Chapitre 24 - Harry


C'est du bruit dans la cuisine qui me sort du sommeil que j'ai eu tant de mal à trouver. L'odeur du café et du pain grillé se faufile jusqu'à moi par la porte de la chambre laissée entrouverte.


Je m'étire et me tourne sur le ventre, plongeant mon visage dans l'oreiller de Louis. J'inspire son parfum en remontant la couette sur moi. Je me blottis dans ce cocon moelleux, chaud et rassurant.


Je ne veux pas quitter ce lit.

Mais je veux retrouver les bras de mon amant.


Je repousse la couette et m'extirpe du lit. Je passe par la salle de bain et prends une douche rapide pour me réveiller totalement. Je suis en train d'enfiler mon t-shirt lorsque j'arrive dans la cuisine. Mon regard capte aussitôt celui de Louis à peine ai-je sorti la tête de l'encolure du vêtement. Et son sourire ravit mon cœur.


"Salut ! dis-je en m'accoudant au plan de travail.

- Salut, répond Louis en approchant son visage du mien, son sourire toujours accroché à ses lèvres. Bien dormi ? demande-t-il doucement.

- Oui..., je réponds en glissant deux doigts sous son menton. Grâce à toi" je termine en capturant ses lèvres.


Son sourire s'agrandit contre ma bouche alors que je glisse mes doigts sur sa nuque, réveillant quelques frissons.


"Tu as faim ? demande-t-il alors qu'il s'écarte de moi.

- Un peu oui. Je peux t'aider ?

- Va t'installer sur le canapé, j'ai déjà mis le jus de fruit et la confiture sur la petite table. J'apporte le reste.

- Laisse-moi au moins prendre l'assiette de toasts, j'insiste en lui volant un rapide baiser.

- Merci."


Je récupère la télécommande sur le meuble TV et mets la chaîne musicale en fond sonore. Je m'assieds alors que Louis me rejoint, un petit plateau entre ses mains. Sa cuisse se colle à la mienne alors qu'il se penche pour déposer la tasse de café devant moi. Je ne peux empêcher mes doigts de venir caresser sa peau offerte. Il tourne son visage vers le mien, toujours souriant. Louis est un soleil. C'est toujours cette idée qui me vient à l'esprit quand je pense à lui ou que je le vois rayonnant malgré ses derniers mois difficiles. Je glisse mes doigts sur sa nuque et embrasse doucement sa joue avant de sceller nos lèvres.


Je voudrais que cet instant ne s'achève jamais ou que nous soyons déjà en route pour quitter la ville. Moins de vingt-quatre heures ici et je me sens déjà étouffer. J'appréhende la suite de cette journée, le retour à mon appartement, la rencontre avec ma sœur.


Louis doit sentir ma tension car il se rapproche de moi et entame une conversation tout à fait anodine sur les habitants de son immeuble. Le contact de son corps tout près du mien, le son de sa voix et les odeurs gourmandes me permettent de penser à autre chose l'espace d'un instant. Je petit-déjeune avec appétit, reconnaissant.


***


Je pousse la porte du Café Plume. Je suis arrivé un peu en avance, préférant choisir la table et souffler un peu avant l'arrivée de Gemma. J'ai reçu un message il y a moins de cinq minutes dans lequel elle me disait partir de son bureau. En quelques stations de métro, elle sera là.


J'inspire en jetant un regard circulaire dans l'établissement. Quelques tables sont déjà occupées mais je repère rapidement celle que j'espérais trouver disponible. Elle l'est et déjà un sentiment de soulagement m'envahit. Un peu en retrait dans la salle, entourée de trois fauteuils confortables, elle permet d'avoir une vue discrète sur l'entrée du café et sur la rue.


Je file droit devant moi et m'y installe, déposant ma veste sur le dossier d'un des fauteuils disponibles. Je sors mon téléphone de ma poche et commence à écrire un message à Louis lorsqu'un serveur s'approche et me demande ce que je souhaite consommer. Il est un peu tôt mais je commande une bière, espérant qu'elle me détende un peu.


Tandis que je pianote sur le clavier virtuel de mon smartphone, je reçois une notification et mon estomac se contracte.


📧From Louis : Ne culpabilise pas de penser à toi. Quelque soit la tournure de votre entrevue, je serai là


L'émotion me submerge et mon cœur bat plus fort en lisant les mots de Louis. Ces dernières semaines depuis notre rencontre ont été une vraie bouée de sauvetage pour moi, pour lui. J'aimerais lui dire que je l'aime mais je me retiens. Ces mots doivent être murmurés au creux de l'oreille et non écrits sur un écran.


📧To Louis : Merci. J'ai déjà hâte de te retrouver


Le serveur dépose mon verre sur la table alors que je repose mon téléphone. J'inspire fortement et bois une gorgée. La porte s'ouvre sur une jeune femme aux longs cheveux châtains. Vêtue d'une robe fleurie et d'une petite veste en cuir noire, elle ôte ses lunettes de soleil qu'elle glisse au sommet de sa tête.


Mon estomac semble chuter dans mes talons. Trois mois que nous ne nous sommes pas vus.


Elle me repère, s'adresse au barman et commande une boisson avant de s'avancer vers moi, la tête haute. Je me lève pour l'accueillir et suis surpris lorsqu'elle s'approche de moi pour me donner une étreinte et une bise sur la joue.


"Salut ! commence-t-elle. Tu es là depuis longtemps ?

- Bonjour... Non, quelques minutes à peine.

- Tu as bonne mine, dit-elle en se tortillant sur le fauteuil pour enlever sa veste. Prendre le grand air t'a fait du bien, on dirait. Maman m'a dit que tu es parti en Normandie. Tu aurais pu donner des nouvelles."


J'ai déjà envie de quitter cette table. Je me sens acculé.


"Je suis parti pour prendre du recul, alors donner des nouvelles n'était pas ma priorité Gemma.

- Ce n'est pas la peine de monter sur tes grands chevaux Harry !" répond-elle de son air pincé.


Cet air qu'elle arbore depuis quelques mois, cet air que je ne lui connaissais pas lorsque nous partagions encore des choses, lorsque je croyais en sa sincérité. Le serveur s'approche alors qu'elle allait poursuivre. Il dépose sur la table un verre de vin rouge. Elle le remercie d'un sourire.


"Ecoute Gemma, je reprends, il me semblait nécessaire que nous nous voyons pour...

- Expliquer pourquoi tu es parti ? m'interrompt-elle. Oui je suis curieuse d'entendre tes explications. Tu quittes tout du jour au lendemain, ton boulot, les parents, moi... Tu t'es pris pour un des héros de tes romans ?"


Je souffle en glissant mes mains sur mon visage puis dans mes cheveux que je tire en arrière.


"C'était ça ou je me foutais en l'air, je crois, j'avoue.

- Mais ça va pas... ! s'exclame-t-elle. Tu peux pas dire des choses pareilles Harry !

- C'est pourtant la vérité, Gemma. Tu n'imagines pas le nombre de fois où j'ai songé que je serais mieux plongé dans le coma plutôt que subir cette vie là ! Depuis ce jour chez Papa et Maman, où j'ai compris qu'en fait tu ne me soutenais pas du tout, que tu tenais un tout autre discours quand je n'étais pas là, j'ai perdu toute confiance. Confiance en moi, en vous. Je savais que Maman ne comprenait pas toujours mes choix de vie mais toi... Toi, tu montrais de l'intérêt pour ce que j'entreprenais. Je ne comprends pas pourquoi tu as été fausse avec moi !? Tu as joué ce rôle uniquement pour être sûre que je réponde toujours présent lorsque tu avais besoin de moi ? Que ce soit dans ta vie personnelle ou dans tes projets ?

- Ca n'a rien à voir Harry. Et puis, c'est faux, tu sais que je te soutiens...

- Ce n'est plus la peine de mentir. Je vous ai entendu ! Entendu parler dans mon dos, dire ne pas comprendre la vie que je mène, au-delà de ma sexualité. Qu'est-ce que ça peut vous faire qui je ramène chez moi ? Que je n'sois toujours pas en couple, rangé ?"


Je hausse le ton mais me reprends rapidement lorsque je croise le regard d'un client. Je prends une gorgée de bière avant de reporter mon attention sur ma sœur. Je sais que mon discours est confus. Le visage de Gemma se ferme un peu plus et je sais qu'elle ne me donnera pas d'explication, qu'elle va faire en sorte de retourner la situation.


"Tu te trompes. C'est tes insécurités qui parlent. Ce n'est pas de ma faute si tu manques cruellement de confiance en toi."


Je ris jaune. Je la connais trop bien.


"Mes insécurités ?! Ce ne serait pas ta jalousie qui ressort plutôt ?

- Jalouse de quoi ?

- Je n'en sais rien... Que je n'ai eu besoin de personne pour construire ma vie, même si elle ne ressemble pas à celle que la société nous impose, par exemple, alors que toi, jusqu'à il y a deux ans, tu n'avais rien construit seule ?

- C'est ridicule... souffle-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

- Je ne crois pas. J'ai bien réfléchi ces dernières semaines. Je ne vois pas d'autres explications. Que Papa et Maman aient du mal à accepter mon homosexualité et ce que ça engendre, ok. Mais toi... Toi à qui je me suis confié dès que j'ai compris mon attirance pour les hommes, les heures que nous avons passé à nous raconter nos vies. Tu as fait semblant pendant tout ce temps ?

- Je ne faisais pas semblant, rétorque-t-elle.

- Alors que s'est-il passé ? je l'interroge. Pourquoi du jour au lendemain, il n'y a plus eu que toi dans nos conversations, pourquoi tu t'es rangé du côté des parents ?

- Je n'ai pas à me justifier Harry, dit-elle après avoir pris une gorgée de vin. Pourquoi toi, tu ne te remets pas en question ?

- Je ne fais que ça ! je m'insurge. Je me suis plié aux volontés des autres sans jamais penser à moi jusqu'à récemment ! Parce que j'en ai assez justement de me remettre constamment en question. J'en ai marre de croire que je ne suis jamais assez pour quiconque ! Je n'en ai marre de fermer ma gueule quand je suis blessé. J'ai besoin de comprendre Gemma !

- Je ne sais pas quoi te dire. C'est la vie, c'est tout. Les gens changent...

- Les gens ? Tu es ma sœur ! Je ne pense pas mériter un seul instant ton mépris.

- Oh arrête un peu avec ce côté drama queen ! Harry, on évolue différemment c'est tout. Tu as d'autres centres d'intérêt et moi aussi.

- Comment as-tu pu devenir si égoïste ? Un échec ne doit pas remettre toute ta vie en question !"


Et je sais, lorsque mes mots passent mes lèvres et que son regard se voile, que j'ai touché le point sensible. Gemma avait la vie parfaite d'une jeune femme de 30 ans, un mari, un bon poste, une jolie maison. Tout en apparence était parfait. Les vacances en hiver à la montagne, l'été au bord de la mer. Une voiture dernier cri, une garde robe garnie. Mais ce n'était qu'une façade et son couple a volé en éclats.


Je sais ce qu'elle me reproche au fond. Je n'ai jamais pris parti parce que son couple ne me regardait pas. On ne sait jamais ce qu'il se passe lorsque la porte de la maison se ferme. Je connais Gemma et son caractère. Elle n'est pas des plus faciles à vivre. Mon beau-frère avait sans aucun doute des torts aussi dans l'histoire mais je n'ai jamais rien eu à lui reprocher. Elle se plaignait auprès de moi, je l'écoutais, lui conseillais de parler ouvertement. Mais la décision ne lui a pas appartenu. Il est parti. Elle a tout fait pour garder la tête haute jusqu'à devenir celle qu'elle est aujourd'hui et que je ne reconnais plus : aigrie, fausse, hautaine, agressive. Mon estomac se tord lorsque je la vois se redresser sur son siège, les lèvres pincées et le regard noir.


"Au moins, je peux me vanter d'avoir vécu une histoire d'amour avec un grand A même s'il est parti."


Elle crache son venin. Et c'en est trop pour moi. Je prends ma veste dans ma main et repousse mon fauteuil pour me lever. Je me penche sur elle, le regard plongé droit dans le sien.


"Et bien tu vois... Tu as raison. J'ai envie d'être un de ces héros des romans que je traduis. Je plaque tout sans me retourner. Ca ne vaut pas la peine de s'infliger cette méchanceté, ces regards lourds de jugement. Salut Gemma !"


Je la plante là. Je dépose un billet de dix euros sur le comptoir en avisant le serveur et quitte le café. Je marche vite, je m'enfuis et m'engouffre dans le métro. A peine assis dans la rame, je sors mon téléphone.


📧To Louis : Dis moi où tu es, je te rejoins. J'suis dans le métro

📧From Louis : Ca va ?

📧To Louis : Non

📧From Louis : OK. Je suis à Saint Lazare, je suis passé voir mes collègues. On se retrouve à AUBER

📧To Louis : Je suis là dans 10 min


*

* *


Il fallait bien en terminer avec ce passage que j'ai écrit et tant de fois effacé. Je voulais vraiment y mettre toute ma peine mais tout est confus, trop de choses se percutent en moi actuellement. Alors, j'ai pris un bout de ce qui me tracasse le plus et j'ai essayé d'évacuer à travers Harry et Gemma.

Nous allons pouvoir retrouver Louis et Harry, dans leur vie à deux, pour quelques chapitres (deux ou trois, pas plus je pense) avant de leur dire adieu.

Encore une fois, merci d'être toujours là.

Je vous aime et vous embrasse.

Mimi

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top