VIII. Miles
Deirane répondit à l'appel de Dursun. D'après le messager, elle se trouvait à la bibliothèque. En tant que concubine, elle pouvait s'y rendre sans le contrôle d'un eunuque. Après tout, elle était toujours dans le harem. L'adolescente l'attendait assise à une table, une multitude de livres ouverts étalés autour d'elle.
— Qu'avais-tu à me dire de si important ? demanda Deirane en la découvrant au cœur de cette montagne d'informations.
— J'ai des données intéressantes à te transmettre. Tu te souviens que tu m'as déclaré n'avoir jamais entendu parler de Miles avant d'arriver dans ce harem.
— En effet. Je n'ai jamais eu connaissance d'une ville de ce nom.
— Regarde.
Dursun avait le doigt posé sur la page d'un atlas ouvert devant elle. Deirane se pencha et étudia la carte. Elle était annotée en helariamen. Et au bout du doigt, dans les caractères de cette langue, elle découvrit le mot, Miles. Ou plutôt Mil, puisque ce dialecte avait une écriture phonétique. Deirane repéra l'endroit. La ville se situait au pied des montagnes de la licorne, dans le tiers sud du plateau d'Yrian.
— Ça alors ! s'écria-t-elle. On a déjà cherché dans ce coin. Mais il n'y avait rien. Elmin est la seule grande ville du plateau d'Yrian. Le reste n'est constitué que de villages.
— On a cherché dans des cartes d'origine yrianie, et on n'avait rien trouvé. Mais quand on en consulte une en provenance de l'Helaria ou de la Nayt, Miles y figure.
— Mais qu'est ce que cela signifie ?
Deirane était tellement abasourdie qu'elle ne pouvait interpréter cette information. Dursun se montra heureusement plus réactive.
— Cela signifie que l'Yrian a tenté d'effacer l'existence de Miles. La destruction de Miles constitue un génocide. Et c'est l'Yrian qui l'a perpétré.
— Et Mericia vient de Miles, murmura Deirane. Comment peut-elle ne pas me détester ?
— Ton âge. Tu n'étais pas née lors des événements. Miles est tombée avant ta naissance. En plus, tu proviens du duché d'Ortuin, une région en cours de formation qui n'a pas participé à ces événements. En fait, parler de guerre civile est un peu exagéré puisque seules deux provinces ont été impliquées. Même le duc de Sernos n'est pas intervenu.
— Cette guerre n'est donc qu'une dispute territoriale entre deux ducs voisins, comme ils font au Salirian.
— C'est un bon résumé.
— Continue, l'incita-t-elle.
— Je n'ai pas beaucoup d'informations sur la chute de la ville. Mais j'ai pu trouver tout ce que je voulais savoir sur les événements qui l'ont précédée. Ce massacre a pour origine une particularité du royaume d'Yrian : l'alternance de la couronne.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Deux dynasties qui occupent à tour de rôle le trône. Quand un roi meurt, l'aînée de l'autre monte sur le trône. Quand il meurt à son tour, la couronne revient à la première dynastie et ainsi de suite.
— Mais ça ne marche pas comme ça en Yrian !
— Ça ne marche plus comme ça. Mais à l'origine du royaume, c'était le cas.
Deirane réfléchit sur ces révélations.
— Je suppose qu'une dynastie n'a pas voulu rendre le trône et que l'autre lui a déclaré la guerre pour faire valoir ses droits, déduisit-elle. L'une des deux est Miles, mais qui est la seconde ?
— Elmin, répondit Dursun.
— Elmin ! Cela ne me surprend pas vraiment. Elmin a été la capitale du royaume avant Sernos.
— Pas exactement, ça c'est ce que l'on raconte en Yrian, mais dans le reste du monde, le récit est un peu différente.
Dursun prit un livre rédigé en naytain et l'ouvrit à une page repérée par un marque-page.
— Ce livre retrace l'histoire du monde depuis la chute des feythas. Il date d'une vingtaine d'années, mais les débuts du royaume d'Yrian y sont traités. Et ils sont intéressants.
— Je t'écoute.
Deirane s'installa profondément dans sa chaise les bras croisés sur la poitrine.
— Juste avant la guerre, les cités humaines formaient des communautés plus ou moins indépendantes et organisées de façon très différentes. Le seul État digne de ce nom était l'Helaria. Et elle se sentait bien seule pour mener la guerre. Elle a donc entrepris une série d'actions pour organiser les humains en véritables États avec pour chacun un gouvernement et naturellement une armée. Elle a envoyé dans le monde une série d'agents dont le seul but était de faire évoluer ces communautés.
— En quoi des États sont-ils préférables à des tribus. De petites entités me semblent plus faciles à contrôler.
— Je ne suis pas stratège, mais je pense que cela tient au nombre d'interlocuteurs. Avec des tribus, il y en a des centaines, mais si on rassemble ces tribus en États, il en reste moins d'une dizaine. C'est plus simple de se coordonner. On peut également créer des bataillons plus grands et plus efficaces.
— Donc, l'existence de l'Yrian est due à l'action d'un agent helarieal.
— C'est exact. Et tu connais son nom : Rheza.
— Tu as raison. Je connais ce nom, c'est le père du premier roi, Menjir 1er.
— Non. Rheza n'a jamais eu de descendance en Yrian. C'est Falcon II qui a donné ce nom à sa famille pour légitimer son pouvoir. Mais à l'origine, aucun humain ne portait de nom de famille. D'ailleurs, toi même n'en porte pas.
— C'est vrai, je ne possède que mon prénom, éventuellement suivi de celui de mon père quand c'est nécessaire. Ça ne l'a jamais été ; jusqu'à présent je n'ai jamais rencontré personne d'autre avec le même prénom que moi.
Dursun fit son petit geste de la main qui signifiait « tu vois », puis elle continua.
— Rheza a donc réuni les deux villes du plateau d'Yrian dans une seule entité qui s'appellera le royaume d'Yrian. Ces deux villes deviendront des duchés de ce nouveau royaume. Elle occupait la moitié du plateau occidental actuel et les deux tiers de sa population. Les deux ducs, Farallon et...
— Farallon, comme l'opéra ! l'interrompit Deirane.
— L'opéra raconte l'histoire de son petit fils, confirma Dursun.
— Ce n'est pas une histoire joyeuse...
Dursun s'enfonça dans son siège.
— Dis ! Tu me laisses finir !
— Excuse-moi. Continue.
— Merci.
Dursun dévisagea Deirane un moment, un air sévère plaqué sur le visage comme un professeur rabrouant une élève indisciplinée.
— Bref, tout marchera bien pendant trois rois. Puis ça va merder. Prétextant la minorité du duc de Miles, le duc Falcon va monter sur le trône à la suite de son père en brisant l'alternance. Son fils, Falcon II fera de même. Sauf qu'entre temps, le duc est devenu adulte et il a protesté. Le ton augmente entre le duc Ridimel et le roi Falcon jusqu'à ce que la rébellion éclate. Miles fait sécession et devient l'éphorat de Miles.
— Qu'est-ce qu'un éphorat ?
— C'est une sorte de république. Le pays est dirigé par un conseil choisi par le peuple, expliqua Dursun. Un peu comme la Pentarchie d'Helaria, mais dans lequel les dirigeants sont élus.
— Une telle structure n'existe pas de nos jours.
— Si. En Ocarian. Et il se trouve que culturellement, Miles est située assez proche des cités de l'Ocarian. C'est pourquoi d'ailleurs il a tenté de fédérer celles du nord sous sa bannière de façon à former un royaume assez puissant pour résister à l'Yrian. Il a malheureusement échoué, les cités sont trop attachées à leur indépendance. D'ailleurs, du temps des feythas, l'envoyé de l'Helaria avait échoué lui aussi.
— Alors comment s'est passée la guerre ?
— Au début, assez bien pour Miles. Ils ont même atteint les portes d'Elmin. Puis, brutalement, au cours d'une bataille décisive, Elmin a infligé une défaite telle à Miles que le duché n'a pas réussi à s'en relever.
— Comment ?
— Je l'ignore, je n'ai pas trouvé l'information.
— Elmin n'aurait pas utilisé des armes feythas ? En contrôlant Sernos, ils ont bien dû en trouver.
— C'est possible. Mais s'il y en avait assez pour une telle défaite, pourquoi les feythas eux-mêmes ne s'en sont pas servi autrefois ?
Deirane ne répondit pas. Dursun en profita pour répondre.
— En quelques douzains, l'armée d'Elmin atteint la ville de Miles. Et commence alors le plus grand massacre depuis la chute des feythas. Les habitants ont été assassinés, les bâtiments brûlés. Un véritable génocide destiné à faire disparaître toute trace de la ville. C'est ce massacre plus que la guerre elle-même qui a ébranlé l'Yrian.
— Pourquoi ? répéta Deirane.
— Il n'y avait pas que des Milesites à Miles. Il y avait beaucoup d'étrangers. Les plus grands pays y avaient fondé une ambassade. Trente-sept Helariaseny, dont l'ambassadeur, et cent vingt-deux Naytains sont morts ce jour-là. Et sans compter les pays d'importance mineure comme le Salirian ou la Deira. Tous ces pays ont aussitôt demandé des comptes au roi qui les a envoyés promener. Il s'en est fallu d'un cheveu que la guerre éclate. Et bien que l'Yrian soit plus fort que chacun des deux pays pris indépendamment, il ne pouvait pas résister à une coalition entre la Nayt et l'Helaria. Le cheveu en question est la mort bien opportune de Falcon et la montée sur le trône de son fils Menjir II.
— C'est le roi actuel. Celui sous lequel je suis née.
— Je crois bien. Menjir a aussitôt tout fait pour calmer le jeu. Il a arrêté les massacres, fusionné le duché de Miles à celui d'Elmin et intégrés tous les nobles Milesites qui avaient survécu. La ville de Miles elle-même n'a jamais été reconstruite, mais elle aurait fortement inspiré Lynn, la capitale de la Nayt. Puis il a présenté des excuses officielles à l'Helaria et à la Nayt. La paix revenue, le royaume a vite retrouvé la prospérité qui était la sienne avant la guerre. En fait, Sernos étant situé loin des combats et la Grande route du sud se trouvant sur l'autre rive de l'Unster, la guerre n'a jamais vraiment affecté la richesse du royaume. Et en accueillant les réfugiés de Miles, les provinces d'Ortuin et de Karghezo se sont bien développées.
Deirane était abasourdie. Elle ignorait ces faits. Découvrir par quoi était passé son pays la rendait muette. Il lui fallut un moment pour se reprendre.
— Et le duc Farallon, qu'est-il devenu ?
— Je l'ignore. Mais il se trouvait à Miles quand la ville est tombée. Bien peu ont pu sortir et c'était surtout des femmes et des enfants, sauvés par des soldats yrianii écoeurés par ce qui se déroulait sous leurs yeux. Les hommes ont été peu nombreux à survivre.
— Je vois. La lignée des Farallon s'est donc éteinte.
Un grand sourire éclaira le visage de Dursun.
— Si j'étais toi, je n'en serais pas si sûre.
— Tu as découvert quelque chose ?
Dursun hocha la tête.
— Tu me connais, pontifia-t-elle.
— Vas-y, dis-moi tout.
— Le duc de Miles était marié. Il avait même des enfants. Deux filles, des jumelles. Et un garçon.
— On a des nouvelles de ces enfants ?
— Personne ne sait ce qu'ils sont devenus. Pour beaucoup, ils sont morts et leurs cadavres ont brûlé dans l'incendie.
— Mais ce n'est pas ton avis.
Le visage de Dursun afficha un sourire réjoui.
— Le duc et la duchesse s'appelaient Ridimel et Meghare. Quant à leurs enfants, c'était Anastasia, Ciarma et Ivan. Que peux-tu en déduire ?
Deirane retourna les noms dans sa tête.
— Rien, répondit-elle après un moment. A part que ce sont les personnages de l'Opéra.
Dursun prit une feuille de papier, un crayon et nota les prénoms des membres de la famille, en commençant par la mère Meghare et en terminant par Anastasia.
— Tu as oublié le petit garçon, fit remarquer Deirane.
— Il ne compte pas, il était né depuis quelques douzains seulement et la nouvelle ne s'était pas encore répandue à travers le monde. Maintenant, prend la première syllabe de chaque prénom, la guida Dursun.
Pour illustrer le propos, Dursun les entoura, en laissant de côté Anastasia.
— Me, Ri, Cia... Oh putain !
Sous la révélation, Deirane s'était levée si brusquement que sa chaise avait basculé au sol. Dursun sourit d'amusement devant la réaction de son amie.
— Exactement. Mericia.
— Mais tu te rends compte ! Avec les lois d'alternance dont tu m'as parlé, si Mericia est vraiment Anastasia Farallon, elle pourrait revendiquer le trône d'Yrian.
— Farallona, corrigea Dursun, les Milesites accordent les noms de famille comme les cités de l'Ocarian.
— Anastasia Farallona serait donc Mericia et elle pourrait régner sur l'Yrian.
— Mericia, non. Mais son fils, si elle en avait un, le pourrait. Et si Anastasia a survécu, pourquoi l'autre ne serait-elle pas quelque part aussi, vivante ?
— D'accord, mais où ?
— Ah, ça. Ça pourrait être une bonne idée de la retrouver.
Dursun avait raison. Elles devaient retrouver la sœur. Cela ne servirait peut-être à rien. Mais ce n'était certainement pas le fruit du hasard si Mericia — Anastasia Farallona donc de son vrai nom — était dans ce harem, et seule. Et dire qu'on n'avait cessé de lui répéter que Mericia était arrivée en Orvbel à l'âge de six ans, âge des jumelles au moment de la chute de Miles. Elle avait remarqué que Mericia avait un ancêtre naytain. Et la duchesse était à moitié naytaine. Autant d'indices qui auraient dû lui mettre la puce à l'oreille. À décharge, elle ignorait tout de cette guerre civile il y a peu. Elle ne comprenait d'ailleurs pas pourquoi. D'accord, le pouvoir yriani avait étouffé cette affaire et les aèdes n'en parlaient pas. Mais son père ou sa mère l'aurait dû ; son père surtout qui lui avait raconté tous les événements depuis l'arrivée des humains, le soir pour l'endormir ou à la veillée. Il n'en avait rien fait. Cleriance, cela s'expliquait. Elle était trop jeune et ces événements trop lointains pour qu'elle ait été au courant. Mais ses parents. Et les étrangers de passage, les commerçants naytains qui se rendaient à Ortuin en traversant Gué d'Alcyan. Une question lui vint à l'esprit.
— On connaît le grand-père de Mericia ?
— Serig de Pers.
— Un noble naytain ! Je comprends mieux pourquoi Brun cache Mericia quand quelqu'un vient au palais.
— Un noble de Burgil.
— Tu viens de dire Pers !
— Je n'ai pas cherché la réponse à ce mystère, mais il est bien de Burgil. C'est même la personne la plus riche de la ville.
Burgil, la grande métropole naytaine du sud-est. Elle contrôlait la zone agricole du sud qui faisait de la Nayt la plus grande puissance de la route de l'est. Sans Burgil, la Nayt n'existerait pas. C'était la seule cité à n'avoir jamais connu la guerre. Et Mericia était la petite fille de l'homme qui contrôlait un grand pan de son économie. Un homme dont la richesse rivalisait avec celle de Brun. Le roi avait fait preuve de folie en l'acquérant. Il n'espérait quand même pas qu'en faisant un fils à Mericia il aurait pu revendiquer le trône d'Yrian pour lui.
Dursun coupa les pensées de Deirane en reprenant la parole.
— La jumelle n'est pas à Burgil, sinon Serig l'aurait annoncé.
— Plus de mille longes séparent Miles et Burgil. Il y a largement de quoi se perdre. Sans compter qu'il lui a fallu traverser l'Unster, il n'existe que deux passages : Sernos et Boulden. Elle est peut-être restée en Ocarian, ou au Salirian.
— Voire en Helaria. La province qui jouxte le Salirian est quasiment déserte. Une personne en fuite pourrait s'y cacher facilement. Et il faut ajouter les dwergrs, Miles était au pied des montagnes, proche de leurs royaumes, elle commerçait beaucoup avec eux. Ils ont très bien pu recueillir une princesse en fuite.
— Une duchesse, corrigea Deirane.
— Je préfère princesse, ça fait plus rêver.
Deirane tourna la tête vers son amie. C'était cela qu'elle trouvait merveilleux avec elle. Chaque fois qu'on la prenait pour une adulte, elle faisait ou disait quelque chose qui la ramenait en enfance. On aurait dit qu'elle ne voulait pas grandir. Son corps, aux courbes affolantes, donnait un tout autre message cependant et Brun n'allait pas tarder à s'y intéresser.
— Bon, conclut Deirane, maintenant nous avons une mission : trouver la sœur jumelle. Mais on ne dispose d'aucun indice.
— Tu n'es pas guerrière libre. Ce n'est pas à toi de la rechercher. Fait appel à une personne dont le métier, la rabroua Dursun.
— Une guerrière libre ! Tu penses à Naim ? Est-ce prudent de la renvoyer sur les routes avec sa tête mise à prix par l'Helaria ?
— Je pensais plutôt à une vraie guerrière libre, connue pour ses liens avec Miles, au point d'être témoin du mariage de la duchesse de Miles, célèbre en tant que chanteuse et compositrice, qui de plus a inventé la plupart de ses chansons dans une taverne de Miles qui lui offrait le gîte et le couvert en échange de la primeur de ses œuvres.
— Saalyn ? s'étonna Deirane. Tu penses à Saalyn ?
— Bravo. Tu as vite trouvé.
— Mais comment sais-tu tout cela sur elle ?
— C'est marqué dans la préface du livre de chanson que tu as reçu lors de ton anniversaire. Tu ne l'as pas lu ?
— Si. Mais pas la préface, avoua Deirane.
— Bref. Si Saalyn était aussi intime avec les Farallon que ce livre l'évoque, alors elle sera très intéressée de savoir où se trouve l'une des jumelles.
— Oui, mais elle est hors du harem et nous dedans.
— Deirane. Personne ne nous espionne ici. Cette salle est trop récente, elle ne contient pas d'œil feytha. On peut parler librement. J'étais là quand la légende est passée. Tu as oublié ? Je sais que tu as un moyen de la joindre.
— Depuis cette prise de contact, elle n'est pas réapparue. Ce n'est pas comme un messager que je peux mander à volonté. Et puis que lui dirons-nous ?
— Qu'Anastasia est ici !
— C'est un peu juste. Brun a acheté Anastasia à un marchand. Ce qui l'intéresserait, c'est qui la lui a vendue. Il faut que nous trouvions la réponse à cela avant.
— On le sait. C'est Biluan, répondit Dursun.
— Biluan n'était qu'un commerçant. Il n'est pas allé la chercher dans Miles, il était bien trop lâche pour cela. Je pense qu'il l'a achetée à quelqu'un d'autre. Et ce quelqu'un n'avait qu'Anastasia avec lui. Sinon il n'aurait pas manqué d'acquérir les deux. Un couple de jumelles, tu imagines leur valeur si Biluan avait pu les obtenir ensemble ! Nous devons trouver celui qui s'est introduit dans une ville en guerre pour s'emparer d'une fillette et dont on peut raisonnablement penser qu'il a tué sa mère aussi.
Dursun regardait Deirane, admirative.
— Dis donc ! s'écria-t-elle. Tu ne te sers pas souvent de ton cerveau, mais quand ça t'arrive, tu ne fais pas semblant.
Deirane ne savait trop si elle devait prendre les paroles de Dursun, comme un compliment ou comme une moquerie. Dans le doute, elle se contenta d'un simple merci.
— Et tu as une idée pour savoir qui est cet homme ? s'enquit Dursun.
— J'ai des actions en cours. Et si ça ne suffisait pas, j'ai aussi confié une mission à Ard. Peut-être nous en apprendra-t-il plus.
— Eh ! Ne mêle pas Ard à tes complots !
Deirane leva le bras pour se défendre contre le coup que lui envoya Dursun.
— Si je mets Ard à l'écart, il va se sentir inutile. Tu sais très bien qu'il ne le supporterait pas. Nous représentons aujourd'hui sa seule raison de vivre.
— Tu as raison.
La jeune femme s'était radoucie.
— Attendons donc le résultat de son enquête. J'ai hâte de voir ce qu'il va nous rapporter.
Deirane ne dit rien. Mais elle était d'accord avec son amie. En considérant toutes les informations qu'elle avait rassemblées, celles que le vieil homme parviendrait à recueillir pourraient se révéler cruciales.
Finalement, elle se leva pour partir.
— Il y a une chose qui m'amuse dans toute cette histoire, dit-elle en repoussant sa chaise contre la table.
— Quoi donc ?
— L'opéra Farallon, que Brun aime tant, parle bien des sœurs jumelles. Et il présente Ciarma comme forte et volontaire et Anastasia comme douce et rêveuse.
— Notre Mericia, cette peste imbuvable, serait la gentille de la famille ! s'écria Dursun. Je ne suis pas sûre de vouloir connaître l'autre sœur.
La remarque déclencha chez Deirane une crise de fou rire qui ne s'était pas calmée quand elle referma la porte derrière elle.
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