jugés coupables et enrôlés de force dans l'armée, ou plus rarement vendus comme main d'œuvre, pour rembourser leur dette. Mais en temps de crise comme maintenant, il n'y avait plus que les femmes et les enfants qui servaient d'apport au marché de l'esclavage. Les hommes n'étaient pas gaspillés, ils manquaient pour les affrontements sur les deux fronts, ou sur trois, si on comptait les brigands vivant reclus aux pieds des montagnes au nord-est du royaume.

Certains des captifs présents espéraient se cacher là-bas, à la moindre occasion de fuir, car dans leur affliction, ils s'imaginaient que ces coupeurs de gorges étaient des rebelles, cherchant à améliorer le sort du peuple. Maelia n'y croyait pas, mais elle s'était bien gardée de faire des remarques.

Elle tenta en vain de s'endormir, mais il lui était impossible d'accéder à la délivrance de l'inconscience, un comble.

Elle resta néanmoins les yeux clos et le dos appuyé contre le large tronc d'un chêne noueux, économisant ses forces.

L'agitation des miliciens amenant de nouveaux prisonniers la sortit de sa léthargie. Sans cérémonie un homme fut ajouté à sa chaîne. Elle évita de le fixer, de peur qu'il ne se sente obligé de lui faire la conversation. De toute façon en un coup d'œil elle l'avait cerné : un bourgeois. Comme ceux qu'elle avait servis. Choyé physiquement par la nature et pourvu de chance, car né dans une famille aisée. Elle le constatait à sa façon de se tenir droit, il respirait l'arrogance, les traits durs et fins, rasé de près, des yeux verts profonds, ressortant sur son visage pâle et sous ses courts cheveux noirs.

Aucune classe sociale n'échappait aux impôts trop élevés, ça en devenait inquiétant, mais pas pour quelqu'un aux portes de la mort comme elle.

Sans se préoccuper du lieu et de la situation, il se présenta au groupe, comme si c'était la chose à faire dans un moment pareil. Elle s'abstint de justesse de souffler devant la stupidité de rester socialement correct quand on était retenu contre sa volonté.

Tagan essaya de ne pas se froisser quand les deux hommes ne firent que grogner à ses salutations, et encore moins quand la fille l'ignora tout simplement. Elle faisait particulièrement pitié à voir. Il distingua une plaie sur ses côtes, il tenta de dissimuler une grimace de dégoût en apercevant l'aspect. La jeune femme n'en avait plus pour longtemps.

La présence de cette dernière le perturbait, plus qu'il ne l'aurait imaginé. Autant les hommes ne lui inspiraient aucune compassion, autant il en était différemment pour l'autre sexe.

Il grommela intérieurement. Il avait prévu de tenter de s'évader, soit lors de la prochaine halte quand quelques soldats iraient en ville, soit durant leur sommeil. Mais tout ça, bien sûr après avoir détaillé leurs habitudes pour mettre toutes les chances de son côté, donc dans plusieurs jours. Sauf que la présence de la prisonnière faisait naître en lui un sentiment de culpabilité qu'il détestait.

Il se répéta que ce n'était pas son problème. Que chacun gérait sa vie à sa façon, que ce qui lui arriverait ne le concernait pas, et pourtant... pourtant, comme un sot il ne pouvait empêcher un sentiment de devoir l'investir. Et cet instinct voulait aider la détenue. Cependant, il devait agir rapidement à cause de son état, ce qui allait contre toute logique. La première nuit était celle où les gardes étaient les plus vigilants et il ne savait rien d'eux. Mais il était sérieusement en train d'envisager de partir cette nuit, même si c'était du suicide.

Il détailla le camp, seize hommes en arme pour un convoi de vingt-et-un prisonniers, répartis en cinq cordées. Il ne voyait pas de solution viable. En plus, comment savoir si les autres malheureux avaient envie de se libérer ?

Il scruta les huit chevaux, il pouvait toujours tenter de la délivrer ainsi que lui-même, pour fuir au milieu de la nuit. Mais il doutait qu'elle soit capable de faire quoi que ce soit, à cause de sa condition physique et à deux sur un cheval, ils se feraient rattraper avant même de s'être éloignés.

Il esquissa un sourire, car malgré tout, malgré l'échec qui se profilait, il allait tout de même tenter quelque chose.

On leur servit une bouillie sans saveur qu'il s'appliqua à avaler. Elle ne combla pas son appétit, tout comme la maigre ration d'eau qui n'étancha pas sa soif. Il était étonné de voir la fille se nourrir, même si elle avait l'air de lutter pour le faire, preuve d'une force de caractère plus que bienvenue.

Il ne put réprimer sa curiosité et la détailla. Le visage tiré et en sueur, il n'arrivait pas à lui donner d'âge avec précision. Il essaya d'ôter le contexte, la crasse, d'effacer les marques de ces derniers jours, pour conclure à une vingtaine d'années. Elle paraissait en avoir plus. La misère avait tendance à durcir les traits et il pouvait toujours se tromper de plusieurs années. Ses habits délavés et le nid qui lui faisait dorénavant office de coiffure n'aidaient pas, à part à lui montrer que c'était une esclave.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle en l'apostrophant d'une voix éraillée par son silence persistant.

— Rien.

— Tu me fixes et j'aime pas ça, dit-elle d'un ton bourru.

— Désolé, je suis Tagan, tenta-t-il en souriant.

— Ça, tu l'as déjà dit.

Il leva les yeux au ciel, agacé par son comportement et lui demanda son prénom, qu'elle lui donna de mauvaise grâce, espérant avoir la paix.

Il la laissa tranquille, pour qu'elle s'endorme et qu'elle eut repris des forces au moment où il se lancerait dans son plan d'évasion complètement fou.

En entendant la respiration rapide de sa voisine, il se questionna. Était-il trop tard pour elle ?

La fièvre semblait la dévorer. Mais il savait que s'il ne tentait rien, il culpabiliserait, pas au point de s'en rendre malade, cependant assez pour ne pas avoir envie de s'alourdir de ce poids.

Le binôme de gardes qui patrouillait était à l'affût. Tagan les guettait, faisant mine de dormir.

Quand il estima être à l'abri des regards indiscrets, il sortit de sa manche un petit morceau métallique qu'il appliqua à la serrure du bracelet de l'un de ses poignets. Ses gestes étaient précautionneux pour éviter tout tintement de la chaîne.

Il se trouvait trop lent. Pourtant, le mécanisme céda au bout d'une quinzaine de secondes. Il laissa le fer autour de sa chair pour ne se libérer qu'au moment opportun, car il n'y aurait plus de retour en arrière envisageable après.

Il déverrouilla la seconde entrave un peu plus vite, il commençait à connaître la serrure. Il espérait être plus rapide pour les prochaines.

Il resta le plus impassible possible, alors que son estomac se nouait au fur et à mesure du temps qui s'écoulait. L'appréhension l'écrasait davantage de seconde en seconde, asséchant sa bouche et lui donnant une furieuse envie de soulager sa vessie. Heureusement il ne tremblait pas, il avait l'habitude des moments délicats.

Il savait que quand l'action commencerait ça irait mieux, la tension se transformerait en exaltation.

Il dut faire une pause, le temps que les pas des veilleurs s'éloignent de lui. Ensuite il réveilla doucement Maelia, lui intimant le silence. Devant ses yeux ébahis, il débloqua ses entraves, qu'il laissa, là aussi, autour de ses maigres bras.

Il dut à nouveau attendre, rongeant son frein, les nerfs à vif, alors qu'ils suffisaient aux gardes d'être attentifs pour voir que les chaînes ne tenaient plus. Son cœur cognait fort contre sa poitrine, résonnant jusque dans ses oreilles, assourdissant tout le reste. Sans armes, il se sentait comme un agneau prêt à se faire égorger et il détestait cette sensation de vulnérabilité.

Les hommes s'éloignèrent, il déposa avec délicatesse ses bracelets au sol, sous l'œil scrutateur de Maelia qui essayait certainement de comprendre son cirque, mais il n'avait pas le temps de se perdre en explication.

Il libéra son voisin le plus proche avant de le tirer du sommeil.

Il lui exposa succinctement son plan, qui consistait en résumé à tuer le plus de soldats possible avant qu'ils ne soient réveillés les armes au clair.

Il n'attendit pas la réponse, car de toute façon les dés étaient jetés. Même s'il n'avait pas détaché le dernier de sa cordée, celui-ci étant seul, pourrait bouger à sa guise. Il faudrait que ça suffise. Tant d'inconnues... Il pria sa bonne étoile de veiller sur lui, puis avec des pas souples et légers il arriva derrière les deux sentinelles. L'effet de surprise était son unique atout. D'un geste rapide et fluide, il posa une de ses mains sur la bouche du premier, la seconde sur le haut de son crâne et en une vive torsion, lui brisa la nuque. Le second hurla tout en dégainant sa lame, donnant l'alerte. Tagan étouffa un juron tout en saisissant rapidement l'arme du soldat qu'il venait de tuer, puis dans la continuité de son geste trancha la gorge de la seconde sentinelle, qui n'eut même pas le temps de réaliser ce qui se passait, la bouche toujours ouverte dans le cri d'alarme devenu muet, qui avait réveillé tout le monde.

L'homme qu'il avait libéré se dirigea vers l'un des cadavres pour lui prendre clefs et lames, ce qui enleva une incertitude à Tagan.

Le camp frémissait, soldats et détenus s'extirpaient du sommeil pour comprendre la situation. Tagan utilisa ce temps de latence pour atteindre les couches des hommes en armes près des feux. Il réussit à en tuer un premier, toujours assis sur sa couverture et qui n'avait pas eu l'air de saisir le contexte.

Ensuite les choses se corsèrent. Il dut parer une attaque qui lui parvenait sur le côté, alors qu'un autre homme fondait sur lui à l'opposé. Il repoussa l'acier d'un puissant coup de poignet, avant de se baisser pour éviter la charge de son second adversaire. Il se redressa rapidement, frappa fortement l'intérieur du genou de celui qui était le plus proche, puis l'acheva en passant dans son dos. Le survivant hésita, ce qui lui fut fatal.

Tagan inspira profondément, les gardes étaient dénués de talent pour le moment, les choses s'annonçaient peut-être moins impossibles que prévu. Étonné de ne pas avoir un nouvel adversaire en train de le défier, il balaya les alentours. Et il sourit imperceptiblement en constatant que les prisonniers se battaient, libres de leurs chaînes ou pas.

Le chaos régnait autour de lui, il se dirigea vers un officier qui venait d'embrocher l'un des évadés. Tagan resta méfiant, tout dans son nouvel adversaire respirait l'assurance et la détermination. L'homme en face de lui était dangereux, un frisson de plaisir le parcourut alors que l'adrénaline déferlait dans son corps, la peur le déserta définitivement.

Le gradé ouvrit le bal des hostilités avec un coup de taille féroce avec but de l'éviscérer. Il esquiva avant de riposter. Le soldat para et se lança dans une série frénétique.

Alors que Tagan était occupé à se préserver de la fièvre adverse, la voix de Maelia, hurlant son nom l'alerta. Il eut à peine le temps de distinguer l'arbalétrier lâchant son carreau que prestement il se bougea, mais le trait le toucha quand même et se ficha dans son bras d'arme. Prit de court, son épée tomba mollement au sol, il dut se laisser choir avec pour la rattraper de la main gauche et éviter une attaque adverse.

Il n'était pas à proprement parler ambidextre, car son art de l'escrime était nettement meilleur avec son bras dominant, mais il estimait toujours avoir ses chances. Ce qui se vérifia assez vite. Son ennemi trop confiant l'assaillit sans imaginer une seconde qu'il pourrait échouer, il ne se protégea pas. Tagan esquiva avant de porter le coup fatal.

Le souffle court, il chercha des yeux son adversaire suivant, mais il n'y en avait plus. Ce constat l'assomma. Il mit quelques secondes à réaliser que sa folie avait fonctionné. Il avait toujours été chanceux, malgré tout, cette fois, il avait douté de l'issue. Pendant un instant il profita de la sensation de tranquillité qui découlait de sa liberté retrouvée, avant d'apercevoir Maelia allongée au sol, un filet de sang émanait du haut de son crâne se perdant dans la terre. Il alla vers elle, redoutant de constater qu'elle était morte.

Un léger soupir de soulagement lui échappa quand il s'accroupit pour se rendre compte du contraire.

L'homme qu'il avait libéré s'arrêta derrière lui.

— Neuf des nôtres sont morts et sept sont blessés.

Le ton était plein de reproches, Tagan se releva, essaya de contenir sa colère, et planta ses yeux verts dans ceux de l'homme.

— Sous entends-tu que c'est de ma faute ?

Le front de son interlocuteur se recouvrit de sueur, avant qu'il ne bredouille :

— N... non... Je... Merci.

— Pas de quoi.

Tagan ne se préoccupa plus de l'ex-prisonnier, l'excitation du combat était en train de retomber et la douleur le prenait par traîtrise. Il jeta un œil à la penne saillante et grimaça. Il jaugea du regard les survivants, pour déterminer à qui il confierait la tâche de la déloger de son épaule, mais Maelia se réveilla et le coupa dans son inspection. Il s'accroupit à nouveau près d'elle et s'enquit de son état.

— J'ai été mieux, souffla-t-elle, réprimant un haut-le-cœur avant de continuer. C'était ça ton idée en nous détachant ? C'était complètement fou.

— Mais ça a fonctionné. Merci de m'avoir prévenu pour le couard avec son arbalète, sans ton avertissement cette flèche aurait terminé sa course dans mon cœur.

Elle haussa les épaules et s'abandonna sur le sol et ferma les yeux pour résister à la douleur. Tagan se racla la gorge mal à l'aise, avant de l'informer doucement de l'avenir.

— Je vais faire extraire la flèche, rassembler des affaires et ce que je trouverais, pendant ce temps, toi, tu te fais bander et tu m'attends en te ménageant. J'ai besoin que tu aies des forces pour la suite.

Elle hocha légèrement la tête puis il la laissa.

Avant d'aller vers le feu où tout le monde s'était rassemblé, il se dirigea vers le chariot, récupéra ses affaires : sac, lames, arcs et carquois, puis compléta son arsenal de quelques armes supplémentaires, d'une bourse pleine et d'une gourde. Puis il alla rejoindre les hommes et confier sa plaie à celui qui lui semblait le plus compétent.

La pointe du carreau dépassait entièrement de sa chair, ce qui facilitât l'extraction. La douleur lui fit se mordre la langue jusqu'au sang.

Le moment de torture enfin terminé, il se leva, pantelant, et se rendit vers un tonneau d'eau où il but à en perdre haleine avant de remplir la gourde de son sac et la seconde qu'il avait empruntée. Ensuite il rejoint Maelia, dont le front était ceint d'un tissu noir de crasse qui laissait apparaître des traces rouges de sang frais.

— Nous y allons.

Elle lui sourit timidement et fit mine de se lever, mais prise de vertige elle demeura clouer au sol.

— Désolée, je ne peux pas me relever.

— Attends là, ne bouge pas.

Il se tourna vers l'homme qui s'était naturellement imposé comme un chef provisoire.

— Nous confisquons l'un des chevaux, tout le reste est à vous, faites-en ce que vous voulez, mais, si j'étais vous, je m'efforcerais de ne plus être là quand le soleil se lèvera.

— C'est ce que nous comptions faire, merci d'avoir offert à certains d'entre nous un nouvel espoir.

Tagan essaya de sourire pour rassurer cet homme, mais entouré par tous ces corps, il était difficile d'être à la hauteur.

— Bonne chance pour la suite.

— Vous aussi.

Tagan détacha un cheval alezan d'un arbre et le sella, puis il se rendit auprès de Maelia en tirant sa nouvelle monture par la bride. Il porta la blessée, non sans peine, à cause de son bras handicapé et la hissa sur le dos du cheval. Tant qu'il ferait nuit, il serait trop dangereux de partir au galop dans les bois, il la laisserait se reposer jusque-là, et après il aviserait.

L'aube avait enfin pointée après cette interminable nuit. Tagan était épuisé, sa plaie le lançait, la faim le tenaillait et ils avaient déjà fini leur réserve d'eau. Maelia somnolait en selle, il avait dû la maintenir tout le trajet, ce qui les avait davantage ralentis. Et avait sapé beaucoup de son énergie. La lumière du jour lui promettait de pouvoir aussi monter sur le cheval. Il avait dû placer la cavalière entre lui et le pommeau pour la tenir d'aplomb, mais c'était moins éreintant que de le faire du sol.

Toujours aucun signe de poursuite malgré tout, la chance lui souriait encore et il espérerait qu'elle persisterait longtemps.

C'est dans cette conformation peu confortable qu'il bifurqua pour traverser un pont, espérant que personne ne les apercevrait quitter la route principale et ainsi semer d'éventuels poursuivants.

Chaque soubresaut de leur monture lui envoyait une décharge dans l'épaule, et il sentait sa co-cavalière se crisper également. Ils leur faillaient faire une pause.

Il suivit un petit chemin qui longeait la berge de la rivière qu'ils venaient de traverser et à la première ouverture, s'enfonça dans les bois près de l'onde.

Il glissa de selle avant d'assister Maelia à en faire de même et avec difficulté l'aida à marcher et à s'asseoir sur la rive sableuse.

Il déposa ses affaires près d'elle, puis, en considérant les risques, assembla bois et brindilles pour construire un feu et l'allumer avec son briquet à amadou. Ils avaient besoin de se laver et de se sécher, il espérait aussi que les branchages au-dessus de leur tête disperseraient la fumée.

Le teint cadavérique, Maelia était hypnotisée par les flammes, il la força à boire et lui donna tout ce qu'il lui restait à manger, c'est-à-dire quelques rares gâteaux de voyage qui avaient souffert du trajet.

Elle reprit un peu du poil de la bête et lui sourit timidement.

— Comment tu t'es retrouvé attaché à moi ?

— Alcool, trop d'alcool et des paroles peu sages, trop près d'oreilles indiscrètes, (voyant qu'elle ne comprenait pas, il précisa :) j'ai raillé la couronne en public. La susceptibilité du roi Adwal s'étend sur tout son royaume apparemment.

— L'évasion n'était pas ton coup d'essai en termes d'acte suicidaire... Un noble comme toi qui dénigre le roi, ce n'est pas du tout intelligent.

— Moquer l'homme dont ta vie dépend paraît tout aussi peu intelligent, tu ne sais rien. Et tu devrais être rassurée que des riches condamnent les agissements du roi, le même roi qui autorise l'esclavage.

Elle leva les yeux au ciel et entrepris de se dévêtir.

— M... Mais qu'est-ce que tu fais ? bafouilla-t-il en se détournant.

— J'ai besoin de me nettoyer et mes habits avec.

— Ce n'est pas correct, s'indigna-t-il.

Elle rit doucement avant de l'asticoter :

— Un bourgeois qui n'aurait jamais vu de filles nues. Je te croirais presque réellement choqué, mais je sais que les hommes dans ton genre ont leurs habitudes dans des bordels.

— J'ai vraiment l'allure d'une personne qui comble ses désirs de cette façon ?

Elle ne répondit pas et s'enfonça dans l'eau fraîche, jurant à cause de la basse température.

Il fouilla dans son sac d'où il sortit une couverture qu'il laissa près du feu pour Maelia, ensuite il prit les vêtements de rechange à l'intérieur, qu'il alla enfiler un peu plus loin à l'abri des regards indiscrets.

Quand elle s'extirpa de l'eau, il l'obligea à s'enrouler dans la couverture près du feu, le temps qu'ils nettoient leurs vêtements. Elle ne lui opposa que peu de résistance. Il la soupçonnait même d'avoir râlé pour la forme, car elle s'endormit immédiatement.

Handicapé par son bras, il dut décrasser les tissus qu'à une seule main, ce qui lui prit un temps considérable. Ce travail sapa le peu de force qu'il avait encore en réserve et malgré les risques, il s'endormit à son tour près du feu après avoir terminé.

En s'éveillant, il s'en voulut d'avoir été si imprudent, mais sa fatigue avait eu raison de lui et de sa volonté.

Avant de réveiller Maelia et qu'elle ne s'expose à nouveau dans son plus simple appareil, il déchira les haillons irrécupérables pour en faire de nouveaux bandages pour eux deux. Elle était très faible, en la pensant, il avait trouvé sa peau brûlante, mais il avait fait de son mieux pour ne pas paraître inquiet.

— Comment tu t'es fait ça ?

— Une discorde avec mon dernier maître...

— Tu allais être exécutée, conclut-il à voix haute.

Elle acquiesça légèrement, comme si ça n'avait pas d'importance. Il ne posa pas davantage de questions, il ne voulait pas être obligé de déballer sa vie non plus.

Ensuite ils reprirent la route, à la recherche d'un village assez grand pour abriter un herboriste, ou un guérisseur de tout genre, sinon elle ne s'en remettrait pas.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top