Chapitre 4 : "Pourquoi tu n'as pas d'adresse à coté de ton étoile ?"
Gatien eut juste le temps de la rattraper avant qu'elle ne heurte le sol.
Il se releva ensuite et regarda autour de lui, perdu.
-Oh non, purée, c'est pas possible... Ah, mais qu'est-ce que je peux être bête parfois ! Purée...
Que pouvait-il bien faire ? Il ne pouvait pas sortir dans la rue : les gens se demanderaient pourquoi il portait une jeune fille inconsciente. D'ailleurs, il n'était pas sûr d'être assez fort pour la soulever, sans compter les sacs qu'il ne pouvait abandonner.
Mais il ne devait pas rester trop longtemps ici, car les vendeurs de la pharmacie pouvaient à tout moment aller dans leur réserve et les voir par la fenêtre.
Il n'y avait plus qu'une seule solution : s'enfoncer dans la ruelle pour voir où elle débouchait.
Gatien vit un chariot, plus loin. Il était un peu défoncé - ce qui lui avait sans doute valu d'être mis avec les poubelles - mais semblait en bon état de marche.
-Bon, c'est parti... marmonna-t-il.
Il prit les sacs qu'il mit dans le chariot, puis hissa Estelle dedans.
Ensuite, il poussa le chariot de toutes ses forces vers le fond de la ruelle. Heureusement qu'Estelle n'était pas trop lourde, sinon Gatien doutait qu'il aurait pu la transporter.
Tout en s'enfonçant dans l'obscurité qui se faisait de plus en plus forte, Gatien réfléchissait à ce qui s'était passé. Comment avait-il pu réussir à planter la seringue dans le bras d'Estelle ? Il aurait dû faire attention !
Au-dessus de lui, le soleil se couchait, et sa lumière n'était plus assez haute pour éclairer l'intérieur de l'étroit passage qu'il empruntait.
Gatien passa devant plusieurs portes donnant sur des maisonnettes plus pauvres que celles qui bordaient les grandes rues. Il ne s'arrêta pas et continua, jusqu'à arriver devant une ancienne boutique en ruine.
Gatien ouvrit la porte et fit entrer le chariot. Puis il observa les lieux.
Il manquait une partie du toit et les ronces avaient envahi la majorité des pièces. Les ruines étaient vides, sans doute parce que les habitants et des voleurs avaient tout emporté.
Cependant, c'était un abri où personne ne viendrait - du moins Gatien l'espérait - et où il pourrait attendre tranquillement durant quelques jours qu'Estelle se réveille.
Il installa la jeune fille par terre pour sortir les couvertures des sacs, puis enroula celles-ci autour d'Estelle.
Ensuite, il ferma la porte tant bien que mal et mit le chariot derrière pour l'empêcher de s'ouvrir.
Enfin, il sortit de quoi manger, se recouvrit de la dernière couverture, et engloutit son maigre repas. Il ne tenta pas de faire boire et manger Estelle, se rappelant qu'un bourgeois s'était plaint de ne pas pouvoir étancher sa soif, au bar de son oncle, avant le lendemain car il venait de se faire opérer et qu'il n'était pas recommandé de faire travailler son estomac en étant anesthésié.
Il resta encore un peu éveillé, songeant qu'il pourrait peut-être laisser Estelle seule dans ces ruines le lendemain pour pouvoir chercher en toute liberté un recruteur dans la ville.
Content de cette idée, il s'allongea à côté d'Estelle et s'endormit, épuisé par leur long voyage.
Gatien se réveilla à l'aube, en se débattant dans sa couverture. Il venait de faire un cauchemar dans lequel un loup se jetait sur lui pour le mordre au cou, et la peur était sans doute ce qui l'avait réveillé.
-Ouaf !
Gatien se redressa en sursaut et se retrouva nez à nez avec une tête poilue. La chose se jeta sur lui en aboyant dans ses oreilles.
-Estelle ! s'exclama Gatien, oubliant un moment que la jeune fille n'était pas en mesure de l'aider. Aide-moi ! On s'est fait attraper !
Il repoussa le chien et attrapa une seringue d'anesthésiant qu'il planta dans le flanc de l'animal avec des gestes rapides.
Le chien poussa un gémissement et recula en baissant la tête. Il s'assit avec un air interrogateur.
-Oups... fit Gatien en se rendant compte que le chien était un simple chien errant, contrairement à ce qu'il avait pensé : qu'il était un chien de la police, ou même de Pascal, qui venait de les repérer et appelait ses maîtres. Mince, il faut vraiment que je fasse plus attention, là. Je suis trop stressé pour tenir une seringue comme ça ! C'est la deuxième fois que je pique inutilement sans regarder ce que je fais !
Alors qu'il parlait, Gatien vit le chien vaciller et tomber. Ce fut à ce moment qu'il remarqua que l'animal portait un collier noir avec une médaille.
Gatien s'approcha et s'agenouilla à côté du chien. Il ressemblait à un petit labrador, avec un museau fin. Ses poils étaient noirs sous la boue séchée dont il était recouvert.
-Idil234, lut-il sur la médaille. Laboratoire d'expérience génétique animalier. Eh bien, mon vieux, toi aussi tu t'es échappé de chez toi ? Félicitation ! Mais en quoi tu es muté ?
Gatien observa le corps étendu du chien avec attention. Il n'avait rien de particulier montrant qu'il n'était pas génétiquement semblable aux autres chiens.
Au bout d'un moment, Gatien sentit son ventre se tordre et attrapa une banane qu'il avait chipée sur l'étalage d'un marchand de fruit trois jours plus tôt. Il la mangea en prenant tout son temps pour donner l'impression à son estomac d'engloutir une plus grosse quantité de nourritures, puis s'étira.
Il devait être quatre heures du matin, une bonne heure pour chercher un recruteur. Ce n'était ni trop tôt, ni trop tard. En effet, les travailleurs qui commençaient le plus tôt sortaient de chez eux à cette heure. Ils étaient peu, mais existaient tout de même, donc les robots patrouilleurs ne trouveraient pas étrange qu'un adolescent traîne seul dans les rues à cette heure-ci de la nuit. De plus, si Gatien attendaient deux ou trois heures de plus, la majorité du reste des travailleurs seraient déjà debout et les rues seraient donc de nouveau animées, comme durant la journée.
Gatien entassa les sacs derrière Estelle, toujours allongée par terre dans les couvertures qui ne laissaient sortir que sa tête, et installa le corps du chien de façon à ce que son museau soit sur le ventre de la jeune fille, une patte sur le sac en tissu, et en boule. Ainsi, si quelqu'un entrait dans ces ruines, il verrait une adolescente et un chien en train de dormir. L'individu s'en irait sûrement le plus vite possible sans faire de bruit, car il serait dangereux de réveiller le chien en tentant de voler les sacs. Personne ne pouvait savoir s'il était agressif ou non et, vu ses dents que Gatien avait laissé visibles aux yeux de tous, il devait faire de sacrés dégâts lors d'une bagarre.
Gatien mis la couverture qu'il avait pris pour la nuit sous la tête d'Estelle pour qu'elle soit un peu plus confortablement installée, puis poussa légèrement le chariot qui bloquait la porte pour se glisser dans la ruelle.
Il avait emporté avec lui la lampe électrique d'Estelle- qu'il alluma - , un couteau, une autre banane et le porte-monnaie, qu'il avait mis dans les poches de son manteau.
Quand il arriva dans la grande rue, à la lumière des réverbères, Gatien rangea la lampe de poche. Puis il marcha droit devant lui, remontant l'avenue, sans faire attention aux rares passants. Il cherchait un indice dans le décor, montrant qu'un recruteur se trouvait dans le coin.
-Faites gaffe ! grogna un homme en le bousculant.
-Pardon, dit Gatien en se retournant. Mais vous aussi vous devriez faire attention !
L'homme ne répondit pas et continua de descendre sans lui accorder un regard.
Gatien soupira et reprit son chemin.
D'après ce qu'il avait entendu dans le bar de son oncle, les recruteurs pouvaient se cacher sous n'importe quel couverture - un bourgeois, un marchand, un voleur... - et avaient à leur service des enfants qui s'occupaient de remarquer les gens intéressés par la résistance en ville. Certains chiens errants avaient autour du cou un collier avec une adresse marquée sur une médaille, à côté d'une gravure d'étoile. Si on allait à l'adresse donnée, on pouvait tomber directement chez une famille de ces enfants.
Les recruteurs utilisaient ces animaux et des enfants miséreux pour ne pas se faire repérer, car les robots patrouilleurs ne voyaient rien d'anormal à des chiens vagabonds et à des gamins qui arpentaient les rues. Ces derniers acceptaient ce genre de travail lorsqu'ils étaient tellement pauvres que l'argent qu'ils gagnaient en retour était le seul qu'ils puissent se procurer. Cela pouvait être dangereux pour eux, si des soldats remontaient la piste d'un recruteur jusqu'à eux, mais ils n'avaient de toute façon pas vraiment le choix et ils étaient rares que le gouvernement mettent la main sur de telles pistes. De plus, ces méthodes utilisées par les recruteurs n'étaient pas vraiment connues du roi et de ses troupes. Elles étaient transmises par le bouche à oreille au sein même du peuple, comme de petites histoires ou des rumeurs.
Un chien passa juste à côté de Gatien, celui-ci sursauta et se pencha pour l'arrêter, mais il ne fut pas assez rapide. Cependant, Gatien se consola en voyant que le chien n'avait pas de collier, donc pas d'adresse secrète.
-Vite ! s'exclama un enfant en passant devant lui, tenant par la main un homme d'âge mûr. Tu vas encore être en retard et tu ne seras pas payé !
Gatien les regarda s'éloigner, puis continua de marcher, tout en cherchant des chiens.
De temps en temps, il voyait des enfants passer à côté de lui, et se demandait s'il était possible qu'ils travaillent pour un recruteur. Les chiens à collier qu'il arrivait à attraper n'avaient plus de médaille, ou l'étoile ne figurait pas à côté de l'adresse.
Il resta dehors toute la matinée, chaparda deux pommes dans une caisse qu'un marchant trop sûr de lui-même avait laissé sans surveillance devant la porte de son magasin, les mangea pour son déjeuner, et continua à parcourir les rues.
Il avait mal aux pieds et avait du mal à attraper des chiens sans se faire remarquer, maintenant que les passants étaient de retour.
Parfois, des calèches ou des voitures passaient au milieu de la foule, donnant un peu de spectacle. Mais, à part cela, la journée était bien ennuyeuse.
Ce fut vers trois heures de l'après-midi que Gatien obtenu un résultat.
Il avait tout d'abord vu à plusieurs reprises un garçon qui l'observait de loin. Mais il n'en était pas sûr, et le gamin aurait très bien pu seulement l'observer comme il observait tout le monde, attendant de voir s'il pouvait lui voler quelques choses.
Puis, alors que Gatien traversait l'un des rares parcs, un chien vint vers lui et s'assit à ses pieds.
Gatien étonné, se pencha et vit une étoile briller sur la médaille. Pourtant, il n'y avait pas d'adresse.
-C'est quoi cette blague ? Pourquoi tu n'as pas d'adresse à côté de ton étoile ? demanda-t-il au chien.
Il regarda autour de lui, un peu perdu. Il reporta son attention sur la médaille et la frotta pour voir si une adresse apparaissait. Mais rien ne se passa.
-Purée, mais qu'est-ce que je vais faire si les médaille avec des étoiles n'ont même pas d'adresse !
C'est à ce moment-là que l'enfant qui l'avait déjà observé de loin s'approcha.
En le voyant de plus près, Gatien ne put s'empêcher de reculer de quelques pas, horrifié : l'enfant ne devait pas avoir plus de sept ans. Pourtant, il semblait avoir déjà vécu tous les malheurs du monde. En plus d'être sale, vêtu de haillons, nus pieds et maigres comme la plupart des enfants, il marchait avec l'aide de deux béquilles de fortunes, son mollet droit était tout noir, ses jambes tremblaient, sa peau partaient en lambeaux, le blanc de ses yeux était rouge, ses lèvres bleues et il sentait la maladie à plein nez.
-Résistant ? demanda l'enfant d'une faible voix.
-Je veux m'engager, voir un recruteur, dit Gatien en sortant de sa stupeur.
Le chien trottina jusqu'au garçon et s'assit à côté de lui. L'enfant tendit une main tremblante vers la tête de l'animal et la caressa doucement.
-Bien...bien... chuchota-t-il avant de se tourner vers Gatien. Par là, lui dit-il.
Et il se retourna pour avancer à pas lents et prudents vers la sortie.
Gatien et le chien le suivirent, se calant sur sa vitesse.
-Quelle est ta maladie ? demanda Gatien avec pitié.
-Pas contagieux, assura l'enfant. Pas à avoir peur...
Parler semblait lui coûter autant de force que pour marcher, mais une étincelle de volonté au fond de ses yeux montrait qu'il ne se laissait pas faire par son mal.
-Non, je voulais savoir pourquoi tu as cette maladie, dit Gatien.
-Sais pas, c'est comme ça, fit l'enfant en respirant difficilement alors qu'ils montaient une rue pentue. Rue...mauvaise nourriture...boue...eau polluée...virus pour les faibles...
-Tu n'as pas de quoi te soigner ? Tu devrais te reposer.
L'enfant eut un petit rire, qui le fit tousser.
-Famille morte, dit-il. Trois sœurs...un frère...père et mère...cousin et tante...plus là. Moi, seul... Dois gagner argent...pour payer mon cercueil... Veux pas...être mangé...par les rats. Cercueil protégera...
-Mais tu ne vas pas mourir, dit Gatien en fronçant les sourcils. Pourquoi vouloir acheter un cercueil au lieu de te soigner ?
L'enfant secoua la tête.
-Trop malade...pas médi...cament. Presque fini...gagner argent... Vu cercueil...pas trop cher... Mois prochain...serai dans mon...cercueil... Placerai sous...un arbre...dans vallée...à côté de ville. Bon repos... Sans rat...
Gatien le regarda avec de grands yeux. L'enfant semblait sûr de lui, décidé. Jamais il n'avait vu quelqu'un parlait de sa mort avec autant de calme. L'enfant paraissait même soulagé à l'idée d'avoir bientôt fini d'économiser pour son propre cercueil.
-Famille pas cercueil...marmonna l'enfant. Pauvre famille...troués par les rats...dans fosses communes... Moi...veux pas pareil... Irai mourir...seul...dans mon cercueil...après avoir creusé tombe... Oui, bien...bien ça... Sans rat...reposerai en paix...
Gatien sentit son cœur se serrer. Il avait pitié de ce pauvre orphelin, si malade qu'il résistait au mal qui le rongeait pour s'acheter un cercueil. Cela renforça son idée de tout faire pour renverser le roi, qui avait instauré le système qui obligeait de pauvres enfants à s'enterrer eux-mêmes, s'ils étaient assez courageux.
Ils arrivèrent bientôt devant un grand immeuble. A côté de la porte, une plaque d'or informait les patients qu'un médecin se trouvait au deuxième étage et était facilement joignable - du moins si on avait un téléphone - avec une suite de numéro inscrite.
L'enfant sonna à l'interphone.
-Oui ? fit une voix chantante.
-C'est Aaron... fit l'enfant. Code R...
-Fais-le entrer, merci à toi.
La porte s'ouvrit et l'enfant se tourna vers Gatien avec un petit sourire.
-Faut monter...quatrième étage... Peux pas, moi...
-C'est Aaron, ton prénom ? demanda Gatien.
L'enfant acquiesça.
-Tiens, pour que tu puisses au moins manger quelque chose, dit Gatien en lui tendant la banane qu'il avait emmené.
C'était peu, mais pour eux, une banane signifiait un repas en plus pris en une journée, ce qui était beaucoup.
Mais l'enfant refusa.
-Pour toi, dit-il. Faut continuer...à garder forces...quand on est...bonne santé... Moi, malade...plus force...servir à rien...manger banane. Mourir bientôt...poubelles m'aident à....tenir jusqu'à...là. Toi, pas bon poubelles... Banane...bon pour...toi. Bonne chance...
Il lui adressa un sourire encourageant, et s'en alla, suivi du chien, sous le regard ahuri de Gatien. Jamais quelqu'un n'aurait refusé de manger, de s'en priver pour favoriser un inconnu. Comme le disait Estelle, c'était chacun pour soi, dans ce royaume. Chacun préférait voler le repas - si maigre soit-il - de son voisin que de mourir de faim.
Pourtant, ce pauvre orphelin, qui aurait mérité plus qu'une banane, préférait la lui laisser pour qu'il continue à garder une santé correcte. Le résonnement du petit était logique, mais il aurait tout de même pu manger un peu afin de ne pas avoir trop faim ! C'était courageux, et Gatien se demanda s'il connaissait quelqu'un d'autre qui aurait eu la même réaction que cet enfant.
C'est le moral au plus bas qu'il entra et gravit les quatre étages.
-Tu en as mis du temps ! s'exclama une voix à sa gauche. J'ai bien cru que tu t'étais défilé !
Gatien sursauta. Il se tourna vers l'homme qui venait de parler, adossé à l'encadrement d'une porte d'entrée.
-Code R, c'est toi ? demanda-t-il.
Gatien approuva.
-L'enfant s'appelait comment ? demanda l'homme.
-Aaron, c'est vous qui l'avez dit, répondit Gatien.
-Il faut bien vérifier que tu es le bon envoyé, dit simplement l'homme en haussant les épaules. Allez, entre !
Gatien s'avança après quelques secondes d'hésitations - c'était la dernière occasion de retourner en arrière s'il le voulait - mais suivit tout de même l'homme dans l'appartement sombre et étroit.
-Vous êtes un recruteur ? demanda Gatien.
-Non, je suis boulanger, répliqua l'homme en le faisant entrer dans un salon poussiéreux.
-Ah... Euh, je crois que je me suis...
-Non, tu ne t'es pas trompé, dit l'homme en levant les yeux au ciel d'un air exaspéré. Je plaisantais, petit. Evidemment que je suis recruteur ! Sinon pourquoi Aaron t'aurait emmené à moi ? Faut faire marcher sa cervelle, des fois.
Un peu honteux, Gatien s'assit sur la chaise que lui tendait l'homme. Puis il le regarda fouiller dans un tiroir.
L'homme avait un épaisse barbe brune, et de longs cheveux emmêlés. Ses yeux étaient à peine visibles sous ses sourcils broussailleux, et il avait les mains couvertes de tâches brunâtres. Ses habits semblaient être en velours verts, ce qui parut bizarre à Gatien. Tout autour d'eux avait l'air vieux et sale.
-Donc tu veux t'enrôler dans la résistance ? demanda l'homme en s'asseyant en face de Gatien. Tu m'as l'air bien jeune, pourtant. Où sont tes parents ?
-Morts, dit Gatien. Mon oncle aussi, ma tante m'a vendu à un cuisinier, et je me suis échappé. J'ai seize ans.
-Hum...
L'homme écrivit quelques mots sans rien ajouter d'autres.
-J'ai une amie, Estelle, ajouta Gatien. Si vous pouviez aussi la faire rentrer dans la résistance.
L'homme releva la tête vers lui et le regarda à travers ses sourcils.
-Où est-elle ? demanda-t-il.
-Elle est dans les ruines d'une petite boutique, dans une ruelle déserte, répondit Gatien. Elle n'a pas pu venir parce que...on va dire qu'on a eu un petit accident. Elle a reçu une dose d'anesthésiant pour plusieurs jours, hier.
-Qui a fait ça ? fit l'homme, dont le ton de la voix semblait amusé.
-Euh, eh bien c'était moi, avoua Gatien. Je ne l'avais pas vu arriver, j'étais stressé parce qu'on venait de voler une pharmacie, j'avais cette maudite seringue à la main, et j'ai réagi instinctivement quand elle s'est jeté sur moi.
-Vous avez volé une pharmacie ? demanda l'homme, intéressé. Bien, bien, cela prouve que vous n'êtes pas trop incompétents et que vous savez survivre. Même si cette réaction serait à éliminer...
Il prit encore quelques notes et recommença son interrogatoire :
-Elle aussi a seize ans ?
-Oui.
-Et comment tu t'appelles, toi ?
-Gatien.
-D'où venez-vous ?
-Dauvers.
-Ah, oui, je connais. Assez miteux et bien sale.
Gatien trouva qu'il n'avait pas grand-chose à dire avec cet appartement poussiéreux.
-Travail ?
-J'ai nettoyé les cuisines et préparé des plats pour mon ancien maître, Pascal, un cuisinier assez célèbre chez nous.
-Hum...je connais, oui. Il avait tenté de me voler mon nouveau manteau quand j'étais allé manger dans son restaurant.
Cet homme devait donc être plutôt riche, même s'il habitait dans un endroit aussi sombre.
-Et la fille ? Travail ?
-Elle gérait les rentrées d'argent dans la forge de son père, et elle l'aidait à l'occasion.
-Bien, bien... talents à préciser ? Combat ? Art ?
-Je sais me battre avec mes poings, et des bâtons. J'ai suivi les cours d'espionnage et les cours pour apprendre à voler de mon ancien maître, et je pense avoir tout retenu. Estelle, elle, se débrouille bien avec un couteau à la main, elle est bien organisée, sait lire et écrire, et elle sait se débrouiller pour survivre avec un rien.
L'homme griffonna quelques mots, puis se leva.
-On part ce soir avec un gars que j'ai recruté hier. Rendez-vous au bar du Petit caillou à minuit : les rues seront désertes, mais le bar est toujours rempli donc nos sorties ne seront pas étranges aux yeux des robots. Prends tes affaires avec toi, tu auras l'air d'un voyageur. J'enverrai un grand enfant, qui te trouvera devant la pharmacie Loger, pour t'aider à porter ta copine. Les robots penseront qu'elle est seulement soûle, si vous prenez bien garde à tourner le dos au chemin du bar dès que vous en verrez un.
-En parlant d'enfants, dit Gatien en repensant à Aaron. Savez-vous qu'ils sont vraiment miséreux ? Le petit qui m'a accompagné ne vit que pour s'acheter un cercueil ! C'est horrible.
L'homme le regarda à travers ses gros sourcils, avec un air indescriptible.
-Ces enfants sont miséreux, évidemment. Sinon ils ne travailleraient pas pour moi et trouveraient une tâche moins dangereuse. Ils sont tellement nombreux et tellement au bout du rouleau que je ne peux pas faire grands choses pour eux, si c'est ce que tu aimerais que je fasse. La seule chose que je peux faire, c'est faire mon travail : recruter pour grossir les rangs de la résistance qui délivrera le peuple et donnera une vraie vie à ces enfants.
-Je comprends... murmura Gatien, avec une légère touche de honte.
-Maintenant, retourne dans ton coin et fais attention. A partir de ce moment, tu vis pour la résistance et tu devras payer cher si tu la trahis.
-B...bien, fit Gatien après quelque secondes d'hésitations.
Il s'y était attendu, bien sûr, mais il était tout de même désagréable d'être menacé.
L'homme le reconduisit à la porte et le laissa descendre seul dans la rue.
Une fois au milieu de la circulation, Gatien regarda autour de lui à la recherche d'Aaron. Mais le petit n'était pas là. Dommage...
Gatien se fraya un passage entre deux vieilles dames assez lentes, puis il réussit à regagner sa petite ruelle, après avoir tourné en rond pendant la majorité de l'après-midi.
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