Chapitre 17 : "Figurez-vous, princesse, que votre père vous recherche"
-Qui ? fit Martine avec incompréhension. Qui est vivante ?
-Estelle ! répondit Gatien en se relevant.
Il se précipita vers le buisson et arracha une touffe de poils noirs.
-Et Idil ! C'est elle qui m'a tourné autour, cette nuit ! Et Estelle qui m'a observé !
Martine plissa les yeux et regarda autour d'elle.
-Euh... Tu parles, là, de la fille qui est morte avec la vieille et la chienne dans la crevasse avant qu'on te trouve ?
-Oui.
-Alors je confirme : impossible qu'elle s'en soit tirée vivante. A moins qu'elles n'aient pas basculées comme tu le croyais.
-Je sais ce que j'ai vu, répliqua Gatien en jetant rageusement la boule de poils par terre. Ce n'était pas une hallucination !
Martine baissa le regard sur le message qu'elle tenait toujours dans les mains.
-Et ta copine, elle sait écrire ?
-Lire, écrire, oui ! répondit Gatien en tournant en rond autour du feu de camp. Elle a été éduquée par sa mère avant que celle-ci ne meure. Sa mère était porteuse de l'hirondelle. Estelle tenait la forge de son père, elle savait s'occuper de la logistique et de tout le tralala que les autres n'ont aucun intérêt à connaître pour survivre.
-Parfait. Alors réponds à cette question : quelles ont donc été ces deux fois où tu l'as trahie ?
Gatien s'immobilisa et fit volte-face vers Martine. Ses traits se durcirent et, le regard dans le vague, il répondit :
-Elle ne voulait pas entrer dans la résistance, je nous ai engagés alors qu'elle était inconsciente. Première trahison. Mais je n'ai pas eu le temps de la trahir de nouveau depuis qu'elle est tombée, à ma connaissance. Peut-être croit-elle que je l'ai abandonnée à KC...
Martine soupira en tournant le couteau entre ses doigts.
-Elle a l'air de préparer une vengeance, dit-elle. En quoi cela consistera-t-il à ton avis ?
Un frisson parcourut Gatien. Jamais il n'avait vraiment été conscient de trahir Estelle. Pour la résistance, il s'était convaincu que ce serait un mal pour un bien. Alors que serait donc une trahison préméditée, voulue et volontaire ?
-Ce n'est peut-être pas elle, fit remarquer Martine. Peut-être que c'est cette KC qui aurait survécu à la chute grâce à l'un de ses gadgets. Elle aurait récupéré ces couteaux, nous auraient suivi, et attaqué avant de s'enfuir en laissant un message qui n'a ni queue ni tête. Elle était folle, non ?
-Possible...
Gatien voulait s'y attacher pour ne pas devenir fou, mais il n'y croyait pas.
Un aboiement le fit sursauter. Le chien qui l'avait poussé gémit, comme si on lui avait donné un coup pour le faire taire.
-Attention...
Martine s'était relevé lentement, ses poignards en mains. Elle observait les alentours, inquiète. Gatien, à ses côtés, les maudissait intérieurement de ne pas être partis plus tôt et d'être entourés d'arbres.
Puis des silhouettes s'approchèrent de partout, courant vers eux. Martine et Gatien tentèrent de fuir d'un côté, puis de l'autre, mais ils étaient encerclés.
Quelques secondes plus tard, les ennemis étaient sur eux. Un homme aussi pâle qu'un fantôme empoigna la princesse par le bras. La jeune fille lui planta un poignard dans la gorge d'un geste vif et se dégagea en reculant. Une femme aux longs cheveux noirs évita le corps de l'homme qui tomba en se noyant dans son propre sang, puis tira une dague de son fourreau et désarma Martine de l'un de ses poignards. La bataille qui suivit fut si violente que les autres attaquants s'éloignèrent d'elles. Armes et poings jouèrent leurs rôles dans leur affrontement.
Pendant ce temps-là, Gatien avait assommé un jeune homme qui portait deux longues cicatrices au visage, avait éventré un autre au crâne rasé, et se battait désormais contre une jeune femme et un homme à la peau bronzée. Il avait énormément de mal à leur tenir tête, mais l'entrainement de son ancien maître lui était toujours aussi utile.
Malheureusement, il restait encore trois hommes qui observaient les combats, et ils semblaient commencer à s'en lasser : ils allaient bientôt attaquer à leur tour.
-Bon, vous allez les attraper, oui ou non ? s'exclama une voix grave dont la silhouette s'approchait entre les arbres.
Gatien n'eut pas le temps de le regarder : aussitôt, les trois hommes bondirent sur les deux adolescents, les désarmèrent et les immobilisèrent.
-Non mais lâchez nous ! s'écria la princesse, que deux hommes tenaient fermement pars les bras pendant que la femme qu'elle avait combattu lui attachait les mains et les pieds.
Gatien subissait le même sort.
-Non, je ne crois pas que ce sera possible, fit la voix grave.
Un grand homme baraqué à la peau zébrée de cicatrices sortit enfin de l'ombre des arbres. Un sourire mauvais éclaira son visage. Ses longs cheveux gris ondulaient dans son dos, ses habits noirs contrastaient avec sa pâleur, et son œil droit avait la couleur du ciel. Quant à son œil gauche, c'était un œil gris. Gatien mit plusieurs secondes à se rendre compte que c'était un œil robotique.
-Figurez-vous, princesse, que votre père vous recherche, l'informa-t-il.
Martine le foudroya du regard.
-A qui avons-nous l'honneur ? demanda-t-elle avec froideur.
-Herbert, se présenta l'homme en effectuant une petite révérence. Herbert-œil-d'argent, chasseur de rançons, tout comme ces honnêtes gens qui vous immobilisent. Je suis, disons, le meneur de cette bande que j'ai montée depuis une dizaine d'année, et qui est réputée comme étant des plus douées !
Gatien croisa le regard effrayé de Martine. Comment ils les avaient trouvés, ils n'en avaient aucune idée, mais une chose était sûre : cet Herbert-œil-d'argent allait ramener la princesse chez son père. Quant à Gatien, qui sait ce que ces chasseurs de rançons avaient prévu pour lui ? Ils ne pouvaient tout de même pas savoir qu'il s'était enfui de chez son maître Pascal !
-Relâchez-nous et nous vous trouverons de quoi acheter notre liberté nous-même, proposa alors Martine à Herbert.
-Il se trouve, princesse, que vous ne pourrez égaler la somme que propose l'empereur.
-Êtes-vous conscient que la seule récompense qu'il vous offrira sera un aller simple pour le pays des morts ? La somme proposée n'est que pour éveiller votre appétit, mais c'est un poison qui vous tuera au moment où vous croirez pouvoir y goûter : mon père n'aura aucun remord à vous tuer. Il n'a pas l'intention de donner son argent.
-C'est gentil de penser à nous, mais nous ne te livrerons qu'après avoir reçu l'argent, répliqua Herbert avec un sourire moqueur.
-Les soldats vous tomberont dessus au moment où vous prendrez l'argent, où quand vous leur livrerez Martine ! intervint Gatien.
-Il se trouve, microbe, que nous avons fait alliance avec une certaine résistance qui se servira de notre échange avec l'empereur pour faire un coup d'état. Notre plan est monté à la perfection et se déroule à différent niveau. Nous vaincrons, quoi que vous puissiez en penser.
En entendant que la résistance était liée à cette bande de chasseurs de rançons, Gatien s'affola. Il ne fallait pas qu'ils sachent qu'il s'en était enfui en tuant deux porteurs de l'hirondelle ! Il fallait fuir avant qu'il ne soit trop tard.
Il tenta de se dégager, se débattit comme il put, mais l'homme qu'il avait assommé un peu plus tôt s'était relevé et avançait vers lui, une seringue à la main.
Une piqûre et ce fut le noir...
*
-Désolée...
Il se sentit peu à peu émerger d'un monde vaporeux.
-Gatien...
Il sentit une surface dure sous son corps étendu et entendit le bruit de rires au loin. La pointe d'une masse de cheveux lui frôlait le visage. Une voix chuchotait au-dessus de lui.
-Je crois que j'ai fait une gaffe...
Les paupières de Gatien papillonnèrent, tentant de s'ouvrir. Il aperçut le temps d'un battement de cils des cheveux bruns, une peau mate et un éclat argenté.
La jeune fille qui se trouvait près de lui sursauta et recula précipitamment. Le temps que Gatien ouvre complètement les yeux, elle lui tournait le dos, face à l'entrée de la tente.
Vêtue des mêmes habits noirs que les chasseurs de rançons, elle arborait une ceinture à laquelle étaient attachés ses couteaux. Plus maigre que dans le souvenir de Gatien, elle serrait ses bras contre elle, comme pour se protéger.
-Estelle ? fit Gatien, qui n'en croyait pas ses yeux. Estelle ? C'est vraiment toi ?
Voyant qu'elle ne bougeait pas, il tenta de se relever. Bien mal lui en pris, il était toujours mains et pieds liés : il tomba du misérable lit de camp sur lequel il avait été étendu et s'écrasa dans la poussière.
-Attention, tu vas tomber ! le prévint la jeune fille, un peu trop tard.
-Je ne comprends pas, dit Gatien en gesticulant tant bien que mal pour se mettre à quatre pattes.
De là, il réussit à se relever, lentement, et sauta à cloche-pied jusqu'à Estelle. Celle-ci se détourna une nouvelle fois pour ne lui présenter que son dos et alla à l'autre bout de la tente.
-Évite de sortir, lui dit-elle. Ils sont en train de fêter votre capture et ils boivent beaucoup. Ce n'est pas beau à voir.
Gatien sautilla de nouveau vers elle, mais elle repartit vers la porte d'entrée.
-Pourquoi tu me tournes le dos ? s'énerva-t-il.
Soudain, une idée germa dans son esprit. Une idée horrible.
-Et si tu me racontais plutôt comment tu es arrivée là, dit-il en se rasseyant sur le lit inconfortable.
Estelle sembla réfléchir, puis soupira :
-Je suis tombée avec KC dans la crevasse. Il se trouve qu'elle avait truffé le fond avec des petits robots volants qui viennent ralentir la chute de ceux qui tombent dedans. Je crois que je me suis évanouie sous l'effet de la peur. Quand je me suis réveillée, j'étais sur le canapé de KC, comme si tout cela n'avait été qu'un mauvais rêve. Mais il faisait tout noir. Je ne voyais rien. Idil était à côté de moi, elle aussi, et gémissait pendant que KC chantait dans sa chambre avec sa radio. Je t'ai appelé, mais tu n'as pas répondu. J'ai cherché une lampe, de quoi éclairer la pièce, mais il n'y avait rien. La fenêtre n'émettait aucune lumière. C'est quand j'ai senti la chaleur du soleil qui traversait le verre que j'ai compris que quelque chose n'allait pas.
Estelle reprit une grande inspiration avant de continuer :
-Sous le coup de la panique, je suis de nouveau tombée dans les pommes. A mon réveil, KC était à côté de moi et gémissait, comme si elle était inquiète. En me voyant ouvrir les yeux, elle a soupiré de soulagement. Evidemment, je me suis précipité à l'autre bout de la pièce, en me cognant à tous les meubles au passage. Elle m'avait pris mes yeux quand j'étais inconsciente, la première fois, mais je n'avais pas mal. Je n'osais pas porter mes mains au visage, alors KC m'a gentiment rassurée en disant qu'elle avait guéri mes paupières et tout le reste. Je n'avais juste plus de yeux !
Un frisson la parcourut et elle resserra ses bras.
-Elle avait eu son prix, elle m'avait soigné, tout était réglé. Elle m'a dit que tu avais trouvé refuge auprès d'un groupe constitué de voleuses, d'un fils de paysans, d'un prince et de l'héritière d'Antoine. Elle a ajouté que vous marchiez vers la frontière pour passer de l'autre côté, puis m'a lâchée en pleine forêt avec Idil, après m'avoir rendu nos sacs. Je n'ai gardé que ce dont j'avais besoin, puis j'ai bricolé une laisse à Idil pour qu'elle puisse me guider. Je lui ai dit de te chercher et on a suivi ta trace. Je ne savais pas où est-ce que KC m'avait lâchée, si tu veux le savoir. En tout cas, je suis tombée sur les chasseurs de rançons. Au début je ne savais pas qu'ils l'étaient. Ils m'ont accueillie, m'ont donné à manger et m'ont hébergée. Je leur ai raconté mon histoire vu qu'ils voulaient être divertis. Quand ils ont appris pour la princesse, leur intérêt s'est développé. Ils m'ont finalement proposée de me recueillir. En échange, je devais demander à Idil de nous mener jusqu'à toi pour leur permettre d'attraper la princesse. Je te récupérais au passage, en plus, ce que je cherchais à faire de toute façon.
Elle parut gênée en continuant :
-Que la princesse soit livrée à son père, j'avoue que je m'en fichais un peu. Elle est l'héritière, la seule personne qui n'a aucune raison de craindre pour sa vie, du moins si la résistance ne l'approche pas. L'empereur Antoine a trop besoin d'elle pour lui faire du mal. Et puis, franchement, je pensais qu'elle avait davantage sa place auprès de son père. Si elle s'était enfuie, c'était qu'elle n'aimait sans doute pas ses méthodes. Eh ben, elle serait mieux pour nous tous à la cour pour hériter du trône et changer la société. Bien sûr, la résistance se mêle à tout. Mais je reste persuadée qu'elle pourrait très bien s'entendre avec les porteurs de l'hirondelle et travailler pour eux en tant qu'espionne. Franchement, quoi de mieux que l'héritière pour les aider à renverser l'empereur ?
-Sur ce coup, je crois bien que tu as raison, lui dit Gatien. Même si je n'approuve pas le fait qu'on nous ait attaqués et ligotés ! Pourquoi pas lui proposer simplement de faire une alliance avec la résistance ?
-Je ne gère pas leur façon de parlementer, et je suis bien contente que la résistance et la bande d'Herbert ne soit pas assez proches pour se rencontrer. Ils parlent par téléphone, c'est tout.
-Et donc tu nous as retrouvés grâce à Idil, continua Gatien. J'ai senti cette nuit que j'étais observé.
-C'est ça. Je n'ai pas prévenu immédiatement les autres. Ils s'étaient installés pour la nuit un peu plus loin, mais je n'arrivais pas à dormir. Alors j'ai fouillé les alentours avec Idil et je vous ai trouvés. Vous n'étiez que deux, alors je suis restée toute la nuit à veiller pour voir si les autres n'étaient pas seulement partis se balader. Je vous ai observés parler quand vous vous êtes réveillés, même si je n'entendais pas vos paroles. Et puis, quand je t'ai vu sortir le collier de l'hirondelle pour le lui donner, j'avoue que j'ai un peu paniquée et que je suis devenue un peu...perturbée, dirons-nous.
Elle reprit une nouvelle grande inspiration avant de continuer :
-Je ne sais pas pourquoi, il m'a semblé que tu allais lui donner le collier ; un cadeau qui venait de moi, qui représentait mon histoire, qui était un peu la seule chose que tu possédais me représentant vraiment. Je sais pas...j'ai eu l'impression que c'est comme si tu m'abandonnais, comme si tu m'oubliais. Je n'avais pas envie qu'elle le touche, brisant tout au passage. Alors j'ai lancé le couteau pour l'arracher de vos mains, avant qu'elle ne s'en empare. Sur le moment je me sentais vraiment mal et j'avais l'impression d'avoir été trahi de nouveau. Alors j'ai écrit le message rapidement, avec un stylo et un morceau de papier que j'avais mis dans ma poche la veille au cas où, et je l'ai lancé sur ton sac avant de m'enfuir avec Idil.
L'agacement et la certaine rancune que Gatien avait ressentis envers Estelle s'envolèrent aussitôt.
-Jamais je ne me serai séparé du collier, dit-il doucement. Martine voulait juste l'observer pour voir ce mystérieux symbole. Les porteurs de l'hirondelle vont sans aucun doute former le régime qui suivra celui-ci. Ils représentent la chute de son père.
-Je ne pensais pas à grands choses sur le coup... marmonna Estelle. Je ne pensais qu'à éloigner cette princesse du collier, alors j'ai couru annoncer votre position à Herbert et ils sont partis vous chercher. Je crois que je m'en veux, maintenant. Il se peut que j'ai été troublé par le choc de te revoir, mêlé à celui de te retrouver seul avec la princesse. J'étais un peu désespérée, perdue, et jalouse je crois bien.
-Il ne fallait pas, assura Gatien en se demandant s'il pouvait tenter de sautiller jusqu'à elle pour la serrer dans ses bras.
Mais à bien y penser, il paraîtrait vraiment ridicule et tomberait à la moitié du chemin.
-Mais attends une seconde, continua Gatien. Comment as-tu pu me voir, voir le collier, voir Martine, viser avec tes couteaux, et écrire sans tes yeux ?
Estelle parut hésiter. Elle semblait gênée.
-Herbert m'a offert des yeux robotiques, finit-elle par dire. Je peux voir de nouveau. Encore mieux qu'avant, même. Mes yeux ne sont pas aussi perfectionnés que le sien, mais ils me permettent de voir dans le noir, ils s'accommodent à la luminosité si elle est très forte et enregistrent les scènes que je souhaite pour les revoir en rêve. Je ne pouvais pas refuser, j'ai accepté son présent avec gratitude. L'un de ses chasseurs travaillait dans les prothèses robotiques et n'a pas eu grand mal à me les confectionner après avoir volé quelques trucs en ville. Je pense qu'Herbert voulait s'assurer de ma loyauté pour que je les amène à la princesse.
Gatien, qui venait de réussir à défaire la corde qui lui ligotait les pieds, se leva et chancela jusqu'à Estelle. Cette fois, elle se laissa retourner vers lui. Il dégagea une mèche de cheveux - pas facile avec les mains liés - et vit enfin les yeux de la jeune fille. Des yeux entièrement gris. Des yeux froids, sans émotions, robotiques.
-Tu vois... fit-elle. Au final, je serai toujours la fille aux yeux étranges. D'abord orange, bien vivants, puis gris, robotiques et morts.
La surprise passée, Gatien sourit. En fait, il s'en fichait bien de ses yeux. Ce qui lui importait, c'est qu'elle n'était pas morte, qu'elle était là, et qu'ils n'avaient plus aucune raison d'être séparés !
-Donc si tu enregistres ce que tu vois toute la journée, t'es sûre de pas faire de cauchemars ? dit-il avec un grand sourire pour détendre l'atmosphère.
Le coin droit des lèvres d'Estelle se releva légèrement, ce qui était déjà un bon signe.
Gatien se débrouilla pour la prendre par le bras et l'emmena jusqu'au lit. Ils s'assirent et se laissèrent aller l'un contre l'autre.
Ils restèrent plusieurs minutes comme ça, à profiter du calme - troublé quelque peu pas les rires des chasseurs. Ce furent ces rires qui firent naître une question dans la tête de Gatien.
-Où est Martine ?
-La princesse ? Elle est dans une autre tente, ligotée, bâillonnée... Ils ne veulent pas qu'elle s'échappe. Seul Herbert a le droit d'aller la voir.
-Et que veulent-ils faire de moi ?
-Rien, ils ne t'ont ligoté les pieds et les mains que parce que tu te débattais. Il compte sur moi pour te tenir tranquille. Tu peux sortir, revenir dans la tente, aller manger avec les chasseurs... Mais je te déconseille de te déplacer sans moi : il y en a qu'il vaut mieux éviter.
-Alors on va rester ici ?
Les paupières d'Estelle s'agrandirent. C'était vraiment étrange de ne pas voir ses yeux prendre une autre expression que la neutralité.
-Rester ? répéta-t-elle en parlant le plus bas possible. Oh non ! Je crois qu'Herbert m'apprécie bien, alors il pourrait peut-être faire de nous des chasseurs de rançons. Mais ils vont rencontrer la résistance pendant l'affaire « livrer la princesse à son père ». Et je te rappelle que l'on est des ennemis des porteurs de l'hirondelle depuis notre fuite et le meurtre d'Alida et de l'autre type. Il faut qu'on parte le plus tôt possible, sans leur laisser penser que quelqu'un pourrait en avoir après nous. Malgré sa petite affection pour moi, Herbert n'hésitera pas à me livrer avec toi à la résistance, ou à ton maître Pascal et à mon père.
Pour une fois, Gatien fut soulagé de l'entendre annoncer qu'il allait quitter un groupe pour vivre en solitaire.
-Eh bien, je n'aurais jamais cru dire ça un jour, mais je suis à cent pour cent d'accord avec toi pour partir vivre comme des ermites !
-C'est bien, ça prouve que tu commences à devenir sage, fit Estelle avec un sourire amusée.
Elle vérifia d'un regard que personne n'avait ouvert l'entrée de la tente puis lâcha un long soupir en se tournant vers Gatien :
-Bon, eh bien demain, nous irons annoncer que nous partons. Si on se débrouille bien pour ne pas paraître effrayé par la perspective de se retrouver face à la résistance, ils nous laisseront partir : on aura fait notre travail, ils n'auront plus besoin de nous.
-Et Martine ?
-Je suis désolée, je ne vois vraiment pas quoi faire pour elle. Et je reste persuadée qu'elle aidera beaucoup la résistance à renverser le roi, ou bien qu'elle changera la société elle-même si la résistance échoue.
Gatien tenta de protester, mais ne dit rien. Finalement, il était d'accord avec Estelle : Martine serait bien mieux au palais qu'en vadrouille pour le peuple...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top