Prologue "Tu as une histoire sans cliché, pépé ?"
Et ils finirent par arriver à la fin de l'histoire, tout ouïe :
"-Elle se tourna vers lui et sourit :
-Tu avais raison, tout s'est bien passé. On a survécu à tous les dangers que nous avons dû traverser et nous avons gagné, ensemble.
-La prochaine fois, tu pourras me croire dès le début, dit-il en souriant à son tour.
-Oh, j'espère que les épreuves sont terminées ! s'exclama-t-elle. Nous en avons eues assez pour toute une vie et plus !
-Je suis bien d'accord, approuva-t-il alors qu'ils sortaient sur le balcon. S'il y a de nouveau une catastrophe, on laissera les autres se débrouiller sans nous. On a bien mérité un peu de repos.
Ils s'assirent côte à côte sur la balancelle et regardèrent le ciel étoilé, heureux d'être enfin tous les deux, en sécurité et avec toute une vie tranquille et paisible devant eux. "
Dans le salon, le vieil homme assis au coin du feu referma le livre. Devant lui, ses petits-enfants étaient allongés sur le sol ou avachis sur le canapé. La plus petite, âgée de trois ans, dormait sur les genoux de l'aîné, Mathias, de quinze ans. À côté, Sandra, huit ans, baillait en se protégeant avec un coussin des attaques de boules de papier de son cousin Louis, neuf ans, assis par terre. Les jumelles de six ans Elodie et Camille, allongées devant le canapé, regardaient leur grand-père, les yeux brillant de fatigue et de plaisir. Enfin, Amélie, seize ans, venait de se lever pour raviver le feu.
-Pourquoi le chien est-il mort ? fut la première chose qu'Elodie demanda. Je l'aimais bien.
-Parce qu'il allait gêner les déplacements des personnages principaux si l'auteur le gardait, évidemment ! s'exclama Louis en lui lançant une boule de papier sur le nez.
-Chut ! siffla Mathias. Vous allez réveiller Vanessa, ajouta-t-il en montrant la petite qui dormait dans ses bras.
-Mais c'est triste de le tuer, dit Elodie en revenant au chien.
-Bah, je te l'ai déjà dit, il n'était plus utile et aurait gêné les actions, fit Louis.
-Ils auraient pu le mettre chez des amis, argumenta Sandra.
-Ouais... concéda Louis. Mais la mort du chien ajoute un peu de tristesse à l'histoire. Il faut bien qu'il y ait un minimum de personnages qui meurent pour que ce soit crédible.
-Pff... Pour que ce soit crédible, faudrait déjà qu'ils arrêtent tous ces trucs clichés ! s'exclama Amélie en se rasseyant à côté de Mathias.
-C'est vrai que ça devient un peu énervant d'avoir toujours les mêmes choses qui se répètent, approuva celui-ci.
Leur grand-père sourit et prit la parole :
-Qu'est-ce qui se répète donc autant ?
-Bah, déjà, c'est la fille et le garçon qui sont le centre du monde du livre. Il n'existe pas une personne qui ignore leur existence, ils sont connus et sauvent tout, et sont parfaits, intelligents et trop forts, énuméra Amélie avec un rictus moqueur. Tous les personnages principaux sont presque toujours comme ça. Je sais que c'est pour faire rêver le lecteur, mais on a besoin de s'identifier un minimum aux personnages principaux, de temps en temps !
-C'est plus compliqué de trouver une intrigue si le personnage principal est ordinaire et comme tout le monde, fit son grand-père.
Mais Amélie ne l'écoutait pas, elle continuait :
-Ils sont amoureux, des âmes sœurs que rien ne peut séparer à partir du moment où ils s'avouent leurs sentiments, et ils sont tous les deux trop beaux. Dès qu'ils se rencontrent, au début de l'histoire, on sait tout de suite qu'ils vont finir ensemble ! Mais eux ne le savent pas et n'arrêtent pas de penser que l'autre ne l'aime pas, piquent des crises de jalousie en pensant que l'autre aime une autre personne, et tout le tralala clichés jusqu'au moment où machin dit à machine qu'il l'aime. Souvent en plein danger parce qu'ils risquent de mourir, ou pendant une grosse crise de désespoir où tout semble perdu, ou encore après un accident ou une dispute. Et la fin se finit bien pour tous les deux ! Dans la vraie vie, on n'a pas des histoires amoureuses aussi stéréotypées ! Et pourquoi les méchants ne gagnent jamais ? Le camp adverse devrait remporter la victoire de temps en temps, non ? C'est comme ça que ça se passe dans la vraie vie !
-Vous seriez bien triste que l'histoire se finisse mal, dit le grand-père en éclatant de rire.
Amélie ne sembla pas convaincue.
-Et les méchants racontent toujours leur vie et comment ils ont réussi à piéger les héros, ajouta Mathias. Dans la vraie vie, si quelqu'un te piège pour te tuer, il ne va pas commencer à perdre du temps en te déballant le plan qu'il avait mis au point pour te coincer !
-Il faut bien que l'auteur trouve un moyen pour expliquer au lecteur comment il a réussi, rétorqua le grand-père en haussant les épaules.
-Exact, fit Camille en s'étirant, faisant tomber le chat qui se reposait sur ses genoux. Oups, pardon le minou.
-Moi, dit Louis en lançant une boule de papier sur le chat, je trouve que, le plus énervant, c'est que le personnage principal est souvent un orphelin abandonné à la naissance par ses parents pour ne pas attirer l'attention du grand méchant qui le recherche, ou alors un orphelin dont les parents ont été tués en se sacrifiant pour le sauver du grand méchant.
-Ah oui, ça c'est vrai ! s'exclama Amélie. Et il est souvent mis dans une famille ou un orphelinat où il se sent très différent et pas à sa place. Il envie les enfants qui ont des parents et on raconte pendant de nombreux chapitres sa tristesse et ses malheurs.
-Bah, des fois, il faut qu'on ait un peu pitié du personnage, dit Camille d'une voix hésitante. Non ?
-Bah, il pourrait quand même avoir un parent encore vivant, répliqua Mathias. Ou même les deux, c'est énervant d'avoir trop pitié.
-Mais c'est comme le chien ! s'exclama Camille en se tournant face à lui, prenant une expression plus assurée. Les parents peuvent gêner les actions des héros, donc on s'en débarrasse.
-Ah ! Bah, ce serait bien de pouvoir faire la même chose ! lâcha Mathias. Je rigolais ! s'empressa-t-il d'ajouter en voyant l'expression réprobatrice de son grand-père. Une simple plaisanterie...
-Ah oui, les actions des héros... fit Amélie en plissant les yeux. Les héros qui doivent suivre leur destin, dès qu'on leur annonce qu'il est déjà tout tracé : vaincre le méchant ! Pourquoi est-ce qu'ils ne refusent jamais d'aller sauver le monde tout seul et d'affronter un tas de dangers ? Surtout s'ils se sont toujours crus abandonnés par leurs parents, qu'ils ont été traités comme de la vermine, et qu'on les sort seulement de leur malheur pour leur donner cette mission suicide !
-Il faut bien qu'il y ait de l'action, une histoire, dit Camille en haussant les épaules.
-Bah, le pire, ce sera toujours la prophétie qu'on connait dès la première page, annonçant que le monde sera sauvé du grand méchant par un garçon ou une fille aux pouvoirs exceptionnels, souvent sans famille, qui sera aidé par de fidèles amis et qui devra affronter de nombreux ennemis ! remarqua Louis.
Tous les enfants tombèrent d'accord, même Camille qui semblait jusqu'alors défendre les auteurs.
-Mais c'est moins souvent que les autres clichés, précisa Elodie. Ou pas...
Puis ils se tournèrent vers le grand-père qui les regardait avec amusement.
-Tu as une histoire sans cliché, pépé ? demanda Amélie. Sans orphelin abandonné à la naissance pour échapper au méchant, sans fin heureuse qu'on connaissait avant de commencer l'histoire, sans amour évident ignoré des principaux concernés, sans prophétie, sans personnage principal parfait et au centre de l'Histoire de son monde, sans...
-Sans chien qui meurt ! la coupa Elodie.
-Sans chien qui meurt, accepta Amélie en levant les yeux au ciel, sans méchant qui déballe son plan à la fin, sans mort trop glorieuse si quelqu'un arrive à mourir - on peut ajouter ça - sans...
-Je vois ! l'interrompit son grand-père. Eh bien, mes petits, si tel est vraiment votre désir, je vais voir ce que je peux faire pour vous en inventer une. Mais je vous préviens, c'est tout de suite moins marrant !
-Je suis sûre que ce sera beaucoup mieux, au contraire, assura Amélie. Même si c'est plus compliqué à inventer. Nous, de toute façon, on veut un résultat original, et pas cliché.
-Il faut quand même qu'il y ait de l'action, hein ? fit Camille. Sinon c'est trop ennuyeux de voir toutes les journées similaires.
-Bon, on oublie ce cliché, alors, déclara Amélie.
-Bah, heureusement, sinon il y aurait vraiment rien d'intéressant à raconter ! s'exclama Elodie.
-Allez, une histoire, maintenant ! fit Louis.
-Bien, bien, dit le grand-père en s'installant plus confortablement dans son fauteuil. Alors c'est parti, les enfants, et ouvrez bien vos oreilles pour entendre l'histoire que votre pépé va vous inventer...
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Bonjour, alors voilà le défi que je me suis lancée, après une discussion avec ma sœur et une amie, comme ce grand-père : écrire une histoire dont le déroulement est le moins prévisible possible ! Reste à voir si vous l'aimerez, en tout cas moi je me suis bien amusée à l'inventer.
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