XVI. La quarantaine

Le cavalier rejoignit le refuge au galop. Il s'arrêta à quelques perches du bâtiment et appela. Un Sangären en sortit.

— Qui va là ? demanda ce dernier.

— Cheron, de la tribu de Blater. J'ai un message pour Mudjin.

— Où se trouve le territoire de Blater ?

— Au sud-ouest de la Nayt.

— La maladie a donc atteint la Nayt ?

— Des dizaines d'habitants sont souffrantes à Massil, confirma Cheron.

Comme s'il n'attendait que cela, Mudjin sortit à son tour du refuge.

— La maladie a traversé la route ? demanda-t-il ?

— Elle suit les chemins de commerce, expliqua Cheron. Il y a beaucoup de personnes atteintes à Massil, quelques-uns à Tolos, encore moins à Ambes, et Lynn et Burgil sont épargnées.

Mudjin se gratta le ventre tout en réfléchissant.

— Nous ne servons plus à rien ici, puisque la maladie nous a dépassés. Nous partirons dans quelques jours.

— Pourquoi pas maintenant ? demanda la sentinelle.

— Sur les quinze compagnons que nous étions en arrivant, neuf sont tombés malades et quatre sont morts. Il n'est pas question que l'on rapporte cette saleté parmi les nôtres. Nous attendrons le temps nécessaire pour que les derniers malades guérissent ou meurent.

Mudjin fit demi-tour pour se préparer à rentrer. Le messager descendit de son cheval. Il l'attacha au tronc d'un jeune arbre avant de lui emboîter le pas. En entendant ses pas faire crisser le sable sur le sol, le chef sangären se retourna.

— Mais que fais-tu ? demanda-t-il.

— Je me reposerais bien un peu avant de repartir. Et j'accepterais bien une femme pour réchauffer ma couche. Cela fait quinze jours que je m'abstiens, à chevaucher pour délivrer ce message dans les temps.

— Tu ne rentres pas. Sinon tu ne repartiras pas.

Par réflexe, le cavalier porta la main à son arme, un couteau en silex poli de grande taille fixée à sa ceinture.

— Est-ce une menace ? La loi des refuges est sacrée.

— Fais attention à ce que tu fais, l'avertit Mudjin, je ne suis pas en guerre contre Blater. Ne la déclare pas.

— Alors pourquoi me menaces-tu ?

— La maladie est dans le refuge. Si tu entres, tu risquerais de l'attraper.

— Je prends le risque. Je n'ai pas peur.

— Imbécile. Si tu tombais malade, tu la rapporterais dans ta tribu et la contaminerais à son tour. Je suis venu ici avec quinze compagnons et je ne rentrerai qu'avec onze d'entre eux. Un quart d'entre eux sont morts. Je ne retournerai chez moi que quand je serai sûr de ne plus la transmettre. Et toi tu veux apporter cette horreur chez toi ! Si tu veux, tu peux monter ta tente de l'autre côté de la route. Nous partagerons notre nourriture avec toi. Mais tu ne rentres pas dans le refuge.

Le Sangären se tourna pour jeter un coup d'œil à l'endroit que désignait Mudjin de la main. Effectivement, un enclos neuf avait été bâti et une surface plane suffisamment grande pour accueillir une dizaine de tentes comme la sienne avait été défrichée et déneigée. Un tas de bois avait été rassemblé, ce qui n'était pas du luxe avec les temps qui courraient. Il vit même un trépied installé au-dessus du foyer et un grill. Il avait de quoi vivre en sybarite s'il y avait eu une femme pour prendre soin de lui. À un détail près. La route marquait la frontière entre le Sangär et le Chabawck. Et justement, à côté des aménagements se trouvait un campement bawck. Le cavalier n'aimait pas ce peuple. Mais Mudjin n'avait pas l'air de s'en préoccuper. Il aurait été déshonorant pour Cheron de montrer qu'il en avait peur. Il tenta une autre approche.

— Le climat actuel est anormal. Ma tente n'est pas adaptée à ce froid.

Mudjin croisa les bras sur sa poitrine, il commençait à être agacé.

— Nous avons ce qu'il faut, dit-il d'un ton peu amène.

Cheron comprit la menace. Et la réputation du grand chef sangären n'était plus à faire. On le disait capable de plier un homme en deux d'une seule main. Et vu sa musculature, il était prêt à le croire. Sa force le mettait à l'abri d'un défi et la puissance de sa cavalerie lui évitait les guerres. Il était respecté bien au-delà de la civilisation sangären et c'était l'un des rares dont le nom était connu dans les régions alentour. Heureusement pour eux, il était peu agressif. En fait, seuls l'Yrian et l'Osgard avaient la malchance de subir ses assauts. Avec ses troupes, il investissait un village, le vidait de toutes ses ressources, tuait le représentant local de l'autorité et repartait avant que les armées du pays n'aient eu le temps de réagir. Heureusement pour l'Yrian, l'Unster constituait un obstacle infranchissable, ce qui limitait ses raids à une moitié du royaume. Autrefois, l'Onus l'avait été aussi, mais le grand chef sangären avait fabriqué des barges qui permettaient de traverser cet affluent et porter ses pillages jusqu'à Karghezo. Sans compter le fait que c'est lui qui avait, en vingt ans à peine, transformé les Sangärens de groupes de pillards désorganisés en la structure tribale respectée qu'ils avaient aujourd'hui. Tout au moins dans la partie ouest de leur territoire, l'est étant trop loin de son influence. Non content de diriger la plus grande tribu, il avait beaucoup de supporters dans l'ensemble du Sangär.

Ayant ressassé ces faits dans son esprit, le cavalier sangären jugea plus prudent de s'incliner.

— Je fais confiance en ta sagesse, capitula-t-il, et j'accepte ta proposition parce que mes réserves ne sont pas suffisantes.

— Bien. Il serait regrettable que tu rapportes cette maladie dans ta tribu.

— Bien évidemment. Et les orques...

Mudjin jeta un regard amusé sur le visiteur. Il n'était pas dupe. Il avait compris depuis le début la cause des tergiversations de Cheron.

— Les bawcks ne sont pas sensibles à cette affection. Ils se chargent de nous ravitailler. Si tu as besoin de quelque chose, tu le leur demandes. Mais tu dois leur parler en helariamen. Et puis, toi qui voulais des femmes, tous ceux qui sont ici sont des femelles. Par contre, pour ce qui est de réchauffer ta couche, ça se pose un peu. Leur corps est froid.

Le visiteur mis un moment avant de comprendre Mudjin était sérieux en déclarant que tous ces bawcks qu'il voyait autour de lui étaient des femelles. Comment le savait-il ? Rien ne les distinguait des guerriers qu'il avait déjà combattus, elles ne possédaient aucun signe spécifique qui aurait permis de les différentier des mâles.

— Des femelles. Ce n'est pas exactement ce à quoi je m'attendais.

Mudjin éclata de rire. Cheron, un peu forcé, l'imita.

— S'ils sont immunisés, reprit-il, peut-être les stoltzt aussi ?

— Possible. Et certainement les gems. Mais il n'y en a pas beaucoup dans le coin. Ici, c'est le territoire des humains. Et les caravanes sont peu nombreuses ces temps-ci.

Le grand chef sangären inclina la tête en guise de salut, mettant ainsi fin à la discussion. Le cavalier lui rendit son salut, plus respectueux vu la différence hiérarchique entre eux. Il s'éloigna en direction de son cheval. Il le détacha, le tint par la longe pour traverser la route et il se choisit un emplacement non loin du foyer. Il sortit sa tente de son paquetage, une petite – il voyageait seul – et étala la toile sur le sol.

Dès qu'il commença à la déployer, un bawck s'approcha. Il apportait de quoi allumer le feu. D'autres ne tardèrent pas à le rejoindre, les uns avec un chargement de peaux de bêtes destinées à isoler sa tente du sol glacial, d'autres avec de la nourriture pour lui et son cheval. Mudjin avait tenu parole, il ne mourrait ni de froid ni de faim.


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