XXXV. Dalanas - (2/4)
Par les temps qui courraient, l'eau était dure à chauffer. Aussi les Sangärens regroupèrent-ils les voyageurs par deux pour une baignoire. Naim s'attendait à ce que Frallen, en tant qu'homme, se baigne à part des femmes. Contre toute attente, ce fut elle qui bénéficia du luxe de disposer d'une bassine pour elle seule. Il partit dans un therme avec Saalyn pendant que Diosa et sa mère en prenaient un autre. Du coup, elle se retrouva seule dans sa tente.
L'eau était agréablement parfumée et chaude. Avec le froid qui régnait à l'extérieur, le changement était appréciable. L'action lénifiante de l'eau ne tarda pas à se faire sentir. Bercée par les chamailleries entre Saalyn et son frère, elle s'endormit.
Une jeune femme vint la réveiller pour le rinçage. Celui-ci s'effectua à l'aide d'un seau d'eau plus fraîche qui la revigora. Puis elle l'invita à s'allonger sur une banquette haute, et elle la recouvrit d'une serviette propre. Un instant plus tard, un homme entra et commença à s'occuper d'elle. Les Sangärens avaient la réputation d'être les meilleurs masseurs du monde, elle n'était pas usurpée. Elle s'abandonna entre les mains fermes qui pétrissaient sa chair, détendait les muscles noués. Elle regretta au début de n'avoir pas profité des services similaires fournis par le harem quand elle le pouvait encore. Maintenant, c'était trop tard, elle n'y retournerait plus jamais. Diosa ne la laisserait pas rentrer en Orvbel avec les renseignements qu'elle détenait ni dans aucun autre pays d'ailleurs.
Comme elles étaient parties en mission dans des terres sauvages, ni elle ni Saalyn n'avaient apporté de tenues habillées. Heureusement, Dalanas y avait pourvu. Il ne possédait pas de robe pour une femme de sa corpulence, mais en jouant avec des vêtements d'hommes retaillés en un temps record, il avait pu obtenir quelque chose de seyant. Ils lui avaient adjoint une sous-tunique en feutre et un gilet en velours. Une cape bien chaude complétait l'ensemble, elle allait se révéler fort utile pour sortir dans le froid glacial.
L'assistante qui l'avait aidé à se rincer revint et lui intima de la suivre, elle la ramena jusqu'à la tente personnelle du chef de guerre. Les stoltzt qui l'accompagnaient ne tardèrent pas à la rejoindre. Avec eux aussi, les Sangärens s'étaient surpassés. Hylsin, Diosa et Frallon avaient eu droit à une tenue très similaire à la sienne. Sa grande surprise vint toutefois de Saalyn. C'était la première fois depuis qu'elles voyageaient ensemble, qu'elle la voyait porter une jupe longue. Même son décolleté était sage. Pourtant, elle aurait parié que face à un ancien amant, elle aurait mis tous ses atouts en valeur. C'est ce qu'elle même aurait fait, en tout cas. Il faut croire que cet aspect de sa vie était définitivement clos.
Dalanas et Atlan entrèrent à leur tour. Ils ôtèrent leur manteau qu'ils accrochèrent à une patère fixée à un montant près de la porte. Lui aussi avait revêtu une tenue d'apparat, elle n'avait que peu de rapport avec la tunique et le pantalon de cuir que les Sangärens portaient quand ils parcouraient les plaines centrales du continent sur leurs chevaux.
— Il ne fait pas chaud, remarqua Atlan, j'ignorai qu'un tel froid existait.
— Certains domaines gems sont encore plus froids, le contredit Saalyn.
— Certes, mais ils sont en général situés en haut des plus hautes montagnes. Nous sommes dans une plaine. Le patriarche sait combien de temps va encore durer ce temps.
— Nous aurons à le supporter un ou deux ans, puis tout reviendra à la normale.
Le Sangären frissonna.
— Voilà qui n'augure rien de bon. Le froid tue beaucoup de bêtes. Cela permet aux villageois d'avoir de la viande en quantité, mais à terme cela risque de poser un problème.
Il se dirigea vers la table ou un instant plus tôt une domestique avait apporté un plateau portant six tasses et une théière fumante.
— Personne n'est contre une boisson chaude ? proposa Dalanas.
— Va pour la boisson chaude, mais fais attention à ce que tu as mis dedans comme herbe.
— Tu sais bien que je ne fais jamais deux fois la même erreur.
Il versa le liquide brûlant dans les tasses et invita chacun à en prendre une. Le thé fit beaucoup de bien à Naim. Son pays en était grand consommateur. Il en produisait une grande variété et malgré sa richesse, l'Orvbel n'en fournissait qu'un faible échantillon. Celui qu'elle dégustait, cela faisait plusieurs années qu'elle ne l'avait pas rencontré.
— À quoi faisiez-vous allusion ? demanda-t-elle entre deux gorgées.
— Une réfugiée osgardienne nous a un jour offert du thé parfumé avec une pointe de jasmin, expliqua Dalanas. Et Saalyn en a bu. Le jasmin, totalement inoffensif chez les humains, s'est révélé avoir des effets très intéressants sur les stoltzt.
— Je ne me se souviens plus de ce que j'ai fait pendant plus de deux jours. Et Ksaten, ça a été encore pire.
— Elle est plus menue que toi. Elle a pris une dose plus grande. On a été obligé de vous attacher et de vous surveiller le temps que votre organisme évacue toute la substance.
— Le jasmin est un puissant psychotrope chez nous, confirma Hylsin, le fait est bien connu depuis une vingtaine d'années.
— Ah bon, s'étonna Saalyn.
— Saalyn, ça fait vingt ans que ces événements se sont produits, fit remarquer Dalanas. Je ne serai pas surpris que ce soit ton expérience qui soit à l'origine de cette découverte.
— Une contribution à la médecine dont je me serais bien passé.
— Nous aussi, crois-moi.
Maintenant que tout le monde était servi, il rejoignit les voyageurs au centre de la tente. Quelques sièges bas permirent à chacun de s'asseoir.
— Si nous en venions aux choses sérieuses. Les hommes qui vous accompagnent m'ont dit que vous n'étiez pas là par hasard, mais que vous cherchiez mon père, commença Atlan.
— J'ai besoin d'un renseignement, confirma Saalyn, et tout porte à croire qu'il le détient.
— Demandez !
— Vous savez que je n'ai toujours pas retrouvé le meurtrier de Dercros.
— Je sais, répondit Dalanas, et pourtant c'est rare qu'un assassin t'échappe.
— Aujourd'hui, je suis une nouvelle piste. Et c'est là que vous pouvez m'aider.
Dalanas hocha la tête, l'invitant à continuer.
— La clef de mon enquête est Ciarma Farallona. C'est elle que je cherche.
Dalanas but une gorgée de thé avant de répondre.
— Les sœurs Farallona ont disparu depuis la chute de Miles. Personne ne sait où elles sont passées. Pourquoi les cherches-tu ?
— Pas les deux sœurs. Juste Ciarma.
— Pourquoi seulement elle ? Pourquoi pas Anastasia ?
— Parce que je sais où vit Anastasia.
Atlan leva brutalement la tête et dévisagea la guerrière libre.
— Où ? demanda-t-il enfin.
— En Orvbel,
— Mais mon père a fouillé l'Orvbel. Elle n'a été vendue sur aucune place du marché.
— C'est parce que Brun l'a acquis personnellement pour en faire une concubine dans son harem, répondit Naim à sa place.
— Mais que pouvait faire le roi d'une maîtresse de six ans ?
Dalanas l'interrompit d'un geste de la main.
— C'est pour ça que tu ne l'interroges pas ? suggéra Dalanas. À cause de sa localisation.
— Non. Naim vit en Orvbel, elle aurait pu s'en charger, le contredit Saalyn. Mais Anastasia n'a pas le renseignement.
— Elle tenait sa mère par la main quand cette dernière a été assassinée. Elle l'a senti mourir. Le traumatisme a été trop violent, expliqua Naim. Elle n'a plus aucun souvenir des événements qui ont suivi.
— Et tu penses que Ciarma qui portait son jeune frère dans ses bras aurait échappé au choc ?
— Oui ? Mais Ciarma a disparu depuis quatorze ans. Je crois pourtant que tu sais où elle se trouve. En fait, maintenant j'en suis même sûre. Vous n'auriez jamais enquêté en Orvbel autrement, si ce n'était afin de réunir les deux sœurs.
Dalanas mit longtemps avant de reprendre la parole.
— La personne qui l'a capturée ne voulait pas emprunter le pont de l'Onus pour ne pas laisser de traces de son passage. Il a traversé ces terres. J'ai attaqué son convoi. Depuis, elle vit sous la protection de Mudjin. Il s'est chargé de l'éduquer. Aujourd'hui, elle est matriarche de son propre camp.
— Mudjin a élevé Ciarma Farallona !
Saalyn dut se retenir pour ne pas exulter de joie. Elle pointa son visage vers sa tasse pour masquer le sourire qui l'éclairait.
— Elle est ici ? Au campement ?
— Plus au sud, dans des terres en limite des domaines de Mudjin, à l'abri de tout danger.
— Je dois aller la voir tout de suite.
— Tu n'en es pas à quelques monsihons près. De plus, les terres sont siennes, mais le trajet direct pour les atteindre traverse celles d'un concurrent. Nous aurons besoin d'une escorte.
— Tu viens avec nous, s'étonna Saalyn.
— Bien sûr ! Le résultat de ton enquête m'intéresse au plus haut point.
— Nous aurons besoin d'une grosse escorte, en conclut Saalyn en baissant la tête vers sa tasse.
Malgré la tente aux murs épais, le brasero, et sa robe épaisse, elle avait froid. Elle se demandait comment faisait Diosa qui était à peine couverte. Elle ne se rendit pas compte que Dalanas s'était approché d'elle. Quand il la prit par les épaules, elle sursauta. Il lui souleva le menton de l'index.
— Le jour où je t'ai rencontré a été le plus chanceux de ma vie, dit-il.
— Merci, répondit-elle.
— C'est moi qui te remercie, pour tout ce que tu as fait pour moi.
Il lui ôta sa tasse des mains et la posa sur la table. Puis il l'enlaça.
Quand Naim quitta la tente dans laquelle elle avait dormi, elle put constater que le nombre de chevaux avait considérablement augmenté pendant la nuit. Pas loin d'une trentaine de nouveaux étaient parqués dans un enclos vide seulement la veille. Saalyn sortit juste après elle.
— Je crois que notre escorte est arrivée, nota-t-elle.
— Aussi nombreuse ? fit remarquer Naim.
— On va traverser des territoires qui ne dépendent pas de Mudjin. Une force importante permettra d'éviter des problèmes.
— Raisonnement exact.
À la voix grave qui avait retenti derrière eux, Saalyn se retourna vivement. En découvrant le nouveau venu, le visage de la guerrière libre s'éclaira de joie.
— Pelas ! s'écria-t-elle.
Elle se précipita vers l'homme. Celui-ci rentra la tête dans les épaules, se préparant à la gifle qu'il ne pouvait manquer de recevoir. Au lieu de cela, elle lui enserra le cou de ses bras et lui déposa deux bises sonores sur les joues.
— Je suis heureuse de savoir que tu es vivant ! s'écria Saalyn.
— Je suis triste que tu aies mis si longtemps à le découvrir, répondit Pelas.
Saalyn s'écarta autant que le permettaient les bras de l'homme passé autour de la taille.
— Mais tu fais des phrases complètes maintenant ? Tu as changé.
— Désolé. Je ne recommencerais plus.
Elle éclata de rire. Puis elle se pencha sur l'homme et lui offrit un baiser.
— Ça, c'est nouveau, remarqua-t-il quand leurs visages s'éloignèrent.
— Prends-le comme l'expression de ma joie de te savoir vivant.
— J'aime la façon dont tu exprimes ta joie.
— Tu n'es pas le premier à me le dire.
— Même si j'aurais préféré que ce soit ce beau stoltzen qui t'accompagne qui m'offre ce baiser.
Elle renoua ses bras autour du cou de Pelas.
— Je n'ai aucune chance de te faire changer ?
— Aucune.
Faussement déçue, Saalyn s'éloigna de l'homme.
— Qui d'autre à part toi a pu fuir ? Damon ?
— Il est ici. Mais je n'ai pas pu sauver ma duchesse et ses filles. Je m'en sens responsable, même si je sais que cette mission avait été confiée à un autre.
— Quel autre ?
Une voix bourrue interrompit soudain la discussion.
— Alors, on garde toutes les bonnes choses pour soi, sans les partager avec les copains.
Saalyn se retourna vivement. En voyant le petit groupe de Sangärens qui arrivait, elle se dégagea des bras de Pelas et se précipita vers eux.
— Mais vous êtes tous là ! s'écria-t-elle. Vous êtes tous vivants !
Elle se retrouva au sein d'un tourbillon de bras, passant d'un homme à l'autre. Une telle situation aurait paniqué n'importe quelle femme, mais Saalyn ne semblait pas avoir peur. Au contraire, elle était même joyeuse. Et d'ailleurs, Naim constata que, malgré le nombre de mains qui se posèrent sur son corps ou de bouches qui l'embrassèrent, il ne vit aucun geste déplacé. Elle retrouvait des amis de longue date qu'elle croyait avoir perdus, voire, si Naim avait bien compris, qu'elle croyait morts.
— Hélas non, dit l'un, il manque Perelos.
— Il a été blessé lors de la fuite de Miles, ajouta un autre. Il n'a pas survécu.
— Je suis désolé, répondit Saalyn.
— Il a eu une belle mort, en défendant son duc et son pays.
— Je ne vois pas Vlad non plus.
— Hélas non.
Saalyn perdit l'équilibre, mais un homme, plus costaud que ses compagnons, la rattrapa. Ainsi en déséquilibre, mais maintenu par des bras solides, elle leva la tête vers son sauveur.
— Damon ! s'écria-t-elle. Quand on parle du loup.
Dalanas aida Saalyn à se remettre sur ses pieds. Elle s'écarta du groupe pour rejoindre sa famille.
— Pff, fit Diosa, d'anciens amants.
— Tu peux parler, répliqua Saalyn, qui s'est envoyée en l'air la nuit dernière ?
Hylsin mit fin à la dispute avant qu'elle ne commence en posant la main sur l'épaule de sa benjamine. Elle avait décelé la colère au fond de la voix de sa fille aînée. Aucun de ces hommes n'avait partagé sa couche. Ils étaient liés par une amitié très forte et suggérer autre chose l'insultait. Si Saalyn n'avait pas réagi plus violemment, c'est parce que Diosa était sa sœur. Un inconnu aurait déjà pris une raclée.
Dalanas les rejoignit alors.
— Pouvons-nous nous mettre en selle ? Ou comptez-vous encore martyriser cette pauvre femme ?
— Seigneur Dalbo, expliqua l'un d'eux, c'est Saalyn. Et nous ne l'avions pas vu depuis plus de douze ans.
— Je sais qui elle est. Je l'ai connue avant vous, je vous rappelle.
L'arrivée de l'ancien Milesite constitua un signal. Une dizaine de jeunes hommes amenèrent les chevaux de l'enclos et les disposèrent en deux lignes parallèles. Aussitôt, les cavaliers montèrent en selle.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top