Chapitre 1 - Louis
"Louis, s'il te plait..."
Mon regard est perdu vers le large. L'étendue de sable fin, la mer et les vagues, la houle plus forte aujourd'hui. Le ciel est sombre et tumultueux. L'orage qu'on nous annonce depuis des jours semble arriver enfin. Peu importe, je suis coincé entre ces quatre murs. Alors qu'il fasse beau ou qu'il pleuve, finalement, ça ne change pas grand-chose à mon quotidien.
Je soupire puis reporte mon attention sur Elin. Je l'interroge du regard.
"Tu ne fais aucun effort aujourd'hui. Je sais que c'est douloureux, mais s'il te plait, aide-moi."
Je m'exécute et prends appui sur mes deux bras pour me redresser. Mon bras gauche me fait encore souffrir sous l'effort et je retiens ma respiration.
"Respire, Louis. Tu vas te faire mal inutilement. Allez, on y va, un pied devant l'autre, doucement. Voilà.
- Je suis fatigué, Elin.
- Non... Tu es paresseux, c'est différent !"
Ma kinésithérapeute me sonde de son regard noisette pour être sûre de ses propos. Un éclair déchire le ciel et fait vaciller la lumière de la salle de motricité. Quelques secondes s'écoulent et l'orage gronde.
"On fait cette longueur et je te libère, d'accord ?
- Merci."
Je prends sur moi, respire tranquillement et avance doucement entre les barres parallèles. J'ai perdu en force et étrangement en confiance. Comme si mes jambes allaient céder sous mon poids. Je me cramponne aux barres, ignorant les fourmillements dans ma main gauche et la tension dans mes épaules.
Arrivé au bout de la distance, je tourne mon visage vers Elin. Elle n'a pas bougé d'un pouce et retient le fauteuil roulant avec son pied. Si je veux le récupérer et retourner dans ma chambre, je n'ai pas d'autre choix, semble-t-il, que de faire une nouvelle longueur. Avec précaution, je fais demi-tour et m'avance vers ma tortionnaire. Mon rythme est lent mais je me félicite intérieurement de parvenir à me déplacer.
"Tu vois quand tu veux !"
Elin m'accueille quand j'arrive à sa hauteur en passant son bras autour de ma taille. Elle me soutient et m'aide à m'asseoir dans le fauteuil. Je passe mon avant-bras sur mon front pour essuyer la sueur qui perle et glisse mes doigts dans mes cheveux. Ma kiné m'offre une petite bouteille d'eau et je bois une bonne gorgée avant de la remercier. Elle est d'une patience d'ange et d'une gentillesse incroyable. J'ai un sale caractère et être bloqué dans cet état depuis bientôt deux mois me fout les nerfs à vif. Mais Elin ne montre jamais d'agacement. Elle me soutient, m'écoute quand l'envie me vient d'échanger plus de trois mots. Ses patients habituels ont généralement plus de soixante-dix ans. Et moi, à trente ans, je me lamente plus que ces vieux patients.
"Ça fait bien trois jours que tu n'as pas mis le nez dehors. Quand l'orage sera passé, on pourrait aller déjeuner sur le bord de plage, si tu veux, me propose-t-elle.
- Euh... avec le fauteuil ? je demande, pris de court.
- Oui, répond-elle en levant les yeux au ciel. Il va falloir songer à passer aux béquilles Louis. Plus tu tardes et plus ta rééducation sera longue.
- Je me sens pas encore assez stable, j'ose lui confier.
- Pourtant, tu l'es. Tu te fais mal aux bras, à ton bras, uniquement parce que tu es crispé. Il faut que tu te détendes et que tu te fasses confiance. Que tu nous fasses confiance."
Elle glisse sa main sur mes épaules avant de passer derrière moi pour pousser le fauteuil. Instinctivement, je place mes mains sur les roues et le fais avancer à la seule force de mes bras. Elin a sans doute raison. J'ai retrouvé un peu de force dans mon bras gauche qui pourrait me permettre d'être plus autonome en béquilles plutôt qu'en fauteuil. Je souffle puis m'arrête avant de me tourner vers elle.
"Tu as raison. Demain ? Demain, on tente les béquilles ? je lui demande, en mordillant ma lèvre inférieure.
- Demain, c'est très bien. Je vais voir Adam pour qu'il nous rejoigne dans ta chambre cet après-midi pour les mesures. OK ?
- OK.
- J'passe te chercher tout à l'heure pour le déjeuner, qu'il pleuve ou non !"
Ma kiné me quitte dans un geste amicale de la main et un petit clin d'œil taquin. Son visage respire la bienveillance. Elin n'a pas la carrure qu'on imagine pour exercer son métier. Elle est de taille moyenne, légèrement ronde. Ses yeux noisettes sont le reflet de sa chevelure qu'elle porte toujours en chignon pendant nos séances, mais je sais qu'elle a les cheveux longs jusqu'au bas de son dos.
Je la regarde s'éloigner et s'adresser à un petit papi en se penchant à son oreille, sa main posée sur celle du monsieur. Je fais tourner le fauteuil et me dirige jusqu'à ma chambre, tuer le temps qui s'étire.
J'ai à peine le temps de pénétrer dans la pièce et de m'installer dans mon lit que mon portable vibre sur la table de chevet. Je regarde l'appareil et hésite avant de prendre l'appel. Mon temps de réflexion est trop long et le téléphone s'éteint.
Je me redresse contre les oreillers et étends mes jambes sur les draps. Je ne porte pas les bas de contentions pour l'instant et la vue sur les cicatrices me flanque la nausée.
Dehors, l'orage gronde toujours et la pluie claque sur les vitres. Au loin, j'aperçois la silhouette d'un homme qui court sous le déluge, dégageant son visage de ses cheveux détrempés.
J'actionne le volet électrique et glisse dans le lit. Dormir fera passer le temps.
*
* *
La vibration insistante de mon téléphone m'oblige à sortir la tête de sous le drap et à me tourner pour prendre l'appel. Le visage de Charlotte apparaît sur l'écran, souriant. Pourtant, je l'imagine parfaitement avec une expression bien différente quand je vois le nombre d'appels en absence.
"Allô... Je me racle la gorge, la voix endormie.
- Louis, enfin ! Tu te fous de moi, ça fait deux heures que j'appelle."
Deux heures... C'est déjà ça de gagner sur la journée.
"Je me suis endormi après ma séance avec Elin, je l'informe sans lui mentir.
- Ca s'est bien passé ? me demande ma sœur.
- Oui très bien. Les progrès sont flagrants !
- Ah oui, vraiment ?! Tu as laissé tomber le fauteuil ?
- Oui bien sûr. C'est l'évolution normale à ce stade de la rééduc...
- Pourquoi tu mens ?" cingle-t-elle.
Mon cœur se serre. Je voulais garder la face mais c'est un échec semble-t-il. Je reste silencieux, cherchant quoi répondre. J'aurais dû abandonner le fauteuil depuis une semaine. Adam, l'orthopédiste du centre, a préparé mes béquilles qui attendent dans un coin de ma chambre.
"Louis... C'est pas sérieux, murmure ma sœur face à mon mutisme. Elin m'a appelée. Elle est inquiète.
- Ca va...
- Non, c'est faux. Qu'est-ce qui se passe ? Tu étais prêt il y a quelques jours et Elin m'a dit qu'elle n'arrivait plus à rien avec toi. Tu refuses de sortir même pour t'aérer. Tu manges à peine.
- Ca va... C'est juste que... je m'interromps.
- C'est juste que quoi ?
- Elin est cool, le personnel est gentil. Mais j'en peux plus de ce centre. Ca fait cinq semaines que je suis coincé là. Seul.
- Je sais Louis, c'est difficile et tu sais que dès que je peux, je viens te rendre visite. Mais, pour moi aussi, c'est compliqué. Faire autant de route avec le bébé... Je...
- Je sais, Lottie. Pardonne-moi" je souffle.
Je culpabilise. Ma sœur vient d'avoir un petit bébé et je me comporte comme tel. Je secoue la tête et souffle, en glissant ma main sur mon visage. Je me redresse légèrement dans mon lit et regarde par la fenêtre avant de reprendre.
"Comment va mon neveu ? J'ai hâte de le rencontrer, dis-je.
- Il se porte à merveille. Il dort bien et mange bien. Il a hâte de rencontrer son super tonton aussi, tu sais."
Je souris.
"Plus tu fais d'effort et plus vite tu pourras sortir Louis, dit Charlotte doucement.
- Je sais mais je suis douloureux... et être ici... C'est pas évident d'aller mieux quand tu es entouré de vieux...
- Louis !!!! me réprimande ma sœur.
- Désolé. Je vais essayer de faire un effort, dis-je.
- Tu ne vas pas essayer. Tu VAS faire un effort. Tous tes résultats sont satisfaisants. Physiquement, tu vas bien Louis. Ne sombre pas dans une déprime, s'il te plaît..."
Ma gorge est soudainement obstruée par une boule d'anxiété. Ma respiration devient difficile et un filet de transpiration se forme le long de ma colonne vertébrale. La déprime est là. Elle était sous-jacente à mon arrivée au centre. Les premiers jours, j'étais focalisé sur la rééducation alors elle n'a pas pu s'insinuer. Mais les jours ont passé, les progrès ne sont pas arrivés aussi vite que je le pensais. La douleur toujours omniprésente malgré les médicaments. Et... les cicatrices... Sur mon bras gauche, juste sous l'épaule et du coude au poignet. Sur mon visage, sous mon œil gauche. Sur mes jambes, au niveau du genou gauche et sur mon tibia droit. Elles vont s'atténuer, au moins un peu, mais quand je les vois, ça me ramène à cette journée. Je ne devrais pas déprimer. J'aurais pu mourir ce jour-là et pourtant je suis en vie. En morceaux mais en vie. Tout aurait pu être bien pire.
Le cœur battant à tout rompre, j'essaye de reprendre contenance. Je ne veux pas inquiéter Charlotte. Je lui ai fait suffisamment peur alors qu'elle était dans son huitième mois de grossesse.
"Je te promets que je vais essayer.
- D'accord, souffle-t-elle. Tu sais que cette plage où le centre est situé, est réputée pour le surf... Si ça peut te motiver...
- Je ne tiens pas sur mes jambes et tu veux que j'aille m'essayer au surf ? je demande incrédule.
- Evidemment que non ! rit-elle. Mais tu pourrais mater les beaux surfeurs."
Je m'esclaffe et j'avoue que ça me fait un bien fou.
"Ca changerait des petits vieux... Tu as raison" ajouté-je dans un rire.
Je tourne mon visage au même instant, vers la fenêtre. Ma chambre donne sur le sentier qui mène à cette plage. J'aperçois la mer en contrebas et les dunes à perte de vue. Et puis, ce même jeune homme, tous les jours qui passe, plusieurs fois dans la même journée. Je souris légèrement, intrigué. Lui ne me voit pas. Il ne tourne jamais la tête vers les chambres, sans doute par respect ou simplement parce qu'il n'y a rien à regarder.
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Alors, "comme promis", voici le premier chapitre de cette nouvelle histoire.
Je suis trop stressée parce que vraiment, je ne suis plus à l'aise. Mais l'envie d'écrire et l'envie de partager prennent le pas sur le reste.
On verra bien où ça nous mène.
En tout cas, merci beaucoup pour votre enthousiasme. Ca fait tellement plaisir...
Dans ce chapitre, première rencontre avec Louis et son quotidien depuis plusieurs semaines. Anxieux et émotionnellement fatigué. Il va lui falloir une bonne motivation pour avancer (dans tous les sens du terme !)
Mimi 🦋
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