XXXI. Hylsin - (1/2)
— Eh oh ! Il y a quelqu'un ?
L'appel surprit Naim qui sursauta. Elle se leva précipitamment, empoignant son épée au passage. Sa blessure à la tempe était trop récente, elle sentit sa tête tourner. S'aidant de son arme, elle se rassit prudemment. Un bref coup d'œil sur sa partenaire endormie lui confirma qu'elle n'avait aucun secours à attendre de sa part. De toute façon, même si elle avait été réveillée, ce n'était pas avec une jambe cassée que Saalyn aurait pu se défendre en cas d'attaque.
— Saalyn, où es-tu ? reprit la voix.
Naim hésita. Elle ignorait la nature du danger. Mais une chose était sûre. Elle n'était pas en mesure d'aller chercher sa nourriture à l'extérieur, et leurs réserves étaient presque épuisées. Saalyn ne se remettrait jamais si elle ne mangeait pas à sa faim. Elle n'avait pas le choix, elle décida de répondre.
— Nous sommes là ! cria-t-elle.
Un instant plus tard, le feuillage qui masquait l'accès de la grotte s'écarta. Un homme entra, suivi de deux femmes. Leur silhouette s'encadrant dans l'ouverture lui parut immense, cela n'était dû qu'à sa position assise et à ses idées encore troublées par le choc qu'elle avait reçu lors du combat. En fait, Saalyn s'en était tirée mieux qu'elle. Malgré sa coupure dans le dos et sa jambe cassée, la guerrière libre avait sa tête intacte et l'esprit parfaitement clair. Si elle avait pu trouver une poigne solide pour l'aider à marcher, elle aurait déjà atteint sa destination. C'était uniquement la commotion de Naim qui la bloquait en cet endroit.
La femme qui suivait l'homme embrassa la scène d'un coup d'œil : Saalyn, endormie, le corps masqué d'une simple couverture, le tibia gauche immobilisé par une attelle, Naim assise, la main fermée sur son épée posée à côté d'elle, et entre les deux, un feu en train de mourir faute de combustible. Ce fut d'ailleurs la première préoccupation des arrivants.
— Je vais chercher du bois, dit la plus petite des deux nouvelles venues. Elle laissa glisser son sac à terre et sortit de la caverne.
En deux pas, le stoltzen atteignit Saalyn et s'accroupit auprès d'elle. Il l'examina rapidement, sans oser la toucher. Il se décida enfin et la secoua par l'épaule pour la réveiller.
— Écartez-vous d'elle ! s'écria Naim.
Elle essaya à nouveau de se relever. Elle serait tombée si la femme ne l'avait pas retenue.
— Du calme, il ne va pas lui faire du mal.
Elle aida la Naytaine à retrouver sa position assise. Puis elle dénoua les doigts de la lame de cuivre. La faible tentative de Naim pour conserver son arme se révéla vaine. Le fait qu'au lieu de la diriger contre elle, cette inconnue la rangea dans son fourreau et le déposa sur le sac de Naim la rassura. Elle n'allait pas la tuer. Pas maintenant.
Puis elle enleva sa cape, qu'elle étala sur le sol avant de s'asseoir dessus. Naim chercha des traces d'armes sur elle et n'en trouva aucune. À moins que l'on pût considérer les rouleaux de parchemin qui dépassaient de sa besace comme telles. En fait, cette femme et son compagnon ressemblaient à des scribes, un métier que l'Helaria prodiguait avec autant de générosité que les guerriers, voire davantage.
Sous la poigne solide de l'homme, Saalyn s'était réveillée. Elle releva la tête pour voir celui qui la dérangeait. En découvrant son visage, elle se laissa retomber.
— Eh, c'est quoi ça ! s'écria l'inconnu. Le soleil est levé depuis longtemps, ce n'est pas l'heure de paresser. Allez debout.
— Je ne peux pas, je suis blessée, protesta Saalyn.
— La faute à qui ? Depuis le temps que tu combats, tu n'as toujours pas compris que tu dois planter son épée dans le corps de l'adversaire sans qu'il arrive à introduire la sienne dans le tien. Et dire que tu formes des apprentis. J'ose à peine imaginer la gueule de la formation.
— Pitié, geignit-elle. Parmi tous les stoltzt qui voyagent sur cette route, il aura fallu que ce soit toi qui viennes à mon secours.
— Qu'est-ce que tu essaies de me dire là ? Que tu ne souhaites pas me voir ! Dites mesdames, vous avez entendu comment elle me traite ? Vas-y, avoue-le que je suis indésirable !
— Mais pourquoi il m'a sauvé ? Pitié, je veux mourir, lâcha Saalyn avant de cacher sa tête sous le coussin qui lui servait d'oreillers.
En assistant à la dispute, Naim ne put retenir un sourire. Visiblement, ces deux-là se connaissaient, même s'ils ne semblaient pas s'aimer. Quoique, quand la main de l'homme se posa sur l'épaule de la guerrière libre, elle se montra étonnamment douce. Et Saalyn se laissa relever sans opposer aucune contestation.
— Mais pourquoi faut-il toujours que tu te mettes dans cet état quand tu enquêtes ?
— Cette fois-ci, je n'ai pas perdu de morceaux, fit-elle remarquer.
— C'est vrai. Tu as progressé.
Et la prévenance que manifesta l'homme vainquit totalement la résistance de Saalyn. La guerrière libre, si combative un instant plus tôt se retrouva abandonnée entre les bras de leur sauveur qui la berçait avec beaucoup de tendresse. Devant la surprise qu'exprimait Naim face à une reddition si complète, la stoltzin se trouva obligée de s'expliquer :
— C'est comme ça depuis des siècles. Saalyn n'a jamais gagné contre lui. Quelle que soit la violence de leurs disputes, elle finit toujours par céder. D'ailleurs ce n'est pas vraiment une dispute, c'est plus un jeu entre eux.
— Des siècles ! s'écria Naim. Mais qu'est-il pour elle ? Un ancien amant ? Mais qui êtes vous donc ?
— Oh, excusez-moi. Je ne me suis pas présentée. Je suis Hylsin. Et voici mon fils Frallen.
— Vous... Vous êtes la...
Naim dévisageait la femme qui lui faisait face. Assise, elle ne pouvait pas estimer sa stature, mais elle avait pu voir plus tôt que la stoltzin était grande. Elle pouvait presque regarder Naim dans les yeux. Et maintenant qu'elle avait enlevé sa cape de voyage, elle découvrait qu'elle était aussi très musclée ; les bras en tout cas. Elle scruta le visage carré aux traits forts. Et dire cette femme au corps taillé pour la bagarre n'était qu'une scribe !
Très fière de son petit effet, la stoltzin posa l'ultime bûche de la réserve sur le foyer et souffla sur les flammes pour les attiser. Quand elle fut satisfaite du résultat, elle leva les yeux vers la Naytaine, la perçant de son regard vert à la pupille verticale, étrangement identique à celui de Saalyn.
— Saalyn est ma fille, révéla-t-elle.
Sous la surprise, Naim se tut. Elle resta si longtemps silencieuse qu'Hylsin commença à s'inquiéter.
— Vous allez bien ? s'enquit-elle.
— Oui. C'est juste que... Je n'avais jamais pensé aux parents de Saalyn. Je n'avais pas envisagé qu'ils soient encore vivants. Ni qu'elle avait un frère adulte.
— Saalyn a quatre frères et trois sœurs. Son père Larsen vit toujours. Et il y a peu, ma mère Rada était aussi de ce monde. Mais elle est morte de vieillesse depuis une décennie. Elle a également deux tantes, un oncle et une pléthore de cousins et de cousines. Sans compter ses neveux et nièces. En tout, une cinquantaine de personnes vivantes. Plus en incluant les conjoints.
— C'est une famille nombreuse, fit remarquer Naim.
— Je ne vous le fais pas dire. Ce n'est pas un hasard si Saalyn a choisi un métier qui la tient loin de l'Helaria la plupart du temps.
Un bref coup d'œil en direction des deux adelphes lui montra que Frallen avait entrepris de lui ôter sa tunique. Saalyn se laissa faire sans aucune résistance. Elle tenta de replier ses genoux contre sa poitrine pour lui permettre d'examiner son dos en toute tranquillité. Sa blessure à la cheville l'en dissuada, elle se contenta de s'appuyer que sur sa jambe saine. Maintenant qu'il était passé aux choses sérieuses, le stoltzen ne taquinait plus sa sœur. Il étudia attentivement la large coupure qui lui barrait l'omoplate. Elle tressaillit quand il toucha les lèvres de la plaie.
— Apparemment, l'épée n'était pas empoisonnée, conclut-il. C'est un peu enflammé, mais rien de grave.
Il se leva pour aller fouiller dans son sac et en sortit une petite boîte en bois ouvragé. Il l'ouvrit. Dedans, Naim put voir tout un matériel de soin. Il prit une ampoule d'hydromel marin et de la gaze. Il s'assit à nouveau derrière Saalyn. Il imbiba une compresse avec cet alcool que l'Helaria distillait pour tous les usages autres que la boisson. D'ailleurs, ce n'était même pas de l'hydromel, l'Helaria n'allait pas gaspiller du miel pour produire un breuvage aussi infect. Frallen nettoya soigneusement la plaie. Avec une pince, il enleva méticuleusement les brins de cotons que l'épée avait introduits dans la chair. C'était douloureux, mais Saalyn ne broncha pas, se confiant totalement aux gestes délicats de son frère.
— Maintenant, je vais te faire mal, la prévint-il.
Il sortit de sa trousse du fils et une aiguille. Dans l'anticipation de la souffrance, la stoltzin se crispa. Il lui massa alors les épaules jusqu'à ce qu'elle se détendît, ce qui ne tarda pas sous les soins prodigués par ces mains si douces dans leurs mouvements. Il put enfin commencer son travail de couture.
Ce fut le moment que choisit la deuxième femme pour revenir, les bras chargés de branchages. D'un rapide coup d'œil, elle regarda le couple formé par Saalyn et son frère. La tendresse manifeste qui les unissait malgré leur dispute initiale lui arracha un sourire.
— Ces deux-là se sont calmés, constata-t-elle. Je suis rentrée au bon moment.
Elle lâcha son fagot à côté du foyer, puis se releva en essuyant ses mains contre son pantalon.
— C'est qui elle ? demanda-t-elle à Hylsin en désignant Naim du menton.
— Je l'ignore. Elle ne s'est pas encore présentée.
— Et si vous commenciez, proposa Naim, après tout, c'est vous les invités.
La stoltzin prit son temps pour s'asseoir à côté de sa compatriote.
— Je suis Diosa de Hylsin et Larsen, répondit-elle enfin. À votre tour.
Après le frère, la sœur. C'était toute la fratrie qui débarquait dans la grotte. Quoique, si elle avait bien compté, il manquait encore deux sœurs et trois frères à l'appel. Enfin, deux, puisque Dercros était mort.
— Vous aussi vous êtes la sœur aînée de Saalyn ?
— Non, je suis la plus jeune, au contraire.
— Et vous êtes scribe comme votre mère ?
— Je suis comptable comme mon frère.
— Et que fabriquent des comptables loin de leur pays ?
— Nous allons nous emparer d'une société, répondit Frallen sans se détourner de sa tâche.
— J'ignorai que l'Helaria utilisait ce genre de pratique agressive.
— Quand la société appartient à Brun d'Orvbel, on ne s'en prive pas.
— Ce monstre a torturé ma fille pendant des mois ! Je ne lui ferais aucun cadeau ! s'écria Hylsin.
Naim comprenait mieux la raison de la présence de ce trio sur la route. C'était un coup de chance, s'ils passaient par là au même moment qu'elle-même. Mais que la légende se soit adressée à eux n'avait rien d'étonnant.
— Nous menons également une action contre le roi Brun, reprit Naim.
— Quelle est-elle ? demanda Hylsin.
Naim hésita. Devait-elle dévoiler le but exact de leur mission ? Si Dercros était le frère de Saalyn, il était donc le fils de cette femme. Elle décida de se lancer.
— Un instant, intervint Frallen, moi aussi je veux entendre. Laissez-moi finir de m'occuper de Saalyn.
Hylsin hocha la tête. Elle stoppa les révélations de Naim d'un geste de la main. Frallen avait achevé sa suture. Il s'écarta de sa sœur et admira son travail.
— Parfait, dit-il, une seule mue et tu pourras remettre cette robe dos nu qui te va à ravir.
— Merci.
Il fixa un pansement sur la cicatrice pour la protéger le temps qu'elle se referme.
— Maintenant, voyons cette jambe. Tu veux bien enlever ton pantalon ?
Saalyn hésita un moment avant de réagir. Elle se tourna face à son frère, se contenta de défaire sa ceinture puis s'allongea en arrière, se soutenant de ses avant-bras pour que sa plaie ne touchât pas le sol.
— Tu vas devoir t'en occuper, j'en suis incapable, déclara-t-elle.
Il recula pour ménager de l'espace et tira sur le pantalon pour lui ôter son vêtement. Puis il tendit la main en direction de Diosa. Elle lui passa une couverture dont il enveloppa le corps dénudé de sa sœur, ne laissant dépasser que la zone blessée.
Il dénoua le bandage rudimentaire qui maintenant l'atèle en place. Une fois la jambe dégagée, il la suivit du genou à la malléole. Saalyn ne broncha pas. En douceur, il attrapa le pied d'une main, la cheville de l'autre, et la fit jouer délicatement.
— Arrête ! S'écria Saalyn,
Il obéit aussitôt, sans la lâcher.
— Tu vas devoir exercer cette cheville tous les jours, matin et soir, sinon la guérison va traîner en longueur. Mais la bonne nouvelle c'est que tu n'as rien de cassé. La douleur vient d'un hématome intramusculaire qui se résorbera rapidement sans séquelles.
— Je m'en tire plutôt bien finalement.
Il hocha la tête tout en massant le muscle blessé. Étrangement, malgré les élancements de souffrance qui irradiaient dans toute la jambe quand il pétrissait la chair, le geste lui apporta du soulagement. Puis il enserra la cheville dans un bandage.
— Avec une attelle, tu pourras marcher.
— Ou comptes-tu trouver du bois pour la confectionner dans ce pays totalement mort ? objecta-t-elle.
— L'un de nous t'aidera. On est tous plus musclés que toi ici. Regarde-moi cette crème fraîche.
— Je me demande comment une femme peut prendre du plaisir à te caresser, riposta Saalyn, avec tous ces creux et ces bosses.
En son for intérieur, Naim se dit qu'elle aurait bien passé ses mains sur ces creux et ses bosses. Frallen ne sembla pas se formaliser de la répartie de sa sœur.
— Diosa, aide-la à s'habiller, pria-t-il sa sœur.
Puis, emportant ses instruments avec lui il prit place devant Naim.
— À vous maintenant, ordonna-t-il. Montrez-moi ce bras.
Elle hésita.
— Vous pouvez relever votre vêtement, requit-il, ou vous préférez que je découpe la manche.
Elle commença à retirer son pull, mais elle avait du mal avec sa blessure. Il l'assista, puis il s'attaqua à la tunique. Cependant, il ne la lui ôta pas totalement. Il se contenta de dégager la zone à soigner, lui laissant la poitrine couverte. Il examina le trou qui lui traversait le biceps.
— La flèche est presque ressortie, expliqua-t-il, cela va faciliter les choses.
En quelques gestes précis, il retira la pointe de silex, nettoya la plaie avec une compresse imbibée d'hydromel marin. Naim serra les dents pour ne pas crier. Quand il eut achevé, il posa un cataplasme de chaque côté du bras, qu'il maintint par un bandage.
— C'est fini pour aujourd'hui, annonça-t-il. Pour votre coup à la tête, je ne peux rien faire, seul le repos le guérira.
— Ou ça, intervint Diosa.
Elle tendit une tasse pleine d'une infusion qu'elle venait de préparer. Rien que la chaleur du récipient sur ses mains revigora Naim. Elle approcha le breuvage fumant de ses lèvres. Il était trop chaud pour être bu. Elle se contenta de respirer les vapeurs qui s'en dégageaient. Elle avait l'impression que son esprit s'éclaircissait.
Frallen était retourné s'asseoir derrière Saalyn qui avait eu le temps de s'habiller pendant qu'il s'occupait de Naim et l'avait enlacée. Elle s'était abandonnée contre la poitrine musclée, apparemment détendue.
— Si vous nous expliquiez la raison de votre présence sur cette route maintenant, demanda Hylsin.
Naim jeta un coup d'œil en direction de Saalyn qui lui fit signe d'y aller de la tête.
— Nous avons découvert dernièrement qu'une des concubines du harem était une des jumelles Farallon.
Ce coup-ci, ce fut à Hylsin d'être surprise.
— Des Farallon sont encore en vie ! Comment l'a pris Saalyn quand elle l'a su ? Question stupide ! Elle a dû être transportée de joie.
— Donc les sœurs Farallona sont en Orvbel, conclut Diosa.
— Une seule. Nous ignorons où se trouve l'autre.
— Et je suppose que c'est la deuxième que vous cherchez, intervint Frallen. Pourquoi ?
— Parce qu'elle a été témoin des événements. Mericia a été trop choquée pour en garder des souvenirs clairs. Elle a été arrachée à sa famille, vendue comme esclave et peut-être violée. Nous espérons que sa sœur aura conservé la mémoire de cet événement.
— Je comprends. Mais pourquoi maintenant ? Saalyn, tu as cherché les jumelles pendant des mois après la chute de Miles. Pourquoi aurais-tu plus de chance de réussir aujourd'hui ? Et pourtant tu t'es lancée avec tant de précipitation que tu n'as pas pris les précautions élémentaires qui lui aurait évité de se retrouver dans cet état.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top