XXXVI. Le Message
Le soldat faisait les cent pas dans sa tour de garde. Malgré le brasero qui chauffait la terrasse couverte, il était frigorifié et tentait de se réchauffer en se frappant les épaules. Il était tellement obnubilé par le froid qu'il faillit rater l'objet de sa mission.
Un point noir à l'horizon attira son attention.
— Je crois qu'il arrive ! s'écria-t-il.
Son compagnon qui s'était réfugié dans la salle inférieure sortit la tête par la trappe.
— Tu es sûr ?
D'une main tremblante, il désigna l'objet qui volait rapidement vers eux.
— Appelle-moi quand il sera à portée de tir.
Puis le soldat retourna à l'abri.
Le guetteur surveilla le point en approche. Assez vite, il put identifier un oiseau de belle taille. Deux fois par douzains, il venait du nord-ouest et se posait au cœur du palais. Malheureusement, comme il utilisait chaque jour une zone d'atterrissage différente, la garde n'avait pas pu déterminer qui il rejoignait ainsi.
— Maintenant ! appela-t-il.
Son collègue remonta. Il avait attendu bien au chaud. Son bras ne tremblait pas lorsqu'il cala l'arbalète sur son support, sa visée était sûre. Quand il estima que l'animal s'était suffisamment approché, il décocha son carreau.
Un cri strident répondit à son coup, il avait fait mouche. L'oiseau entama une chute libre. Mais il se reprit avant de toucher le sol et repartit à tir d'aile vers la forêt. Toutefois, il avait lâché quelque chose qui était tombé sur le pavé de la cour de la caserne. Le rapace n'avait pas pu être capturé, mais la mission avait réussi.
Un instant plus tard, un garde rouge introduisait un soldat de l'armée d'Orvbel dans le bureau de Brun. Ce dernier était en pleine discussion avec Lætitia, étudiant avec elle l'évolution de la restauration de la flotte à la suite de l'attaque de champignon qui avait détruit quelques unités.
— J'espère que vous avez une bonne raison de me déranger, le rabroua Brun.
— C'est de la plus haute importance, seigneur lumineux, répondit le soldat. Nous avons mis au jour une trahison au sein du harem.
Brun glissa le dossier qu'il était en train de lire sous son sous-main. D'un geste de la main, il congédia le garde rouge et Lætitia. Puis il s'enfonça dans son siège. L'officier regarda la concubine, Naytaine comme lui, sortir du bureau. Avant de refermer la porte derrière elle, elle lui envoya un sourire éclatant. Cette femme était magnifique, quel dommage qu'elle soit cloîtrée dans le harem. Brun interrompit le cours de ses pensées.
— Racontez-moi comment vous en êtes arrivé à cette conclusion.
— Vous désirez une narration chronologique ? s'étonna le soldat.
— Je veux avoir une pleine mesure des événements.
Tout en prononçant ces paroles, Brun avait sorti une feuille de papier vierge d'un tiroir et l'un de ces fameux crayons que le pays fabriquait maintenant, sur le modèle de celui que Naim avait ramené de l'Helaria. Le soldat commença sa narration.
— Il y a un peu plus d'un mois, nous avons vu un rapace arriver de la forêt pour se poser au cœur du palais. Au cours des douzains qui ont suivi, nous l'avons souvent revu. Nous avons donc décidé de l'intercepter. Il venait de trop loin et sa direction était trop vague pour que nous puissions déterminer son point de départ. Mais il finissait toujours son vol dans le palais.
— Et vous l'y avez attendu, en conclut Brun.
— Non, parce qu'il changeait constamment de lieu d'atterrissage. De plus, une fois posé, il semblait disparaître mystérieusement. Jamais les gardes rouges ni les eunuques n'ont remarqué un rapace dans les couloirs. De même, personne ne possède un tel animal dans le palais. Tout au plus, quelques concubines ou domestiques élèvent des passereaux ce qui ne ressemble en rien à cet oiseau. Nous avons préféré l'intercepter en plein vol.
— Et vous avez réussi ?
— Non hélas. Nous l'avons blessé, mais pas assez pour le capturer. Il a pu s'enfuir. En revanche, il a lâché son chargement.
Le soldat tendit à Brun une lettre roulée dont le sceau avait été brisé. Brun la prit. De sa main libre, il invita son interlocuteur à s'asseoir sur le siège en face de lui. Puis, il déroula le message et le lut.
Ma chère amie,
Les préparatifs sont achevés. Nous sommes prêts. CF est localisée. Elle a entreprit de vous rejoindre. Et l'hypothèse complètement folle que votre intuition vous avait dictée s'est révélée exacte. Le mercenaire est bien à l'origine des événements. Bientôt, nous pourrons passer à l'attaque. Si vous avez tout fait selon nos indications, le tyran ne tardera pas à être abattu.
Votre ami.
Dubitatif, Brun relut la lettre.
— Elle n'est pas signée, fit-il enfin remarquer.
— Nous avons eu du mal à identifier son auteur.
— Mais vous avez réussi ?
— D'une certaine façon. Elle est rédigée en un dialecte proche de l'Helariamen, mais mutuellement intelligible, bien qu'il en diffère par de nombreux points. Cet écrivain semble provenir de la Deira, même s'il utilise l'alphabet helarieal.
— Je comprends pourquoi je trouvais ce texte bourré de fautes.
— Ce n'en sont pas. Et d'ailleurs, en comparant l'écriture avec des échantillons de la main des pentarques, elle ne correspond pas. Pas plus que d'aucun des archontes.
— Saalyn ? suggéra Brun. Elle opère souvent depuis la Deira.
— Nous y avons pensé. Nous avons aussi des textes rédigés de sa main. Et cela ne concorde pas complètement.
— Pas complètement ?
— Il y a des similitudes entre l'écriture de Saalyn et cette lettre, mais nous sommes sûrs qu'elle ne l'a pas écrite. On suppose plutôt qu'elle et l'auteur de cette lettre ont eu le même professeur. Où que l'un a été celui de l'autre. D'ailleurs, cela ne garantit pas qu'ils se connaissent tant la durée de vie des stoltzt est longue.
— Qui alors ? Je croyais que vous aviez des pistes sur son auteur.
— À la fin de son règne, votre père a capturé la mauvaise personne pour en faire sa concubine. Il reçut une injonction pour la restituer à sa famille sous peine d'une action violente. Sa mort a coupé court aux représailles promises puisque la jeune femme a été libérée. Nous avons comparé cette lettre avec l'ultimatum et ça correspond exactement.
— Et qui avait envoyé cette lettre.
— Elle n'était pas signée. Mais à l'époque, nous l'avions attribuée aux légendes.
— Les légendes.
Brun tritura tant son crayon qu'il en cassa la mine. Il le posa alors à côté de la feuille de papier, maintenant couverte de notes prises pendant les explications.
— Il y a quelques mois, une personne s'est introduite dans le harem. Elle a échappé à nos recherches. Nous avons aussi pensé à une légende.
— J'ignorai ce point, fit remarquer le soldat.
— C'est normal. La protection du palais est confiée aux gardes rouges.
Brun prit la lettre et la relut une dernière fois.
— J'aimerais bien savoir qui va passer à l'attaque et la nature de cette attaque, dit-il.
— Nous n'avons pas réussi à identifier les personnes évoquées dans ce message, s'excusa le soldat. En particulier, le nom de ce mercenaire nous est toujours inconnu. Et ne parlons pas de ce CF. Comment trouver un homme à partir de deux lettres ?
— Ciarma Farallona, répondit machinalement Brun.
— Ciarma Farallona est morte, objecta-t-il.
— C'est ce que j'espérai.
Il posa le message sur son bureau et leva les yeux sur le soldat.
— C'est de l'excellent travail que vous avez accompli là, le félicita-t-il.
Le visage du soldat s'éclaira d'un sourire.
— Comme vous le savez, je récompense ceux qui me servent bien. Avez-vous un désir, quelque chose que vous voulez, mais que votre condition de soldat vous empêche d'obtenir ?
— Je suis un soldat. Mon rôle est de servir l'Orvbel. Je ne cours pas après les récompenses. Je laisse le soin au seigneur lumineux de choisir ce qui conviendra au mieux.
— Soit. Je vous recontacterai dans quelques jours pour vous annoncer ce que j'aurai décidé.
— Je ne vous décevrai pas. En attendant, prenez ceci. Vous pourrez aller faire la fête avec vos compagnons.
Brun ouvrit son tiroir. Il en tira une poignée de petites pièces de cuivre qu'il posa sur le bureau. Le soldat regarda le tas, se demandant si le roi était sérieux en le récompensant de cette aumône. Il n'y avait même pas de quoi payer une tournée de bière à tous les collègues de sa section.
— Je vous remercie, seigneur lumineux.
En les prenant, il espérait que sa voix ne reflétait pas sa déception. Par chance, Brun ne remarqua rien.
Dès que le soldat eut quitté la pièce, Brun sonna la cloche qui faisait venir un domestique. Il la tira de la façon qui indiquait par là qu'il désirait la présence de deux eunuques. En les attendant, il rédigea une ordonnance qu'il parapha de son cachet officiel. Enfin, les préposés arrivèrent.
Il donna le message roulé, mais non scellé au premier.
— Ce message est destiné au commandant Sital. Quant à vous, vous allez demander à l'eunuque Chenlow de conduire les quatre chefs de faction du harem à la caserne des gardes rouges.
— À vos ordres, seigneurs lumineux, dirent-ils à l'unisson.
Les deux eunuques se retirèrent.
— Je ne sais pas laquelle des quatre me trahit, murmura-t-il, mais après ce soir elles n'en auront plus envie.
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