XXXII. Overdose - (2/2)
La fureur de Deirane était si flagrante que les concubines s'écartèrent sur son passage. Quelques-unes se retournèrent pour voir où elle se rendait. La dernière fois qu'elle s'était comportée ainsi, Larein avait pris une correction que personne n'avait oubliée. Elle était accompagnée de son chien que nul ne savait où elle avait bien pu le trouver.
Enfin, elle s'arrêta devant la porte d'une suite. Celle de Terel. Elle frappa vivement. Une voix lointaine lui répondit.
— C'est Serlen. Ouvre ! ordonna-t-elle.
— Dégage ! reçut-elle en retour ?
Elle cogna l'huis encore plus violemment, sans succès. Les concubines qui jusque là assistaient passivement au spectacle préférèrent s'enfermer chez elle. Deirane sortit une clef à gorge – le passe-partout de Loumäi – d'une poche de son gilet et déverrouilla la porte.
À l'intérieur, Terel était surprise de cette soudaine intrusion dans son sanctuaire. Elle s'était à moitié levée de son canapé. Serlen jeta un coup d'œil circulaire. Elle s'attendait à ce qu'une personne comme elle se montrât désordonnée avec ses affaires traînant partout. En réalité, les lieux étaient bien rangés.
— Sors d'ici ! cracha Terel.
— Pas avant que tu m'aies dit ce que tu as fait à Dursun !
— Dursun ! Ta petite pute ! Toujours elle ! Ça remonte à des mois et j'ai assez payé pour ça. Maintenant, dégage !
Deirane serra les poings et prit une longue respiration. Quand elle sentit qu'elle s'était un peu calmée, elle continua la discussion.
— Je veux que tu m'expliques ce que tu as fait à Dursun.
— Tu te fous de ma gueule ! Tu le sais très bien ! Avec mes compagnes, on lui a donné une rossée en représailles du meurtre de Larein.
— Je ne parle pas de ça. Mais ce que tu as fait après.
Terel croisa les bras sur la poitrine. Elle jeta un bref coup d'œil sur le bracelet d'identité de Deirane avant de reprendre sa posture altière.
— Je croyais qu'en Helaria on n'entrait pas dans la maison d'une personne sans invitation. Et je ne t'ai pas invitée.
— Et je ne suis pas une Helariasen.
Deirane n'eut pas longtemps à attendre avant que Terel reprît la parole.
— Avec ce que nous a infligé Brun quand elle a parlé, tu penses bien qu'on n'a plus jamais touché cette lesbienne.
Elle avait craché ce dernier mot comme une insulte. Et pourtant, son ancienne cheffe de faction, qu'elle adorait, s'adonnait fréquemment à ce genre de plaisir.
— Je ne parle pas de cette ancienne agression, mais celle de maintenant. Vous lui avez donné quoi ?
Terel effectua les trois pas qui la séparaient de Deirane.
— Tu m'énerves. Je ne sais pas de quoi tu parles. Cette pétasse ne m'intéresse plus. Dégage de chez moi !
Joignant le geste à la parole, elle poussa Deirane qui recula d'un pas. Aussitôt, Blaid grogna en montrant les dents. Il avait grandi depuis qu'elle l'avait reçu en cadeau. Ce n'était plus un petit chiot facile à maîtriser.
— Je vois, constata Terel, tu n'as pas le courage de m'affronter seule. Tu as besoin d'un garde du corps.
Deirane ne répondit pas à l'accusation. Elle se contenta de reprendre sa place.
— Quel produit as-tu donné à Dursun ? Quelle drogue ?
Terel recroisa les bras sur sa poitrine, mais sa fierté avait laissé la place à l'étonnement.
— Comment ça ! Elle se drogue ?
— Comme si tu l'ignorais !
— Bien sûr que je l'ignorais. Je ne m'occupe plus d'elle depuis longtemps. Brun nous a clairement fait comprendre ce qui se passerait si on s'en reprenait à elle de nouveau. Et puis le sort de Larein et Bilti nous a suffi. On se tient bien loin de toi et de ta petite protégée.
— Quoi, Bilti !
— Tu me prends pour une conne !
Deirane réfréna de justesse un sourire. Même si elle ne le disait pas, c'était exactement ce qu'elle pensait de la concubine. Et elle n'était pas la seule à avoir cette opinion. Autrefois, Larein l'avait choisie comme lieutenante pour sa violence, pas pour son intelligence.
— Larein t'attaque, Larein disparaît. Puis Bilti t'attaque à son tour, et Bilti disparaît aussi.
En effet, du point de vue d'une personne ignorant les faits, Bilti avait disparu. En réalité, privée des sorts d'amélioration qui lui donnait une apparence de jeunesse, elle avait repris son visage réel. Maintenant, elle servait comme domestique particulière de Niode sous le nom de Kathal. En lui confiant sa fille, Chenlow espérait qu'elle se tiendrait tranquille. Et jusqu'à présent, ça avait marché.
— Je n'ai tué ni l'une ni l'autre, se défendit Deirane.
— C'est cela oui.
— Libre à toi de le croire.
— Et Biluan, tu vas dire que ce n'est pas toi ! Et Dayan ! Et Cali !
Là, elle avait raison. Biluan et Dayan c'était bien elle. Et Cali, c'était elle aussi, même si elle ne l'avait pas voulu.
— Tu ne nies pas. Crois-moi. Le message est passé. Je me tiens maintenant bien loin de toi. Si quelqu'un s'en prend à ta petite protégée, ce n'est pas moi.
— Donc, tu n'as pas donné de drogue à Dursun ?
— Pour que Brun m'enferme dans une cave pleine de serpent ?
— Qui alors ?
— Comment le saurais-je ?
Dans sa tête, Deirane énuméra les possibilités. Mericia ? Elle était maintenant une alliée. Laetitia ? Cette concubine ne participait pas aux luttes de pouvoir. Une nouvelle faction en cours de formation ? Le harem était assez peuplé pour cela, et cela faisait quelque temps qu'elle soupçonnait une telle éventualité. Mais qui ? Aucun nom ne lui venait à l'esprit. Il ne restait qu'une chose à faire et elle le fit.
La porte du bureau de Brun s'ouvrit brutalement. Inquiet, il leva la tête de la lettre qu'il écrivait, portant par réflexe la main au tiroir qui contenait une dague. En reconnaissant Deirane, il se détendit. Elle paraissait furieuse. En fait, il ne l'avait jamais vue dans cet état. Mais elle n'était pas dangereuse. Elle avait peut-être frappé Larein un an plus tôt, il était d'une autre trempe. Il n'aurait aucun mal à la maîtriser si elle s'avérait menaçante. Il n'était pas idiot non plus. Si elle se comportait ainsi, c'était que l'affaire était grave. Il croisa les bras sur la poitrine.
— Deirane, dit-il, quel plaisir de te voir.
— Regarde ce qui circule dans ton harem.
Elle abattit la main sur le bureau. Quand elle la retira, elle avait laissé deux petites pastilles vertes. En les voyant, il pâlit.
— Où as-tu trouvé cette merde ? s'offusqua-t-il.
— Tu sais ce que c'est !
— Bien sûr que je sais.
— Le docteur l'ignorait.
— C'est plutôt rassurant. Les souteneurs du port s'en servent. Ça développe les pulsions de leurs gagneuses. Pendant mon adolescence, une concubine de mon père m'en a donné. Quand il l'a découvert, il l'a obligée à les consommer toutes. Une par demi-journée. À partir de là, elle n'a pas arrêté de harceler tous ceux qu'elle croisait. Les eunuques s'enfuyaient à son arrivée tant elle se montrait insatiable. Elle ne se nourrissait plus, ne dormait plus, elle ne faisait que ça. Son cœur a lâché en moins d'un demi-douzain. C'était la mort la plus horrible à laquelle j'ai assisté.
Les confidences de Brun surprirent tant Deirane que sa colère retomba.
— Dursun en avait sur elle. Elle en a consommé plusieurs. Ces derniers temps, Dursun a agressé des concubines et en a violé certaines. Ce produit pourrait-il en être la cause ?
Brun en prit une entre le pouce et l'index et la porta devant son œil pour l'examiner.
— Certainement, répondit-il enfin. Quand tu en consommes, tu n'as qu'une seule idée en tête : assouvir tes pulsions. Si tu ne trouves personne pour t'y aider, tu te rabats vers des non volontaires. C'est irrépressible, tu ne peux pas t'y opposer.
Il la reposa sur la table.
— Comment l'a-t-elle obtenu ?
— Je l'ignore. Dënea a parlé d'une certaine Doragen. J'ai cru qu'elle disait Dovaren, mais c'est bien Doragen. Mais je ne connais aucune concubine de ce nom.
— Moi non plus, répondit Brun.
— Même parmi les nouvelles.
— Ma dernière acquisition est la Shabiano avec laquelle Dursun s'envoie en l'air. Je vais voir avec Chenlow qui parmi les fréquentations de Dursun aurait pu la lui donner. Mais si ça s'est produit pendant la période où j'étais malade, on risque de ne pas pouvoir l'identifier.
— Tu vas vraiment la faire rechercher ?
— Je comprends que cette nouvelle te bouleverse. Cela ne t'autorise pas à me parler sur ce ton. Maintenant, écoute bien. L'acquisition de Dursun et de sa sœur m'a coûté six mille cinq cents cels. Alors, sois bien sûre que je vais trouver le ou la coupable. Et je m'occuperai de la châtier.
— Bien !
— Je suis content que tu approuves, dit il sarcastiquement.
Puis il se leva. Il ouvrit le coffre qui contenait une partie de sa réserve d'or. Il en tira quatre petite pièce d'or. Il les posa sur le bureau, devant Deirane.
— Sans préparation, le sœuvrage va être difficile. Envoie ta domestique au marché et demande lui d'acheter des sorts de purification. Qu'elle en prenne deux, ça devrait suffire.
Puis il ouvrit un tiroir de son bureau et en tira une petite chainette en argent au bout de laquelle pendait une pierre de pouvoir.
— Attache Dursun à son lit, met lui ce collier et brise le premier sort. Quand il aura cessé de faire effet, brise le second.
Machinalement, Deirane prit l'argent. Elle était totalement effarée par la somme. Deux cents cels. Plus de quinze fois la somme que son père avait économisée durant toute une vie de travail. Et cela suffirait à peine à acheter deux sorts. Elle comprenait pourquoi la magie était si peu utilisée. Et dire qu'il existait des moyens de guérir les maux des gens, mais qu'il était si cher que la plupart des gens n'y avaient pas accès. Elle restait tétanisée, fixant du regard les quatre pièces d'or posées sur la paume de sa main.
— Cette réunion est finie. Tu peux libérer mon bureau.
— Y a-t-il des sorts qui pourraient guérir la maladie qui touche le pays ? Demanda-t-elle froidement.
— Certainement.
— Pourquoi ne les utilise-t-on pas pour soigner les malades en ville.
— Si tant est qu'on trouve de tels sorts sur le marche d'Orvbel, ils seraient si chers que toute ma fortune y passerait et ça ne suffirait. J'ai d'autre choses à faire que de la gaspiller pour des pouilleux.
Deirane allait continuer la conversation. Brun leva le doigt dans sa direction, ce qui l'interrompit dans son élan. Obéissante, mais pas calmée pour autant, elle quitta la pièce. Elle allait claquer la porte derrière elle. Un eunuque la retint et entra.
— Seigneur lumineux, l'appela-t-il avec prudence.
— Quoi encore !
— La chanceuse Dursun a été empoisonnée. Elle vient d'être transportée à l'infirmerie.
— Merci pour votre diligence, répondit-il sarcastiquement. Vous pouvez disposer.
— Mais...
— Vous pouvez disposer.
Brun regarda la porte par laquelle l'eunuque était ressorti. Il se demanda un instant si la claquer violemment pourrait le calmer. Après tout, ça marchait bien pour Deirane.
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