Chapitre VIII : Survivre à la nuit de noces


Malgré ma frayeur, je me prépare à lutter. 

A utiliser les armes dont la nature m'a pourvue : mes poings, mes ongles et mes dents.

Face à son ennemi, un Gelane ne verse aucune larme, et jamais il ne renonce à brandir ses armes.

Sylvan obtiendra ce qu'il veut de moi, j'en suis consciente. C'est un grand guerrier. Il manie les armes et la Magie de Feu depuis sa plus tendre enfance. Il est bien plus fort et plus rapide que moi. 

Mais il y laissera quelques plumes au passage, je vous le garantis.

Pourtant...

L'attaque du loup ne survient pas.

Il ne bouge pas de sa place.

– Alena, dit-il d'une voix gutturale, me prenez-vous donc pour une bête ?

Oui. Car c'est justement ce que vous êtes.

Méfiante, tendue, je ne réponds pas.

– Je n'ai jamais forcé Lia et Belise, Alena, assure Sylvan d'un ton vibrant de colère contenue. Et je ne vous contraindrai pas non plus. Vous pouvez m'accuser d'être un assassin et un tyran, mais je ne suis pas un violeur.

S'agit-il d'une ruse mensongère pour que je relâche ma vigilance ?

– Donnez-moi votre parole d'honneur que vous n'abuserez pas de moi, Sylvan.

Même si je n'y accorde qu'un crédit relatif et une valeur moindre...

Il grince des dents en entendant mon exigence... mais, contre toute attente, il accepte de s'y plier.

– Je vous donne ma parole d'honneur que je n'abuserai pas de vous, Alena. 

Je me relaxe légèrement, même si je continue à l'épier. Il se rejette en arrière contre le dossier de la méridienne en poussant un soupir excédé. 

Si je l'agace autant, s'il ne compte pas me violer, pourquoi reste-t-il ici ? Je ne comprends pas la raison de sa présence. Il a prétendu que je l'intriguais, mais cela ne change pas le fait qu'il va me faire exécuter. J'ai autant de mal à le cerner que lui en a à mon égard. Serait-ce une sorte de curiosité malsaine ? 

En outre... il me désire. 

Alors que je suis son ennemie et sa prisonnière. 

Alors qu'il a l'intention de me faire tuer demain.

Il y a peut-être là une faiblesse à exploiter.

Une nouvelle arme à dégainer.

Ce qu'il m'a avoué quelques minutes auparavant resurgit dans mon esprit.

 "Ils pensaient que vous tenteriez d'utiliser vos charmes sur moi et de me brosser dans le sens du poil dès le début pour survivre."

 "Vous pourriez essayer de me séduire pour temporiser, mais vous ne le faites pas." 

Sylvan s'attend précisément à ce genre de manipulation triviale. Si je jouais de mes atouts féminins pour me servir de son désir charnel pour moi dans le but de gagner du temps et de repousser mon exécution, il me percerait immédiatement à jour. 

"Le brosser dans le sens du poil" n'est pas non plus une option envisageable. Si je me transformais subitement en épouse aimable et cordiale, il me suspecterait de tramer quelque chose. Il n'est pas stupide.  

Je dois me montrer beaucoup plus subtile et futée si je veux survivre à ma nuit de noces... et surtout au lendemain.

C'est risqué, évidemment, mais il faut que je tente le coup.

Une idée germe dans ma tête. Une idée... folle. Qui a si peu de chances de marcher !

Et si par miracle elle fonctionnait, je ne serais pas sauvée pour autant : je ne gagnerais qu'un jour.

Mais c'est ma seule idée.

Dans ma situation, un jour de gagné serait déjà une victoire. Ces quelques heures de répit  m'aideraient à mieux cerner la personnalité de mon époux, à détecter ses failles et à planifier la suite de ma stratégie. 

J'ai un talent, figurez-vous. 

Je suis une conteuse. J'ai un don pour inventer des récits. Ma famille l'a toujours dit. Je parviens à m'adapter à mon auditoire et à lui donner précisément ce qu'il cherche. A les toucher. A susciter des émotions. A leur permettre de s'évader dans d'autres mondes pour se détacher de leur réalité difficile. Il m'est même arrivé de raconter des histoires improvisées à des enfants Gelanes assis autour de moi. Mes mots les captivaient. Silencieux, ils m'écoutaient tous religieusement, y compris les plus dissipés. A la fin, ils m'applaudissaient et réclamaient de nouvelles histoires avec un enthousiasme juvénile qui me faisait rire aux éclats. 

Mais Sylvan n'est pas un enfant.

Je n'ai jamais raconté d'histoire dont l'enjeu capital est de survivre.

Et... comment amener le sujet sans qu'il soupçonne mes intentions ?

Accrocher l'attention de son auditoire par un appât.

– La Déesse de l'Océan soit louée, je soupire. Je préfère mourir vierge.

  Le roi reporte ses yeux verts incrédules sur moi.

 – Vous plaisantez, Alena.

 – Non, Sylvan. Je ne plaisante pas. 

Il fronce les sourcils. Il pense que je mens.

– Les rumeurs déforment la réalité, j'ajoute en m'efforçant de garder mon calme, répétant mot pour mot ce que j'ai dit à Nadya avant le mariage. D'autant plus lorsqu'elles concernent des hommes et des femmes de pouvoir. Ce n'est pas parce que l'on me qualifie de... quel terme avez-vous employé, déjà ? "mangeuse d'hommes" que je le suis vraiment. Certains de mes détracteurs à la cour Gelane ont lancé des médisances sur ma vertu pour me discréditer auprès de mon peuple. Il est plus facile de traiter une reine de putain que de sainte.

  – C'est ce que vous croyez être ? fait-il, la mine neutre. Une sainte ?

 – Non, je n'ai pas cette prétention. Je ne suis ni une putain, ni une sainte. Je suis ce que je suis.

Sylvan opine du chef, méditatif. Je pense avoir fourni une réponse judicieuse et marqué un premier bon point.

– Les rumeurs déforment la réalité, je vous rejoins. Mais ce sont ceux qui en sont l'objet qui en payent le prix fort. Il est plus facile de traiter un roi de tyran que de...

Il s'interrompt, secoue la tête, se ferme et ne termine pas sa phrase.

Qu'allait-il dire ?

Il se lève de la méridienne. Mon cœur bondit de panique.

Il va partir.

S'il part, je suis une femme morte.

Je dois le retenir.

 – Que faites-vous, Sylvan ?

 – Je vais prendre congé. Vous avez sans doute besoin de vous retrouver seule cette nuit. Vous recueillir, prier votre déesse, vous reposer.

 – Non. Je ne veux pas être seule. Restez, je dis avec une pointe de fébrilité.

Il tourne la tête vers moi, l'expression dubitative.

  – Pourquoi ? Vous me haïssez. 

 – Je vous ai jugé un peu vite, je dis, même si ce mensonge me brûle la langue et m'irrite la gorge. Restez, je vous prie. La solitude et le silence m'angoissent. 

  – Si vous souhaitez que je vous envoie un prêtre pour entendre vos confessions, je peux y consentir.

 – Pas de prêtre ! Je ne veux pas me confesser. Je veux juste parler. Avec vous. Voyez cela comme... comme ma dernière volonté.

Il gamberge. 

Il hésite.

Restez, Sylvan Ren-Falune. Ne m'arrachez pas mon ultime espoir.

  – De quel sujet désirez-vous que nous parlions, Alena ? soupire-t-il en se rasseyant. 

Une vague de soulagement me submerge.

  – Je... je ne sais pas. ( Je mens encore, et je fais mine de bafouiller en me frottant la cuisse. ) Pas de politique ou de guerre, c'est certain. Peut-être... aimeriez-vous entendre une histoire ?

Il hausse les sourcils.

 – Une histoire ?

 – J'aime beaucoup raconter des histoires aux enfants. Cela me délasse et m'aère l'esprit. Je lisais énormément de contes lorsque j'étais petite. Je possédais une bibliothèque trois fois plus grande que celle-ci, je dis en lui montrant les étagères garnies de livres.

  – Une reine érudite. ( Il sourit brièvement. ) Vous n'en avez pas l'apparence, en tout cas.

 – Les apparences sont trompeuses, Sylvan.

  – Certes. Ma mère me racontait souvent des histoires pour m'endormir quand j'étais enfant, me confie-t-il avec nostalgie. C'est d'accord, Alena, racontez-moi une histoire de votre choix, si cela peut vous détendre.

Une autre victoire. Un autre pas en avant.

Je simule un air de réflexion pendant une dizaine de secondes en me raclant la gorge, puis je hoche la tête.

  – Eh bien, une histoire de trompeuses apparences et de jeune Gelane vierge vous intéresserait-elle ?

  – Commencez, Alena, et je vous dirais si elle m'intéresse.

  – Bien. ( Je me cale contre le dossier et adopte ma voix de conteuse, profonde et passionnée. )  Il était une fois une jeune Gelane appelée Enola...

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