Epilogue : "C'est bien facile de critiquer quelqu'un"

Le silence se fit dans le salon. Le grand-père venait de terminer son histoire et regardait à présent ses petits-enfants avec malice.

Mathias, toujours avec Vanessa endormie sur ses genoux, semblait étonné par la fin du récit. Sandra, à ses côtés, plissait les yeux, comme si elle réfléchissait à ce que tout cela impliquait. Les sourcils de son cousin Louis paraissaient vouloir s'envoler tellement ils montaient haut sur son front. Les jumelles Elodie et Camille, elles, n'avaient pas l'air d'apprécier la fin de l'histoire. Quant à Amélie, elle souriait, mais une lueur déçue brillait au fond de ses yeux.

-Je crois que je n'aime pas les histoires qui ne se finissent pas bien, dit Elodie au bout d'une minute de silence.

-Moi je voulais qu'ils trouvent un endroit où vivre heureux, approuva Camille.

-C'est que vous vouliez une histoire qui ne se finisse pas avec une fin que l'on connaissait déjà depuis le début, fit le grand-père en souriant. Alors j'ai obéis. Je vous avais prévenu que ce serait tout de suite moins satisfaisant et sympathique.

-Mmm... Non, non, c'est bien, comme ça, rétorqua Amélie qui ne semblait elle-même pas tout à fait convaincue par ce qu'elle assurait. C'était amusant.

-Il était quand même orphelin ton héros, fit remarquer Louis.

-Eh bien, pas vraiment en fait, rit le vieil homme. KC était bien toujours en vie ! On ne savait seulement pas où la mère de Gatien était réellement depuis son départ pour l'asile.

-C'est vrai. Et ce n'est pas le grand méchant qui a tué le père, précisa Élodie. Donc ça s'éloigne quand même un peu des clichés.

-Il est quand même maltraité, rappela Camille. Ça c'est courant.

-Mais il n'est pas plus malheureux qu'un autre dans sa vie, sourit son grand-père. Et s'il est maltraité, ce n'est pas parce qu'il est différent des autres. Il est juste là et sert à son oncle de moyen de se défouler. Ce qui n'est d'ailleurs pas une bonne manière de laisser libre cours à sa frustration et d'oublier sa vie malheureuse, soit dit en passant.

-Vu comme ça...

-Moi j'ai bien aimé que les gentils ne gagnent pas, dit Mathias. C'était marrant.

-À part Gatien et Estelle, il n'y a pas vraiment de camp gentil, fit remarquer Amélie. L'empereur est le méchant de l'histoire même s'il n'intervient jamais. Les résistants sont vus comme les sauveurs mais les chefs sont des égocentriques qui font ce qu'ils veulent...

-Oui, c'est pour ça que j'ai dit que les gentils ne gagnaient pas : les deux groupes opposants ne le sont pas.

Mathias bailla avant d'ajouter :

-Je pense que c'était une bonne idée, tout ça... Mais bon, on n'abuse pas des bonnes choses, alors la prochaine fois, je suis partisan de continuer avec les histoires normales car, après tout, c'est vrai que certains événements qu'on pourrait appeler clichés sont au final fait pour plaire et divertir le lecteur en le satisfaisant.

-Réponse très diplomatique pour demander une fin heureuse à chaque fois, plus de bonheur et les exploits héroïques dont tu raffoles, tout en paraissant d'accord avec Amélie, se moqua Louis.

Il se prit un oreiller dans la face pour seule réponse.

-Ils auraient pu aller vivre chez KC, qui les auraient sauvés de l'esclavage, proposa Camille en revenant à son envie de fin heureuse. Parce que là, dans les gentils, à part Romain et Marina qui ont peut-être réussi à trouver leur bonheur, et Martine qui est au moins en sécurité même si elle risque de se sentir seule, tout le monde meurt ! On ne s'y serait pas attendu non plus, à ce que KC les recueille !

-Ah, mais c'est qu'il y a plein de fins possibles, et l'auteur doit en choisir une qui lui plaît, dit son grand-père avec amusement. La vie de ses personnages ne tient qu'à un fil qu'il peut couper, emmêler et tendre à chaque instant ! Si vous voulez des histoires qui ne se finissent pas comme vous auriez pu le deviner dès le début - c'est-à-dire une fin heureuse après une série d'épreuves dont les personnages ont fini par triompher - il faut accepter le risque de faire face à des fins décevantes, tristes, surprenantes et parfois même révoltantes !

-Et donc tuer tes personnages t'a fait plaisir ? demanda Elodie.

Le vieil homme se contenta de s'enfoncer dans son siège, un grand sourire aux lèvres.

-C'est-à-dire que oui, supposa Louis.

-Donc la prochaine fois tenons-nous en aux fins heureuses normales, pour ne pas être tristes ou déçus, glissa Mathias à ses cousins.

-Mais... Non, c'était bien, là... protesta Amélie pour la forme. Non ?

-En tout cas c'est bien que le chien ne meure pas, constata Elodie en changeant de sujet.

-Même si on l'a cru mort vers le milieu de l'histoire, ajouta Sandra.

-Je suis la seule à trouver le truc des yeux d'Estelle dégoûtant ? fit Camille. Sans oublier qu'elle s'est fait manger deux doigts !

-Oui, répondit Louis avec un sourire moqueur.

-Non, répliqua Sandra. Franchement, grand-père ! C'est horrible ! Tes pauvres personnages ! Pense un peu à eux !

-Si je m'occupe de leur confort, nous retombons dans le scénario de base : des épreuves réussies avec succès, sans plus de mal qu'une petite écorchure ou une fracture vite guérie. Et la vie n'est pas facile pour tout le monde, ils ne peuvent pas tous être heureux et inhumainement chanceux !

-Tout à fait ! approuva Amélie avec un manque d'entrain visible.

-Inhumainement chanceux, on en était loin, là, c'est sûr ! s'exclama Sandra. Non mais, Gatien, c'était vraiment un boulet sur pattes ! Il a enchaîné les erreurs, tout autour de lui s'effondrait au fur et à mesure, et il finit tué par sa mère... Vraiment pas de chance, impossible de dire le contraire pour le coup ! C'était un peu exagéré, non ?

-Essaye donc de t'en sortir à sa place, et on verra comment tu te débrouilleras, fit son grand-père. Il n'était pas inhumainement chanceux, car il était seulement purement humain. C'est bien facile de critiquer quelqu'un quand on regarde une histoire, un événement ou une situation de loin. Mais est-ce que nous, nous ferions mieux à sa place, avec les mêmes problèmes, les mêmes épreuves et les mêmes obstacles ? Rien n'est moins sûr.

-C'est sûr, fit Louis. Moi, ma mère me tuera sans aucun doute dès qu'elle verra que je n'ai pas rangé ma chambre. Je finirai comme Gatien !

-A mon avis, ta situation n'a vraiment aucun rapport avec la sienne, répliqua Amélie.

-Tout à fait, dit le grand-père avec gravité.

Le silence retomba dans la pièce, troublé quelque peu par le crépitement des dernières flammes mourantes dans la cheminée. Louis et Elodie baillèrent, contaminant en quelques secondes le reste du salon.

-Bonne nuit, marmonna Amélie.

Tous se levèrent et se dirigèrent vers la porte d'un pas endormi, tentant de ne pas faire de bruits. Il était tard, après tout. Si leurs parents se rendaient compte qu'ils n'étaient pas encore couchés, ils seraient sans aucune doute enfermés le lendemain dans leurs chambres dès vingt heure !

-Demain, on lira une bonne vieille histoire normale comme d'habitude, chuchota tout de même Mathias avant d'entrer dans la chambre qu'il partageait avec Louis.

Personne ne répondit : les portes des chambres venaient de se refermer.

FIN

Et voilà, j'espère que l'histoire vous a plu et n'hésitez pas à commenter !

Je me suis bien amusée à l'écrire mais, avouons-le, ni les lecteurs ni les auteurs n'aiment que leurs personnages finissent malheureux !

Vous pouvez donc passer  si vous le voulez au chapitre suivant pour voir une fin alternative que le grand-père garde pour lui et son chat.

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