Chapitre 9 : "Deux morveux s'enfuient avec un chien !"

Trouver le camion contenant les chiens et forcer la serrure ne furent pas compliqués. Ils trouvèrent les chiens endormis, détachèrent Idil qui se réveilla en baillant, et la sortirent en tenant bien sa laisse. La chienne semblait heureuse de les revoir, mais elle resta silencieuse, comprenant qu'il ne fallait pas faire de bruit.

Ensuite, ils passèrent par l'arrière de la cuisine pour prendre les sacs préparés par la jeune fille. Puis, vérifiant que personne ne les voyait, ils s'approchèrent de la plaque d'égout.

-Allez, la carotte, dit Estelle à Gatien. On y va !

Elle attrapa la poignée...mais la plaque reste à sa place. Gatien tenta à son tour de la soulever, en vain.

-C'est quoi cette blague... marmonna-t-il en essayant de nouveau.

-Ils ont dû avoir peur que des soldats impériaux n'entrent par-là, supposa Estelle. Regarde ! Ils ont mis des cadenas !

En effet, Gatien aperçut trois cadenas qui maintenaient la plaque au sol. Ils étaient petits mais épais : ils seraient compliqués à casser.

-Bon, fit la jeune fille. Il va falloir passer par la porte d'entrée.

-Ou tentons de passer par le chemin de ronde, proposa Gatien. On descendra de l'autre côté du mur avec une corde. De là, on trouvera sûrement une voiture ou un camion qui n'a pas encore été rentré, faute de place.

-D'accord. Attends-moi deux secondes, je crois qu'il y a un tuyau d'arrosage dans la salle des serviteurs, la pièce juste à côté. J'arrive !

Elle sortit, puis revint en traînant un tuyau orange enroulé sur lui-même.

-On peut y aller, le couloir est désert, annonça-t-elle.

Comme tout le monde était dans la cour, ou presque, les deux adolescents et la chienne n'eurent aucun mal à rejoindre le chemin de ronde. Ils s'installèrent dans un angle mort, puis commencèrent à attacher le tuyau d'arrosage à la rambarde de fer.

-Super... chuchota Estelle en enroulant l'autre extrémité du tuyau autour du harnais d'Idil. Allez, ma grande, tu passes en première.

La chienne se laissa faire, et passa d'elle-même par-dessus la rambarde. Gatien et Estelle la firent descendre petit à petit au sol, prenant bien garde à ne pas lâcher le tuyau trop vite, et Idil s'assit une fois arrivée à terre.

-Bien, très bien, lui lança Estelle. Ne bouge pas, maintenant !

Elle enjamba le rebord et commença à descendre, les yeux fermés. Gatien la regarda faire, sentant l'inquiétude croître à chaque seconde. Tout semblait bien se passer, mais comment allait-il réussir à imiter Estelle sans se râper contre la muraille ? Le tuyau n'allait-il pas lâcher sous son poids ? Et s'il tombait ?

Des bruits de pas mirent fin à ses pensées.

-...passait très bien, disait une voix. Je crois que je vais l'inviter chez moi pour discuter de tout ça.

-Il faudra m'inviter aussi, alors, fit une deuxième voix que Gatien reconnut immédiatement : Alida.

Paniqué, il chercha où se cacher, en vain. Puis Alida apparut avec un vieil homme de grande taille et aussi fin qui fil de fer. Ils semblaient fatigués, peut-être qu'ils souhaitaient s'éloigner de la fête pour trouver un peu plus de silence... Mais quand ils aperçurent Gatien, ils s'immobilisèrent.

-Que fais-tu là ? questionna le vieux. Qui es-tu ?

-C'est un nouveau, le p'tit qui a accompagné Alice et Hugo pour capturer le duc, fit Alida. Hein ? Je ne me trompe pas ?

-Et qu'est-ce qu'il fait là, le p'tit nouveau qui a accompagné Alice et Hugo pour capturer le duc, alors ?

-Ben, j'en sais rien, répondit Alida. Hein ? Gatien, c'est ça ?

Gatien était figé, il ne savait pas quoi dire. Il tenta de parler, mais rien ne sortit de sa bouche.

Le regard du vieil homme passa sur le tuyau, puis sur le sac de Gatien. Ses sourcils se froncèrent et il se précipita à la rambarde, pour voir Estelle descendre, un sac sur le dos, et la chienne à terre.

-Pétroule ! s'exclama-t-il. Que je sois changé en paysan si je me trompe : DEUX MORVEUX S'ENFUIENT AVEC UN CHIEN !

Alida se boucha les oreilles en grimaçant : la puissance vocale du vieil homme était bien plus forte que ne le laissait penser sa voix frêle habituelle.

-Je...C'est... tenta Gatien en reculant de quelques pas.

Le vieil homme sortit un poignard de sous sa veste et se précipita sur le garçon.

-MORT AUX TRAÎTRES ! hurla-t-il. MORT AU PETIT LÂCHE INGRAT !

Tout s'enchaîna alors très vite. Gatien suivit son instinct d'apprenti voleur de son ancien maître : il attrapa la première chose qui lui vint en main - entre autre, son sac - et le balança d'un mouvement circulaire vers le poignard pour le faire dévier. Cependant, Gatien y avait peut-être mis un peu trop de forces : le poids du sac, en plus de dévier la trajectoire du bras tenant le poignard, déséquilibra le vieil homme et l'envoya valser contre le bord interne du chemin de ronde. Le rebord ne dépassant pas le mètre, le vieillard bascula par-dessus en s'égosillant. Alida, qui se précipitait au même moment vers lui pour le retenir, attrapa un bout de sa veste et fut entraînée à son tour dans la chute.

Gatien vit avec horreur les deux corps s'écraser dix mètres plus bas. La chute et les cris du vieux ayant attirés l'attention des gens, de nombreuses personnes accoururent et aperçurent les deux dirigeants de la résistance, étendus.

-MAMAN ! hurla un enfant, alors que Gatien sentait son cœur se fendre.

Il vit Matéo, le fils d'Alida et de Fulbert, accourir aux côtés de sa mère. Alice le suivait de près et s'accroupit près du vieillard.

-Grand-père ? Grand-père ? fit-elle en lui secouant l'épaule.

Mais la chute avait été fatale pour le vieil homme, désormais décédé.

Alice se tourna vers son cousin et attrapa la main de sa tante.

-Elle est vivante ! s'exclama-t-elle.

Matéo éclata en sanglots. Fulbert, Hélène, le fiancé d'Alice et une grande femme aux cheveux violets arrivèrent à leur tour, essoufflés. La foule les laissa passer, et ils rejoignirent les deux enfants.

La grande femme serra Alice dans ses bras en regardant le vieillard, le fiancé de la jeune fille lui prit la main, Fulbert s'effondra aux côtés de sa femme et de son fils, et Hélène s'arrêta à quelques mètres.

-Elle est vivante, répéta Alice.

-Mais plus pour longtemps, précisa Hélène en arrêtant d'un geste la course de plusieurs médecins qui arrivaient avec leur matériel.

Alida ouvrit brusquement les yeux, croisa le regard de son fils et de son mari durant quelques secondes, puis les referma et expira pour la dernière fois...

-NOOOON ! hurla Matéo, d'un cri à fendre l'âme. MAMAN ! MAMAN ! REVIENS ! T'EN VAS PAS ! MAMAN, TU PEUX PAS ME LAISSER ! OUVRE LES YEUX, ET JE PROMETS DE NE PLUS FAIRE DE BÊTISES ! JE RANGERAI MA CHAMBRE SANS QUE TU ME LE DEMANDES, JE SERAI TOUJOURS POLI ET JE TRAVAILLERAI DUR POUR ÊTRE AUSSI LE MEILLEUR EN FRANÇAIS DE LA CLASSE ET PAS SEULEMENT LE DEUXIEME ! MAIS REVIENS, NE MEURE PAS ! TU NE PEUX PAS ! Maman...

Gatien regarda Alice arracher Matéo du corps de sa mère, sans pouvoirs bouger. Puis il vit avec horreur les yeux de la foule, d'Hélène, de la grande femme, du fiancé d'Alice, et de Fulbert se lever vers lui. Dans ce dernier, Gatien entrevit une rage dévastatrice, ce qui le réveilla de sa torpeur.

-ATTRAPEZ-LE ! ordonna Fulbert en montrant Gatien.

Celui-ci recula aussitôt, balança son sac par-dessus la rambarde, l'enjamba, et se laissa glisser le long du tuyau à toute allure, la peur lui faisant oublier la sensation de brûlure alors qu'il râpait le mur.

Il sauta à terre, attrapa son sac, prit la main d'Estelle, et l'entraîna en courant. Celle-ci, qui venait de détacher Idil, poussa un petit cri de surprise et courut sans discuter, la chienne sur les talons.

Gatien se précipita vers une voiture rangée au milieu d'autres voitures, ouvrit la portière qui n'était heureusement pas fermée à clé, et se jeta à l'intérieur. Estelle s'assit à côté de lui, et Idil bondit par-dessus eux pour se mettre à l'arrière.

-Purée... fit Gatien en tentant d'allumer le moteur en appuyant sur le bouton. Pourquoi ça marche pas !

-L'hirondelle, dit Estelle.

-Quoi ?

La jeune fille se pencha vers lui et décrocha le pendentif qu'il avait autour du cou. Puis, tranquillement, elle inséra l'hirondelle dans une fente. Le moteur démarra aussitôt.

-Maintenant, dit Estelle en entendant les résistants arriver au loin. Appuie sur le champignon et tire nous de là. Après tu m'expliqueras ce qu'il vient de se passer.

Gatien ne se le fit pas dire deux fois et la voiture s'élança droit devant elle.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top