La soirée bat son plein. Les couples s'enlacent, d'autres boivent et rient. Je contourne les tables, distribuant des sourires et des salutations. Une coupe de champagne à la main, je joue à la parfaite petite hôtesse. Le rire gras d'un client qui renverse son verre dans le décolleté plongeant de son esclave d'une nuit me parvient. Il lèche sa peau, récupérant les gouttes d'alcool en gémissant. Theresa lui encercle la tête et la pousse entre ses monts jumeaux tendres et pâles dans une jolie imitation de désir. Je ne devrais pas être aussi cynique en les observant. Certaines filles trouvent leur plaisir dans les jeux sexuels qu'elles prestent. Mon expérience avec les hommes et leurs demandes incessantes n'est pas la règle. J'essaie de me persuader que des hommes sincères et désintéressés doivent exister. Je n'en ai jamais rencontré, voilà !

Je porte à mes lèvres mon verre et grimace. L'alcool s'est réchauffé. Rejoignant le bar, j 'y abandonne celui-ci.

- Tout se passe bien ? je demande au préposé aux boissons.

- C'est une soirée calme, pas de remous, me répond-il en regardant l'écran de son téléphone.

Je fronce les sourcils, d'habitude Pavel est plus poli.

- Qu' y a-t-il ?

- Un message, pour toi. Anton te cherche.

- J'y vais tout de suite. Fais passer le mot, s'il te plaît.

- C'est fait, me répond-il en pianotant sur son téléphone.

Anton se trouve au Lounge, assis à table avec des clients VIP. Je me fabrique l'expression attendue dans cette situation.

- Anton ! Mon chéri, tu me demandes ?

Le sourire de mon ex n'atteint pas ses yeux bleu glacier. Il est magnifique, mais terrifiant. Je n'ai jamais réussi à me défaire d'un sentiment de peur en sa présence. Il est un prédateur mortel et il en joue.

- Oui, ma belle Helena, ces messieurs ont besoin de toi pour visiter et choisir leur prochaine activité.

- C'est avec plaisir, je réponds.

Me tournant vers le groupe de quatre hommes, je leur tends une main aux longs ongles manucurés. Le premier se penche et y dépose un léger baiser en croisant mon regard.

- Enchanté, douce Helena.

- De même.

Pendant que je charme nos clients dans ce premier contact, je perçois en périphérie de ma vision un mou­vement.

- Voici vos bracelets, pour vos accès dans l'établissement.

Mon corps reconnait plus vite que mon cerveau le propriétaire de ces mots. La chair de poule s'installe sur ma peau et déclenche un frisson sensuel. Son costume gris foncé sur une chemise blanche immaculée lui confère une stature impressionnante de virilité et de force. Ses cheveux roux foncés, un peu ondulés sont coiffés en arrière. Mes doigts me démangent de remettre en place les quelques mèches rebelles qui retombent sur son front.

- Oh merci ! s 'exclame l'un des hommes.

Sans réfléchir, j'attrape les précieux passes et frôle les doigts d'Elias. Il m'offre un sourire que je trouve suffisant. S'il pense que j'ai oublié ses accusations, il se trompe lourdement.

- Helena est là pour votre service, elle connaît tous les secrets et les avantages des 7 Péchés, commente Anton.

Son intervention à le chic de me ramener à la réalité. Je nie le frisson qui me traverse au contact d'Elias et me focalise sur nos nouveaux clients.

- Laissez-moi vous aider, je leur offre mon plus beau décolleté en me penchant vers eux.

Je me déhanche vers les VIP et leur fais tout un show pour attacher leur bracelets. Tout ça dans le but d'oublier ce mufle d'Elias. Il m'a insultée après m'avoir sauvée. De plus, je suis mal à l'aise sous le regard d'Anton. Il est trop perspicace, il va voir que je suis perturbée par son comptable.

- Puis-je te parler un instant ? me demande Elias. Je croise son regard puis me détourne.

Je n'ai aucune envie d'entendre ce qu'il a à me dire. Ça m'étonnerait que ce soit des excuses.

- Plus tard, je m'occupe de nos chers amis.

L'un d'eux profite de ma réflexion pour passer un bras autour de ma taille. Il suppose, à raison, que je ne le repousserai pas.

- Cette demoiselle est notre guide, trouvez une autre partenaire, mon pote, lance le client avec un sourire moqueur.

La mâchoire du comptable se crispe et ses yeux le fusillent. Être "son pote" n'est de toute évidence pas le bon terme en ce qui le concerne. Anton ricane et se lève, ce qui détourne l'attention de tous. Il sait gérer les situations, il faut le reconnaître.

- Viens avec moi, Elias. Tu parleras à Helena plus tard.

Je suis surprise du temps que met l'irlandais pour acquiescer et détendre ses épaules. Cet effort conscient lui est difficile. Il est courageux de se confronter au chef de clan. A-t-il vraiment hésité à contrarier notre patron ? Pour mettre les points sur les i avec moi ?

- N'oublie pas, on se reverra, me lance-t-il.

Cette remarque sonne comme une menace. Je n'arrive pas à me décider si c'est sexy ou effrayant.

- Si j'ai le temps, je ne peux m'empêcher de répliquer.

Je ne me comprends pas. Cet homme déclenche en moi des réactions que même Anton n'a jamais réussi à me tirer. D'habitude, je mords sur mes joues, retenant mes répliques. J'ai passé des années à imiter ma mère. A accepter les désirs de mon amant, le charmer même quand j'ai envie de le frapper. Ne jamais le contrarier, toujours sourire. Cet homme-ci est rempli de préjugés contre moi. Uniquement moi. Je le sais, car les filles qui partagent leur corps contre des dollars racontent qu'il les traitent comme des êtres humains et non des objets sexuels. Bien qu'il se serve de leur commerce, il ne leur reproche pas leur tenue ni leur choix de vie. Alors pourquoi est-il si mesquin envers moi ? Qu'ai-je fait pour le rendre si dur ?

-Venez messieurs. Ces dames n'attendent que vous pour s'amuser.

- Et toi, jolie poupée ? Tu nous tiens compagnie ?

Ce surnom me crispe, mais je laisse passer sans le reprendre. Le client est roi et si ça peut énerver Elias, c'est un plus. Je vérifie d'un coup d'œil par dessous mes cils sa réaction. Ses poings sont serrés. Il doit sentir que je l'observe, car il nous tourne le dos et rejoint le boss.

- Je compte bien m'amuser, oui, je réponds d'une voix forte pour qu'il entende avant d'être trop loin.

Ma petite victoire est un bonne sur mon égo blessé. J'emmène le groupe vers l 'Envie et la Luxure et passe une heure en leur compagnie Pour les quitter, je dois me montrer assez inventive. Le client blond tente de me séduire, bien que je lui ai annoncé le contraire assez tôt. Mais il est plus malin que mon agresseur de la fois d'avant, il me sourit en tendant une carte.

- Si vous changez d'avis, je serais ravi de vous revoir. On pourrait trouver un arrangement qui nous conviendrait tous les deux.

Après un baise-main accompagné d'un regard brûlant, il jette son dévolu sur une jolie brune. Je ne comprendrais jamais les hommes.

Il était charmant jusqu'à ce qu'il me propose un marché. A chaque fois, ils pensent que je ne peux qu'échanger mon temps et ma présence contre un bien et de l'argent. Un soupir de déception s'échappe de moi.

Quand un homme cherchera-t-il plus loin et voudra me connaitre vraiment ?