cirrus.
D I X I È M E J O U R
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L'endroit est déjà bien animé, malgré l'heure encore relativement avancée. Beaucoup de groupes d'environ son âge, qui rient, parlent fort, s'amusent sans réellement se soucier du monde qui les entoure. C'en est presque intimidant. La nuit est loin d'être tout à fait totale, et pourtant brillent déjà les néons des bars et autres boîtes et commerces dans l'obscurité.
Lia reconnaît cet endroit. Elle n'est jamais venue ici, et pourtant, elle sait parfaitement où elle est. Le quartier gay, comme les autres se plaisent à l'appeler. Elle est surprise que son amie lui ait demandé de se retrouver ici ; à dire vrai, elle n'aurait jamais cru qu'elle serait du genre à traîner dans ce type de lieu. Au fond, elle ne sait pas grand-chose de Yeji. Elle commence seulement à le comprendre, doucement, et la réalisation lui fait un peu mal. Elle aurait aimé être aussi proche d'elle que pouvait l'être Ryujin, partager quelque chose d'aussi fort, d'aussi intense. Elle aimerait tellement être importante aux yeux de son aînée, rien qu'un peu.
Mais lorsque la journée arrive à son terme, Lia n'est rien de plus qu'une simple camarade avec qui Yeji s'entend bien. La situation n'a peut-être pas vraiment changé, au final. Elles se parlent, se fréquentent, s'apprécient ; mais la jeune femme semble toujours à mille lieux de son univers.
Elle arrive finalement au point de rendez-vous. La devanture d'une boîte de nuit haute en couleur se dresse fièrement devant elle. Le JULIA, à en croire l'inscription lumineuse fixée au mur de brique de la bâtisse. Elle observe brièvement les alentours, à la recherche de l'argentée, mais celle-ci ne semble pas être arrivée pour le moment. L'appréhension grimpe lentement dans le cœur serré de Lia, qui se mord nerveusement la lèvre tout en trépignant sur place avec agitation. Elle passe la main dans ses cheveux, vérifiant que ceux-ci sont bien en place sur son crâne.
Le JULIA.
Ça la fait sourire.
- Oh tu es déjà là ! s'exclame une voix familière derrière elle. J'espère que je ne t'ai pas trop fait attendre.
La brune se retourne, un sourire rassurant sur les lèvres.
- Ne t'en fais pas, j'arrive à l'instant.
- Ça va alors.
Elle lui sourit finalement en retour.
Elle a de nouveau les cheveux relâchés, ils retombent harmonieusement sur son épaule droite avec une négligence sophistiquée. Elle est si belle, Lia n'arrive pas à détacher son regard de sa silhouette élancée. Habillée de blanc sur un haut pastel dévoilant une partie de son ventre plat et de sa peau lisse, elle est pleine d'élégance et de style. La Canadienne se sent soudainement bien tâche à ses côtés.
- Tu es déjà venue ici ?
- Non, jamais.
- Oh, je vais pouvoir te faire découvrir ma boîte de nuit préférée alors.
- C'est une boîte gay ?
Yeji rit doucement.
- LGBTQ friendly, oui. Pourquoi, ça te fait peur ?
- Quoi non ! s'empresse-t-elle de dire. Non, du tout.
Elle lui prend doucement la main, et l'entraîne vers l'infrastructure juste devant elles. Elles se glissent devant la file d'entrée, qui progresse plutôt rapidement. L'étrangère est pleine de doutes ; elle a peut-être déjà fréquenté de nombreux bars, mais jamais jusqu'alors elle n'avait mis les pieds dans un club quelconque. Elle ne dit rien, cependant. Elle n'a pas envie que Yeji la juge, ou se sente obligée d'aller ailleurs à la place. Elle a l'air tellement impatiente de rentrer ici, elle n'a pas envie de voir ce sourire plein d'excitation et ces yeux brillants disparaître à cause d'elle.
- Mon vrai prénom c'est Julia, elle lâche de bout en blanc pour détendre l'atmosphère. Lia c'est mon surnom et absolument tout le monde m'appelle comme ça, mais mon prénom complet, c'est Julia.
- Ça c'est une jolie coïncidence, s'amuse l'étudiante à ses côtés. J'adore ce prénom. Julia.
Lorsque la Coréenne le prononce, un millier de frissons traverse son corps et elle se sent mystérieusement heureuse. Elle aime la façon dont il sonne entre les lèvres de Yeji, et la manière qu'il a de résonner dans ses oreilles lorsqu'elle le dit. Julia.
Lia n'a jamais détesté son prénom, mais elle a indéniablement perdu l'habitude de l'entendre. Personne ne l'appelle jamais comme ça. Soudainement, elle meurt d'envie de lui demander de le redire, encore et encore, mais elle se retient. Elle ne veut pas passer pour une sorte d'obsédée. Elle se contente donc de la remercier du compliment, le rouge aux joues.
Quelques minutes plus tard, les voilà à l'intérieur, et immédiatement la musique et la lumière ne manquent pas d'agresser la jeune femme qui s'agrippe au bras de son amie par peur de la perdre dans la foule.
- Ça m'avait manqué de venir ici, crie Yeji pour se faire entendre par-dessus la musique.
- Tu viens souvent ?
- Dès que j'en ai l'occasion !
Elle l'entraîne assez rapidement vers la piste de danse. Elle a l'air parfaitement dans son élément, sous le feu des projecteurs. Contrairement à elle, Lia a bien plus de mal à se détendre. Elle tente quelques mouvements maladroits, tendue, presque craintive. Sa camarade remarque assez rapidement son état, et fait la moue.
- Ça va ?
- Oui oui ! Je me sens juste... Gênée je crois.
Yeji s'arrête, et attrape ses deux mains dans les siennes.
- Laisse-toi aller ! Je suis là, il ne pourra rien t'arriver. Promis !
Elle commence à la guider, tentant de lui faire suivre le rythme lourd des basses omniprésentes. La brunette peine à se relâcher, mais tente tout de même. L'ambiance est étrange. Pas désagréable, mais peut-être un peu trop agressive tout de même. Et la peau de son amie contre la sienne la fait peut-être un peu paniquer, aussi. Sans doute.
Elle n'arrive pas à lâcher des yeux sa camarade, aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau. Elle est si éclatante que Lia en serait presque éblouie. Sans s'en rendre compte, la voilà totalement hypnotisée ; tombée sous le charme de la plus belle des femmes qui ne lui ait jamais été donné de rencontrer, elle est incapable de détourner le regard du corps de cette dernière. La Coréenne finit par s'en apercevoir, et lui adresse une expression inquisitrice, pleine de questions. Elle lui demande si ça va ; l'étrangère sent ses joues chauffer, et lui affirme que oui à demi-mots.
Le morceau touche à sa fin, et s'enchaîne une chanson que la jeune femme reconnaît dès les premières notes. Elle l'a tant écoutée, en boucle parfois, qu'elle la connaît par cœur.
- C'est ma chanson préférée ! elle s'exclame soudainement en faisant rire Yeji au passage.
Elle se met à chanter les paroles, doucement d'abord, à plein poumons ensuite. Pas forcément très bien, pas forcément très juste, mais ce soir, il n'y aura personne pour lui en tenir rigueur. À mesure que la piste progresse, Lia se lâche sans réellement s'en apercevoir. Elle finit même par entraîner la décolorée dans son manège, qui suit ses mouvements et fredonne le peu de paroles qu'elle connaît avec elle. Elle danse à en perdre haleine, sous le regard amusé de Yeji qui ne la lâche pas des yeux. Et quand elle le remarque, elle rougit si fort, que même l'obscurité qui règne malgré les lumières criardes qui s'allument et s'éteignent au même rythme que sa respiration saccadée n'aura réussi à le dissimuler. Sa camarade se rapproche d'elle, si près, si près, il n'y a pas que son souffle pourtant en certaines difficultés déjà, qui s'en trouvera perturbé.
- Tu es magnifique, Lia, sache le. Tellement belle, depuis que tu es arrivée je n'arrêtais pas de me demander comment j'allais pouvoir t'aborder.
- Ne dis pas de bêtises, je...
- Je le pense sincèrement, Lia. Et depuis que l'on a commencé à se parler, je me rends compte d'à quel point tu es incroyable, et ça fait plusieurs jours que je me retiens de te demander ça, mais là, je n'en peux plus. Dis moi Lia, est-ce que... Est-ce que je peux t'embrasser ?
C'est à ce moment précis que Lia a senti son cœur exploser. Une explosion chaleureuse et agréable, et pourtant terriblement dévastatrice, réduisant à néant le peu de conscience qui pouvait lui rester alors. Elle se recule, si surprise par la requête de Yeji qu'elle ne sait même plus quoi penser. Est-elle sérieuse ? Le souhaite-t-elle vraiment ? A-t-elle bien compris, seulement ? Elle veut dire oui, mais elle n'en a pas le courage. Ses sentiments seraient-ils donc réciproques ? Impossible. Elle peine à y croire, et pourtant, la preuve est là.
Arrête de te prendre la tête Lia, arrête et dis juste oui.
Pourquoi cela ne peut-il donc pas être aussi simple ?
Elle s'humidifie les lèvres, ses yeux ne savent même plus sur quoi se poser. Elle a arrêté de danser, arrêté de chanter, plus rien autour ne peut l'atteindre à présent. Sa réaction semble inquiéter son amie, qui s'écarte légèrement à son tour, mal à l'aise.
- Je... Je suis désolée, je n'aurai pas dû...
Elle n'a pas le temps de terminer sa phrase, que Lia, dans un élan de panique ou de courage, ou les deux peut-être, s'empresse de déposer ses lèvres sur les siennes dans un geste un peu gauche. Yeji met un instant à réagir. Elle passe finalement ses bras autour de sa taille, pour l'attirer à elle un peu plus près, laissant leur corps se fondre en un unique être. Elle a les mains posées sur les joues de son aînée, elle s'agrippe presque à elle dans une tentative désespérée de la garder auprès d'elle, pour toujours, à jamais, et la façon qu'a l'argentée de répondre à son étreinte ne fait que la réjouir un peu plus encore.
Elle ne s'attendait sans doute pas à ce que Lia ait pareille réaction. Lia, elle, elle ne s'y attendait pas non plus, en tout cas. Jamais elle n'aurait eu l'audace de faire ça en temps normal. Au milieu d'une foule de parfaits inconnus, dans une boîte de nuit, avec une autre femme. Ce n'est pas comme ça que ça marche, ce n'est pas ce qu'on lui a appris. Et pourtant... Et pourtant, rien ne pourrait la rendre plus heureuse qu'à l'instant.
Au diable les conventions et les injonctions que tout le monde s'est toujours acharné à lui faire suivre. Au diable les on dit, au diable les rumeurs, au diable l'étiquette de fille parfaite qu'on lui a collé en pleine gueule. Qu'ils parlent, qu'ils parlent, qu'ils parlent ! À présent, Lia n'en a plus rien à faire.
Car en embrassant Yeji, elle s'est sentie si bien, débarrassée de cette peur qui pesait sur ses épaules, qui écrabouillait sa poitrine et comprimait sa cage thoracique ; elle s'est sentie si bien, que plus rien ne lui paraissait impossible à présent.
Au diable le monde, car pour la première fois de sa vie, Lia, elle s'est sentie enfin libre.
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