Chapitre 34 - Louis


J'éteins mon ordinateur et range la copie des dossiers que j'ai préparés dans ma sacoche. Je récupère le téléphone portable et le chargeur confiés par mon chef de service et les glisse dans la pochette.


Mon cœur bat à tout rompre depuis près de trente minutes. D'abord le message d'Harry qui m'informe qu'il vient me chercher et, quelques minutes plus tard, l'appel d'Augustin.


J'étais loin d'imaginer que le vieil homme prendrait en main la situation. Je me suis confié sur mes inquiétudes concernant l'humeur d'Harry, de plus en plus maussade au fil des jours. Pourtant, je ne parvenais pas à lui parler, craignant être responsable de la situation. Je secoue la tête et souffle profondément.


"Alors tu me quittes encore ?"


Ma collègue, Sonia, reste à l'entrée de mon bureau. Nous travaillons en binôme sur la plupart de nos dossiers.


"Oui, mais cette fois, je te préviens ! je la taquine.

- Super ! Quinze minutes avant ton départ ! râle-t-elle.

- C'est mieux que de te mettre sur le fait accompli, je rétorque, faisant allusion à mon accident et à mes mois d'absence. Je ne pars pas vraiment. Je serai joignable tous les jours.

- Mouais. Pendant que je serai enfermée ici, ton bureau aura vue sur mer !

- Avoue que c'est plus ma nouvelle localisation qui t'ennuie ?!?"


Sonia entre dans le bureau alors que je me lève de ma chaise. Elle passe ses bras autour de moi, dans un geste inattendu.


"Tu sais que je pars pas vraiment, hein ?

- Louis, il n'y a que toi qui pense ça. On est tous conscients à l'étage que tu vas quitter le service.

- Quoi ?

- Ton accident t'a ouvert les yeux sur ce qui est important. Et on ne va pas te le reprocher parce que c'est toi qui a raison, commence-t-elle. Reste autant que tu veux en télétravail et viens nous voir de temps en temps. Mais si tu as une opportunité qui te libère de Paris, saisie-là !"


Je reste abasourdi face à son discours. Je dois reconnaître qu'il n'y a pas que Harry qui étouffe dans cette ville. Je regrette nos promenades où seul le bruit des vagues pouvait masquer nos conversations. Je ne pensais pas que mes collègues avaient pu s'en apercevoir. Même si mon comportement a radicalement changé depuis mon retour. Je pars à l'heure tous les soirs et je n'ai pas hésité à prendre mes jours de rattrapage au mois le mois. Passer du temps avec Harry est devenu ma priorité. Prendre du temps pour nous aussi. Je n'ai pas hésité à parler à Augustin de son changement d'humeur au fil des jours. Parce que j'étais inquiet et un peu égoïste. J'avais envie de changement et j'étais incapable de prendre la décision et de le proposer. Je pouvais compter sur Augustin. Harry ne pouvait pas résister aux mots du vieil homme.


Je ne sais pas dans quelles conditions mais je suis heureux de prendre la route ce soir.


Je rends son étreinte à ma collègue et lui promets d'organiser une réunion de service sur la plage.


"Oui mais pas avant le printemps, d'accord. Tu n'as pas choisi la région la plus chaude !" se moque-t-elle.


Je ris et ensemble nous sortons de mon bureau. Ce n'est pas un départ définitif mais une légère émotion me gagne en jetant un dernier regard vers mon poste de travail. Sonia descend avec moi jusqu'à l'accueil et embrasse ma joue.


"A jeudi pour la réunion !" lance-t-elle avec un clin d'œil avant de repartir vers son bureau.


Je dis aurevoir à notre hôtesse d'accueil et tire la porte. J'inspire l'air chargé de la capitale, le regard levé vers le ciel déjà sombre. Puis, mon regard accroche la silhouette de l'autre côté de la rue, appuyée contre le lampadaire. Malgré la distance qui nous sépare, je peux remarquer l'éclat dans son regard. Nous patientons, chacun d'un côté du passage piéton, attendant que la signalisation nous autorise à nous rejoindre. Quand le bonhomme passe au vert, nous nous élançons l'un vers l'autre. Mon sourire s'élargit au fur et à mesure de nos pas, mon cœur s'allège déjà. La main d'Harry s'empare d'abord de ma sacoche qu'il passe sur son épaule puis ses bras enlacent ma taille avant que ses lèvres trouvent les miennes.


Depuis le haut de l'immeuble qui abrite ma société, j'entends les sifflets de mes collègues. Je m'écarte d'Harry et lève mon regard vers eux. Je leur offre mon plus beau sourire. Un klaxon nous oblige à nous mettre en route. Main dans la main, Harry et moi rejoignons le parking de la gare, un peu plus bas.


Ses doigts pressent les miens. Aucun mot n'a encore été échangé. Je mordille ma lèvre inférieure, hésitant, mais c'est mon petit-ami qui amorce la conversation.


"Je ne voulais pas t'inquiéter" souffle-t-il.


Sa voix est basse mais je peux entendre l'émotion qui le submerge. Je ne veux pas que nous discutions dans la rue, sur un trottoir bruyant et encombré de passants. Je glisse ma main libre sur son bras et exerce une légère pression. J'aurais dû aborder le sujet depuis quelques semaines déjà, quand j'ai vu son sourire s'éteindre, son carnet toujours posé au même endroit sur la table du salon. C'était flagrant qu'Harry ne se sentait pas bien et je me suis tu. Son regard bordé de larmes tombe dans le mien et je culpabilise parce que, ce soir, je me rends compte à quel point il est malheureux. Je lui offre un sourire rassurant.


"On en parlera tout à l'heure, d'accord, je lui réponds. J'aurais dû t'inciter à me parler...

- Louis, commence-t-il en m'obligeant à m'arrêter. Je...

- Tout à l'heure."


Je l'interromps parce que je vois qu'il est vraiment mal et que je veux sincèrement pouvoir le consoler et le rassurer. Et ce trottoir n'est définitivement pas le bon endroit. J'embrasse le coin de ses lèvres et nous nous remettons en route.


***


Nous mettons plus d'une heure à traverser Paris pour rejoindre le périphérique et l'autoroute qui nous conduira en Normandie. Harry se doute qu'Augustin m'a prévenu puisqu'il ne s'étonne pas de mon silence lorsque nous nous éloignons définitivement de la région parisienne.


Les kilomètres défilent alors que la nuit est désormais tombée. Un sourire se dessine sur mes lèvres à l'idée de retrouver notre plage. Il y a de nombreux mois en arrière, je ne pensais pas être aussi impatient de revoir l'endroit où je me suis senti prisonnier. La déprime m'a définitivement quitté et je vais tout mettre en œuvre pour qu'elle n'atteigne plus Harry. Mon petit-ami mérite d'être heureux, de vivre la vie qu'il choisit, d'autant plus s'il me permet de la vivre près de lui.


Je glisse mes doigts contre sa nuque et caresse sa peau doucement. Il penche sa tête vers moi, accentuant le contact de nos peaux. J'ai hâte de me blottir contre lui.


"Tu veux qu'on s'arrête un peu ? je lui propose.

- Il ne reste plus beaucoup de kilomètres. J'ai envie d'arriver, répond-il en tournant légèrement son visage vers moi. Par contre, je veux bien un gâteau" quémande-t-il dans un sourire.


J'ouvre la boîte à gants et récupère le paquet de Pépito que nous avons acheté un peu plus tôt dans une station-service avec des sandwichs et des boissons. Ce départ est si précipité, que nous n'avons pas fait de provisions pour le trajet. J'ouvre le paquet et sors deux biscuits, l'un que je fourre entier dans ma bouche, l'autre que je tends à Harry qui l'attrape entre ses dents. Son regard est espiègle et je suis heureux de voir que, malgré les cernes marqués, son visage est plus serein qu'à notre départ.


Nous quittons la nationale pour retrouver les routes départementales. Je me redresse sur mon siège, impatient d'arriver, de descendre de la voiture, me dégourdir les jambes et respirer. 

Enfin respirer.


Les villages se succèdent puis en contrebas, la lumière du petit phare de Diélette nous accueille. Harry ralentit légèrement et ouvre sa vitre. La fraîcheur de la nuit s'engouffre dans l'habitacle, amenant l'odeur si particulière du bord de mer. Mon amant inspire profondément et, si je n'avais pas tourné mon regard à cet instant, il aurait réussi à cacher la larme qui dévale sa joue et qu'il chasse du revers de sa main. Mon cœur se serre et je suis content que nous soyons enfin arrivés.


Harry prend la direction du bourg puis du centre-ville. C'est l'automne. Les rues sont désertes et nous trouvons une place de stationnement juste avant l'impasse qui mène à la maison d'Augustin et à la plage.


Mon petit-ami coupe le moteur et passe ses mains sur ses cuisses avant de les glisser dans ses cheveux en soufflant.


"Ca va ? je demande doucement.

- Je suis content d'être là."


Il sort de la voiture et ouvre le coffre. Alors que je m'attends à le voir sortir nos bagages, Harry s'empare de deux plaids. Il tend la main vers moi que je saisis sans hésiter, et m'entraîne vers la maison d'Augustin.


Il est près de minuit. La nuit est un peu froide et humide mais Harry me guide vers la plage. Je fais attention où je mets les pieds et marche prudemment sur les pavés qui mènent au sable. La marée doit être assez haute car on entend bien le bruit des vagues.


Je frissonne légèrement quand je m'assieds sur le sable froid. Mais Harry se glisse derrière moi et m'enveloppe de l'un des plaids avant de glisser ses bras autour de moi ; le second plaid autour de lui. Il cale son menton sur mon épaule, dépose ses lèvres sur la ligne de ma mâchoire et m'embrasse doucement.


"Je suis allé chez mes parents cet après-midi."


Il prend la parole sans préambule et je comprends qu'il a besoin de se confier, peut-être d'expliquer sa fuite en Normandie pour la deuxième fois.


"Heureusement qu'Augustin a appelé aujourd'hui, poursuit-il.

- Harry...

- J'aurais dû te dire que je n'allais pas bien.

- J'aurais dû t'en parler aussi, parce que je l'ai bien vu mais...

- Mais je sais bien jouer la comédie. La plupart du temps..." rit-il amèrement.


J'entoure ses bras avec les miens pour accentuer notre étreinte et me blottis un peu plus contre lui. Le vent souffle légèrement.


"Qu'est-ce qu'il s'est passé ? je l'interroge.

- Des reproches, un manque de soutien, de compréhension. La routine j'ai envie de dire. J'ai essayé de faire des efforts, de prendre du recul. Mais je n'y arrive pas. Le comportement de Gemma vis-à-vis de moi est inadmissible et je ne comprends pas pourquoi je devrais être le seul à me remettre en question. Mes parents la défendent sans cesse. Je ne supporte plus cette situation et je m'enfonce, je le sais. Je ressasse constamment nos conversations. Ca fait des semaines que ça dure et aujourd'hui, après une nouvelle déception, j'ai eu envie que tout s'arrête."


C'est mon cœur qui s'arrête quand j'entends ses mots et sa voix se briser.


"J'ai voulu m'endormir. Arrêter de trop penser. Arrêter de ressentir."


Je n'ai pas les mots. Que pourrais-je lui dire sans paraître égoïste alors que je ne peux pas imaginer le quart de ce qu'il peut ressentir ? C'est trop personnel. Et pourtant, j'ai envie de hurler.


Hurler ma crainte. Hurler ses peines.


"J'étais perdu, Louis. Parce que je ne voulais plus ressentir la peine que je trimballe depuis si longtemps mais le bonheur que tu m'offres, la chaleur qui s'insinue en moi quand tu es près de moi, les sentiments que nous partageons, je ne veux pas les oublier. J'ai juste peur de ne pas être assez fort.

- Tu l'es bien plus que tu ne le crois."


Je me redresse et me tourne pour lui faire face. Les larmes menacent à nouveau de couler et c'est sûrement ce dont il a besoin. Je dépose une myriade de baisers sur ses joues, cueillant les gouttes salées du bout de mes lèvres. Harry secoue la tête comme pour me contredire.


"Tu ne baisses pas les bras Harry. Même si tu es submergé, tu relèves la tête et tu avances. Nous ne serions pas là ce soir, si ce n'était pas le cas.

- Mais je ne sais pas ce que j'aurais fait si Augustin n'avait pas appelé.

- Mais il a appelé et c'est l'essentiel. Ensemble, on va tout faire pour t'aider à te sortir de cette torpeur. Tu as le droit à une jolie vie. Et si pour ça, tu dois t'éloigner de ta famille, alors soit. Il n'existe pas de contrat qui nous oblige à rester proche des personnes de même sang. C'est triste et ça ne devrait pas être comme ça, je te l'accorde. Mais à quoi bon s'accrocher quand eux ne font pas l'effort attendu."


En guise de réponse, Harry capture mes lèvres. Je lui rends son baiser, espérant de tout mon cœur qu'il se rende compte à quel point je l'aime, à quel point je veux le voir heureux et épanoui.


"Rentrons. On va attraper froid."


Harry se relève d'un mouvement souple que je lui envie. Il tend ses deux mains vers moi pour m'aider à me relever. Nos corps se retrouvent et, enlacés l'un contre l'autre, nous remontons vers la maison. Quand nous arrivons devant la porte d'entrée, Harry m'abandonne pour rejoindre le petit jardin. Quelques secondes s'écoulent avant qu'il ne me rejoigne ; la clef de la maison entre les doigts.


Lorsque nous pénétrons dans la maison d'Augustin, l'atmosphère nous enveloppe. C'est comme si nous rentrions enfin chez nous.


"Je vais chercher nos sacs."


Harry embrasse ma joue puis sort de la maison. Je plie et laisse les plaids sur le canapé. Sur la table de la salle à manger, Augustin nous a laissé un petit mot de bienvenue qui me fait sourire.


Je crois que notre ami et la Normandie nous manquaient autant que nous lui manquions. J'ai hâte de le voir demain matin.


Je monte l'escalier en faisant le moins de bruit possible et ouvre la porte de la chambre d'ami. Je suis heureux de retrouver notre cocon, cet endroit qui a vu naître notre amour. J'espère qu'il le verra s'épanouir.


J'espère surtout qu'Harry y trouvera l'apaisement qu'il recherchait il y a plusieurs mois. Nous avions mis le doigt dessus. Il nous appartient de ne plus le laisser s'échapper.


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