Have a nice day

Je lui dis que je vais faire chauffer une pizza. J'ai la tête qui me tourne avec les verres qu'on a bus un peu rapidement. Pendant que le four chauffe j'ouvre le paquet de la pizza et dans un geste sec je manque de tout foutre par terre. Assis sur le canapé le léopard m'observe avec un demi-sourire.

Tu lui sers sa pizza. Tu restes poli. Et aimable. Et tu dis que tu es fatigué et tu vas te coucher. Dans ton lit. Seul. Et tu arrêtes de te faire des films, il va s'endormir sur ton futon et demain tu relâches le gros chat dans la jungle. Rien de compliqué. Ça va très très bien se passer, c'est pas du tout complètement dingue, ce n'est pas du tout un supplice d'avoir une telle créature chez soi et de ne pas pouvoir toucher même du bout des doigts. Tout va très, très bien.

Je lui propose le futon pour la nuit et il accepte en me remerciant chaleureusement. Après avoir rangé un peu le salon et déplié le lit je vais chercher un duvet en haut du placard, quand je reviens il a retiré son pantalon et il réessaye encore de faire démarrer son téléphone. Sans succès. Quand je lui tends le sac de couchage il me regarde sans un mot puis approche une main de ma joue et essuie de son pouce l'aile de mon nez. Ferme pas les yeux. Bande pas. Pense à tes impôts. Pense pas à la queue du léopard.

— Tu avais un peu de sauce tomate.

— M... Merci. Je veux...vais me ...brosser les dents.

C'est abominable. Je me fais draguer. C'est sûr, non ? Je me fais draguer là ? Trop jeune, trop acteur, trop américain, trop beau, trop irréel. T'as raison Clément, vaut mieux se taper l'épicier moche du coin de la rue, c'est plus sympa. Là c'est trop facile le plan cul du siècle qui se met en caleçon dans ton salon, ce ne serait tellement pas toi d'y céder. Et puis ce n'est pas comme si ça n'arrivait pas tous les jours, hein ? On ne sait jamais si Jake Gyllenhaal a besoin d'un appareil à raclette pendant ses vacances au ski il frappera sûrement à la porte du village de ton père !

Je lui donne une brosse à dents neuve et m'éclipse sous la couette de mon lit. Quand il revient il m'achève en retirant son T-shirt devant moi puis il s'allonge dans le duvet et nous nous souhaitons mutuellement "bonne nuit" avant que j'éteigne la lumière.
La pluie continue de battre les fenêtres et rapidement je l'entends sombrer dans un profond sommeil : il ronfle très légèrement, on dirait une légère vibration, comme un ronronnement qui vient du futon. J'ai envie de me lever pour aller le regarder ronfler. J'aurais dû l'embrasser tout à l'heure. J'aurai dû caresser le léopard. A cet instant je serais en train de baiser ce petit emmerdeur et ça serait une chouette soirée au lieu d'être comme un con dans mon lit à écouter la petite bombe ronfler avec une trique d'enfer. T'es naze Clément. C'est à cause des mecs comme toi que les acteurs finissent tous hétéros.

Au bout de quelques retournements dans mon lit je finis par rendre les armes, bercé par sa respiration régulière et m'endors à mon tour.

Le réveil nous lève assez tôt et je vais lancer la cafetière avant de filer sous la douche pendant que sa majesté commence à s'étirer langoureusement sur son matelas en roulant ses épaules rondes et fermes en dehors du sac de couchage. Insupportable. Vivement qu'il se casse et que j'arrive au boulot. En plus il est sympathique. Je le hais.

Quand je sors de la salle de bain il a un sourire immense sur le visage.

— Mon cell marche ! Mon agent arrive dans 30 minutes !

Je suis aussi ravi que lui. Et un peu peiné aussi sans pouvoir vraiment expliquer pourquoi. On partage un café après qu'il se soit habillé et je lui souhaite de profiter pleinement de son séjour parisien.
Il enfile son sweat à capuche et je le raccompagne à la porte. Lorsque je lui tends une main solide en guise d'adieux il refait le même geste tendre qu'hier soir avec son pouce sur l'aile de mon nez. Dis un truc. Fais un truc. Embrasse-le ou caresse le. Ou les deux. Tire partie de ça, fais quelque chose bordel, reste pas planté sur ton palier comme un con !

—Je... J'ai encore un peu... De sauce tomate ?

—No.

À cet instant ma tentative de poignée de main virile mute et je tente de lui rendre la pareille, juste pour savoir, juste pour connaître, juste pour voir si sa joue est douce sous la pulpe de mes doigts...
Sonnerie de l'iPhone.

— My agent ! I have to go. Thanks, see you.

Nos bras retombent et le léopard déguerpit dans mes escaliers avec sa grâce sauvage pour détaler ensuite dans la jungle profonde de Paris dans laquelle il disparaîtra en un claquement de portière.

Je reste un instant médusé. J'ai envie de me mettre une grosse claque pour me réveiller et pour oublier en même temps mais le contact magnétique de sa caresse me picote encore la moitié du visage. Je vais être à la bourre ce matin ça me semble évident !

Sur le chemin j'ai du mal à être concentré sur la route. Je grille une priorité et manque de rouler sur le petit chien d'une dame. Au boulot c'est pareil, je n'arrive pas à rassembler mes idées et encore moins à me concentrer. La scène de la sauce tomate m'obsède. Son ventre m'obsède. Les cheveux fous dans sa nuque me tordent le ventre. Mais putain qu'est-ce que j'ai fait ? Ou surtout : que n'ai-je pas fait ?!?? Mais c'est quoi mon problème ?

Il se passe environ une heure avant que je ne réussisse à me mettre devant l'ordinateur calme et concentré. Mon téléphone commence à vibrer régulièrement au rythme des suggestions de mes potes pour un vendredi soir sur mesure. Les SMS, les Snap, les messages vocaux et Twitter se disputent l'organisation de la soirée avec Messenger.
Je m'arrête pour aller prendre une pause et faire le tri de mes messages tout en sachant pertinemment qu'on finira tous au même endroit à la même heure.

Je manque alors de m'étrangler devant mes notifications Facebook :

Dylan Obi-Wan souhaite vous ajouter à ses amis

Je clique sur "Accepter" compulsivement en sentant une décharge de transpiration me parcourir. La soirée bière devient soudainement aussi importante à mes yeux que les salades du jardin de mon père. J'ai un peu la nausée et en même temps je suis un peu excité aussi.
Je bois mon café cul sec.
La brûlure sur ma langue ne me fait pour ainsi dire rien.
Une stagiaire vient me voir et me demande si tout va bien car je n'ai pas l'air dans mon assiette ce matin, je réponds que j'ai pris froid hier sous la pluie et que je dois avoir un peu de fièvre.
Je retourne bosser.
Le portable continue de vibrer et je ne m'en occupe plus. Je ne mange pas le midi j'ai l'estomac noué. Je suis peut-être vraiment fiévreux ?
Vers 17h30 je prends le téléphone pour vérifier que tout est en ordre et qu'on se retrouve bien au même bistrot que d'habitude. Je résiste vaillamment à l'envie de fouiller son profil et de me vautrer dans une contemplation voyeuse de ses photos, un peu vexé qu'il n'ait pas liké une seule des miennes. Oublie !
Que la Force soit avec moi : dans deux pintes je vais tout raconter. Ça va nous faire la soirée j'imagine et ça va me faire du bien d'en rigoler.

Difficile de me sortir du crâne le corps parfait du jeune homme debout dans mon salon hier soir. Les images passent et repassent comme une vieille VHS qu'on chérissait adolescent. Le vélo bien attaché je rejoins mes potes dans le bar et commande ma rousse préférée. Adrien a déjà commencé à débriefer sa semaine et Nico se gratte la barbe comme il a l'habitude de le faire lorsqu'il hésite à prendre une autre cigarette. Je savoure mes trois premières gorgées en silence en écoutant les uns râler sur leur boss et les autres sur leur mec. Mon téléphone vibre lorsque Christophe s'adresse à moi :

— Et toi Clèm ? Quoi de neuf dans ta dernière ligne droite avant la quarantaine ?

Je jette un œil au message qui vient d'arriver.

Dylan Obi-Wan dit : J'ai gardé ton T-Shirt sur moi. Il faudrait qu'on se revoie pour que tu le récupères.

— Moi ? Euh... Pas grand-chose, peut-être un rencard demain. On verra bien.

Je souris et me replonge avec délices dans la rousse à 6°.

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Merci à ceux qui sont arrivés jusque là et qui ont eu la gentillesse de commenter ou de voter pour ce texte. Plusieurs personnes (sur Wattpad ou non) m'ont demandé une suite. Ce serait adorable de votre part de me donner votre avis en commentaire!
À très vite!

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