EPILOGUE
PART. 1 - Louis
Je tente de trouver une position confortable sur la chaise de la salle d'attente mais je m'aperçois que je me sens mieux debout. Je fais les cent pas dans le petit hall d'entrée en attendant ma consultation. Elin a accepté de me recevoir sur sa pause déjeuner. L'avantage d'être ami avec la kinésithérapeute qui m'a remis sur pied après mon accident.
La porte du cabinet s'ouvre, laissant s'échapper les effluves des huiles essentielles qu'elle utilise pendant les massages. Je me penche et récupère le sachet en papier que j'ai pris avec moi tandis que son patient quitte la pièce, serrant et desserrant une petite balle dans sa main.
"Louis ?" m'interpelle-t-elle.
Je dépasse Elin dans son cabinet alors qu'elle ferme la porte derrière moi. Je glisse ma main libre dans son dos pour lui donner une accolade et la saluer.
"J'ai apporté le déjeuner ! dis-je en lui présentant le sachet. Bagel !
- Tu as pris du dessert ? m'interroge-t-elle, les sourcils froncés.
- Evidemment ! Éclair au chocolat.
- Bon, ça va. Je ne regrette pas de t'accorder du temps alors !
- Je vous en remercie Madame, je réponds dans une petite révérence.
- Fais pas l'imbécile, tu risquerais de te blesser. Plus..."
Son visage se ferme légèrement. Si je suis là, ce n'est pas juste pour partager un repas avec une amie. J'ai un peu surestimé mes capacités et me lancer seul dans la peinture des murs du séjour de la maison n'était pas la meilleure idée que j'ai eue.
Harry est parti deux jours aider Augustin à s'installer près de chez sa fille.
Finalement, lorsque nous sommes venus nous installer en Normandie et que nous avons commencé à chercher un endroit où vivre, Augustin nous a proposé la maison. Son état de santé est bon mais notre ami vieillit et se rapprocher de sa fille et ses petits-enfants devenait une évidence. Il ne voulait pas abandonner sa maison mais nous la confier était une option plus qu'envisageable. Harry et moi nous sommes toujours sentis bien entre ces murs : l'agencement des pièces, la terrasse, les hortensias près de la façade et le petit portail blanc. Et puis surtout, la plage. Juste là en sortant du jardin. Les couchers de soleil. Les lumières changeantes au fil des marées.
Notre havre de paix.
Nous sommes donc officiellement locataires de la maison d'Augustin, qui nous a donné carte blanche sur la décoration et l'ameublement. Au fur et à mesure, Augustin et sa famille ont vidé la maison, alors qu'Harry et moi la remplissions.
J'ai envoyé un courrier de préavis à l'agence auprès de laquelle je louais mon appartement. Nous avons profité d'un de mes déplacements sur Paris pour le travail pour faire nos cartons. Ce fut le déménagement le plus rapide qui soit, aidés de nos amis. Nous avons chargé un camion et pris la route. Charlotte a accepté de me représenter lors de l'état des lieux de sortie et la remise des clefs.
Ni Harry ni moi n'avons eu le moindre pincement au cœur quand nous avons quitté la ville et nous sommes engagés sur l'autoroute.
Zayn m'a dit un jour qu'il ne comprenait pas ce que je faisais en Ile de France, que ça ne me correspondait pas. Il avait entièrement raison.
"Tu m'expliques pourquoi tu n'as pas demandé d'aide ? me sort de mes pensées Elin.
- Je ne pensais pas tant solliciter mon corps, je réponds dans un rire gêné.
- Louis, même si, au quotidien, les séquelles de ton accident sont quasi inexistantes, ton corps se remet encore. Les fractures se sont consolidées mais tes os restent fragiles. Tu es resté de nombreuses semaines immobilisé et tes muscles se sont légèrement atrophiés.
- Mais ça va faire un an ! je proteste.
- Ca fait à peine un an. Tu es encore fragile... Allez, enlève ton pantalon et grimpe sur la table."
Je m'exécute pendant qu'Elin se lave les mains. Je m'installe sur le ventre puisque ce sont mes lombaires qui me font le plus souffrir. Je sais que c'est le décalage de mon bassin qui a provoqué ce mal de dos. J'ai dû prendre une mauvaise position pour compenser. Je ne sais pas trop mais ce matin, sortir du lit s'est révélé presque impossible. A tel point que j'ai cru qu'Elin allait devoir venir à la maison.
Les mains chaudes de la kinésithérapeute commencent leur travail. Elles massent, appuient à des endroits précis me faisant grimacer parfois. Mais au bout d'une trentaine de minutes, je me sens déjà un peu mieux. Elin est remarquable. Je ne pouvais pas espérer meilleure médecin pour s'occuper de mes blessures.
Elle poursuit son travail en massant mes jambes puis mon bras gauche et enfin mes cervicales.
"Prends ton temps pour te redresser. On a terminé, dit-elle doucement.
- Merci", je réponds simplement, avec cette sensation d'être stone.
J'inspire avant de m'asseoir sur la table d'examen, attends quelques secondes avant d'en descendre et de remettre mon pantalon, glissant mes pieds dans mes baskets. Elin est installée à son bureau. Elle a déballé les bagels sur une serviette et les a partagés pour que nous n'ayons pas à choisir.
Je bois une grande gorgée d'eau avant de commencer mon repas.
"Tes cicatrices se sont bien atténuées, dit-elle avant de croquer dans son sandwich.
- Harry a veillé à ce que je les accepte et en a pris bien plus soin que moi.
- Il a bien fait. Comment va-t-il ?"
Elin et Adam sont, avec Augustin et Zayn, les seules personnes à savoir qu'Harry a eu des pensées sombres. Il s'est confié de lui-même à nos amis et moi à Zayn. J'avais besoin d'évacuer la peur qui m'a assailli lorsque j'ai pris toute conscience de son geste.
"Il va bien. Le Docteur Samuel qu'il voyait au début de notre installation l'a dirigé vers une consœur. Il se sent bien mieux avec elle. L'approche est différente, plus cadrée et c'est ce dont il avait besoin.
- C'est bien qu'il ait pu dire au Docteur Samuel que ça ne matchait pas entre eux.
- Oui.
- Il lui faudra du temps, mais il ira bien. Vous allez aller bien ici, tous les deux."
Elin me sourit puis enchaîne sur un sujet moins sérieux. Nous finissons notre repas en parlant de la dernière série NETFLIX à voir et d'un festival musical qu'il ne faut apparemment pas manquer dans la région.
Je quitte mon amie et la remercie chaleureusement d'avoir soulagé mes douleurs.
"Fais attention à toi, Louis. S'il te plaît.
- Promis.
- Tu attends Harry pour terminer, OK ?
- Oui..., je souffle en levant les yeux au ciel.
- On s'en fout si la peinture n'est pas terminée pour ce week-end, d'accord !?
- Oui" je répète.
***
J'entends la baie vitrée s'ouvrir dans mon dos. Installé dans le petit canapé de la terrasse, dans un sweat de Harry dont j'ai remonté la capuche sur ma tête, et une tasse de thé chaud entre les mains, je regarde la mer.
Quand je suis rentré du cabinet de kinésithérapie, j'ai rangé tranquillement la bâche, la peinture et nettoyé les pinceaux avant de tout déposer dans le cellier. Je me suis reposé en lisant puis j'ai traité quelques mails professionnels même si je n'étais pas censé travailler aujourd'hui.
Harry s'assied près de moi, sa main trouvant ma cuisse et ses lèvres ma joue. Il glisse son nez dans mon cou qu'il embrasse doucement avant d'aller à la rencontre de mes lèvres. Il est tendre et il m'avait terriblement manqué.
"Tout s'est bien passé ? je l'interroge alors que ma main caresse sa nuque et que je l'embrasse avant qu'il puisse me répondre.
- Oui. Augustin est vraiment bien installé dans cet appartement. Il a toujours la vue sur la mer. Il nous y attend de pied ferme.
- On ira lui rendre visite avec grand plaisir.
- Ca va, toi ? me demande-t-il en s'écartant légèrement.
- Oui.
- Oui ? Il y a cette odeur particulière quand on entre dans la maison, autre que la peinture que tu as commencée... dit-il d'un ton désapprobateur. Une odeur que je n'avais pas sentie depuis plusieurs mois et que tu portes jusqu'au creux de ton cou... Alors ? Comment tu vas ?"
Harry se décale totalement de moi pour plonger son regard émeraude dans le mien. La couleur de ses yeux est si claire qu'il est difficile de s'en détourner. Pourtant, je baisse les yeux sur ma tasse avant de me racler la gorge, pris en faute...
"Je suis allé voir Elin. C'était pas l'idée du siècle de commencer la peinture sans toi, j'avoue.
- Louis ! Tu es douloureux ?
- Ca va mieux. J'avais très mal au dos ce matin mais ça va mieux. Je me suis reposé tout l'après-midi.
- Tu es tombé ?
- Non ! Non non pas du tout. J'ai juste surestimé mes muscles, je ris doucement.
- Elin a dû bien t'enguirlander ! il rit à son tour.
- J'avais ramené des Eclairs au chocolat... C'est passé !
- Petit filou !"
Il finit par se rapprocher de moi et m'attire à lui dans une étreinte réconfortante. Il s'empare de ma tasse qu'il porte à ses lèvres en grimaçant ; il boit son thé sans sucre contrairement à moi.
"Tu en veux une tasse ? je lui propose.
- Non. Merci."
Il ponctue sa phrase d'un baiser dans mes cheveux. L'instant est apaisant et vraiment je suis heureux que nous soyons ici.
***
Finalement, Adam est venu aider Harry à terminer la peinture du séjour. Les murs sont à peine secs mais au moins notre pièce à vivre est aménagée et décorée comme nous le souhaitions. Et même si ce n'était pas si important, je sais que ça compte pour Harry.
C'est la première fois que nous recevons ses parents, chez nous. Ca n'a pas été simple de le convaincre de les inviter. Je sais qu'il en a beaucoup parlé avec sa psychologue avant de me confirmer son accord.
Pour éviter que ce soit trop formel, nous avons convié mes parents, Charlotte et Lewis, Adam et Elin, et mon meilleur ami, Zayn. Harry a proposé à John et Ben. Si le dernier a décliné pour des raisons professionnelles, John a accepté et demandé s'il pouvait venir accompagné de sa petite-amie, pour la présenter à son ami.
Augustin sera là, évidemment.
Sans lui, notre vie ici n'aurait pas commencé.
C'est donc à seize personnes que nous allons nous retrouver pour cette pendaison de crémaillère, en quelque sorte.
Nous logeons nos parents, tandis que Charlotte et Lewis ont loué un gîte avec John et son amie, Zayn ira chez Adam et Elin.
Nous avons mis quelques semaines à fixer la date et à organiser les déplacements et hébergements de chacun.
La météo est de notre côté, et annonce un temps agréable pour ce début de printemps.
Je suis vraiment heureux à la perspective de ce week-end. Harry et mes parents s'entendent merveilleusement bien. Je lui ai promis qu'au premier écart de siens, il aurait tout mon soutien pour leur présenter la porte. Je ne chercherai pas à arrondir les angles. Harry a passé suffisamment d'heures à se confier et à prendre conscience qu'il était légitime dans ses choix de vie, qu'il ne devait rien à personne sauf à lui-même. Il n'a plus à subir le comportement négatif voire néfaste de ses parents.
Je rejoins Harry sur la terrasse et passe mes bras autour de sa taille. Il pose son téléphone sur le muret avant de se tourner pour me faire face. Ses lèvres trouvent immédiatement les miennes. Je savoure ce moment tendre et complice. Je sais qu'il sera sûrement sur la retenue durant le week-end, alors j'engrange tout ce qu'il me donne jusqu'à ce que tout le monde arrive.
"Tout va bien ? je l'interroge.
- Oui. C'était mes parents pour me dire qu'ils avaient pris la route il y a un peu plus d'une heure.
- Ils arriveront avant ma famille. On sera au calme pour leur faire faire le tour de la maison.
- Oui, souffle-t-il.
- Ca va bien se passer, je tente de le rassurer.
- Au fond, j'en suis sûr. De nombreux mois se sont écoulés, le dialogue est plus fluide avec ma mère.
- Elle va te voir heureux comme tu ne l'as pas été depuis longtemps. Elle ne pourra qu'être rassurée. Pour le reste, le temps finira par faire son travail."
Ma phrase vise la relation d'Harry avec sa sœur. Gemma n'a jamais tenté de joindre mon amant alors qu'il a fait l'effort de quelques messages. Bien sûr, il cherche avant tout à apaiser les relations familiales mais je sais aussi qu'au fond, sa sœur lui manque. Leur relation d'avant en tout cas.
Je resserre mon étreinte autour de son corps et savoure le câlin.
"Tu viens m'aider à préparer les chambres ?
- Oui."
Il ponctue sa réponse d'un sourire et d'un baiser. Mon cœur s'emballe légèrement parce que, même si je ne lui montre pas, moi aussi, j'appréhende un peu. Ce week-end sera sûrement décisif.
***
"Harry !!!!"
La voix enjouée de sa mère nous rassure presque immédiatement. Nous accueillons ses parents devant le portail de la maison. Harry s'empresse d'aller aider son père avec leur valise mais il est intercepté par sa mère qui le serre fermement dans ses bras. Je vois la surprise sur le visage de mon amant et lui souris, rassurant.
"On a suivi le chemin que tu nous a indiqué plutôt que celui du GPS. Mon dieu, le panorama est magnifique !
- Je sais, rit Harry en rendant la bise à sa mère. Vous avez fait bonne route ? s'enquiert-il.
- Dès que nous avons quitté l'Ile de France, nous étions tout seul, explique son père.
- Bonjour Louis, vient me saluer sa mère.
- Bonjour Anne. Heureux de vous accueillir chez nous, je lui réponds sincèrement.
- Louis, je te présente mon père Desmond.
- Enchanté, je réponds en présentant ma main à l'homme face à moi.
- Pareillement, dit-il simplement en serrant ma main dans la sienne.
- On vous offre quelque chose à boire et puis on vous fait visiter ?"
Je propose à la famille de mon petit-ami de se diriger vers l'entrée de la maison. Je souris lorsque Anne s'émerveille devant les hortensias qui nous promettent une belle floraison cet été. Harry glisse son bras autour de ma taille et embrasse ma tempe, soufflant un "merci" au creux de mon oreille.
"On vous a installé dans cette chambre, si ça vous convient, indique Harry en ouvrant la porte face à notre chambre.
- C'est parfait, merci, répond la mère d'Harry, son sourire toujours dessiné sur son visage.
- C'est vraiment une belle maison, s'exprime Desmond. Le loyer doit être assez élevé, non ? Vous vous en sortez ?"
Je porte mon regard sur Harry pour voir sa réaction. Il ne s'offusque pas de la question de son père et je comprends qu'il n'y a pas de jugement, juste une inquiétude.
"Augustin nous la loue pour un prix un peu plus bas que le marché locatif de la région. Nos salaires à Louis et moi couvrent largement nos dépenses, ne vous inquiétez pas, répond Harry en glissant sa main dans la mienne.
- Ce que nous payons ici n'équivaut même pas à nos deux loyers réunis à Paris, j'ajoute. Mais cette maison, on en est tombé amoureux. Peu importe le prix qu'Augustin nous aurait proposé, on l'aurait louée de toute façon.
- Vous êtes bien installés, confirme la mère d'Harry. Et vous semblez vraiment détendus.
- Merci, répondons nous en cœur. Mes parents nous rejoignent pour le week-end. En attendant, on pourrait aller se balader sur la plage ?"
Je propose une promenade parce que, si Anne nous trouve détendus, je sais qu'au fond, Harry est stressé. Prendre l'air nous fera du bien.
Les parents de mon petit-ami acceptent mais demandent à déposer leurs affaires dans la chambre et à changer de chaussures.
"On vous attend en bas. Prenez votre temps !" rétorque Harry.
***
La journée est agréable.
Nos familles et amis font connaissance. L'ambiance est festive et joviale. Aucun sujet fâcheux n'est abordé. Nous racontons encore et encore comment Harry et moi nous sommes rencontrés. Zayn se moque gentiment de moi avec Elin et Adam. C'est toujours Augustin qui a les mots les plus tendres sur notre relation. Et chaque fois que je l'écoute raconter comment je me suis ouvert au contact de Harry, mon cœur s'emballe. Il y a un an en arrière, j'étais totalement dépendant, déprimé et douloureux. Mon arrivée au centre a été difficile à gérer, l'éloignement forcé de ma famille, les journées alité, le manque total d'intimité. Puis le début de la rééducation lorsqu'il a fallu réapprendre des mouvements simples.
Pourtant aujourd'hui, je suis reconnaissant d'avoir traversé cette épreuve. Elle m'a mené à Harry. Bien sûr, une rencontre fortuite dans les transports en commun aurait été plus simple mais elle n'aurait pas eu autant de sens pour lui et moi.
Je me lève pour rejoindre la cuisine et récupérer un nouveau plateau de nourriture. Ma mère vient immédiatement m'aider.
"Maman ! je rouspète. Tu es mon invitée ! Retourne profiter de la journée et des invités.
- Je peux bien te donner un coup de main ! argue-t-elle en venant se blottir contre moi. Harry et toi vous nous recevez comme des rois.
- Ca comptait beaucoup pour nous. Et puis c'était l'occasion de vous faire vous rencontrer avec ses parents.
- Ton père et moi avons discuté un peu avec eux, au petit-déjeuner. Avant même qu'ils puissent dire quoi que ce soit, je me suis empressée de complimenter Harry. Parce que c'est une belle personne et parce que je voulais vraiment qu'ils se rendent compte que le bonheur de nos enfants était la priorité sur tout le reste. Peu importe qu'Harry soit amoureux d'un homme, de mon merveilleux fils qui plus est...
- Maman ! je l'interromps, ému.
- Ton bonheur et ton bien-être, c'est tout ce qui compte mon chéri.
- Merci."
Je glisse mes bras autour des épaules de ma mère et savoure le câlin que nous partageons. Elle m'a manqué pendant tous ces longs mois. Nos emplois et nos emplois du temps nous permettrons de rendre visite à ma famille plus régulièrement. Et notre maison les accueillera chaque fois qu'ils le voudront.
"Va donc retrouver ton amoureux, je m'occupe des plateaux."
J'embrasse sa joue et retourne sur la terrasse. Harry discute avec ses parents, un peu à l'écart du reste des convives. Je m'approche pour les rejoindre mais m'arrête lorsque j'entends mon prénom.
"Tu sembles avoir trouvé ton équilibre ici, avec Louis, dit sa mère.
- Oui. Il me rend heureux.
- On a été trop durs avec toi, Harry, intervient son père. On aurait dû te faire confiance. Te comprendre. Quand je te vois ici, dans cette jolie maison, je suis fier de toi."
Les mots de son père sont inattendus. Je ne doute pas de l'impact qu'ils ont sur mon amant.
"Merci. Il faut croire que nous avons eu besoin de traverser tout ça pour finalement nous comprendre, répond Harry. Je suis vraiment content que vous soyez venus.
- Et nous reviendrons avec plaisir. Je comprends que vous ayez choisi cet endroit."
Alors qu'elle embrasse la joue de son fils, Anne m'aperçoit. Je lui offre un sourire reconnaissant auquel elle répond.
"Louis ! m'interpelle-t-elle. Viens donc discuter avec nous."
Je m'avance des quelques pas qui nous séparent. Lorsque le bras d'Harry entoure ma taille et qu'il glisse ses lèvres sur les miennes, une certaine fierté m'envahit. Mon amant est suffisamment à l'aise et serein pour s'afficher devant ses parents, réfractaires jusque-là à son homosexualité. Je presse ses doigts sur ma hanche et souris contre ses lèvres. Heureux.
Notre décision de tout quitter (ou presque) et de nous installer ici est définitivement la meilleure décision que nous ayons prise.
*** *** ***
PART. 2 - Harry
Ca ne m'avait pas manqué.
La chaleur étouffante du métro.
La foule, les gens pressés. Les odeurs...
J'ouvre un peu ma veste et dénoue mon écharpe pour respirer. Nous sommes arrêtés en pleine voie depuis déjà dix minutes et la voix métallique du conducteur de la rame résonne encore pour nous demander de ne pas ouvrir les portes, laissant supposer que le trafic va reprendre dans peu de temps.
Je réajuste mon sac sur mon épaule et récupère mon téléphone dans ma poche.
Louis est déjà au parc et je ne peux retenir mon sourire lorsque je regarde le cliché qu'il vient de m'envoyer. Il est beau, heureux. Un peu plus encore depuis quelques temps et aujourd'hui particulièrement.
Nous n'étions pas venus rendre visite à Charlotte et Lewis depuis quelques semaines. Mon rendez-vous dans la maison d'édition pour laquelle je travaille tombait donc à pic. Je pianote quelques mots dans notre conversation au moment où la sonnerie du métro retentit, que la rame cahote et que nous nous mettons enfin en route.
Les stations défilent et le fil de mes pensées avec, jusqu'à ce que je descende à la station Jussieu pour me rendre au Jardin des Plantes où je dois retrouver Louis et Charlotte. Nous nous sommes donnés rendez-vous près de l'enclos des Wallabies. William est fasciné par les animaux. C'était l'occasion de partager un agréable moment avec le neveu de mon petit-ami.
J'accélère mes pas, impatient de les retrouver. C'est Charlotte qui m'aperçoit la première et qui me fait un grand signe de la main.
"Hey ! je m'annonce. Bonjour tout le monde !
- Tonton Harry !!!! s'exclame William en se jetant sur mes jambes.
- Salut p'tit bonhomme, je réponds en me mettant à sa hauteur, embrassant sa joue potelée.
- Regarde, dit-il en tirant sur ma main. C'est comme des petits kangourous.
- Je vois ça. Ils sont drôlement mignons.
- Oh oui !"
Et tandis qu'il retourne à son observation, je salue Charlotte puis Louis.
"Salut... murmure-t-il contre mes lèvres. Ca va ?
- Très bien, je souris. Coucou toi..."
Bien calée contre le torse de Louis, dans l'écharpe de portage, la petite Lily, la petite fille de Charlotte née il y a moins de deux mois, ouvre ses grands yeux bleus et m'observe. Elle a le regard de sa maman et de son oncle. Elle est magnifique. Je caresse doucement sa joue, ce qui déclenche un sourire sur sa jolie frimousse.
"Hey oh ! On est là nous aussi ! m'interpellent Louis et Charlotte, en riant.
- Désolé, mais cette petite puce est vraiment trop mignonne.
- Moi aussi, je suis mignonne, dit William.
- Toi tu es trop mignon, aussi !!! le corrige Harry.
- Dis Tonton Lou, on peut aller faire du manège ?
- Cet enfant m'épuise, souffle Charlotte.
- C'est pour cette raison que les tontons sont là !"
Louis glisse sa main dans la mienne en me souriant, William la sienne dans celle de sa maman et nous nous mettons en route. Nous traversons le jardin tout en discutant. Je raconte dans les grandes lignes mon rendez-vous et la confiance renouvelée de mon éditrice principale. Nous avons trouvé notre rythme, celui qui convient à la maison d'édition et à mes prérogatives. Et puis, elle a validé mon projet personnel, celui sur lequel je travaille depuis deux ans maintenant.
Nous atteignons le carrousel et William trépigne d'impatience à l'idée de faire quelques tours du manège enfantin.
"Vous surveillez les enfants pendant que je vais chercher de quoi goûter ? nous demande Charlotte.
- Tu nous prends par les sentiments, la taquine Louis. Avec plaisir.
- J'y vais alors. Will, tu es gentil avec les tontons ?"
William hoche la tête vigoureusement, laissant sa maman s'en aller vers la sortie du jardin.
"Tonton Lou, tu montes avec moi sur le manège, hein ? quémande William.
- Je ne peux pas mon cœur, je porte Lily. On demande à Tonton Harry, d'accord.
- Oh non... Je veux que ce soit toi !
- Donne-moi Lily et va profiter avec William, je suggère à mon petit-ami.
- Ca t'arrange, hein, me répond-il espiègle.
- Un peu..."
Alors que je récupère le petit bébé, Louis se déleste de l'écharpe et la noue autour de mon corps. Je cale la petite, la couvrant de baisers.
"Ca va ? Vous êtes bien ?
- C'est parfait. Je devrais m'en sortir, je ris.
- Ok !
- Allez Tonton Lou ! On y va !
- J'arrive, petit impatient ! s'exclame mon amant avant d'embrasser mes lèvres.
- C'est bon, vous ferez des bisous après !"
Louis et moi rions. Cet enfant est incroyable. Du haut de ses trois ans et demi, il n'a pas la langue dans sa poche. Il est vif d'esprit, intéressé par tout ce qui l'entoure. C'est un plaisir de passer du temps avec lui et de le regarder s'épanouir. Nous l'avons accueilli à plusieurs reprises en Normandie, pour les vacances. Les jeux sur la plage, les visites de l'aquarium, les promenades dans les bocages. Nous profitons de ces moments autant que lui.
Je regarde mon homme et son neveu s'éloigner puis me dirige vers les chaises en fer vert pour m'installer et profiter de câliner ma petite nièce. Elle me fait totalement craquer. Parfois, je nous imagine, Louis et moi, avec un petit bébé à nous. Les démarches sont longues, fastidieuses et coûteuses mais j'aimerais que nous y réfléchissions sérieusement.
Perdu dans mes pensées, le regard allant de William qui me fait des petits signes de main chaque fois qu'il m'aperçoit, à Lily qui dort paisiblement contre moi, je ne fais pas attention à ce qu'il se passe autour de moi.
"Harry ?"
Mon cœur dégringole dans mon estomac.
Je ne relève pas le regard immédiatement, laissant mon cerveau intégrer ce qui est en train de se passer.
Cette voix... Je ne l'ai pas entendue depuis trois ans. Quelques messages polis parfois mais rien de plus.
Je finis par redresser mon visage et croise le regard de ma sœur. Je me lève pour la saluer, Lily tout contre moi, comme un bouclier. Pour me rappeler qu'aujourd'hui j'ai une jolie vie, loin de la malveillance de certaines personnes, celles qui se sont servies de moi impunément, qui m'ont laissé sur le côté sans scrupule.
"Gemma, bonjour...
- Bonjour Harry."
Je n'étais pas préparé à la voir. Je n'ai rien à lui dire. Les secondes défilent et je m'aperçois que la blessure persiste. Je me râcle la gorge.
"Comment vas-tu ? je l'interroge pour combler le silence inconfortable qui s'installe.
- Bien. Maman ne m'a pas dit que tu étais sur Paris.
- Si tu veux des nouvelles, tu peux prendre ton téléphone, je réponds amer.
- Bien sûr, inspire-t-elle alors que Lily émet un petit gazouillis, attirant l'attention de ma sœur. C'est... C'est ton bébé ? s'enquiert-elle.
- C'est ma nièce.
- Ta nièce ? répète-t-elle confuse.
- Oui, la fille de la sœur de mon compagnon, je rétorque fièrement.
- Oh..."
Je ne sais pas pourquoi elle est venue me saluer. Elle est autant mal à l'aise que moi. Le lien est définitivement rompu. C'est la vie. J'ai beaucoup travaillé pour ne plus avoir à subir cette perte au quotidien. Avancer sans elle, celle que je croyais connaître et sur qui je me suis tant trompé.
"C'est une jolie petite fille, dit-elle poliment.
- Merci.
- Tu sembles aller bien, ajoute-t-elle.
- Oui. J'ai enfin trouvé mon équilibre, loin d'ici."
Gemma mordille sa lèvre inférieure. Son regard ne quitte jamais le mien. On se jauge. Si elle espère des excuses, j'ai compris depuis longtemps que je ne lui en devais pas. J'ai longtemps ressassé notre relation, je me suis beaucoup confié, acceptant de reconnaitre que je n'avais peut-être pas été assez présent pour elle. Puis je me suis souvenu de son comportement, de son rejet quand je lui ai tendu la main. Je me suis souvenu de ses remarques, son jugement déguisé. Je me suis souvenu de tout ce que j'avais fait pour elle, tout ce que je lui ai donné pour que, finalement, elle me tourne le dos et endosse le rôle de la victime, celle qui ne comprend pas mon comportement et mes silences.
"Je vais te laisser, reprend-elle.
- Tonton Harry ! Tu m'as vu sur le manège ?"
William arrive en courant près de nous, rejoint par Louis. Mon Louis. Mon ancre. Son regard plonge dans le mien, son sourire me réconforte. Je me libère.
"Oui petit cœur, je t'ai vu. C'était bien ? j'interroge le petit garçon.
- Oui ! Mais Tonton Lou, il dit que c'est assez pour aujourd'hui.
- Il a sûrement raison, je réponds en glissant mes doigts dans ses cheveux. Louis, je te présente ma sœur. Gemma. Gemma, voici Louis, mon compagnon."
Ils se saluent d'un mouvement de tête poli et d'un sourire crispé. Louis glisse sa main sur l'épaule de William et son bras autour de ma taille.
"Moi aussi, j'ai une sœur, on entend notre neveu s'exprimer. C'est Lily. Elle est là, sur Tonton Harry.
- Oui, répond Gemma doucement. Je disais à Tonton Harry qu'elle était très jolie.
- Oui, confirme William tout fier.
- On devrait aller rejoindre Charlotte. Elle va s'inquiéter si elle ne nous voit pas arriver, nous suggère Louis.
- Oui, tu as raison. Gemma..., je suis hésitant. Je ne peux pas lui dire que j'ai été heureux de la voir, ce serait mentir. A bientôt."
Sans lui laisser l'opportunité de me répondre, je me détourne et emboîte le pas à Louis et William vers la sortie du jardin. Je dorlote Lily contre moi, espérant ne pas lui avoir fait ressentir mon trouble.
"Harry ! Attend s'il te plaît..."
Je m'arrête et me retourne. Gemma n'a pas bougé mais je n'amorce pas un pas vers elle. Elle s'approche, remontant l'anse de son sac sur son épaule.
"La prochaine fois que tu viens sur Paris, nous pourrions aller prendre un café, qu'en penses-tu ?
- Pourquoi pas ?!
- OK...
- Au revoir Gemma."
Louis a récupéré William dans ses bras et nous accélérons le pas pour nous éloigner de Gemma. Mon cœur bat un peu trop vite.
***
Nous n'avons pas évoqué notre rencontre avec ma sœur. William n'en a pas parlé non plus, trop heureux de retrouver sa maman et le pain au chocolat qu'elle lui avait acheté. Pendant le dîner, personne n'a remarqué que je me perdais parfois dans mes pensées.
Personne. Sauf Louis.
Il me rejoint sur le petit balcon où je me suis réfugié, prétextant un appel téléphonique. Il glisse sa main dans mon dos, traçant des petits cercles à travers mon sweat. Je bascule ma tête en arrière qu'il accueille dans le creux de son cou. J'inspire l'odeur de sa peau alors qu'il resserre ses bras autour ma taille.
"Tu veux en parler ? il demande prudemment.
- Je ne sais pas quoi dire... J'ai été pris au dépourvu et je m'en veux un peu d'avoir été froid et distant, je me confie.
- Harry..., souffle-t-il. Ne culpabilise pas de ton comportement quand ta sœur n'a jamais fait aucun effort pour que vous vous retrouviez.
- Mais elle aurait pu passer son chemin, je réponds en me tournant entre ses bras pour lui faire face. J'étais accaparé par Lily et William. Et elle est venue...
- On est là pour quelques jours. Tu veux l'appeler ?"
Je suis incapable de répondre. Totalement indécis. Notre maison me manque déjà et cet après-midi, je n'aspirais qu'à y retourner le plus rapidement possible. Maintenant, je ne sais plus.
Je me blottis contre Louis, frissonnant.
"La nuit porte conseil paraît-il, reprend-il avant d'embrasser ma joue. Laisse-toi le temps de réfléchir et de peser le pour et le contre.
- Tu as raison.
- La seule chose qui importe, c'est que tu dois laisser ton cœur te guider, ok ?
- Oui."
Nous prolongeons notre étreinte de quelques secondes avant de retourner dans le salon. La table est débarrassée et tout est calme. J'ai l'impression que nous sommes restés plus longtemps que ce que je crois sur le balcon. Lewis et Charlotte sont installés sur la canapé.
"J'ai fait bouillir de l'eau, nous informe Charlotte. Vous voulez une tasse de thé ? propose-t-elle.
- Je m'en occupe. Va t'asseoir, je dis à Louis en embrassant sa joue.
- Deux sucres dans le mien, s'il te plaît.
- Tu penses vraiment que je vais oublier ?!" je lui demande en haussant les sourcils, un fin sourire sur mes lèvres.
Alors que je prépare les boissons chaudes, je récupère mon téléphone dans le fond de ma poche. Je fais défiler les conversations jusqu'à trouver celle avec ma sœur. Le dernier message remonte à huit mois. J'hésite et puis j'ouvre la conversation. J'ai besoin de continuer d'avancer dans ma vie, besoin d'aller définitivement mieux.
📧From Harry : Salut Gemma. Nous restons quelques jours sur Paris. Dis-moi quand tu es dispo pour ce café. H
Je referme l'application et laisse mon téléphone sur le plan de travail. J'ouvre le petit pot près de la boîte à thé et mets deux sucres dans la tasse de Louis avant de le retrouver dans le salon.
"Merci mon cœur" chuchote-t-il.
Son regard toujours bienveillant posé sur moi me réconforte. Je sais que, peu importe la tournure de la conversation avec Gemma, Louis sera là. Pour moi et sans jugement.
***
C'est en poussant la porte du Café Plume que le souvenir m'assaille. C'est dans ce même café que Gemma et moi nous sommes vus il y a bientôt quatre ans pour tenter de comprendre comment la discorde avait commencé.
Je déglutis. Le scénario ne peut pas se reproduire. La situation est différente. C'est Gemma qui m'attend aujourd'hui, installée dans le fond de la salle, une tasse de café devant elle. Je l'observe brièvement en attendant que le barman vienne jusqu'à moi.
Je commande finalement un café noisette et vais la rejoindre. Elle se lève lorsqu'elle m'aperçoit, un sourire sur les lèvres. Son air pincé semble l'avoir quitté. Elle paraît plus sereine. Le temps a passé et semble avoir atténué ses peines.
"Bonjour Harry !
- Salut Gemma, je réponds en m'installant à la table.
- J'ai été surprise de recevoir ton message, commence-t-elle, tandis que le serveur dépose la tasse de café devant moi.
- Je pense que je n'aurais fait que ressasser si je ne l'avais pas envoyé. Je me suis dit que tu aurais pu m'éviter au Jardin des Plantes mais tu es venue me saluer. Alors..."
Je me râcle la gorge et gigote sur ma chaise.
Je n'ai pas dormi de la nuit, réfléchissant longuement à ce que j'allais lui dire. Et puis, c'est devenu assez clair dans mon esprit. Alors, je ne lui laisse pas le loisir de prendre la parole.
"Je ne vais pas m'excuser Gemma. Si c'est ce que tu attends de moi, et bien, tu seras déçue. Je ne pense pas avoir mal agi. J'ai toujours été sincère et vrai avec toi. Ta séparation nous a tous touchés. Toi plus que nous bien sûr, mais je regrette que tu ne te sois pas mis deux minutes à notre place. A ma place. Je ne changerai pas le passé, ni les choix que j'ai fait. Je t'ai tendu la main. Je t'ai écoutée. Mais puisque tu n'avais pas toute mon attention ou toute mon empathie, tu t'es révélée. Tu as cessé de te cacher derrière la bienséance. Je ne peux pas croire que tu as été si peu sincère avec moi, critiquant mes choix de vie ouvertement. Je ne sais pas si c'est la jalousie, la rancoeur ou la peine qui te faisaient parler, mais ça m'a blessé comme jamais. C'est difficile pour moi aujourd'hui, après six ans... Six ans, je souffle en glissant mes doigts dans mes cheveux. C'est difficile pour moi aujourd'hui d'être là devant toi, sans avoir le ventre noué. Plus rien ne sera comme avant et je ne crois pas que je puisse t'accorder ma confiance. Mais je suis prêt à renouer le contact si tu le veux. Au moins pour Papa et Maman. Ils vieillissent et je ne veux plus qu'ils aient à choisir entre nous. Nous sommes des adultes."
Gemma prend une gorgée de sa boisson. Elle a les joues rougies tandis que mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine.
Ce pas, cet effort, je le fais pour nos parents avant tout.
Pour moi aussi, bien sûr. Je mentirais si je disais que je ne pense pas régulièrement à elle, si je ne m'interroge pas sur comment elle va. Je regrette sincèrement la situation mais pas de m'être protégé en coupant les ponts en quelque sorte.
Comme la plupart des familles, nous avions une conversation groupée que j'ai alimentée au début de notre installation en Normandie. Mais jamais Gemma n'a daigné réagir. J'ai fini par ne plus poster et quitter le groupe, pour juste prendre des nouvelles de mes parents.
"Tu as raison Harry, finit-elle par répondre. Le temps est passé. J'ai réalisé certaines choses même si je t'en veux. Je me suis sentie abandonnée comme si tu me rendais responsable de toute la situation. Abandonnée et jugée. Je ne sais pas ce que j'aurais dû faire pour que la situation ne se détériore pas de la sorte...
- Je me suis posé la même question, tu sais, je l'interromps. Je pense que nous étions chacun à un moment de notre vie où nous changions. Je crois qu'il arrive un moment où nous évoluons différemment. Ca se produit dans les relations amicales ou amoureuses, ta séparation en est l'exemple. Il me semble normal que ça se produise au sein d'une famille. Il fallait juste respecter les sentiments de l'autre...
- Oui, souffle ma sœur.
- On ne pourra pas effacer ces années, Gemma. Mais nous pourrons sûrement retrouver une relation agréable.
- Je l'espère tu sais. Hier, quand je t'ai vu dans le jardin, je n'ai pas hésité à t'aborder.
- C'est pour cette raison que je t'ai envoyé le message. Je ne t'avais pas vue, tu aurais pu m'éviter.
- Tu étais tellement absorbé par ta nièce. Ton regard et ton sourire étaient incroyables.
- Je suis heureux. Heureux comme je ne l'ai jamais été. Et au fond, c'est aussi grâce à notre discorde. Sans elle, je ne serais pas parti en Normandie et je n'aurais pas rencontré Louis, dis-je un sourire sur les lèvres.
- Raconte-moi...
- On reprend un café ?
- Avec plaisir !"
Ca devient naturel. Les choses sont dites et j'ai conscience que c'est l'effet des retrouvailles mais je prends le moment comme il vient. Un jour à la fois. J'interpelle un serveur et demande un café allongé et un café noisette.
Nous discutons pendant une heure au cours de laquelle je lui parle de Louis, de notre maison au bord de la plage. Je n'aborde pas l'écriture, c'est personnel et je sais que c'est quelque chose pour laquelle, même avant, je n'avais pas son soutien. Elle me raconte son nouveau job et son déménagement dans un petit appartement en plein coeur de Paris comme elle en a toujours rêvé. Et puis, un nouvel éclat brille dans son regard.
"J'ai rencontré Sébastian quasiment au moment où tu as déménagé définitivement. C'était une rencontre inattendue. Nous avions tous les deux notre passé, un enfant en plus pour lui. Blessés tous les deux, on avait envie de la même chose. Juste le bon côté de la relation, tu vois. Et puis, finalement, c'était l'évidence.
- Je suis content que tu ressentes ça. C'est incroyable comme sentiment, j'acquiesce.
- Oui."
Mon téléphone vibre sur la table et je souris lorsque je vois le visage de Louis apparaître. Je décline l'appel et lui envoie un message rapide. Gemma reprend et me fait part de ses futurs projets. Je souris. Je retrouve ma soeur, ravie de parler d'elle. Je n'éprouve pas de rancœur. Le naturel revient toujours rapidement.
"Je vais y aller, je commence en reculant avec ma chaise. J'ai été content de te voir, Gemma.
- Le plaisir est partagé. J'espère qu'on se reverra bientôt.
- Sûrement chez Papa et Maman.
- Oui."
Nous nous donnons une étreinte avant de quitter le café. Je regarde Gemma rejoindre la station de métro avant de tourner sur moi-même. Accoudé à un lampadaire, Louis est là. Véritable ange gardien.
"Tu as pris la bonne décision ?! me demande-t-il de manière rhétorique.
- Oui, j'affirme en souriant. On a passé un bon moment. L'euphorie des retrouvailles. Le naturel reprendra ses droits mais je crois que nous pourrons nous retrouver au même repas sans nous étriper.
- Je suis heureux pour toi.
- Merci, je réponds avant de l'embrasser tendrement. Ca faisait longtemps que tu ne l'avais pas utilisée... Je ne savais même pas que tu l'avais emmenée, lui dis-je en avisant la canne dans sa main droite.
- J'ai un peu mal au dos. Avoir porté Lily hier m'a fatigué plus que je ne pensais, avoue-t-il.
- Tu aurais dû m'attendre à l'appartement, je le réprimande gentiment en glissant son bras autour du mien.
- Je tenais à être là pour toi.
- Je t'aime."
Les mots glissent de mes lèvres à ses lèvres alors que je l'embrasse doucement.
"Ca m'avait manqué..." dit-il en souriant.
Louis et moi nous aimons. Nous partageons nos vies depuis bientôt quatre ans et nous nous le montrons régulièrement au quotidien dans les gestes et les attentions. Pourtant, il a raison. Ces trois mots sont trop rares, murmurés parfois au creux de l'oreille pendant nos ébats. Je sens mes joues s'empourprer légèrement. Je resserre mon étreinte autour de son corps.
"Je t'aime, je répète.
- Ca me plait beaucoup... me taquine-t-il alors que je le bouscule légèrement. Je t'aime aussi."
Le moment devient un peu trop solennel pour être partagé au milieu de la rue. Je dépose un baiser sur sa joue, me promettant de reprendre cette conversation dans l'intimité de notre chambre tout à l'heure.
"Alors, Zayn est de passage ?"
C'est l'information qu'il m'a envoyée par message et son sourire s'agrandit un peu plus à la mention de son meilleur ami.
"Oui !!! Tu viens dîner avec nous ?
- Evidemment !
- Et demain, on est de babysitting toute la journée."
J'aime tellement ce quotidien avec Louis.
Pendant des années, j'ai vécu en m'inquiétant du regard des autres, cherchant l'approbation. J'ai accepté des situations pour ne pas décevoir. J'ai trop souvent mis de côté mes envies et mes besoins.
Et puis, un jour...
Un jour, il y a eu un déclic. Un travail sur moi, sur ma légitimité à être et à ressentir. Je me suis choisi et j'ai rencontré Louis.
Les épreuves que nous avons traversées nous ont conduit sur le même chemin. On dit souvent que si c'était à refaire, on referait les mêmes choix qui nous mèneront à ce moment là. Louis et moi, non...
Nous rencontrer oui. Mais si les circonstances avaient pu être plus douces, la rencontre en aurait été tout aussi belle.
Fin
*
* *
Cette histoire, je l'ai commencée le 5 septembre 2022.
Plus de deux ans plus tard, ce soir, j'y mets le point final.
Je voulais remercier les lecteurs et lectrices de la première heure, celles et ceux sans qui je n'aurais pas pu continuer. Mais vos vues, vos likes et vos commentaires m'ont convaincue que cette histoire valait le coup d'être écrite. Elle est parfois confuse, comme tout ce que j'ai pu ressentir en l'écrivant.
Merci infiniment.
Mimi
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