Interlude : Miles 15 ans plus tôt - (1/2)
Meghare embrassa Ridimel une dernière fois. Puis elle rejoignit les soldats qui s'étaient déjà regroupés autour de ses filles.
— Adieu, dit-elle à son mari.
— Au revoir, répondit-il.
Elle lui renvoya un sourire triste. Pour se revoir, leurs dieux respectifs allaient devoir bien se démener. Si elle tombait sur une escouade yriani, elle doutait qu'ils se montrent magnanimes.
Le capitaine donna l'ordre du départ, le groupe de soldats entraîna sa famille loin de Rifar dans les profondeurs du palais. Rifar les regarda sortir. Dès qu'il fut seul, il se précipita vers l'antichambre où l'attendait son ami Dalanas, comte du Than et colonel de sa cavalerie ainsi que le général qui s'occupait des défenses de la muraille.
— Vous êtes prêts ? demanda-t-il.
— Autant que nous le pouvons, répondit Dalanas.
— En partant vers l'ouest, nous pourrons atteindre les montagnes en quelques stersihons. Les soldats yriani ne pourront pas nous y suivre, proposa le général.
— Ce n'est pas le projet, le rabroua Rifar.
— Mais enfin, vous devez vous mettre en sécurité en priorité.
— Il faut mettre ma famille en sécurité en premier. Nous allons essayer d'attirer un maximum d'ennemis derrière nous pour lui dégager le passage.
— C'est de la folie, nous allons tous mourir, les Yrianis sont trop puissants.
— Ce sont les ordres de ton éphore, répliqua Dalanas.
Ridimel remercia son ami de son soutien d'un mouvement de tête.
— Nous allons partir vers l'ouest, rameuter un maximum de soldats puis les entraîner vers l'est en passant par le sud du palais. Cela devrait dégager le nord et la voie vers l'ambassade naytaine. Avec de la chance, ça allégera aussi la surveillance sur la porte ouest, ce qui permettra à beaucoup d'habitants de fuir vers les montagnes.
Une expression de dépit traversa le visage du général, mais il ne fit aucune remarque. En fait, il était déjà en train d'établir un plan. Kelakis était le meilleur tacticien de Miles. D'accord, il avait échoué à tenir les remparts de la ville. Mais c'était une mission impossible. Miles n'avait jamais été conçue comme une forteresse et les préparatifs durant la guerre avaient à peine arrangé les choses. Les murailles n'étaient pas destinées à soutenir un siège, elles n'avaient qu'un but décoratif. Et que la ville ait résisté aussi longtemps témoignait de la valeur de cet homme.
— Rejoignons la cavalerie, déclara-t-il enfin. Je vais donner mes consignes.
Ces quelques paroles rendirent un peu d'espoir à Ridimel. Si Kelakis avait trouvé un plan efficace, ils allaient tous s'en sortir.
Le capitaine à qui Ridimel avait confié sa famille quitta le palais par une entrée discrète. Le bâtiment était grand et les combats n'avaient pas encore atteint cet endroit, mais leurs bruits parvenaient jusqu'à eux, choc de métal contre le métal, ordres aboyés par les soldats, hurlements de détresse ou de souffrance. Ils auraient pu rejoindre les montagnes, si la porte qui y menait n'avait été aux mains de l'ennemi. Ceux qui s'enfuiraient par là devraient se battre. Il y aurait des pertes. C'était la raison qui avait poussé Rifar à envoyer Meghare à l'ambassade de Nayt. Elle y serait en sécurité le temps que les choses se calment.
Ils progressaient était lentement. À chaque intersection, le capitaine examinait les environs avant de traverser la place pour rejoindre la rue d'en face. Le côté monumental de Miles se révélait un désavantage pour les fuyards qui était bien trop exposés. Un moment, il poussa sa duchesse dans une impasse et la projeta au sol pendant que ses hommes faisaient de même avec les enfants. Elle ne protesta pas, consciente du danger. Il lui plaqua quand même une main sur la bouche pour l'empêcher de crier tout en la bloquant de son poids. Un groupe de soldats yriani passa devant eux sans les voir. Il transportait une femme, partiellement dénudée, qui ne réagissait plus. Inutile de se demander ce qu'ils allaient en faire. Un éclair de colère traversa le regard de Meghare, aussitôt remplacé par de la tristesse. Elle allait se retrouver en sécurité au milieu des siens alors que son peuple se faisait massacrer. Elle n'aurait pas eu ses enfants à mettre en protéger, elle aurait renoncé pour se porter au secours des habitants.
Sur le balcon du dernier étage de l'ambassade, Dercros regardait la ville flamber. Un spectateur qui aurait rencontré les deux personnes aurait vu dans son regard la même horreur que dans celui de Ridimel. Il ne parvenait pas à se détacher du tableau. Soudain, il se décida. Il traversa la chambre, regagnant la sienne propre. Il sortit le petit coffre, plat et allongé, rangé au fond d'un placard et le posa sur le lit. Il l'ouvrit. Il abritait une épée. Il la tira de son fourreau et l'examina. La lame était longue, simple sans aucune fioriture. Un travail bawck de toute évidence, réalisé avec soin, mais dans un but utilitaire. Il la rentra dans son fourreau qu'il fixa à sa taille.
La porte s'ouvrit, Klimal entra. Il n'était que de passage dans cette ambassade, mais elle s'était attachée à lui. Il était possible qu'entre eux s'établisse une union durable. Il ne savait le dire. Leur liaison était trop récente. Il le souhaitait cependant. Elle avait très vite compris quand il avait besoin d'elle ou quand il devait rester seul. Lui aussi, avait appris à respecter les désirs de sa compagne. Il faudrait qu'il la présente à Saalyn. Il tenait sa sœur aînée au courant de toutes ses conquêtes. Il ne lui avait pourtant pas parlé d'elle. Pas encore. Cela signifiait-il qu'elle constituait quelque chose de nouveau, de différent ?
En le voyant armé, elle se précipita vers lui.
— Où veux-tu aller comme cela ? s'inquiéta-t-elle.
— Meghare et les enfants sont dehors, en danger. Je vais les chercher.
— Tu ne pourras pas repousser les Yrianis à toi seul. La garnison de la ville tout entière n'y est pas arrivée.
— Je ne compte pas les repousser, juste ramener les filles ici.
Elle lui prit le visage dans les mains et le regarda droit dans les yeux. L'esprit de Dercros vagabonda : Klimal – Blanche – jamais personne n'avait été aussi mal nommée. Sa compagne possédait les cheveux les plus noirs qu'il avait vus de sa vie et le teint mat.
— Je ne peux vraiment pas te faire changer d'avis ?
— Tu veux que je vive avec leur mort sur la conscience en sachant que j'aurai pu faire quelque chose pour les sauver.
Elle l'embrassa, un baiser long et tendre. Puis elle s'écarta. Elle dénoua le lacet de sa tunique et la retira. Elle se tenait à demi nue devant lui. Quand elle commença à défaire la ceinture de son pantalon, Dercros s'étonna.
— Que fais-tu ? demanda Dercros.
— Ne dis rien et laisse-toi faire.
— Tu crois que c'est le moment ?
— Il n'y en a pas de meilleur.
Une fois totalement nue, elle s'attaqua aux vêtements de son amant.
Moins d'un calsihon plus tard, Dercros s'écarta d'elle. Il se remit debout et commença à s'habiller.
— Équipe-toi correctement au moins, le rabroua Klimal, tu ne vas pas te jeter dans la bataille avec des habits d'intérieurs quand tes ennemis portent des armures.
Elle sortit sa broigne du placard. Dercros ne l'aimait pas. Ce vêtement molletonné constitué de plusieurs couches de lin entrecroisées et renforcée d'un matériau spécial développé en Helaria était lourd et chaud. Il pouvait cependant arrêter les coups de taille et la plupart des coups d'estoc. Il pouvait même protéger contre les flèches. Seuls les carreaux d'arbalètes faisaient mouche à tous les coups. Il présentait des points faibles pourtant, une flèche à bout tranchant tirée d'une faible distance ou une épée bien acérée pouvait le traverser. Et il ne couvrait pas tout le corps. Les bras, les jambes et la tête restaient exposés.
— Même les jumelles en mettent une quand elles vont au combat, insista-t-elle.
— Tu as raison, reconnu-t-il.
Il enfila la tenue renforcée, qu'il compléta avec de solides bottes en cuir qui protégeraient ses jambes. Pour les bras, il ne pouvait rien faire, les protéger aurait gêné ses mouvements ce qui l'aurait rendu vulnérable. Elle lui passa le casque, seule partie métallique de son équipement. Il embrassa une dernière fois Klimal. Avant il avait des doutes, maintenant il en était sûr. C'était elle, c'était la bonne. Dès que toute cette affaire serait terminée, il se mettrait en ménage avec elle, se dit-il pendant qu'elle ajustait la sangle sous le menton. Il fixa de nouveau le fourreau à sa ceinture.
— Je reviens très vite, promit-il.
— Tu as intérêt, le menaça-t-elle, autrement c'est moi qui viens te chercher.
Ses yeux pétillants de joie, il lui envoya un dernier baiser avant de quitter la pièce. Elle regarda un moment la porte fermée. Elle se caressa le ventre. Dercros ne s'était rendu compte de rien, mais s'il ne s'en sortait pas, elle emporterait un souvenir de lui.
La porte de la chambre dans laquelle Rene, Palmara et Claire s'étaient réfugiées claqua violemment en s'ouvrant. À leur grand soulagement, c'est Vlad qui apparut dans l'encadrement. Le palefrenier apprécia d'un rapide coup d'œil les trois femmes de sa vie qui s'enlaçaient pour se rassurer.
— Tu as pu rentrer ! s'écria Rene.
Elle se précipita dans les bras de son mari, sans lâcher la main de sa fille. Vlad déposa un rapide baiser sur les lèvres, caressa le ventre arrondi de son épouse, puis l'écarta.
— La ville est tombée, les Alminatis arriveront bientôt ici ! Nous devons fuir, déclara-t-il.
— Où ?
— Chez les nains.
Il prit la main de sa femme et l'entraîna à travers les couloirs.
— Où vas-tu ! s'écria Rene. La porte des montagnes est dans l'autre direction.
— J'ai quelque chose à prendre dans la chambre du duc.
— On n'a pas le temps !
Il s'arrêta et lui enserra le visage dans les mains.
— Il le faut. Sinon nous sommes perdus.
Faisant confiance à son mari, il n'eut pas besoin de la traîner quand il reprit sa course.
La chambre était déserte et encore intacte, les envahisseurs n'étaient pas arrivés jusque là. Par la fenêtre ouverte, une odeur de brûlé lui parvint. Vlad identifia rapidement le coffret que lui avait montré le duc, il y a quelques jours. Il était verrouillé. La clef se trouvait quelque part dans cette pièce, mais il n'avait pas le temps de la chercher. Il souleva le petit meuble et le balança contre un mur. Le bois craqua, mais tint bon. Vlad recommença l'opération. Ce coup ci, une fente assez large s'était formée sur le flanc. Il y introduisit les doigts et banda ses muscles. Quand une écharde traversa sa peau, il n'y prit garde. Enfin, le côté céda et le meuble dégorgea son contenu. Des papiers s'étalèrent sur le sol. Il poussa Claire vers les feuillets épars.
— Fouille ces papiers et dis-moi ce qu'il y est écrit.
La fillette se mit à pleurer.
— Je ne peux pas, sanglota-t-elle.
Vlad s'accroupit à côté d'elle. Il lui passa un bras protecteur autour des épaules.
— Je ne sais pas lire, avoua-t-il. Mais toi tu sais. Tu as appris avec les comtesses. Il faut que tu trouves des papiers, c'est important.
Elle hocha la tête, ravala ses larmes et commença à regarder les feuilles. Ils étaient heureusement peu nombreux. Après en avoir repoussé deux, elle trouva ce que son père cherchait.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda Rene.
— Notre nouveau chez nous. Claire, où se trouve-t-il ?
Claire allait lire le nom quand un grand fracas l'interrompit.
— Ils ont forcé la porte du palais, constata-t-il. Maintenant, partons d'ici !
Il prit la main de sa femme et de sa fille, vérifia que sa sœur les suivait bien, et les entraîna hors de la pièce.
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