Chapitre 18 : "J'veux juste qu'il soit heureux"

-C'est bon, nous partons ! s'exclama Estelle en entrant dans la tente de Gatien.

Celui-ci gémit en se retournant vers elle : son lit était vraiment inconfortable !

-Ah ouais ? marmonna-t-il, encore ensommeillé. Il est quelle heure ?

-Sept heures ! Les résistants arrivent dans deux heures pour répéter le plan. Herbert n'était pas très content qu'ils aient avancés le rendez-vous sans le prévenir à l'avance... Mais, en tout cas, il m'a donné l'autorisation de repartir à l'aventure avec toi. Il m'a donné sa bénédiction et m'a souhaitée une multitude de plans réussis, de proies capturées et d'argent reversé dans ma bourse. Bref, plein de bonnes choses pour un chasseur de rançon !

-Il n'était pas étonné par ta demande ?

Estelle haussa les épaules avec un sourire :

-Oh, tu sais, il ne savait pas quoi faire de toi et ne souhaitait pas vraiment te garder dans son groupe, vu que tu as assommé et blessé certains de ses chasseurs. Il n'y aurait jamais pu avoir une bonne entente entre eux et toi, ce qui lui aurait compliqué la tâche. Alors il était bien soulagé que je t'emmène au loin. Moi, j'avais rempli ma part du contrat, alors il pouvait se séparer de moi avec amitié comme avec n'importe quel allié momentané.

-Eh ben, s'il ne m'avait pas capturé, je le trouverais presque sympathique !

Gatien se leva, grimaça en sentant son dos craquer, et attrapa son sac où étaient rassemblées ses affaires.

-Et Martine, crois-tu que je puisse m'excuser auprès d'elle ?

-Herbert ne laisse entrer personne dans sa tente, répondit Estelle. Et il n'apprécierait pas s'il te voyait contre la tente pour lui parler : cela pourrait passer pour une tentative d'évasion. Du coup, je suis allé m'entretenir avec elle en me collant au tissu de la tente, cette nuit. C'était mon tour de garde avec Gab, mais il avait bu tellement d'alcool qu'il était incapable d'ouvrir les yeux deux secondes avant de se rendormir ! Donc j'avais la voie libre. J'ai tout expliqué à la princesse, me suis excusée et lui ai annoncé que je partais avec toi.

-Et elle a dit quoi ? demanda Gatien.

-Qu'elle comprenait, qu'elle broyait du noir mais qu'elle ne nous en voulait pas...et qu'elle allait collaborer avec les résistants car, après tout, il est vrai qu'elle est la personne la mieux placée pour amener un gouvernement plus juste au peuple, que ce soit en adoucissant les résistants ou en devenant impératrice après son père. Car, si les résistants manquent leur coup et que le roi la récupère, elle a décidé de jouer le jeu de la parfaite héritière pour le convaincre de la laisser monter sur le trône sans avoir besoin de descendants déjà nés.

Gatien fut étonné de cette décision, mais dans le bon sens. Cela le rassurait et le déculpabilisait, en quelque sorte. Il ressentait un petit pincement au cœur en la laissant, mais il n'avait pas vraiment le choix.

-Parfait, alors allons-y, dit-il.

Ils sortirent de la tente, saluèrent les chasseurs qu'ils croisèrent, et s'éloignèrent du camp d'un bon pas, Idil sur leurs talons.

Ils marchèrent ainsi durant deux jours, ravis d'être de nouveau ensemble et loin de tous problèmes. Ils s'arrêtaient pour la nuit, cueillaient des fruits sur leur chemin, lançaient des morceaux de bois à Idil... Cela faisait du bien de se retrouver !

Ils avaient décidé de ne pas chercher à franchir la frontière, car elles étaient trop bien gardées et ils ne savaient de toute façon pas où elle se trouvait. Ils cherchaient donc une vallée déserte, loin de toute population, pour s'installer.

Le sort voulut malheureusement les faire passer près de la plus grande ville après la capitale...

Cela faisait trois jours qu'ils marchaient quand un homme déboula devant eux et les heurta de plein fouet. Puis, avant que les deux adolescents n'aient eu le temps de s'étonner, il repartit en courant, laissant tomber derrière lui une gourde et un journal qui avaient glissé de son sac mal fermé.

-Eh ben, il était pressé, fit remarquer Gatien. Tu crois qu'il est poursuivi ?

-Non, sinon Idil nous aurait prévenus. Mais mieux vaut ne pas chercher à comprendre : les gens sont bizarres.

La jeune fille ramassa le journal et le parcourut du regard avec curiosité.

-Que disent-ils ?

-Oh, plein de choses intéressantes, répondit Estelle. Accroche-toi : les résistants se sont alliés à l'héritière de l'empereur, lui ont glissé des armes spéciales dans ses poches, elle s'est « rendue » en faisant croire aux gardes qu'elle venait de s'échapper d'un groupe de ravisseurs qui l'avait enlevée, puis a déclenché les armes dans le palais : une fumée s'en est dégagée et a fait perdre connaissance à tout le monde. Les résistants ont ensuite lâché cette même fumée en ville, assommant habitants et soldats, ont détruit le réseau pour neutraliser les robots, et ont envahi la capitale. L'empereur a été jeté au cachot avec les gradés de son armée. Quand la princesse s'est réveillée, les autres soldats se sont placés sous ses ordres. Ils ont donc fait alliance avec les résistants sur demande de Martine.

-Waouh... Alors c'est bon ? Tout le monde est libre ?

-Tu oublies que la résistance veut notre mort, dit la jeune fille. Alors nous : certainement pas. Les autres : on verra bien la politique de ce gouvernement.

Elle lut les pages suivantes avant de les résumer à Gatien :

-Les porteurs de l'hirondelles ont divisé le territoire pour en faire différentes régions qu'ils vont se partager. Tous se réuniront pour décider des lois à la capitale, et seront les « vassaux » de l'héritière Martine.

Elle ricana :

-Vraiment un beau coup, ça. Hélène est derrière tout ça, j'en mettrais mes huit derniers doigts à couper ! C'est bien sa tactique de rester en retrait, à tout diriger dans l'ombre, faisant croire que le vrai pouvoir est à un soi-disant supérieur, pour être plus proche de la population et la manipuler en semblant simplement les conseiller avec neutralité. La nouvelle impératrice n'aura pas vraiment de pouvoir, mais plutôt un statut et un rôle décoratif, traditionnel, cérémonial et représentatif. Cela évitera aussi aux porteurs de l'hirondelles de se battre entre eux pour le trône : ils sont tous à égalité, unis, soudés. Quant aux résistants, ils vont sans doute remplacer les nobles de l'ancien régime, ou les bourgeois...

Elle soupira, et Gatien sourit en pensant que Martine était en sécurité. Elle ne devait pas risquer grand-chose dans sa position.

-Bien, je propose d'aller voler de quoi manger en ville, il n'y en a une pas très loin, dit Estelle. Nous n'avons plus de provisions.

Gatien attrapa la gourde abandonnée et fut surpris de son poids. Il l'ouvrit et éclata de rire :

-Pas la peine de voler : on va avoir le droit à des vacances, cette gourde était en fait la cachette de ce pauvre homme pour y mettre son argent !

Estelle sourit et ses yeux auraient sûrement brillé s'ils n'étaient pas robotiques. Mais Gatien se contenta de sourire à son tour : une inquiétude en moins.

Idil aboya pour exprimer sa joie - ce que cela pouvait être ennuyant de faire le guet, une diversion ou le chien errant dans leurs plans de vols - et ils se dirigèrent vers la ville.

Ils entrèrent sans mal, trouvèrent une épicerie et attrapèrent plusieurs produits qui leur seraient utiles en chemin. Gatien prit aussi des graines, pour les planter lorsqu'ils auraient trouvé l'endroit rêvé pour vivre en ermite.

-Eh bien, c'est pas tous les jours que je vends autant de choses en une fois, fit le vendeur en les aidant à mettre leurs achats dans leurs sacs. Vous partez en voyage ?

-En fait, nous sommes en voyage, répondit Estelle. Nous ne faisons qu'une escale dans cette ville.

-Oh, dit le vendeur. Je vois... Où allez-vous donc ?

-On chercher quelque part où vivre sans misère.

Le vendeur éclata de rire :

-Ah, mais vous n'avez pas lu le journal ? Les résistants et la princesse Martine ont renversé l'empereur ! Désormais, la misère va être abolie partout !

-Pourtant je crois bien avoir croisé trois mendiants, au moins, avant d'entrer ici, rétorqua Estelle. Et nous ne savons pas encore quelle sera leur politique.

-Ah, je vois que la demoiselle est rabat-joie, lança le vendeur à Gatien avec un sourire complice. Ils se battent pour nous, alors ils nous seront forcément bénéfiques, ajouta-t-il à l'intention d'Estelle. Et, pour les mendiants, c'est simplement que nous sommes dans la dernière ville qui n'a pas été vaincue par les résistants. Notre duc est puissant mais tombera dès qu'ils viendront nous délivrer, ce qui ne devrait pas tarder. Ils ont fait prisonnier tous les nobles des environs et vont arriver chez nous dans peu de temps. On leur fait confiance.

-Eh bien, pas moi, répliqua Estelle en se tournant vers la sortie.

Le vendeur parut choqué et la devança aussitôt pour lui bloquer la sortie :

-Et pourquoi donc ? T'es pour l'empereur, toi ?

Voyant qu'ils n'allaient pas se débarrasser du vendeur aussi facilement, Estelle soupira :

-Gatien, montre-lui le pendentif, ça devrait le convaincre que nous sommes de son côté et que nous savons ce que nous disons.

Quand il vit l'hirondelle, le vendeur ouvrit de grands yeux.

-Vous...vous...vous...

-Je suis porteuse de l'hirondelle, dit Estelle. Alors laisse-nous passer, à présent, ou je te jure que tu le regretteras !

Le vendeur s'inclina devant elle, confus, et les laissa passer. Idil les suivit en trottinant, tout en reniflant l'air.

-Pathétique, on aurait pu le voler, ce collier... siffla Estelle quand ils se furent éloignés.

-Es-tu sûre qu'il était prudent de montrer le pendentif ? demanda Gatien, inquiet.

-Non, mais nous devons nous dépêcher : les résistants arrivent et nous devons nous trouver loin quand ils mettront les pieds en ville.

Elle se figea soudainement et Gatien manqua lui rentrer dedans. Estelle l'attrapa par le bras et le tira à l'ombre d'une ruelle. Il eut seulement le temps de voir une touffe rouge, un gamin et un jeune adolescent armés.

-Alice, Matéo et Hugo, souffla Estelle. Les résistants sont là...

-Comment sont-ils entrés ?

Estelle le tira jusqu'à l'autre bout de la ruelle, ouvrit une porte et tomba devant une vieille dame. La jeune fille tira le pendentif de sous les vêtements de Gatien et la femme - croyant sans aucun doute qu'ils étaient de la résistance et avaient besoin de sa maison pour délivrer la ville - fit signe qu'elle ne dirait rien. Estelle lui sourit et monta à l'étage.

-C'est ce que je pensais, chuchota Estelle en passant la tête par la trappe qui menait au toit. Les soldats se sont rangés du côté de la résistance, ce qui n'est pas étonnant vu que l'impératrice est leur alliée. Ils ont dû envoyer quelques résistants capturer le duc le plus discrètement possible pour ne pas faire de blessés et montrer leur adresse. Les soldats du château les laisseront sans doute passer, vu qu'il ne servirait à rien de résister, et le duc sera pris.

Puis, sans laisser le temps à Gatien de parler, elle le tira derrière elle et redescendit. Elle sourit à la femme, qui lui sourit en retour, et sortit de la maison, Idil sur les talons.

-Bien, maintenant, il faut se cacher... murmura Estelle. Non ! Trouver les égouts et sortirent de la ville !

-Estelle, calme-toi, lui dit Gatien.

-Je ne peux pas : nous sommes piégés !

-Mais ils ne savent pas que nous sommes là ! Déguisons-nous et assistons au spectacle.

Idil éternua pour exprimer son désaccord. Il était hors de question qu'elle se roule de nouveau dans la boue !

-Oh, fais pas ta chochotte, lui dit Gatien.

-Tout ça ne marchera pas, fit Estelle en se tordant les mains. On pourrait retourner chez la dame, mais elle trouverait ça bizarre...

Une trompette retentit à travers la ville et les rues se remplirent aussitôt de gens aux visages réjouis.

-Le duc est capturé ? supposa Gatien.

-Tout juste... marmonna Estelle. C'était bien rapide.

Des portes s'ouvrirent dans la ruelle et laissèrent sortir des dizaines d'enfants criant de joie qui les entraînèrent au passage dans la rue principale. Estelle et Gatien perdirent de vue Idil, s'accrochant l'un à l'autre pour ne pas se séparer, et furent entraînés par la foule vers le château. Autour d'eux, ce n'était que réjouissance et espoir. Pourtant, ils ne ressentaient qu'angoisse et panique.

Ils passèrent les portes du château, et réussirent à se faufiler par une porte alors qu'ils étaient projetés contre un mur. La porte les mena à un couloir, qu'ils parcoururent prudemment, avant que Gatien n'ouvre un vieux débarra et ne les entraîne à l'intérieur.

-C'est la folie, là... soupira-t-il.

-Tu m'en diras tant... Pense à la certaine joie qu'on ressentirait si tu ne nous avais pas traînés chez les résistants !

-Aïe... grimaça Gatien. C'est sûr que ça fait mal, ça. J'ai presque envie de trouver un moyen de retourner dans le passé et de m'étrangler avant que je nous engage. Mais on aurait pu aussi y rester et la résistance aurait été heureuse de nous voir.

-Et tu te serais fait tuer en combattant ? dit Estelle avec un demi-sourire. C'était risqué, et on ne savait pas quand est-ce que tout ce bazar allait se terminer. Et même s'il allait se terminer !

Ils soupirèrent en chœur et constatèrent l'absence de leur chienne. Mais elle serait sans doute davantage en sécurité seule qu'avec eux.

-Tu crois que nous sommes en sécurité, ici ? demanda Gatien.

-Non, mais je ne sais pas où on le serait.

-C'est rassurant...

Ils restèrent ainsi de longues heures, coincés, à entendre les rires au-dehors. La résistance avait manifestement organisé une fête, et plusieurs porteurs de l'hirondelle firent un petit discours sous les applaudissements de la foule.

Hélène et Fulbert étaient passés, remerciant tout le monde pour leur soutien. Hugo et Mathilde avaient annoncé qu'ils seraient les responsables de cette ville et promettaient à tous de veiller à ce que leurs besoins soient satisfaits. Alice et son cousin Matéo avaient raconté comment ils avaient capturé le duc. Le fiancé de la jeune fille et son père avaient mis au courant la population des nouvelles de l'empire, qui était désormais libre et sous la couronne de l'impératrice Martine.

La plupart de leurs discours avaient été ennuyeux, et Estelle n'avait pas arrêté de faire des commentaires déplaisants.

Puis le bruit des réjouissances diminua, et le silence tomba doucement. Ils attendirent encore une heure, puis décidèrent de tenter de partir et sortirent prudemment dans la cour. Personne en vue...

Ils se dirigeaient vers les portes du château quand un cri retentit.

-Quoi ? Quoi ? fit une voix.

Gatien et Estelle se précipitèrent vers la porte, surpris et apeurés d'avoir été découverts par Hugo et Mathilde, encore une fois alors qu'ils tentaient de fuir. Les deux jeunes gens étaient perchés de nouveau sur le chemin de ronde.

-Je rêve... entendirent-ils.

Puis la porte se referma devant eux et Hugo atterrit à leurs côtés avec de grands yeux.

-Fais attention ! lui dit Mathilde en se précipitant vers les escaliers les plus proches.

Mais Hugo n'avait pas besoin d'être prévenu : il contra le poing d'Estelle, évita celui de Gatien, désarma la jeune fille du couteau qu'elle venait de sortir, et se faufila entre les deux pour attraper le pistolet que lui lança Mathilde. Celle-ci arriva à son tour, une mitraillette entre les mains, et les deux fugitifs ne purent que se rendre.

-Mais voilà la petite traîtresse et son copain meurtrier ! lança Mathilde en sortant son téléphone.

Gatien tenta de le lui arracher des mains, mais Hugo s'interposa et lui fit une clé de bras.

Quant à Estelle, elle regarda partout autour d'elle pour trouver une issue, en vain.

-Fulbert ? grinça Mathilde. Il se trouve qu'on a juste sous le nez l'assassin de ta femme et la descendante de celui qui t'a poignardé quand tu étais jeune. Oh, oui, ils sont très mécontents et cherchent à nous échapper avec une lueur idiote et paniquée au fond des yeux. Nous sommes dans la cour, près de la porte.

Et elle rangea son téléphone avec un sourire mauvais.

-J'aimerais bien vous assommer, comme vous nous avez assommés avant de vous enfuir, mais je crois que Fulbert saura mieux que moi quelle punition sera la plus adaptée.

-Nous ne lui avons rien fait, répliqua Estelle. Et Gatien n'a pas fait exprès de faire tomber Alida et le vieux. C'est celui-ci qui a voulu le tuer en premier : ce n'était que de la pure défense !

-Il se trouve que vous vouliez vous enfuir, alors que c'est considéré comme de la trahison, rétorqua Hugo en serrant sa poigne sur son pistolet. Jolis nouveaux yeux, Miss, d'ailleurs : j'espère que l'opération a fait mal.

-Laissez nous partir, nous ne voulons pas d'ennuis, tenta Gatien.

-Ah, mais il fallait y penser avant !

Estelle et Gatien se retournèrent en sursautant : Fulbert arrivait vers eux, suivi d'Alice, Hélène, Matéo et tous les porteurs de l'hirondelle.

Estelle tenta de reculer, mais se heurta à Mathilde qui la repoussa en avant. Gatien, lui, paniqua et essaya de rouvrir les lourdes portes, en vain.

-Je vais choisir de croire que le Destin nous est favorable, continua Fulbert, vu qu'il nous a apporté les deux personnes que je rêve de retrouver depuis la dernière fois que je les ai vues !

Il avait toujours paru effrayant à Gatien. Mais là, la colère le défigurait. Visiblement, il avait aimé sa femme et voulait la venger plus que tout. Gatien aurait trouvé cela touchant si ce n'était pas lui que Fulbert tenait pour responsable. Techniquement, il n'avait poussé que le vieil homme, et Alida était tombée en tentant de le rattraper.

-Je m'excuse vraiment, dit Gatien, mais je vous jure que je ne voulais pas faire de mal à votre femme !

-Eh bien tu l'as quand même fait ! s'exclama Fulbert en l'attrapant par le col. Tu sais ce que ça fait de voir mourir la femme qu'on aime ?

Il lâcha Gatien qui tomba par terre, et se tourna vers Estelle :

-Il se trouve que j'ai toujours rêvé de faire ça à la descendante des porteurs de l'hirondelle traîtres !

Et il sortit un couteau qu'il plongea dans le ventre de la jeune fille. Celle-ci ouvrit de grands yeux, et se plia en deux avant de s'écrouler avec un hoquet, le sang dégoulinant par terre.

Gatien, stupéfait, resta figé. Il voulait se jeter sur Fulbert, le poignarder, puis se dépêcher de trouver un moyen de soigner la jeune fille. Mais son corps restait immobile. Il avait envie de vomir.

-Tout le monde s'écarte, laissons donc à notre jeune meurtrier le temps de voir notre petite traîtresse agoniser ! lança Fulbert.

Et tous s'éloignèrent en les observant avec mépris, curiosité et moquerie.

-Estelle ? murmura prudemment Gatien en s'approchant difficilement à quatre pattes de la jeune fille, bras et genoux titubant. Tu...ça va ?

-J'adore les principes de la résistance... souffla celle-ci si faiblement qu'il crut tout d'abord avoir entendu le vent. J'aimerais tellement que la population nous voit à ce moment-là...

Elle gémit et Gatien, perdu, lutta pour ne pas verser de larmes. C'était trop brutal. Tout allait trop vite. Ils auraient dû pouvoir s'enfuir sans problème !

-Dis-moi que ce n'est pas grave, chuchota-t-il en tentant vainement d'arrêter sang.

Estelle fit une grimace en tentant de rire :

-Tu rigoles ? J'ai la tête qui tourne, je flotte à moitié sur un nuage, et j'ai affreusement mal ! Et parler devient de plus en plus di...difficile.

-A...alors ne parles pas et je vais trouver un moyen de te soigner, dit Gatien.

-N'y pense pas, je perds trop de sang, la blessure est trop profonde, c'est trop tard... Ecoute, à ce point où on en est, fais tout ton possible pour t'enfuir : ils vont te tuer à coup sûr, alors tu...

Elle grimaça un instant, puis reprit une longue inspiration avant de continuer :

-Tu n'as plus rien à perdre. Cours, saute, vole, peu importe, mais pars loin d'ici et vit pour deux.

-Non...non, je ne peux pas...

Les yeux gris d'Estelle se tournèrent vers lui et la jeune fille gémit de nouveau, lui serrant la main.

-S'il te plaît... Vois ça comme ma...ma dernière volonté. Tu y vas maintenant, ou tu auras gâché ta dernière chance.

Gatien renifla et serra à son tour sa main.

-B...bien, souffla-t-il. Je ferais comme tu le veux. Pour toi... Mais j'ai peur. C'est si injuste...

-Sois fort, j'ai confiance en toi. Et la vie est injuste, c'est comme ça. On n'a pas été les plus malheureux, au moins, et on a eu notre part de joie. J'espère que tu réussiras... soupira la jeune fille, la voix tremblante.

Une flèche partit du groupe des porteurs d'hirondelle et mit définitivement fin à ses jours.

Ravalant son chagrin, Gatien serra une dernière fois la main d'Estelle, puis se précipita vers les escaliers les plus proches. Fulbert et les autres furent surpris : ils s'attendaient à ce qu'il se précipite sur eux pour se venger, pas qu'il parte dans le sens opposé !

La douleur aveuglait Gatien, qui gravit les marches quatre à quatre. Il tomba sur un résistant et l'évita sans ralentir. Puis il courut, courut, courut avec l'intention de sauter sur le toit le plus proche pour échapper à la muraille du château. Il réussit son coup, descendit dans la rue, courut, courut...

Et fut rattrapé par une voiture.

Fulbert, au volant, donna un ordre et Hugo, assis à ses côtés, lança un filet sur Gatien qui ne le vit pas venir. Le garçon s'écroula, la voiture s'arrêta, une porte claqua et Fulbert le ligota des pieds à la tête, comme une momie.

-Tente encore de t'enfuir, et tu le regretteras, lui assura le chef des résistants. Tu veux vivre encore un peu, n'est-ce pas ? Alors va vivre en enfer : j'ai fait aménager un beau terrain que les anciens nobles doivent cultiver sans arrêt, sous les coups de fouets et le manque de nourriture. Tu y vas donc, je te nomme esclave pour trahison envers la résistance ! Et je ne parierais pas que tu y fasses long feu avant de mourir d'épuisement et de faim.

Gatien laissa retomber sa tête contre le goudron de la rue. C'est bon, il n'était plus utile de lutter, tout était terminé. Il ne pouvait rien faire, il avait échoué. Il avait perdu Estelle, et cette fois il n'y avait aucune erreur possible.

Et il avait perdu l'occasion de réaliser sa dernière volonté...

Il ferma les yeux et sentit Fulbert et Hugo le hisser dans le coffre sans aucune douceur.

Au point où il en était, il aurait mieux fallu que Fulbert le tue immédiatement. Au moins, il serait parti sans la douleur qui l'attendait au camp d'esclaves...

*

Un cri déchira l'air.

Dans le bois situé à une centaine de mètres de la ville, une série de craquements retentit. Une voix de femme poussa un juron et les animaux qui se trouvaient aux alentours s'enfuirent de la clairière, affolés.

La porte de la chaumière s'ouvrit et une femme aux longs cheveux gris sortit en pestant. Elle épousseta la paille et les plumes qui se trouvaient sur ses épaules, puis se tourna vers l'intérieur de l'habitat :

-J'reviens ! cria-t-elle avant de claquer la porte.

Elle vérifia le contenu de ses grandes poches, en sortit quelques boules noires qu'elle jeta en l'air, puis se dirigea vers la route qui menait à la ville.

Arrivée à la lisière du bois, elle vit une voiture coincée dans la mare de boue qui inondait la route. La femme eut un rire méprisant en remarquant une petite silhouette courir vers les portes de la ville pour demander une autre voiture.

Elle apercut un homme et un adolescent, l'un debout et l'autre étendu et ligoté à côté de la voiture coincée. L'homme était tel que dans son souvenir, avec une lueur meurtrière au fond des yeux en plus. Quant au garçon, son cœur se serra en le voyant ainsi. Il était aussi abattu que les fous de l'asile que les gardes emmenaient se faire exécuter à cause de leur manque de progrès. Et elle en avait vu, des hommes et des femmes de tout âges attendre la mort comme s'il ne leur restait plus que ça, après les traitements affreux que l'on faisait subir aux fous de l'asile.

Elle y avait été envoyée près d'une quinzaine d'années plus tôt, mais n'était pas restée plus d'un an. On l'y avait enfermée soi-disant parce qu'elle était folle. Bon, il est vrai qu'elle était un peu folle, mais elle préférait dire qu'elle était au contraire plus intelligente que le reste du monde, un génie incompris. Et, après tout, ne disait-on pas qu'il n'y a point de génie sans un grain de folie ?

La preuve qu'elle était géniale, c'était bien qu'elle avait réussi à s'évader en emportant en même temps une jeune femme tout juste arrivée ! Celle-ci avait été enfermée car elle croyait apparemment que la résistance allait vaincre l'empereur qui était mauvais, elle-même faisant partie des résistants.

-Une brave fille, celle-là, dit la femme en souriant à ce souvenir.

Elle avait ensuite aidé la jeune femme à retrouver les résistants, avait passé un peu de temps avec eux, puis était repartie en se disant qu'à part son amie, ils étaient tous de parfaits petits crétins arrogants.

Un grognement lui fit tourner la tête vers la droite et la femme se retrouva face à une chienne visiblement en colère.

-Ah, mais c'est pas la p'tite Idil que v'là ?

La chienne, sans doute étonné que la femme connaisse son prénom, perdit son air agressif.

-Eh oui, j'sais comment tu t'appelles : j'l'ai entendu dans mon oreillette, expliqua-t-elle en montrant un petit appareil dans son oreille. J'entends tout c'qui s'passe autour d'Gatien, grâce au p'tit micro que j'lui ai implanté dans le bras à sa naissance. On a cru que j'voulais le faire saigner, à c'moment là, pff... la blague !

Idil était de plus en plus étonnée. Puis elle recommença à grogner.

-Oh, j't'en prie ! Je n'veux pas lui faire d'mal, à Gatien ! J'veux juste qu'il soit heureux.

La chienne manqua s'étrangler en entendant ça. Elle regarda la femme d'un air sceptique et fixa ses yeux orange.

-Ah, ça ? Ben, vois-tu, c'est que je voulais vraiment de nouveaux yeux. Et la p'tite Estelle aurait mieux vécu aveugle qu'avec ses yeux : ils auraient attiré l'attention sur elle, elle aurait été plus facilement repérable et la résistance aurait donc pu la traquer en interrogeant les gens. En plus, là, si son père la r'trouvait, il ne pourrait plus la marier de force car le fiancé ne s'intéressait à elle qu'pour ses yeux.

Idil ne semblait pas vraiment convaincue.

-Eh, c'est la folie du génie, ça, dit la femme en haussant les épaules. T'es intelligente, mais moins qu'moi !

La chienne soupira et fit un vague mouvement de tête vers Gatien et Fulbert.

-Comment j'vais faire pour l'rendre heureux à présent ? Ben au point où on en est, c'est plutôt l'rendre moins malheureux, qu'faut faire.

Idil la regarda, curieuse de connaître la solution de cette folle :

-Ben j'vais le tuer. Ah, mais m'regarde pas comme ça ! Si j'le libère, il va être poursuivi toute sa vie par la résistance, vivre en fugitif, malheureux d'avoir tout perdu...c'pas une vie ça ! Il est brisé, maintenant. Je le connais, il finira par se laisser mourir. Autant abréger ses souffrances maint'nant et il partira en paix sans regret. Il r'trouvera même p't'être sa dulcinée dans un autre monde, qui sait ?

La chienne sembla réfléchir à toute allure, puis finit par acquiescer lentement.

-Ah, bah tu vois qu'c'est pas aussi horrible qu'ça l'semble !

Elle vérifia que personne d'autre que Gatien et Fulbert ne se trouvait dans le coin, puis se tourna vers Idil.

-J'y vais. Toi, tu peux toujours aller chez moi et vivre avec nous. Sauf si t'as d'autres projets.

Idil sembla hausser les épaules et partit vers la clairière.

La femme, elle, activa le bracelet qui augmenterait sa force, sortit un couteau de sa poche, visa, et lança l'arme. Celle-ci fila dans les airs et se planta dans le crâne de Gatien, le tuant d'un coup.

-Ouf... hoqueta la femme, en posant une main sur son cœur. C'est pas si facile qu'ça en a l'air... J'vais sûr'ment pleurer c'soir, et déprimer les prochains jours...

-QUI OSE ! tonna la voix de Fulbert.

La femme se reprit et sortit de l'ombre pour s'approcher du chef des résistants avec assurance.

-Kik ? s'étonna Fulbert. C'est toi ?

-Y'a pas de Kik qui tienne avec toi, Fulbert. C'est pour les intimes de mon cœur, et tu n'es pas mon ami. J'te laissais faire juste parce qu'Alida tenait à c'qu'on s'entende bien, mais elle était la seule amie qu'j'puisse avoir dans la résistance. Alors, maint'nant, j'te prie d'm'appeler KC comme la foule d'inconnus, les vieilles connaissances que je ne souhaite pas revoir, et ceux qui ne savent rien de moi.

-Mais...mais que fais-tu là ? Et pourquoi as-tu tué ce gamin ? Il a tué Alida ! Je voulais en faire un esclave avec les anciens nobles !

-Pratique barbare qui t'va à merveille, mais affreuse et inhumaine. Et il n'a pas tué Alida, mais seulement fait tomber sans faire exprès Ilan, j'crois bien, et Alida est morte en tentant d'rattraper ce vieux débris. Il avait qu'à pas attaquer Gatien, au lieu d'le laisser partir en paix. Et elle, elle aurait dû laisser tomber l'autre.

-Co...comment sais-tu tout cela ? fit Fulbert, ahuri. Et bien sûr qu'il l'a tué ! S'il n'avait pas tenté de s'enfuir ou de se défendre, elle ne serait pas morte !

-Ta bêtise m'f'rait rire si elle n'avait pas eu d'aussi grandes conséquences, rétorqua KC avec un rictus méprisant. Et j'sais tout ça grâce au micro qu'j'ai implanté sous la peau d'Gatien quand il était tout p'tit.

Fulbert parut soudainement perdu. Il regarda autour de lui, mais Hugo ne revenait toujours pas avec la voiture d'Alice.

-Euh...explique-moi donc pourquoi tu as mis un micro sous la peau de ce traître ?

-Traître, ça reste à voir, répliqua KC en poussant Fulbert pour faire tomber quatre petites boules noires sur Gatien.

Celle-ci grossirent, des bras métalliques en sortirent pour attraper le corps, et elles le soulevèrent dans les airs avant de se positionner en vol stationnaire derrière KC.

-Et il s'trouve qu'c'est mon fils, continua KC. Le micro, c'était pour voir comment il allait et comment s'déroulait sa vie, vu qu'j'avais entendu qu'on allait bientôt m'enfermer dans un asile, et que j'm'suis ensuite éloignée de tout vu qu'j'suis, disons, un peu folle et extraordinairement géniale.

La mâchoire de Fulbert manqua de se décrocher.

-T'as tué ton propre enfant ? réussit-il à articuler.

-C'était l'seul moyen d'l'arracher définitivement à tes griffes, répondit simplement KC en lui lançant un regard noir.

Quatre autres boules noires arrivèrent derrière KC, portant le corps d'Estelle.

-Et ça, fit la femme avec un sourire mauvais, c'est pour avoir tué la fille afin d'la laisser agoniser d'vant Gatien et l'faire souffrir, et pour avoir été aussi bête.

Fulbert leva les bras pour parer une attaque, mais KC ne bougea pas. Pourtant, l'homme ouvrit de grands yeux et se plia en deux avant de s'écrouler par terre, le visage défiguré par la douleur.

Un mini insecte-robot vint ensuite se poser doucement sur la main de KC et se mit en veille.

-Un poison d'mon invention, expliqua KC. C'qui veut dire : pas d'remède ! Bien sûr, ça t'tuera pas : tu as un fils qui compte sur toi pour l'aider à avancer dans la vie, et ce s'rait triste de lui imposer la mort de son père après celle d'sa mère. Par contre, tu vas être paralysé pour le reste de ta vie des jambes et du bas du dos, et tu risques d'avoir mal encore une p'tite heure.

Puis KC se détourna de Fulbert, lui laissant voir la phrase écrite à l'arrière de son dos « Folle et fière de l'être ».

-Et n'pense pas m'retrouver pour t'venger, prévint-elle. J'te laisse, maint'nant, et puisses-tu devenir plus sage et diriger cet empire aussi bien que l'espère l'peuple. Sinon, au pire, j'pass'rai p't-être un jour te r'faire coucou avec une nouvelle invention à moi.

Et elle retourna dans les bois. Là, elle incinéra les deux corps, mit les cendres dans une même urne et rentra dans sa chaumière pour la poser sur sa cheminée sous l'œil attristé d'Idil.

-Et maint'nant, place à l'avenir, conclut KC en téléportant sa maison.

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Tadaaaaa ! Il reste plus que l'épilogue !

Alors qu'en avez-vous pensé ?

Vous vous attendiez à tout ça ?

Finalement j'aurai bien aimé que Gatien et Estelle finissent par trouver leur trou pommé et vivre heureux, mais le monde n'en a pas voulu ainsi et on aurait sinon pas pu voir cette facette de la fantastique KC.

Au tout début j'avais prévu que la princesse se suicide avant d'arriver chez son père, mais je me suis dit que ça ferait peut-être un peu trop de morts (trois sur les cinq du groupe qui a récupéré Gatien, même qu'en plus je voulais aussi faire tuer Marina...bref, oui, un peu exagéré). Et je voulais pas que la résistance gagne par son seul mérite.

Bref, bref, bref, place à l'épilogue !

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