Interlude : cité de Miles, 14 ans plus tôt - (2/2)

À plusieurs reprises, les soldats yrianis lancèrent un assaut contre l'ambassade naytaine. Les défenses mises en place par le commandant Joras parvinrent à les repousser chaque fois. Soudain, le silence s'installa. Aucun coup ne se faisait plus entendre contre la barricade qui bloquait la porte. Joras s'approcha de l'escalier sur lequel une partie du personnel de l'ambassade s'était regroupé.

— Que se passe-t-il là-haut ? demanda-t-il d'une voix forte. Vous voyez quelque chose ?

— Ils s'enfuient, lui répondit un archer posté à l'étage.

Les Yrianis s'enfuyaient. Ce n'était pas possible. Encore deux ou trois assauts et les défenses auraient cédé. Ce n'étaient pas leurs actions qui les avaient poussées à partir. Il grimpa les marches pour se poster à une fenêtre, écartant la sentinelle qui la surveillait. L'archer avait raison. Les soldats ennemis quittaient la place. Ils se dirigeaient vers le sud-ouest. Mais ils n'étaient pas seuls. D'autres troupes semblaient aller dans la même direction. Quelque chose les incitait à se regrouper dans cette direction.

Meisos avait exaucé sa prière, il lui avait accordé ce qu'il lui avait demandé. Il remercia le dieu pour ce répit. L'ambassadeur l'attendait au centre du grand-hall.

— Nous allons tenter une sortie, lui annonça-t-il.

— Est-ce prudent ? s'inquiéta le diplomate. Ne devrait-on pas en profiter pour améliorer nos défenses ?

— Si nous restons là, nous allons mourir. Ils reviendront quand ils auront réglé leur problème. Et en toute logique, ils amèneront des renforts. Nous ne tiendrons jamais.

— Où voulez-vous que l'on aille ?

— À l'ambassade de l'Helaria.

— Vous croyez qu'ils s'en sortiront mieux que nous ?

— Seuls non. Mais avec nous, ils ont une chance. Ce sont les plus forts ici après nous. Il est préférable regrouper nos forces plutôt que de les disperser en plusieurs lieux.

— L'Helaria ne fait pas partie de nos forces, objecta l'ambassadeur.

— Tout ce qui n'est pas yriani fait partie de nos forces aujourd'hui. Vous n'avez toujours pas compris qu'ils veulent tout détruire dans cette ville, quelle que soit son origine.

En acceptant ce poste, l'ambassadeur savait que sa mission ne serait pas de tout repos. En plus, en créant une légation dans une cité rebelle, la Nayt entérinait son indépendance. L'Helaria avait fait de même de son côté. Le roi d'Yrian, Falcon II, devait en faire des cauchemars. Il se demanda sous quel nom l'histoire le retiendrait : le conquérant, le massacreur, le courageux. « Conquérant » était déjà pris par un de ses prédécesseurs, le seul monarque de la lignée Farallon. Courageux ? Il en fallait pour s'aliéner à la fois la Nayt et l'Helaria. Ou posséder une bonne dose de folie.

— Les démons guident l'esprit de ces soldats. Il n'est plus temps de compter sur leur raison. Faites ce qui vous semblera le mieux.

Joras se tourna vers son subordonné, mais il haussa la voix pour que tout le monde entendît

— Rassemblez tout le monde ici, civils et militaires, ordonna-t-il. Nous partons. Ne prenez rien avec vous, cela nous retarderait.

— De quoi boire et manger ? demanda une femme.

Il posa son regard acéré sur elle.

— Rien, nous aurons à manger là où nous allons. Et ce n'est pas loin. Mais si vous avez des enfants, nourrissez-les quand même d'abord. Nous partons dans un calsihon.

— Nous n'aurons jamais le temps, protesta une autre. C'est trop court.

— Dans ce cas, soyez prête à le confier à Deimos.

La répartie de Joras créa un silence pesant. Personne n'osait plus rien dire. Puis les gens commencèrent à se rassembler. Quelques mères s'isolèrent, pas très loin, pour donner le sein à leur enfant. Les soldats fouillèrent les différentes pièces pour ramener les retardataires. L'un d'eux rapporta des écharpes. Joras en prit une et s'approcha de la jeune mère. Elle était terrorisée face aux événements qui s'annonçaient. Il ne put s'empêcher de la prendre en pitié. Elle n'était pas préparée à ce qui l'attendait. Mais elle était Naytaine, l'un des peuples qui avaient mené la rébellion contre les feythas. Il avait connu les massacres, la guerre et les génocides. Et pourtant, il était toujours là. Le moment venu, elle serait capable de faire ce qu'il faut.

— Tenez votre bébé d'un seul bras et levez l'autre, lui demanda-t-il d'une voix douce.

En tremblant, elle obéit. Il enroula habilement l'écharpe autour de son corps gracile, maintenant étroitement son enfant contre la poitrine.

— Comme ça, vous pourrez vous servir de vos bras sans risquer de le perdre.

Il termina en sécurisant le support avec l'épingle aux armes de sa famille qui fermait le col de sa cape. Un objet de prix, autant sentimental que pécuniaire. Elle ouvrit de grands yeux en s'en rendant compte.

— Prenez-en soin, elle est précieuse à mon cœur, elle me vient de ma mère.

— Merci, ne put-elle que dire.

Il lui tendit la main.

— Vous venez, l'invita-t-il.

Une main sur le corps de son enfant, une autre dans celle, calleuse du militaire, elle le suivit jusqu'au premier rang.

— Une fois dehors, nous serons livrés à nous même, expliqua-t-il. L'ennemi est trop nombreux. Nous ne pourrons pas le combattre. Notre seule chance est d'atteindre notre destination au plus vite. Nous allons à l'ambassade d'Helaria. Nous y trouverons la sécurité et des guerriers libres qui nous protégeront mieux que je ne peux le faire avec mes dix hommes. En plus, ils sont proches de la porte sud. Nous pourrons quitter la ville plus facilement quand l'occasion se présentera. Le palais ducal nous sépare d'eux. Nous devrons le contourner. Les soldats risquent de s'y rassembler pour capturer le duc. Nous passerons donc au large et par l'ouest.

Le lieutenant de Joras salua l'habileté de son capitaine, il avait évoqué les guerriers libres, symbole de justice en ce monde, plutôt que les guerriers. Un détail qui sembla rassurer les civils.

— Pourquoi ne pas fuir par la porte ouest ? demanda un homme. On va passer près d'elle.

— La ville est assiégée. Il y a des soldats partout autour. Un groupe comme le nôtre n'aurait aucune chance de sortir. Nous devons nous barricader le temps du pillage.

Pendant son discours, quelques hommes costauds avaient dégagé la porte. Derrière, le battant en bois était défoncé. Mais la solide porte en chêne n'avait pas cédé. Il n'avait pas brûlé non plus. Malgré la paille entassée devant le bâtiment, le feu n'avait pas pris. Les quelques bombes incendiaires qui avaient pénétré avaient pu être éteintes avant que les flammes ne se répandissent. Mais ils n'auraient plus tenu bien longtemps. Le bélier que les Yriani avaient amené leur aurait laissé peu d'espoir s'ils avaient eu l'occasion de l'utiliser.

Deux hommes partirent en éclaireur. Personne. Ils firent signe à Joras. Entraînant la femme derrière lui, il sortit à son tour. Aucune volée de flèches ne l'accueillit. En le constatant, il sentit la main blottie dans la sienne se détendre. D'un geste de la main, il invita les autres à les suivre.

— En colonne par quatre, ordonna Joras. Les plus forts, vous aidez les plus faibles. Je n'abandonnerais personne derrière moi. Compris !

Un grommellement inintelligible lui répondit.

— Compris ! répéta-t-il.

— Compris ! répéta clairement un soldat.

Le mot fut repris en cœur. Le soldat les gratifia d'un sourire.

Avant de donner le signal du départ, il examina tous ces individus qui comptaient sur lui pour sa survie. Quelques soldats, des hommes qui n'avaient jamais tenu une épée de leur vie, des femmes, des enfants. Jamais un général n'était parti à la bataille avec une troupe aussi disparate et aussi peu préparée. Mais il avait le sentiment que tout se passerait bien.

— On y va ! ordonna-t-il.

Guidés par Joras et sa compagne de circonstance, les Naytains se mirent en marche vers leur dernier espoir.

Ksaten constata que les lieux étaient étrangement silencieux, comme si quelque chose avait vidé les rues. Elle croisa quelques citadins qui s'enfuyaient vers l'est et la sécurité des montagnes. L'armée milesite avait dû faire quelque chose. Elle ne pourrait pas gagner le combat. Il n'y avait plus assez de soldats en ville. Mais cela donnerait une chance aux habitants de fuir.

Encore quelques rues, et une alarme s'alluma dans sa tête. Son intuition lui annonçait qu'elle n'était pas seule. Ksaten hésita à sortir son épée.

Un homme s'avança jusqu'au croisement de la route, devant elle. Son visage était masqué par une capuche. La guerrière s'immobilisa, sur ses gardes.

— Bonjour Ksaten, dit simplement l'homme.

— On se connaît ?

L'homme révéla son visage. Ksaten l'identifia aussitôt.

— Ancaf ! s'écria-t-elle. Je te croyais en prison.

— J'y étais en effet. Grâce à toi.

— Qui a remis en liberté une engeance comme toi.

— Les Yrianis.

Il s'approcha de quelques pas, ce qui incita Ksaten à dégainer.

— Figure-toi que j'étais enfermé ici, à Miles. Quand les soldats se sont emparés de la prison, ils ont libéré les détenus.

— Ce n'est pas la chose la plus maligne qu'ils aient réalisée.

Ancaf lui envoya un sourire.

— Grâce à eux, je suis libre. Et toi ! Tu es morte !

Ksaten ricana.

— C'est toi qui vas me tuer ? Tu n'as jamais réussi à me vaincre. Pourquoi serait-ce différent aujourd'hui ? Mais je ne referai plus la bêtise de t'enfermer en un lieu dont tu peux t'évader. Cette fois-ci, je t'achèverai. Ça ne me prendra que quelques vinsihons.

— C'est vrai. Mais tu oublies un détail. Je ne suis pas le seul que tu as envoyé en prison à Miles.

Une quinzaine d'individus, humains comme stoltzt, sortirent de leur cachette et se mirent aux côtés de leur leader.

— D'accord, avoua Ksaten, ça durera un peu plus de temps.

Pour toute réponse, Ancaf afficha un sourire fier sur le visage et lui désigna rapidement quelque chose de la main. Elle jeta un bref coup d'œil derrière elle. Un autre groupe, encore plus nombreux lui coupait toute retraite.

— Tu le crois maintenant que tu vas mourir ?

— C'est possible. Mais j'ai bien l'intention d'emmener un maximum d'entre vous dans la tombe.

Et sans attendre l'attaque, elle pointa son épée en direction d'Ancaf et s'élança vers lui en hurlant.


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