Chapitre 7- Elias
13 avril bureau, Milwaukee
De retour dans mon bureau, je tourne en rond au lieu de terminer les comptes de cette nuit. Andy a raison sur le fait que je me noie dans mon obsession pour Helena. Plus elle m'évite, plus son image me hante. J'ai merdé dans les grandes largeurs quand elle s'est faite agresser.
Au lieu de lui demander si elle était blessée ailleurs que la marque visible sur sa joue où ce crevard l'a frappée, les pires mots sont sortis de ma bouche sans que je ne les filtre. La colère de la voir à terre avec ce porc la dominant m'a submergé. Mes coups n'ont pas été retenus et je suis heureux de ne pas porter d'arme sauf en cas de mission dangereuse sinon je l'aurais flingué. L'accuser de s'habiller de façon à attirer les regards et que c'est la raison de la tentative de viol était abjecte. J'ai regretté aussitôt que mes paroles ont été formulées. et comme d'habitude, je n'ai pas fait marche arrière, je me suis plutôt enfoncé dans ma jalousie. Un sentiment qui m'a surpris par sa force et son apparition dans une situation pareille. Pourquoi me sentir possessif envers une femme qui n'est pas à moi ? Et pourquoi lui reprocher un fait dont elle n'est pas responsable ?
Tout ça n'aidera en rien mon obsession. Sans pouvoir m'excuser, je ne peux m'en réchapper si elle ne me laisse pas approcher. Encore moins la baiser.
Le téléphone sonne, ne reconnaissant pas le numéro de mon correspondant, un frisson d'anticipation me traverse, comme un sentiment étrange que cet appel est important.
— Hello frérot.
La voix qui résonne dans le combiné tremble d'émotions. Mon cœur rate un battement. Ce n'est pas possible ! Ça fait cinq putains d'années que je n'ai pas entendu le timbre rauque que je chérissais le plus au monde.
— Selenne, c'est toi ?
Question stupide ! Je me fais la réflexion que je ne suis pas aussi malin que mon patron le pense. J'inspire fortement. Je me foutrais bien une claque. Au lieu de cela, je m'écroule lourdement dans mon fauteuil. Le cuir se tend et les ressorts usés grincent.
— Oui, salut.
J'imagine que ma sœur n'est pas non plus au mieux de sa forme. Pourtant, elle à un QI bien plus élevé que la moyenne. Son malaise est audible.
— Bon Dieu ! Mais... mais... ça fait...
— Je sais, plus de cinq ans. C'est long...
Long ? Le mot est si mal choisi que je m'emporte directement. Je ne peux pas gérer ma colère, mon tempérament remonte à la surface et je le laisse exploser. je casse le crayon que je venais de prendre. J'ai l'habitude de faire tourner ces morceaux de bois entre mes phalanges quand je réfléchis ou que je suis frustré.
— Long ! Long ? Tu te fous de ma gueule ? Oui, ça fait un putain de temps que tu as disparu !
Je suis furieux en repensant à tous ces moments où je m'en voulais de l'avoir laissé être enfermée dans cette prison. Ma voix monte de plus en plus, je crie en me retenant de balancer le téléphone dans le mur.
— J'ai coupé les ponts avec toi, je sais, c'est..., elle soupire, c'était cruel. Mais je voudrais...
Elle hésite sur le choix des mots, inquiète que je pète encore plus les plombs.
— Je ne supportais pas que tu me voies là-bas.
— Tu as refusé catégoriquement toutes mes tentatives pour rester près de toi et pour te soutenir. Bon sang ! Tu... tu peux imaginer ce que j'ai ressenti quand tu m'as blacklisté, quand tu as refusé mes visites ?
Mettre des mots sur mes sentiments renforce ce sentiment de rejet que j'ai depuis son incarcération. Ça fait mal, même si je comprends ses arguments. C'est ma petite sœur, merde ! J'étais censé la protéger et je n'ai rien vu. Je suis tombé des nues quand elle s'est fait pincer par les fédéraux.
— Je ne voulais pas que tu me voies comme ça ! Les visites en prison sont si horribles, si...
— Et le téléphone ? je la coupe, hargneux. Les lettres ? C'est pour les chiens ? Tu ne les as pas ouvertes, pas une seule ! Toutes me sont revenues non décachetées !
Un long silence s'ensuit. Je me force à respirer avec calme et la laisse m'expliquer pourquoi elle m'a blessé.
— Je suis désolée...
C'est tout ce qu'elle trouve à dire, non, à murmurer d'une voix pleine de larmes. Pas d'arguments, pas de raisons profondes, juste trois mots. Je souffle, crache une bordée de jurons et lui raccroche au nez. Elle me rappelle aussitôt, mais je ne réponds pas. Les poings serrés, je lui refuse la communication, une vengeance mêlée d'un filet de satisfaction malsaine. J'espère qu'elle comprend ce que j'ai ressenti face à son silence pendant toutes ces années.
Les sonneries résonnent encore et encore. Je tente de résister, mes nerfs se tendent sous l'effort. Finalement, je décroche d'un geste brusque. Je l'entends pleurer à gros sanglots. Selenne inspire un grand coup.
— Merci... merci de me donner une chance, balbutie-t-elle.
— Non, pas moyen, je... Tu m'as blessé Selenne. J'ai besoin de temps.
J'appuie sur la touche et mets à nouveau fin à la discussion. Il faut que je me calme avant de lui parler. Je ne pourrais jamais la renier ni la tenir loin de moi. Surtout maintenant que je la sais hors de prison. Elle est seule, dehors, dans une ville qui a changé et qui est toujours plus dangereuse. Ma petite sœur réessaiera de me joindre, ça ne fait aucun doute. Entre-temps, j'ai des choses à préparer. Elle aura besoin de moi et cette fois, je serai présent. Elle ne pourra plus me repousser et je saurai toujours où la trouver grâce à mes relations.
Après ce coup de fil frustrant, mon objectif est des plus clairs. Je ne gâcherai plus mes chances. Ma petite sœur est forte dans son domaine. A seize ans, elle effaçait les traces de mes méfaits. Nous étions seuls, baladés d'une famille à l'autre. Ne pouvant compter que sur notre duo. J'étais déjà plongé dans les magouilles en tous genres. Je trouvais les failles, les possibilités de blanchir les paris frauduleux des petites frappes du quartier. Puis avec le temps, j'ai été repéré par les pontes des gangs plus influents. Ce qui a entraîné ma sœur dans mon sillage. Elle s'occupait de gommer mon passage et les indices que j'aurais pu laisser derrière moi. Je suis presque certain qu'elle avait d'autres projets dont celui d'attaquer les institutions gouvernementales. Pour mon petit génie, entrer et foutre le bordel était un défi à sa hauteur. Elle ne pouvait pas y résister.
Après avoir rangé mes papiers dans le coffre caché derrière le tableau trônant dans le bureau d'Anton, je prends la direction du bar. L'alcool sera la solution pour calmer mes nerfs.
— Un whisky sans glace, j'ordonne au barman.
Il ne sourcille même pas à cette demande matinale. L'heure n'a aucune importance dans notre monde. La couleur ambrée du liquide attire mon regard. Je joue avec le verre et amorce un mouvement rotatif pour créer un tourbillon.
— Un problème ? s'enquiert une voix derrière moi.
Youri apparaît toujours quand je ne m'y attends pas. Il peut être silencieux comme un chat quand il le désire. Une ombre mortelle, ce mec.
— Pourquoi penses-tu que j'ai un problème ?
J'esquive bien que je cracherai la vérité tôt ou tard. Il a le chic pour tout connaître. Par tous les moyens. Autant lui dire avant de perdre des dents.
— Tu préfères la bière blonde en temps normal.
Ce n'est pas une question, une simple affirmation. Il constate un fait, car il connaît les habitudes de tous ceux qui bossent pour le clan Yourenev.
— Envie de changement.
Je tente encore de retarder de lui répondre. Je n'ai pas envie de µ raconter ma frustration. Lui ouvrir mon cœur comme dans une série tv où même les mecs se répandent en confidences. Écœurant !
— Une meuf ?
Si ce n'était qu'une seule femme qui me donne des soucis, je pense en me retenant de ricaner.
Il s'assied sur le tabouret voisin et tapote de deux doigts la surface brillante du bar. Un verre apparaît comme par enchantement.
— Pokidaet butylku * !
Obéissant et muet, l'employé remet le flacon entre nous et s'éloigne. La discrétion est un des commandements principaux pour survivre au "7 Péchés Capitaux".
— Tu veux que je t'oblige ?
— Non Youri, je soupire. C'est... personnel. C'est pour ça que j'hésite à t'en parler. Je n'aime pas raconter mes soucis.
— Aucune préoccupation n'est mineure, voilà mon avis. Si tu ne règles pas ça, il y a deux possibilités d'ennuis. Tu ne seras pas concentré sur ton job. Ce qui entraînera des erreurs et pour moi plus de travail, car je devrai nettoyer derrière toi. Et si ce n'est pas ça, ce sera une faiblesse dont nos ennemis ou concurrents se serviront pour atteindre Anton. Et là aussi, je devrais nettoyer après. C'est juste inadmissible. Donc... parle !
Tout tourne autour d'Anton et des affaires pour cet homme. Il ne pense, ne vit que pour ça.
— C'est ma sœur, j'avoue en grognant.
— Tu ne m'avais jamais parlé de ta famille. Elle est sortie de prison ?
Je n'allais pas lui parler de mon attirance pour Helena, je tiens trop à la vie. Par contre, je ne devrais pas être surpris qu'il sache que Selenne était en taule. Je m'étrangle quand même sur ma gorgée en l'entendant en parler comme si le sujet était commun.
— Comment tu sais ? Ah oui, c'est ton boulot de tout connaître. Oui, elle vient de me contacter.
— Pourquoi tu as les boules ? Tu devrais être soulagé ou même heureux qu'elle soit libre, non ?
— Oh, je suis content, n'en doute pas. Le problème est que cette tête de mule ne voulait pas que je la vois derrière des barreaux. Du coup, elle m'a blacklisté et a refusé tous contacts pendant six ans. Je suis dans une colère noire, donc je lui ai raccroché au nez. Je n'arrivais même plus à dire autre chose que des insultes.
— Ouais, la famille, ça craint.
— Il faut juste que je me calme. Du coup, je bois.
— Pas sûr que ça soit la meilleure solution, mais chacun fait comme il veut.
— Merci, je dis en portant un toast avec mon verre dans sa direction. Je ne la laisserai plus me tenir à l'écart à présent.
— Tu as besoin de quoi ? Je peux aider ?
— Je vais lui trouver un appartement, je suppose qu'elle n'a nulle part où crécher.
— On en a un dans le port, il est libre.
— Je pensais justement demander celui-là. Anton sera d'accord ?
— Il ne s'occupe pas des détails. Je t'envoie les clés tout à l'heure.
— Encore merci, mon pote.
— Ce n'est pas gratuit, tu es au courant quand même ?
— Allons, depuis combien de temps je travaille pour vous, les russes ? je ricane en levant les yeux. Bien sûr que ce n'est pas gratuit. Tout à un prix, tout.
Youri termine son verre cul-sec et me tape l'épaule en partant. Le coup, bien que léger pour lui, vibre dans mes articulations. Ce mec est un putain de tueur, il brise les os sans effort. Cet au revoir est un petit rappel que je ne dois pas jouer au con. Je travaille pour eux, avec eux, mais je ne suis pas leur compatriote. Ma loyauté doit être prouvée deux, si ce n'est pas trois fois plus que si j'étais né dans leur pays.
Je dois reprendre contact avec ma sœur, c'est le plus important. Que notre relation redevienne telle qu'elle était à l'époque et même l'améliorer. Je peux la protéger, la mettre à l'abri du besoin et des flics maintenant. L'organisation de Yourenev est solide et fidèle à ses employés s'ils sont eux-mêmes dévoués.
Mes remords m'ontendurci. Je me suis forgé une réputation de comptable sans âme, travaillantd'arrache pied pour Anton, car je veux faire partie de son clan. Je regrette macolère et d'avoir raccroché au nez de ma sœur. Mon tempérament est ce que jedois contrôler quand elle rappellera. Car elle le fera, elle le doit. J'aibesoin d'elle près de moi maintenant qu'elle est de retour. J'espère qu'elle melaissera aussi prendre soin d'elle, même si elle continue comme dans notreadolescence à prétendre être capable de tout surmonter seule. Je veux retrouvernotre complicité.
Traduction :
Pokidaet butylku : laisse la bouteille.
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