altocumulus.
N E U V I È M E J O U R
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Lorsqu'elles quittent l'université, au-dehors, le soleil se rapproche déjà de la ligne d'horizon. Il fait bon, presque chaud, et le ciel est pratiquement dégagé. Quelques astres stellaires sont même déjà visibles. Lia est tout de même contente que la Coréenne ait proposé de la ramener ; rares sont les soirs où Chaeryeong ne rentre pas avec elle, mais si cela peut lui permettre de passer un peu de temps avec sa camarade, cela ne la dérange plus vraiment. Elles marchent lentement vers le parking de la faculté, sans dire un mot. La journée a été longue.
Cela ne la dérange pas.
Elle ne se sent jamais mal à l'aise, quand seul le silence vient animer leur discussion.
Elle repense à son quotidien terne et monotone, le train-train qu'elle suivait consciencieusement avant que Yeji ne débarque dans sa vie et ne vienne y foutre le bordel ; positif, le bordel. Déjà, lorsqu'elles ne se fréquentaient pas encore, Lia la trouvait extraordinaire. Elle brillait comme une étoile, avec son sourire si magnifique, et ses yeux qui se plissent et disparaissent derrière ses pommettes rosies. Avant, peu importe où elle posait son regard, elle ne voyait que les nuages qui venaient gâcher la vue ; mais avec l'aide de son amie, elle apprenait, doucement, à aimer ces nuages.
Oui, avant, Lia, c'était un peu la reine des nuages ; pour elle, il y en avait partout, tout le temps. Et Yeji, soleil de ses journées, lui avait prouvé qu'ils n'étaient pas synonymes de mauvais temps pour autant.
La brunette s'installe du côté passager. Bientôt, elle commencera à prendre l'habitude. La conductrice prend place dans le véhicule une seconde à peine ensuite, et lâche un soupir.
- Tout va bien ? demande la Canadienne.
Elle hausse les épaules.
- Ouais. C'est juste cette histoire avec Yuna... Je m'en veux d'avoir rien vu venir.
- Ce n'est pas de ta faute...
- Je voyais ce trou du cul pratiquement tous les jours, je le fréquentais quotidiennement, et j'ai pas été capable de me rendre compte qu'en fait c'est un immense enfoiré. Ça me déprime.
Lia aimerait répondre quelque chose, n'importe quoi, tant que ça peut la rassurer. Rien ne vient. Elle se pince les lèvres, et baisse la tête, légèrement confuse.
- Ça me gonfle.
- Tu n'es pas responsable, tu sais. Au final... Au final, tout le monde croit que les violeurs, c'est de gros psychopathes violents qui droguent des inconnues en soirées pour les attirer dans des ruelles sordides. Je crois que c'est plus facile pour les gens. Personne n'a envie d'accepter que la plupart sont en fait des mecs normaux qui ne se rendent même pas compte de ce qu'ils font.
- Mais oui ! s'exclame Yeji. Le pire, c'est qu'ils croient vraiment qu'ils n'ont rien fait de mal et refusent d'entendre qu'ils ont abusé de quelqu'un ! Ca me met hors de moi putain !
Elle ne l'a jamais vue dans cet état. Cela la fait sursauter, et l'argentée s'empresse de se calmer lorsqu'elle réalise qu'elle est en train de crier dans sa propre voiture sans aucune véritable raison.
- Désolée.
- C'est rien.
- C'est que, ton discours m'a fait penser à ce qu'aurait pu dire Ryujin, j'ai pas trop réfléchi.
- C'est une mauvaise chose ?
Elle reporte son attention vers elle, manifestement en pleine réflexion à en croire ses traits froncés. Elle finit par sourire avec une sorte d'amertume, et détourne le regard.
- Non. J'ose pas souvent me lâcher comme ça devant les gens. Y a qu'avec Ryujin que j'y arrive la plupart du temps. Et manifestement avec toi aussi.
- Oh, lâche Lia penaude. Je... Je le prends bien, je crois ?
- Tu peux.
Le silence retombe de nouveau sur les deux étudiantes, tandis que sa camarade allume le contact.
- Dis... Comment t'as rencontré Ryujin ?
Yeji ne répond pas immédiatement à sa question. Elle démarre le véhicule et commence à quitter le parking, l'air songeur, presque perdue.
- C'était indiscret pardon, se ravise immédiatement l'étrangère en constatant le visage pensif de sa conductrice. Tu n'es pas obligée de répondre.
- C'était en soirée, il y a trois ans environ. À l'époque... À l'époque, moi, je n'étais personne. Une étudiante banale au milieu de tous les autres. Mais Ryujin c'était déjà une sacrée grande gueule, crois moi.
Elle rit doucement.
- Je ne sais même pas comment je me suis retrouvée là, pour être honnête. J'étais un peu pompette, et aucun de mes amis ne voulait aller danser. J'ai dit pour rire que j'embrasserai celui qui voudrait bien m'accompagner, et elle s'est proposée. J'avais trop bu pour me dire que ce n'était pas raisonnable, que je ne la connaissais pas, qu'en plus, c'était une fille et que ça n'avait aucun sens cette affaire... Non, ce soir-là, pour la première fois depuis longtemps, je n'avais plus peur de rien.
Lia essaye de se figurer la scène. Pour elle, Yeji était une battante depuis le premier jour, avec son allure fière et son regard perçant. Yeji, elle ne craint rien ni personne, et c'est si étrange de tenter de se la représenter de la sorte. Peut-être qu'elle aussi, au fond, elle doute sans cesse.
Elle se fait la réflexion qu'au final, Ryujin et Yeji n'étaient pas si différentes. Rien de surprenant à ce qu'elles traînent ensemble. Il s'agit de deux femmes fortes, indépendantes, que rien ne peut arrêter. De véritables forces de la nature, et pourtant, la fragilité qu'elles pouvaient abriter ne les rendait que plus incroyables encore.
- Et on a dansé. Et je l'ai embrassée. Et j'étais si heureuse ce soir-là, j'ai bien cru que mon cœur allait exploser.
Le sourire qui naît sur son visage est si doux, et pourtant empreint d'une nostalgie certaine. Un sourire entaché de regrets.
- On a continué de se parler par messages après la soirée, et on est finalement sorties ensemble, mais ça n'a pas marché. On s'aimait vraiment, mais je crois que l'on n'était tout simplement pas fait pour être ensemble. Comme si... Comme si, quoi que l'on essayait, cela ne pouvait se solder que par un échec dans tous les cas. Enfin... Tout ça sonne un peu fataliste.
La décolorée soupire, et secoue brièvement la tête de gauche à droite, comme pour chasser une pensée dérangeante. Ou peut-être bien les souvenirs qui remontent probablement.
- On a rompu d'un commun accord, et on est restées très amies depuis. Elle m'a beaucoup aidée, de façon générale. À m'affirmer, à m'assumer... À ne plus me laisser marcher sur les pieds, aussi. Je lui dois beaucoup, honnêtement.
Sans mentir, Lia est surprise sur bien des points. À commencer par la nature première de leur relation. Jamais elle n'aurait cru que Yeji pouvait être intéressée par les femmes, et cette réalisation a le don d'emballer son cœur plus que de raison. Jusqu'ici, la brunette n'avait pas une seule fois envisagé la possibilité que son attirance puisse être réciproque, mais à présent...
Tu te fais des idées, tonne sa conscience. Après tout, ce n'est pas parce qu'elle peut être intéressée qu'elle le sera forcément. Et puis, Ryujin est tellement différente d'elle... Ryujin, elle n'est pas tout le temps en train de s'excuser, elle ne panique pas dès qu'il s'agit de s'affirmer, et puis, elle est tellement jolie, Ryujin. Tellement, tellement jolie.
- Je me souviens, de l'époque où j'ai dit à mes parents que je ne voulais pas d'enfants. C'était presque une tragédie. « Comment on va faire, sans héritier ? » Conneries. Mes parents remettent souvent le sujet sur la table, d'ailleurs. Pour eux, ce n'est que passager, parce que je suis trop jeune, parce que je ne peux pas savoir. Ma mère m'a même dit qu'en tant que femme, c'était injuste de ma part de ne pas « perpétuer ce rôle si important que la nature m'a donné. » À croire que je ne suis plus vraiment digne d'être une femme si je ne veux pas faire de gosses.
- C'est faux ! l'interrompt la Canadienne. Peut-être qu'ils ont raison et que tu changeras d'avis. Peut-être que non. Mais c'est ta décision, pas la leur, et elle ne les concerne pas. Et le fait que tu ne veuilles pas avoir d'enfant ne fait pas de toi quelqu'un d'inférieur, vraiment pas.
La jeune femme réalise soudainement ce qu'elle vient de faire, de dire, et se sent rougir à nouveau. Mais Yeji ne lui en tient pas rigueur, car elle continue de sourire tout en regardant la route.
- Merci.
Elle a l'air sincèrement émue par ses paroles. Ca fait chaud au cœur de la brunette, qui reporte son attention sur le paysage extérieur. Elle est bientôt arrivée. Elle reconnaît les maisons, les commerces, et même l'emplacement des arbres sur le trottoir. Enfin, elles arrivent devant la maison de Lia. Les lumières sont allumées et ses colocataires ont mis la musique si forte qu'elle peut l'entendre depuis l'intérieur de la voiture. Aucune chance pour elle d'être tranquille ce soir. Elle grimace à cette pensée.
- Eh bien merci de m'avoir ramené... soupire la passagère tout en s'emparant de son sac.
- Attends Lia...
Sa camarade la retient, la main posée sur son avant-bras.
- Je... Je voudrais t'inviter à sortir, demain soir. Genre... Aller boire un coup quelque part. On a pas cours vendredi donc...
Elle l'observe, particulièrement surprise de la proposition. Elle ne s'attendait sûrement pas à ce que Yeji lui propose un truc pareil, et dans sa poitrine son cœur s'emballe à nouveau.
- Ne te sens pas obligée de dire oui, ajoute-t-elle face à son silence.
Elle retire ses doigts de sa peau, et les reporte sur le volant. Lia est confuse, agréablement confuse, et il lui faut un instant avant d'être capable de répondre quoi que ce soit.
- Ok. On sort demain soir. Ça me va.
- Demain soir donc.
Yeji a l'air heureuse de sa réponse, car elle lui offre un visage ravi en retour.
La brune ouvre finalement la portière et quitte l'habitacle, non sans une certaine réticence, et une fois au-dehors elle se tourne de nouveau vers la conductrice du véhicule.
- À demain Yeji.
- À demain Lia.
Quelques minutes plus tard, la voiture disparaît à l'horizon.
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