Jaloux


  Je suis allé prendre une douche dans la salle de bain de ma chambre où je ne dors pas. Avant de m'habiller je me regarde un long moment dans le miroir. La buée s'échappe vite et me laisse face à mon reflet.
Blafard est le premier mot qui me vient à l'esprit.
Comment soutenir la comparaison ce soir? Évoluer au milieu des grands fauves tout seul en n'ayant pour armes que ma bite et mon couteau me semble être encore une fois du domaine de l'absurde.

J'ai passé un moment bien agréable tout à l'heure chez le barbier et il faut reconnaître que même si l'épilation des sourcils est à élever au rang de l'art de la torture nazie le résultat est spectaculaire : je n'ai plus deux yeux mais un regard de braises.
Je me sèche en jetant un oeil à la tenue qui m'attend pour le bal.
Nous avons choisi, ou plutôt, Dylan et le vendeur ont choisi pour moi une tenue simple et discrète. Un truc passe-partout mais dont les détails et les finitions parfaites suffiront à faire de moi un puma bien léché pour accompagner le Léopard.
Le tissu fin et doux de la chemise glisse sur mes épaules avec la légèreté d'un souffle de jeune fille. Le pantalon est d'un confort que j'ai rarement connu et une fois les pans rentrées à l'intérieur je serre la boucle de la ceinture au cuir hors de prix. Ni trop. Ni trop peu.

L'habit ne fait pas le moine mais il peut parfois faire la pute.
  Habillé de la tête au pied en textile haut de gamme par mon amant de quinze ans plus jeune j'ai du mal à retrouver l'âme du chercheur parisien qui se déplace en vélo et prévoit son budget sorties chaque mois.

Si, si, je suis là Clément, je ne fais pas de bruit pour ne pas déranger mais je ne suis pas loin. Et je kiffe! Je surkiffe même!

Mes épaules larges et solides de quadragénaire supportent finalement l'éclat de la chemise kaki avec panache. Le vélo à métamorphosé mes jambes et le tissu du pantalon tombe avec une élégance idéale de mes hanches jusqu'à mes chevilles. Je ne me suis jamais vu aussi séduisant. Je suis bel et bien devenu en quelques achats un bon gros Puma de montagne. Seul la fermeture éclair compliquée de ma braguette me donne du fil à retordre. Une fois vêtu j'enfile une paire de souliers de cuir sombre et part frapper à la porte de Dylan.

Il est encore une fois à moitié à poil le bras dans son attelle et un pied dans son pantalon en train d'essayer d'enfiler ça comme il peut de la main gauche.
-You might need somebody*?

Il râpe sa lèvre inférieure lentement contre ses dents du haut en me regardant. Après un temps, il finit par lâcher le vêtement et s'asseoir sur le lit sans détacher son regard de ma personne.
-J'ai eu envie de toi le premier soir. Je te trouvais séduisant avec tes lunettes et tes cheveux un peu bouclés par la pluie. Je n'avais pas imaginé un instant à quel point tu serai désirable habillé comme ça. J'espère que tu repartiras à mon bras à la fin de la soirée malgré tout. Lâche-t-il les yeux brillants.

Le compliment me touche autant qu'il me fait rougir, j'ajuste nerveusement mes lunettes et m'approche de lui pour l'aider à enfiler son pantalon.
Avec précaution je défais son attelle et l'aide à passer la chemise noire qu'il a choisit sans le faire trop grimacer, je sens son regard sur mes cheveux alors que je suis agenouillé pour fermer les derniers boutons, son haleine si proche me donne envie de retirer nos fringues à la hâte et de faire une boule de ces étoffes trop chères au milieu de la chambre pour mieux rester contre sa peau toute une soirée. Encore. J'en suis à fermer le zip quand nos regards se croisent.
-Tu peux arrêter de bander cinq minutes? J'arrive pas à fermer ta braguette. Lui dis-je dans un demi-sourire sans lever les yeux.

Il rit de bon cœur et s'occupe de la mienne. Nous prenons alors nos vestes et il passe un appel pour réserver un chauffeur qui nous emmènera à l'avant-première.
Tous mes espoirs reposent sur l'efficacité de mon déodorant en cet instant.

Dans la voiture nous nous parlons peu, j'en profite surtout pour mater la ville la nuit par la fenêtre.

C'est sexy le ciel de Californie...

Sa main garde la mienne prisonnière comme pour être certain que les sentiments que je ne lui avoue pas restent au creux de ce serment tacite et muet.
Je suis tellement heureux à cet instant que j'ai envie de mourir et de vomir en même temps. Si ma vie s'arrêtait là juste avant la fête, juste avant que le quotidien et nos travers respectifs ne bousillent tout ça m'irait très bien.
Je veux rester au planer, je ne veux pas subir la réception. Juste sauter et planer.

Peu avant d'arriver nous nous redressons sur le siège et échangeons un baiser sec et furtif de vieux partenaires. Pendant que je réajuste sa cravate et sa veste il pense à essuyer toute trace de sauce napolitaine sous mon orbite. Ce geste m'apporte la bouffée de courage et de confiance en soi dont je manquais pour investir la soirée. Moi, Clément, introverti et agoraphobe sur les bords je m'apprête à passer une soirée à Hollywood au milieu d'acteurs en vue. Tout est normal et tout va très bien.

Lorsque le chauffeur ouvre la portière j'ai une nouvelle fois envie de me vomir dessus. Il faut que je sorte en premier pour le laisser ensuite prendre la lumière des flashs et passer de la sorte plus inaperçu que s'il me faisait sortir de la voiture tel un jeune marié. En outre, il a besoin d'aide pour s'extirper du véhicule.

Une fois dehors, je l'attrape sous son bras valide et m'efface dès qu'il se tient debout près de la voiture. Il affiche le masque impeccable de la vedette et lève sa main pour faire des signes amicaux aux admiratrices et aux photographes venus nombreux pour une des premières sorties officielles de l'acteur depuis son accident. Ça crépite de toutes parts, les photographes crient son nom à droite et à gauche, des fans pré pubères trépignent en hurlant "Dylaaaaan" derrière les barrières et je me demande bien quelle mère autorise sa fille à sortir si tard un soir de semaine pour participer à un bain de foule pareil.
Des M.I.B* à oreillettes nous font signe d'avancer sur le tapis rouge et une nuée de calepin et autres photos lui sont jetés au visage alors qu'il marche vers l'entrée. La sécurité maintient les fans et les journalistes comme des zombies affamés derrière un grillage. J'ai presque peur mais en fait je me rends à l'évidence devant mon prodigieux agacement : je suis jaloux.
Je n'aime pas qu'on rêve de lui la nuit ni qu'on ait envie de lui toucher la main. Je ne veux pas que leurs Facebook soit décorés de photos d'elles et lui alors que je n'ai pas la possibilité de lui tenir la main en public. Je suis jaloux d'une meute de fillettes.

  Dylan connaît bien les règles du jeu comme il me l'a expliqué la veille. Il sourit comme il faut, répond concis aux journalistes qu'il va beaucoup mieux, signe plusieurs autographes, serre des mains et pose pour quelques selfies.
Accompagner son mec au boulot, même avec champagne et tapis rouge, reste un moment chiant pour n'importe qui, du moins pour moi.

La sécurité nous fait accélérer le mouvement, on sent bien que les américains ne plaisantent pas avec ça et l'attentat d'Orlando a renforcé l'inquiétude d'une Amérique déjà lourdement traumatisée. Malgré son puritanisme et ses états d'âme merdiques, Oncle Sam n'aime pas qu'on vienne foutre le bordel à Brockeback Mountain et c'est tout à son honneur.

Une fois rentrés dans le hall de l'immense building qui abrite les festivités Dylan me donne une claque amicale dans le dos suivie d'un clin d'œil complice.

Et maintenant, bienvenue dans la cage aux lions!

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J'ai utilisé ce texte pour illustrer mon conseil "Relecture le B.A. BA". Pour les fans de making-of et autres scènes coupées au montage rendez-vous là-bas.😉

*Tu sembles avoir besoin de quelqu'un?
*Men In Black/ les hommes en noir.

Et voilà, vous vouliez plus de détails physiques sur Clément je vous en donne un petit peu. Volontairement différent de celui que je connais mais voici de quoi appuyer vos lectures.
Une petite dédicace à Mylène Farmer dans les années 90' s'est glissée dans le récit... Vous l'avez repérée?
Merci pour le suivi et à très vite pour la fête dans la "cage aux lions". Va y avoir du casting!Ça va rugir...

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