Chapitre 9 - Le non-invité

La pièce est sombre, seule la lueur argentée du clair de lune ose pénétrer à travers la grande fenêtre de la chambre. Lance Lottard se tient là, le visage immergé dans l'ombre. Je devine son regard appréciateur et son sourire rongé par le désir qui me provoque des sueurs froides.

"Tu devais te douter que j'allais venir, Regina", murmure-t-il d'une voix chargé d'émotions, son regard accrochant le mien dans la pénombre. "Tu m'as provoqué toute la soirée avec tes remarques et ta robe vertigineuse".

Un léger frémissement agite ses lèvres alors qu'il s'approche, les mains s'appuyant sur le lit tel un prédateur en chasse.

"Mon Dieu, ce que tu as pu me manquer !"

Je retiens un gémissement de terreur alors qu'il avance, repliant instinctivement mes jambes contre mon corps pour créer une barrière entre nous.

Ses doigts effleurent mes genoux avant de glisser avec une lenteur délibérée le long de mes cuisses, tandis que son visage cherche refuge dans le creux de mon cou.

"A-Attends !", parviens-je à articuler, le souffle court.

Surpris, il s'éloigne d'un mouvement.

"Qu'est-ce qui te prend ? Je pensais que tu me sauterais dessus dès que tu entendrais le bruit de la porte, comme à ton habitude".

Je tente de reprendre mes esprits encore embrouillés par l'alcool et la peur.

Lance Lottard entretient, de toute évidence, une relation charnelle avec la Reine.

Cette révélation serre mon coeur un instant. Même si Alexandre ne semble pas spécialement attaché à elle, il ne mérite pas d'être ainsi traité. Personne ne le mérite.

"Je suis désolée", je murmure fébrilement. "Je ne suis pas très en forme aujourd'hui".

Il attrape ma main et la pose contre son torse, je perçois des battements effrénés à travers sa chemise en soie.

"Alors laisse-moi prendre soin de toi", répond-il avec ferveur.

Je me demande si la Reine éprouve sincèrement quelque chose pour le Valet, ou s'il est juste un jouet avec lequel elle s'amuse. Lance semble sincèrement épris.

Il guide ma main le long de son corps, s'approchant dangereusement de son entrejambe.

"Qu-Qu'est-ce que tu fais ?", je balbutie, submergée de terreur.

"Je te montre à quel point je suis heureux de te retrouver.

Son ton lascif me décontenance tellement que je récupère brusquement ma main et me précipite hors du lit en manquant de m'effondrer sur le parquet.

Ses sourcils se froncent, soucieux.

"Je... Je reviens !", je m'écrie en fuyant la pièce.

Sans la moindre hésitation, je traverse la salle de bain d'un pas déterminé pour rejoindre le second accès menant aux appartements d'Alexandre.

Puis mon corps se fige.

Sa chambre, aussi spacieuse que la mienne, est imprégnée de teintes profondes et sombres. Les lumières tamisées éclairent ses meubles en bois précieux.

Au centre trône un lit colossal, drapé de soie noire, ses coussins argentés disposés négligemment me rappellent la couleur de ses iris.

Le sol est revêtu d'un large tapis blanc qui dénote dans ce décor sombre. Tout autour de la pièce, une grande armoire d'ébène, un bureau encombré de courriers et de monticules de livres, des étagères ornées de bibelots provenant de tous les Royaumes, ainsi qu'un fauteuil semblable à celui du petit salon.

Le portrait attire mon attention, celui d'une femme aux traits presque identiques à ceux d'Alexandre. Mais, rapidement, mon regard se dirige vers le plus beau joyau du château de Trèfle : le Roi en personne.

Débarassé de sa chemise, son pantalon sombre entrouvert et ses cheveux en bataille, il dégage une aura sauvage d'une sensualité incroyable.

Lorsqu'il me remarque, sa main tapote instinctivement sa cuisse à la recherche de son arme, mais l'épée qu'il porte habituellement repose sur une chaise à proximité.

"Soanne ?", s'étonne-t-il, interrompant son geste.

Je me précipite vers lui, l'une de mes paumes se place contre sa bouche tandis que l'autre se glisse derrière sa nuque. Sur la pointe des pieds, presque allongée sur lui, je murmure : " Chut ! Lance pourrait vous entendre ! Il est dans ma chambre".

Son regard s'intensifie, ses muscles se tendent. Prudemment, je retire mes doigts pour lui permettre de répondre. "Soyez discret", je le supplie.

"Qu'est-ce qu'il fout dans votre chambre ?" s'énerve aussitôt Alexandre.

Mal à l'aise, je baisse les yeux et fixe avec fascination ses pieds nus contre le tapis soyeux.

"Je suis désolée. Je crois que Regina et lui étaient... amants", j'avoue.

Il soupire et passe une main dans sa chevelure en désordre.

"Je vois"

Sa voix ne recèle pas de tristesse, seulement une morne constatation.

"Comment a-t-il pu entrer dans vos appartements ?"

J'hausse les épaules.

"Il doit soudoyer le garde", rage-t-il.

Bien loin de ces préoccupations, je saisis son bras fermement.

"Qu'est-ce que je fais, maintenant ? Je veux bien faire semblant d'être Regina, mais là... Je ne peux pas..."

"Bien sûr que non, voyons !" s'agace-t-il. "Vous allez retourner dans votre chambre et lui dire que vous n'êtes pas disposée à lui consacrer du temps ce soir".

"J'ai déjà essayé, il ne m'a pas cru ! Il espérait que je.... que je le touche", je confesse, mes joues brûlantes de honte.

Sa gorge émet un bruit étrange.

"Dans ce cas, laissez-moi aller lui parler !"

Il se dirige d'un pas ferme vers la salle de bain. Je tire de toutes mes forces sur son bras pour le retenir.

"Pas question ! Ce serait beaucoup trop suspect, ne soyez pas stupide !"

Quand il se retourne, la rage flamboie dans ses yeux gris.

"Auriez-vous une meilleure idée, peut-être ?" s'emporte-t-il.

Je me pince les lèvres et détourne le regard, sa colère me déstabilise. Je réalise soudain que lors de nos précédents échanges, il ne s'était jamais véritablement énervé. Il s'amusait.

"Pas vraiment", j'admets. "Mais nous pourrions prendre un instant pour y réfléchir ensemble plutôt que d'agir dans la précipitation".

"Lance va commencer à se poser des questions si vous n'y retournez pas".

Je me mets à tourner en rond pour trouver la solution idéale.

"Je pourrais faire semblant d'être souffrante ?", je suggère.

"Vous êtes partie de la salle de réception en tenant à peine sur vos pieds, ça ne l'a pas empêché de venir", grommelle-t-il.

J'ignore sa remarque.

"Il avait l'air intrigué par mon attitude. Je doute que la Reine soit habituellement si... prude", je pense à haute voix.

Lorsque je réalise ce qu'impliquent mes paroles, je jette un coup d'œil dans sa direction, mais il ne montre aucune jalousie.

"Ce ne serait pas son genre, en effet".

Je laisse échapper un gémissement de désespoir en enfouissant mon visage dans mes mains.

"Qu'est-ce que je vais faire ?"

Alexandre s'approche et pose une main réconfortante sur mon épaule.

"Retournez-y, Soanne, mais gardez vos distances. J'ai une idée pour vous sortir de là".

C'est un abruti arrogant, mais je suis heureuse de pouvoir compter sur lui ce soir.

J'acquiesce et me dirige fébrilement vers la chambre où Lance m'attend. Il est étendu sur le lit, jambes croisées, et feuillette mon grimoire.

Quand j'entre, il se redresse d'un bond et s'empresse de me rejoindre. Ses mains fraîches se faufilent contre ma peau, et je réalise seulement à cet instant que je porte une fine robe de nuit.

"Enfin de retour !" s'extasie-t-il.

Ses lèvres se posent dans mon cou et je lutte pour ne pas le repousser violemment.

"Où en étions-nous ?" chuchote-t-il en faisant glisser lentement ma bretelle le long de mon épaule.

Raide comme une statue, je prie intérieurement pour qu'Alexandre intervienne au plus vite.

Et alors que sa main gauche effleure ma cuisse en relevant ma tunique, des coups puissants heurtent ma porte d'entrée.

"Merde", siffle le Valet en se ruant dans la salle de bain.

Je reprends mon souffle, repositionne convenablement mon vêtement et vais ouvrir.

Mes doigts tremblent contre la poignée.

Les yeux du Roi de Trèfle balayent brièvement la pièce.

"Pardonnez-moi de vous déranger si tard, Ma Reine".

Alexandre remarque la rougeur de mes joues, le frémissement presque imperceptible de mes épaules et les larmes qui menacent de noyer mon regard.

Il lit sur mes lèvres l'information dont il a besoin : « salle de bain ».

Subitement, ses bras chauds me serrent contre lui et sa main tapote maladroitement mon dos pour me réconforter. Son geste me tire un sourire, il me fait penser à Grand-Mère, aussi abrupt dans ses paroles qu'il peut être attentionné dans ses gestes. Mon nez s'abreuve de son odeur boisée agréable et mes muscles se détendent un à un.

Je l'ai peut-être jugé un peu trop sévèrement.

"Il m'a semblé entendre du bruit dans votre chambre", reprend Alexandre d'une voix plus forte au-dessus de ma tête, comme si nous n'étions pas en train de nous étreindre. "Je me faisais du souci pour vous".

Regina ne lui répondrait pas, je demeure donc silencieuse, profitant de la chaleur de son torse et du rythme cadencé de son cœur sous sa fine chemise.

"Dites-lui que c'est trop dangereux pour lui de rester", me chuchote-t-il au creux de l'oreille. "Sortez-moi ce crétin de votre chambre, Soanne".

J'acquiesce et il s'écarte.

"Puisque tout semble en ordre, je vais vous laisser. Mais je suis juste à côté si vous avez besoin de quelque chose".

Ses paroles s'adressent directement à Lance, nous le savons tous les deux.

Le Roi se retire pour me laisser fermer la porte.

« Merci », je souffle à peine.

Lorsque le son caractéristique de la clenche résonne, je me retourne. Le Valet est de retour, le teint pâle comme la neige.

"Tu crois qu'il a deviné que je suis dans ta chambre ?", me demande-t-il, visiblement inquiet.

"Je l'ignore".

"Je ferais mieux d'y aller", soupire-t-il.

Il se dirige vers la porte, mais s'interrompt juste avant d'appuyer sur la poignée.

"Il était différent au dîner. Toi aussi, d'ailleurs".

Lance m'observe par-dessus son épaule.

"Je t'ai vu le regarder, Regina. Y a-t-il quelque chose entre vous, dorénavant ?"

Je n'ose pas répondre.

"Ce qui se passe entre nous, dit-il en nous désignant, ça ne peut pas continuer Regina. Alexandre pourrait le découvrir. Tu es son épouse, il pourrait me punir sévèrement et je ne veux pas... je ne peux pas risquer de perdre ma position au palais. J'étais prêt à le faire avant ton départ, mais plus maintenant".

J'opine du menton, ne sachant que dire.

Je lis la tristesse dans ses yeux, le rejet qu'il semble ressentir me voyant acquiescer sans hésitation.

Sa silhouette disparaît à travers l'embrasure de la porte, et je m'effondre au sol. Mes jambes ne sont plus capables de me porter. L'irruption de Lance a dissipé mon ébriété, mais avec toutes ses émotions, les vertiges sont de retour.

"Comment vous sentez-vous ?" résonne une voix chaude et douce derrière moi.

Je ris faussement.

"Cette chambre est un vrai moulin, ce soir"

Aucun bruit.

"Ça va aller", je soupire en essayant de me redresser. "J'ai juste besoin d'une minute".

"Il ne devrait pas revenir cette nuit".

Je déambule et m'écroule sur mon lit. Alexandre s'approche et relève doucement la couverture sur moi, comme si j'étais une enfant qu'il bordait.

La fatigue est telle que je sens mon don s'échapper.

Les doigts d'Alexandre se glissent entre mes mèches redevenues roses.

"Bonne nuit, Soanne", murmure-t-il tandis que le sommeil m'emporte.

Son parfum apaisant flotte longtemps dans l'air, comme pour apaiser mes songes. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top