Interlude. Cité de Miles, 15 ans plus tôt - (1/2)
Le silence se fit dans la salle. On entendit quelques ultimes toussotements. Puis le chef d'orchestre commença à agiter sa baguette et avec un léger retard la musique démarra. Tout d'abord les vents entamèrent leur mélodie, bientôt rejoints par des instruments à cordes. Les deux groupes de musiciens se complétèrent pendant un moment. Puis ils laissèrent la place à une soliste. Cette dernière utilisait une sorte d'usfilevi qui se tenait sous le menton et dont on jouait avec un archet – un violon apprit plus tard Saalyn. Le reste de l'orchestre ne tarda pas à le rejoindre. On aurait dit une discussion entre le violon et le reste de l'orchestre. Parfois le soliste jouait accompagné par l'orchestre, parfois c'était le contraire.
Au bout de trois calsihons, mais qui semblèrent beaucoup plus bref à Saalyn, la musique prit fin. L'orchestre se leva et salua la foule qui applaudissait frénétiquement, tout en criant des ovations. Un enfant entra des coulisses et apporta un bouquet de fleurs à la soliste qui le remercia.
Dans la loge ducale, reconnaissable à sa position juste en face de la scène et ses boiseries complétées de dorures à profusion, Ridimel Farallon, duc et éphore de Miles se tourna vers ses invités. Au premier rang d'entre eux se trouvait Saalyn. Il la savait bonne musicienne et avait eu envie de lui faire connaître cet art.
— Alors qu'en pensez-vous ? demanda-t-il.
— C'est magnifique, répondit-elle.
— Vous pleurez ? remarqua-t-il.
— Une poussière dans l'œil.
Elle prit le mouchoir qu'il lui tendit pour s'essuyer.
— Je n'avais jamais rien entendu de tel, dit-elle quand elle se fut arrangé le visage.
— Il n'y a pas beaucoup d'endroits où assister à un tel spectacle. Il existe de tels orchestres à Ambes en Nayt, en Orvbel et à Shaab.
— Orvbel ?
— Il y a beaucoup de talents là-bas. Si cette ville ne pratiquait pas le commerce d'esclaves, j'aurai aimé y vivre.
— Alors l'Orvbel possède quelque chose d'aussi magnifique et il n'y a rien de tel en Helaria ! déplora Saalyn.
— Il faut bien qu'ils aient quelques qualités et vous des défauts.
— Un défaut qui ne subsistera plus bien longtemps, promit-elle.
À son air, le duc comprit qu'elle allait remuer toute l'Helaria jusqu'à ce qu'un tel orchestre soit créé. Peffen allait devoir céder sous peine de passer des moments difficiles.
— Il n'est pas utile de harceler vos pentarques. Amenez-les plutôt ici et vous serez doté d'un orchestre en moins d'un an, conseilla-t-il.
— J'ai bien peur que pour former de tels virtuoses, il faille plus d'un an.
— Beaucoup plus en effet. Mais vous n'aurez pas besoin de les former. Au début tout au moins. Il y a plus de musiciens de talents que de places disponibles. Si vous ouvrez une nouvelle salle de concert, il en viendra tellement que vous devrez en refouler.
— Vous savez qu'il n'est pas dans nos habitudes de confier nos spectacles à un groupe spécialisé. C'est nous qui nous chargeons de l'animation lors des fêtes.
— Là il ne s'agit plus d'une simple animation, mais d'un art qui nécessite une longue préparation. Et puis on n'assiste pas à ce genre de prestation pour une simple fête.
— Vous avez raison, répondit la stoltzin. Mais c'est si étranger à notre culture que je ne sais pas si on pourrait créer un tel orchestre. En inviter peut-être, mais en créer un me semble dur.
— Même dans des provinces principalement peuplées d'immigré ? Vous autres stoltzt avez une longue histoire sur ce monde, avec des royaumes prestigieux. Je suis surpris que l'un d'eux, tel que la Diacara, n'ai jamais rien créé de tel. Ici même à Miles, cet opéra était déjà là quand nous sommes arrivés.
— En fait, je n'en sais rien. Je ne suis que rarement allé à la capitale de Diacara. Et si j'ai fréquenté cet endroit autrefois, on n'y a jamais interprété de musique.
— Vous devriez chercher un peu. Après tout, en Helaria vous avez de bons musiciens, de bons compositeurs, il est regrettable que vous n'ayez pas l'orchestre pour interpréter votre production chez vous ?
— Comment ça ? Comment savez-vous que nous avons de bons compositeurs ?
— Parce que le morceau que nous allons maintenant interpréter vient de chez vous. De Kushan pour être exact.
Saalyn jeta un coup d'œil sur la scène et l'orchestre qui se remettait en place après l'entracte.
— Je suis curieuse de voir cela.
— Ça tombe bien, ça commence.
En effet, les lanternes qui éclairaient la magnifique salle de l'opéra de Miles furent éteintes.
Cette nouvelle musique était construite selon un schéma totalement différent. Il n'y avait aucun instrument qui se dégageait des autres, tous participaient à parts égales à la création de l'ambiance. De temps en temps, l'un d'eux prenait le rôle du soliste, mais cela restait temporaire et ce n'était jamais le même. Cela ne diminuait en rien la beauté, au contraire. C'était juste différent. Quand on ralluma les lanternes, Ridimel remarqua que cette symphonie avait produit sur Saalyn le même effet que le concerto pour violon précédent.
— Vous n'allez jamais tenir jusqu'à la fin du concert, remarqua-t-il ironiquement.
— Ce n'est pas fini ?
— Pas encore, il reste un concerto pour piano.
Saalyn se tourna vers Meghare.
— Et vous ? Cette musique ne semble pas vous faire beaucoup d'effet.
— À Burgil, nous avons des orchestres plus petits qui interprètent des airs similaires, mais adaptés à ce genre de formations. Puis j'ai aussi fait quelques visites à Ambes avec mon père. En fait, j'ai hâte que l'opéra de Lynn ouvre ses portes pour pouvoir le visiter, mais la dernière fois que je suis passée, les murs commençaient juste à sortir de terre.
— Alten, tu crois que l'orchestre d'Ambes va émigrer à Lynn ou qu'ils vont en créer un nouveau ?
— Les musiciens d'Ambes attendent avec impatience d'aller à Lynn. Mais je ne crois pas qu'Ambes restera sans orchestre. Ils y sont trop habitués. Ils en monteront un nouveau.
La nuit était très avancée quand le concert se termina. Ridimel et sa suite sortirent de l'opéra par une porte dérobée. Sa calèche l'y attendait. Il monta avec ses invités. Meghare s'assit à côté de Ridimel et posa la tête sur son épaule. Le duc appréciait d'avoir une femme assez grande pour qu'elle puisse le faire. Il lui passa un bras autour des épaules. Dercros s'installa à côté de sa sœur. Pendant le trajet de retour, Saalyn continua sur sa lancée.
— Comment se fait-il que je ne découvre ce genre de spectacle que depuis peu alors que Miles existe depuis plus de soixante ans et l'opéra depuis plus encore ?
— Jusqu'à il y a peu, nous ne produisions que des pièces de théâtre. La musique, nous avions quelques instruments plus traditionnels, beaucoup étant hérités de votre peuple d'ailleurs. Il nous a fallu du temps pour interpréter les archives de Frovreikia. Le plus dur n'a d'ailleurs pas été de traduire la musique, mais de reproduire les instruments. Il y a une grande différence entre apprendre en suivant les instructions d'un livre et celle d'un professeur. L'Orvbel est le premier à avoir produit un instrument ressemblant à un violon et il leur a fallu vingt ans de plus pour que le son soit acceptable. La Nayt a plutôt poussé la recherche dans les instruments à vent. Ils avaient besoin de puissance pour faire de la musique dans leurs églises. Ils ont obtenu un certain nombre de cors et de trompettes, mais leur plus belle réalisation reste l'orgue du panthéon de Lynn.
— Je le connais, intervint Meghare, mais il n'est pas achevé.
— Il ne sera jamais achevé. Au fur et à mesure qu'ils apprennent, ils le perfectionnent.
— Et vous ? Quelle est votre spécialité ? demanda Saalyn.
— Nous cherchons à reproduire les instruments à percussion. Les royaumes dwergr nous fournissent en métal, nous ne manquons pas de peaux et nous achetons notre bois en Helaria. Mais il me semble que vous le savez déjà puisque vous avez adopté quelques-unes de nos productions pour vous accompagner.
— J'ai quelques percussions en effet, mais j'ignorais qu'elles provenaient de Miles.
Pendant leur discussion, la calèche était arrivée devant le palais. Un majordome vint leur ouvrir la porte pour qu'ils puissent descendre. Ridimel remarqua l'air nostalgique de Saalyn quand elle regarda la façade monumentale toute en pierre calcaire et en marbre.
— Vous connaissiez les anciens ducs, de l'époque de l'empire Ocarian ? demanda-t-il.
— Pas aussi bien que mes pentarques, répondit-elle, les jumelles étaient amantes du dernier duc.
— Je suis désolé. Elles doivent beaucoup nous en vouloir d'avoir mis fin à leur règne.
— Oh non, vous n'êtes pas responsables. Ce sont les feythas qui s'en sont chargés. Vous n'avez fait que vous installer dans un territoire vide.
— Que nous ayons pris leur place ne vous gêne donc pas ?
— Sinon je ne serais pas là. Et il aurait été dommage que tous ses bâtiments meurent dans l'oubli. Grâce à votre présence, ils revivent.
Ils grimpèrent les marches, Meghare au bras de Ridimel.
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