XXVIII. Un grand-père et sa petite fille

Un sourire aux lèvres, nonchalamment accoudé à la barrière de bois, Mudjin admirait le cadeau le plus magnifique que sa fille aînée lui avait offert, quatre ans plus tôt : Aliona, la première représentante de la nouvelle génération.

La fillette était assise sur un de ces chevaux minuscules que les Mustuans nommaient poney. Cinq ans auparavant, il ignorait l'existence de tels équidés. Mais ces célèbres cavaliers du continent sud étaient venus en vendre au marché de Sernos. Il n'avait pu s'empêcher d'en acheter un couple reproducteur. Et il ne le regrettait pas. C'était la meilleure affaire de sa vie. Il s'était demandé au début quelle folie l'avait pris, ce qu'il allait bien pouvoir faire de montures aussi petites. Les enfants du camp n'avaient pas tardé à lui donner la réponse.

Celui qu'il avait amené à Comptoir Neuf, la seule ville du Sangär, s'était vendu à toute vitesse. Et tous les nobles naytains venus commercer lui en avaient réclamé. D'autres Sangärens s'étaient également montrés très intéressés. À l'époque, il ne pouvait pas fournir la demande, pas avec un seul couple.

Depuis son troupeau s'était agrandi. Il était régulièrement retourné au marché de Sernos acheter des poneys supplémentaires dès qu'il pouvait afin de limiter la consanguinité. Mais il faudrait encore quelques années avant qu'il estime disposer d'un cheptel suffisant. Ce ne serait pas lui qui toucherait les bénéfices de ce nouveau commerce, mais le petit bout de choux cramponné à sa selle, un sourire extatique sur le visage.

Aliona tourna la tête vers son grand-père.

— Regarde papi, je vais sauter, lui cria-t-elle.

— Je regardai, lui répondit-il.

Tanas, son père, guida habilement l'animal et sa cavalière jusqu'à une bûche posée sur le sol. L'obstacle était insignifiant. Pour l'éviter, la monture broncha à peine, mais cela suffit pour faire rire la fillette aux éclats.

— Encore ! réclama-t-elle.

— D'accord, mais c'est le dernier. Il est temps de rentrer.

Tanas fit faire un grand tour au poney afin de reproduire le mouvement.

Un Sangären, un jeune, s'accouda à côté de Mudjin.

— Nous avons un problème, annonça-t-il.

— Est-il si urgent que vous veniez me déranger maintenant ?

— Vous jugerez vous-même.

Mudjin hocha la tête.

— Nous avons un fouineur. Quelqu'un est passé à Miles et y a tout retourné.

— Miles n'est qu'un champ de ruine. Que peut-il y trouver ? Certains y vont dans l'espoir de dénicher un trésor que les pillards auraient raté.

— Je ne serais jamais venu vous déranger dans ce genre de situation. Surtout que le fouineur fait partie des personnes que vous nous avez demandé de surveiller.

— Ah ! Et de qui s'agit-il ?

— De la guerrière libre Saalyn.

— Saalyn. C'est à Miles que son frère est mort. Elle a dû vouloir accomplir une sorte de pèlerinage.

— Je ne crois pas. Après, elle a continué vers Boulden et elle a posé des questions.

— De quel genre ?

— Sur les sœurs Farallona.

Mudjin se tourna vers son interlocuteur.

— Elle n'a pas renoncé après tout ce temps ! s'exclama-t-il. Tu as raison, cela ne pouvait pas attendre. Même si elle ne trouvera rien.

— Elle a trouvé quelque chose.

— Vraiment ! À Boulden ! s'étonna Mudjin.

Le Sangären hocha la tête.

— Selon son informateur, une troupe de cavaliers ressemblant à des soldats yrianii accompagnés de deux fillettes pouvant bien être les sœurs Farallona aurait traversé l'Unster au bac de Boulden. Vous constatez qu'elle se rapproche beaucoup de nous.

Mudjin se gratta le crâne. Sa chevelure était moins fournie que dans sa jeunesse. Un début de calvitie commençait à se pointer. Il finirait sa vie comme son père, chauve.

— Saalyn se rapproche. Mais elle n'est pas du tout sur notre piste. Ce n'est qu'un hasard.

— Je ne comprends pas.

— Tu es trop jeune pour t'en souvenir, mais au bac de Boulden, les sœurs étaient déjà séparées. Et une seule a traversé l'Unster.

Le Sangären était perdu. Il attendit que Mudjin lui donnât la clef de ce qu'il venait de lui dire. Mudjin le faisait toujours. Il voulait que ces successeurs apprennent.

— Quelqu'un met volontairement Saalyn sur une fausse piste. Elle pointe dans notre direction, mais ce n'est que le hasard. À ton avis, pourquoi ?

Le Sangären se concentra sur les paroles de son chef. Puis il sourit. Il venait de comprendre.

— Karghezo est la province la plus vide de l'Yrian, malgré la grande route du sud. Un endroit idéal pour tendre une embuscade.

— Quelqu'un a décidé que Saalyn doit prendre une retraite anticipée.

— Ce qui nous arrange.

Mudjin ferma les yeux. Un souvenir remonta à la surface. Un jeune homme, considéré comme adulte, mais encore un peu niais. Et devant lui... sous lui, une femme, une stoltzin blonde aux iris verts, qui venaient de lui faire don de son corps et qu'il avait réussi à mener à l'extase. Il revint à l'instant présent.

— Si Saalyn réchappe à l'embuscade, elle sera sur nos traces et remontée contre nous puisqu'elle nous en tiendra responsables.

— Que faisons-nous alors ?

— Surveille-la. Si elle part sur une fausse piste, restez discrets, mais ne la perdez pas.

— Et si elle vient vers nous ?

— J'aviserai à ce moment-là. Mais pas d'initiative. Ne vous en prenez pas à elle tant que je n'en donne pas l'ordre. C'est compris ?

— Compris, seigneur Mudjin.

— Fais-le bien comprendre à tes compagnons. Je ne voudrais pas que l'un d'eux la tue par excès de zèle.

Le jeune nomade salua son chef de clan. Puis il s'éloigna afin d'exécuter l'ordre qu'il venait de recevoir. Mudjin le suivit du regard. Saalyn ! Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pensé à elle. Depuis quelques mois, les choses étaient en train de bouger. Voilà qui confirmait cette tendance. Jusqu'où irait-elle ? Il était curieux de le découvrir.

Il retourna à son occupation première. Aliona avait réussi à circonvenir son père et obtenir d'autres tours de manège. Mais Tanas avait fini par se montrer intransigeant. Il avait attaché la longe du poney à la barrière. Et la fillette était descendue de cheval en se laissant tomber dans les bras de son père, en riant aux éclats. Plutôt que de la poser, il la souleva jusqu'à hauteur de son visage. Elle le gratifia d'une bise sur la joue.

Le Sangären rejoignit Mudjin.

— C'est un magnifique cadeau que tu lui as offert.

— Rien n'est trop beau pour ma petite fille.

Aliona réclama à passer des bras de son père à ceux de son grand-père.

— Tu es lourde, protesta-t-il en la prenant.

— C'est pas vrai, chouina-t-elle.

— C'est parce que tu deviens grande.

Amadouée par les paroles paternelles, elle se calma. Tanas put ramener la conversation sur son sujet préféré.

— Où en est l'élevage de ces poneys ?

— À l'heure actuelle, je possède douze femelles et quatre mâles. Je vais garder toutes les femelles qui naîtront et vendre tous les mâles. Mais je dois encore en acheter quelques-unes afin de diversifier le cheptel. Actuellement, six femelles sont pleines.

— Je vois que les mâles ne chôment pas, fit remarquer Tanas en souriant.

— Et toi ? Quand est-ce que tu t'y mets ? Il faudrait un petit frère ou une petite sœur à Aliona.

— J'y travaille, père, j'y travaille.

Tout en discutant, Mudjin et sa famille quittèrent le centre d'entraînement, laissant les palefreniers s'occuper du poney qui avait tant ravi une fillette de quatre ans.


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