Chapitre 2 : "Va demander à la dame si elle a un sac jaune"
La nuit fut agitée. À plusieurs reprises, Gatien entendit des hommes passer à côté du terrier d'ourapin. Il avait même cru que leur cachette avait été découverte lorsque l'une des voix avait poussé un cri victorieux :
-Là ! Sous le buisson ! Je vois une jam...
L'homme s'était soudain arrêté, et un autre avait éclaté de rire :
-Change de lunettes, mon vieux, si t'en as les moyens ! Si tu confonds une branche avec une jambe, ça devient inquiétant.
-L'obscurité m'a joué un tour, avait alors marmonné le premier homme. Et...là ? Ils se sont peut-être cachés au fond de ça ?
-Je veux bien que tu ne sois jamais sorti de la ville, mais tu devrais quand même reconnaître un terrier d'ourapin !
-Je sais ce que c'est ! s'était énervé l'homme. Mais ils sont peut-être dedans !
-Eh ! Vieux ! Tu connais des gens assez idiots pour entrer dans un terrier d'ourapin ? Allez, viens avant que la bête ne rentre chez elle, ou qu'elle ne sorte si elle est déjà dedans. Faudra dire aux autres d'éviter ce secteur pour ne pas la réveiller. On a assez eu d'hommes tués par un ourapin pour l'année !
-Mais...je continue à dire que...
-Bon, eh bien, va voir à l'intérieur, si tu y tiens tant ! Mais moi je m'en vais. Pas question que me je fasse attaquer aussi bêtement !
-Bon, bon... avait marmonné le premier homme au grand soulagement de Gatien. D'accord, je viens avec toi. Mais ça aurait pu être une très bonne cachette, avec cette branche qui la cache à moitié. Et on a besoin de gagner l'argent que Pascal et Léonce ont promis à celui qui mettrait la main sur les deux gosses...
-T'en fais pas, ils sont sans doute partis plus à l'Est, pour prendre un bateau au petit port. On les trouvera.
Et ils s'étaient éloignés alors que Gatien remerciait silencieusement l'idée d'Estelle de venir dans ce terrier.
Le lendemain matin, ce fut celle-ci qui le réveilla en le secouant, sans la moindre délicatesse.
-Gatien, grouille, c'est le moment de partir...
-Mmh...
-Mange la dernière part de gâteau tout de suite ou tu n'en auras pas.
Gatien se redressa en grimaçant, fatigué et frigorifié. Il prit le gâteau et l'engloutit en quelques bouchées. Il but un peu, rassembla ses affaires, puis suivit Estelle hors du terrier.
-Tu as mauvaise mine, lui dit-elle quand ils furent à la lumière du jour.
Elle plaqua sa main sur le front de Gatien et soupira.
-Magnifique, tu as de la fièvre. Tu n'as pas mal à la gorge, au moins ?
-Non, mais je crois que je vais bientôt avoir le nez qui coule.
Estelle grimaça.
-Il faut qu'on trouve des médicaments avant que ça n'empire, dit-elle. Et on doit vraiment trouver une grosse couverture, et un manteau si possible, chacun.
-Il y a un petit village, pas loin, fit Gatien en regardant autour de lui. C'est un peu plus vers l'Ouest, je crois.
-Parfait.
Elle tenta de sourire, mais le cœur n'y était pas.
-Et ta cheville ? demande-t-elle.
-Elle va mieux, assura Gatien, bien qu'il n'en soit pas si sûr. Et mon nez a cessé de saigner.
-Ouais, j'avais remarqué, dit Estelle. Allez, c'est parti !
Ils vérifièrent que personne n'était dans les parages, et s'enfoncèrent entre les arbres.
Ils sortirent de la forêt en fin de matinée et mirent encore une heure à atteindre le petit village, qui était vraiment petit : il y avait à peine une trentaine de maisons séparées par des ruelles sales et étroites, le tout ressemblant à un hameau perdu au milieu de la campagne.
Quand Gatien et Estelle y entrèrent, ils se bouchèrent aussitôt le nez : l'odeur était encore plus abominable que celle qui régnait chez eux. Ils traversèrent les rues, évitant les chiens errants et les enfants qui couraient d'une maison à l'autre. Personne ne leur accorda d'attention : tout le monde était occupé à survivre, travailler et gagner quelques pièces.
-Il nous reste encore des provisions, chuchota Estelle à Gatien. Inutile d'en reprendre dès maintenant, nous n'aurions pas de place pour les transporter. Ce serait bien de trouver un sac en plus, pour trimbaler davantage d'affaires, par contre.
-Là... murmura Gatien en montrant une vitrine poussiéreuse où étaient exposés des vêtements. Il doit bien y avoir des manteaux.
Ils s'approchèrent et soupirèrent devant les prix.
-C'est cher, pour un petit village, constata Gatien. A-t-on assez d'argent ?
-Bien sûr que non, répondit Estelle. Rentrons à l'intérieur.
Ils passèrent la porte et saluèrent aimablement la vielle dame qui tenait la caisse. Celle-ci ne leur rendit pas leur salut, se contentant de leur lancer un regard méfiant.
Estelle jeta un coup d'œil à une étagère et sourit : il y avait une pile de couverture, un bac rempli de briquet, et des sacs en tissu.
Elle s'approcha, tenant Gatien par la main, et regarda le prix des sacs.
-Ils ne sont pas très chers... chuchota-t-elle. Ils sont miteux et ont quelques petits trous, mais ça fera l'affaire. Va demander à la dame si elle a un sac jaune en grand format dans son arrière-boutique. Il n'y en a pas, alors que le orange existe dans les deux exemplaires.
-Euh, d'accord...
Gatien se dirigea vers le comptoir et sourit à la dame.
-Bonjour, excusez-moi de vous déranger, mais avez-vous un sac jaune en grand format ? Nous n'avons vu que le petit modèle.
La vieille dame le regarda longuement en silence, puis se leva lentement et lui fit signe de la suivre.
-Il doit y en avoir un par là... marmonna-t-elle en ouvrant une porte.
Elle entra dans la petite pièce et Gatien la suivit après avoir lancé un coup d'œil à Estelle. Celle-ci lui adressa un grand sourire.
-Voyons... Venez, venez, jeune homme... C'est ça ce que vous voulez ? demanda la dame en lui montrant un chiffon qu'elle déplia, et qui se révéla être un sac jaune plus grand que le petit de l'étagère.
-Hum, il y a un gros trou en bas, dit Gatien. Vous n'en avez pas un autre ?
La vieille dame grommela tout bas en ouvrant un carton. Elle en sortit un vieux chandelier, une chaussure, des chaussettes...
-Voilà, dit-elle en se redressant. Il vous convient ? demanda-t-elle avec agacement.
-Parfait, assura Gatien en constatent qu'il n'avait pas de trou.
La vieille dame retourna au comptoir, Gatien à sa suite. Estelle attendait à côté de la sortie, baillant.
-Vous avez trouvé ? demanda-t-elle.
-Oui, répondit Gatien. C'est toi qui as l'argent.
Estelle sortit un porte-monnaie de sa poche et le lui balança à travers la pièce sous le regard réprobateur de la caissière.
Gatien paya le sac, puis Estelle sortit à reculons en saluant la dame, vite imitée par Gatien.
Quand ils se furent éloignés de quelques rues, Estelle s'arrêta, un sourire triomphant aux lèvres.
-Et voilà le travail ! dit-elle en sortant de sa poche deux briquets, ainsi qu'une couverture et deux manteaux de son sac plein à craquer et à moitié ouvert.
-Tu...tu les as volés ? bredouilla Gatien avec de grands yeux.
-Bah oui, fit Estelle en lui donnant un briquet et en fourrant les manteaux et la couverture dans le nouveau sac. Je l'ai fait pendant que tu étais avec la dame dans l'autre pièce ! Il y avait tellement de briquets dans ce bac qu'elle ne s'en apercevra pas, les couvertures formaient un gros tas mal plié, donc une couverture en moins n'est pas facilement visible, et les manteaux étaient collés les uns aux autres, donc impossible de savoir que deux ont disparu. C'est super, non ?
-Mais...
-Oh, Gatien, soupira Estelle. T'en fais pas, cette dame a encore plein de trucs à vendre ! Alors que nous, on est sans rien. Et puis je t'ai déjà dit que, dans ce royaume, aucune confiance ne peut exister car tout le monde se trahit. Elle n'avait qu'à pas me laisser seule. Et je peux t'assurer que si elle avait été à notre place, elle aurait fait la même chose !
-Ouais, mais quand même, fit Gatien.
Il regarda autour de lui pour vérifier qu'aucun robot de sécurité n'était pas dans les parages - d'ailleurs y en avaient-ils dans un si petit village ? - et chuchota :
-Bon, maintenant on file. Il vaudrait mieux éviter de se trouver dans les parages quand la vieille dame se rendra compte qu'on l'a volée.
-Bonne idée, fit Estelle. Par là !
Et ils sortirent à vive allure du village, toujours ignorés par les passants.
-Où allons-nous ? demanda Gatien.
-Droit devant nous, répondit Estelle. On verra bien où ça nous mènera !
-Tu ne veux vraiment pas chercher la ré...
-Non ! le coupa Estelle. Pas la résistance. Nous en avons déjà parlé, c'est hors de question.
-Mais...
-Tais-toi !
Gatien se tut donc, voyant que la jeune fille ne voulait vraiment pas en entendre parler. Cependant, au fond de lui, alors qu'ils marchaient le long d'un sentier entre des champs déserts, il songeait que s'enrôler dans la résistance serait véritablement la meilleure chose à faire. Cela leur ouvrirait une porte vers la liberté et la sécurité, et n'était-ce pas ce qu'ils recherchaient ?
Peu importe ce qu'avait dit Estelle, les résistants étaient aux yeux de Gatien des sauveurs. Ils se battaient contre le roi, et ça c'était vraiment quelque chose d'incroyable. Gatien avait entendu beaucoup de mal sur eux, mais aussi du bien de la part de ceux qui, comme lui, pensaient qu'ils incarnaient un futur nouveau, meilleur et sans terreur.
D'après ce qu'il savait, les résistants avaient des espions un peu partout et des recruteurs cachés dans les grandes villes, attendant la visite de nouvelles personnes souhaitant s'engager. Personne ne savait où est-ce que leur armée et leur base se trouvaient, mais si le roi lui-même n'avait jamais réussi à les débusquer, il était fortement improbable que Gatien arrive seul à les rejoindre. Il lui faudrait donc chercher un recruteur, tout en se montrant très prudent.
Mais pourquoi pensait-il à ça ? Il ne pouvait pas chercher un recruteur ! Estelle ne voulait pas en entendre parler. Cependant, Gatien ne pouvait s'empêcher d'y réfléchir. Il était sûr qu'Estelle faisait une grave erreur en souhaitant qu'ils restent seulement tous les deux. Lui, il se voyait déjà à la tête d'un bataillon, chargeant la forteresse du roi, et se battant pour prendre la capitale ! Oh, que cet avenir lui paraissait attirant ! Il savait se battre - il le fallait bien pour repousser les voleurs et pouvoir manger - et se débrouillait bien avec les bâtons. Il était bon en lancé de pierres, aussi... Cela pouvait-il être utile aux résistants ? Pourquoi pas ? Il faudrait sûrement qu'il réussisse à aller à Coldebec. Gatien avait entendu dire que c'était un carrefour commercial très important. Il devait sûrement y avoir des recruteurs ! Et ce n'était pas très loin : quatre jours de marche, peut-être.
Sans s'en rendre compte, Gatien montait déjà un plan pour trouver un recruteur et entrer dans la résistance, se rappelant de temps à autres qu'Estelle ne voulait pas y aller. Dans ces moments-là, il soupirait, puis son esprit l'oubliait de nouveau et repartait dans l'élaboration de son plan.
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