Chapitre 15 : "Tu le vois encore accroché en haut, peut-être ?"
Cette fois, c'en était trop ! Gatien s'était fait mépriser et insulter depuis qu'il était arrivé, et il en avait assez d'encaisser sans se plaindre. Il se jeta sur Romain et lui fila un coup de poing dans le nez. Le prince, surpris, fut déséquilibré par le choc et ils tombèrent tous les deux à terre, accrochés l'un à l'autre.
Puis, sans entendre les cris de protestations de leurs compagnons, Romain attrapa Gatien par le t-shirt et le souleva sans mal pour l'expulser à l'aide de son pied par-dessus sa tête. Gatien hurla et s'écrasa sur le dos dans la poussière. Tout l'air de ses poumons sembla s'échapper.
Romain se releva et tenta de lui donner un coup de pied dans les côtes, mais Gatien l'intercepta et le lui tordit. Il n'était peut-être pas aussi fort et grand que le prince, mais il savait se battre et se défendre : c'était essentiel si on ne voulait pas se faire voler son repas par des voisins et quand on vivait dans la misère la plus totale. De plus, son ancien maître, le chef cuisinier, apprenait à ses voleurs plusieurs techniques de combats au corps à corps et de maniements d'armes.
Le prince poussa un cri mêlant la douleur, la consternation et la colère, puis s'affala de nouveau à côté de Gatien. Celui-ci s'apprêtait à l'étrangler, histoire de lui apprendre à l'accuser à la moindre occasion, mais il en fut empêché : Martine le saisit par un bras et le fit reculer avec fermeté. Elle avait beaucoup de force et Gatien ne put lutter contre elle.
Marina, elle, s'était placée devant Romain et le réprimandait en replaçant sa cheville dans le bon alignement du corps. Le blessé gémit, mais Marina semblait savoir ce qu'elle faisait.
-Non mais je rêve, siffla-t-elle en aidant Romain à se relever. Vous vous battez alors qu'on doit fuir au plus vite ? A cause de vous on va se faire attraper !
-Dans cinq minutes ils sont là ! prévint Hervé, qui était monté jusqu'à la colline pour voir l'avancée des robots impériaux.
-C'est cet imbécile qui m'a attaqué ! s'exclama Romain en lançant un regard noir à Gatien.
-Physiquement, oui, répliqua Gatien. Mais en vérité, c'est toi ! Tu n'arrêtes pas de m'accuser pour tout et rien. D'accord, parfois j'ai vraiment commis de petites erreurs, comme faire tomber un plat dans le feu...mais là, je n'ai rien à voir avec ce téléphone. T'as entendu ? Rien ! Alors fiche-moi la paix !
-On se calme, on se tire d'ici, et on règle le problème après ! lança Martine en lançant à Gatien son sac.
La princesse balança ensuite son téléphone dans un buisson, attrapa la main d'Hervé, et commença à courir en s'enfonçant à travers le bois qui leur faisait face.
-Vite ! cria Adèle en les suivant.
Gatien l'imita et sentit que Marina et Romain faisaient de même, la première aidant l'autre à courir.
Adèle se prit les pieds dans une racine et tomba par terre. Gatien se pencha et attrapa son bras sans s'arrêter, l'entraînant à sa suite en l'aidant à se relever grâce à la vitesse. Elle fit les premiers mètres en trébuchant un peu, puis se reprit et accéléra pour se caler sur la vitesse de Gatien.
-DEMI-TOUR ! hurla Martine en revenant vers eux, le regard affolé. DES ROBOTS ARRIVENT DE CE CÔTE AUSSI !
Ils partirent alors vers la gauche, Marina et Romain les suivant toujours, un peu à la traîne.
Jamais Gatien n'avait couru aussi vite de sa vie. Et pourtant, il sentait son sac peser lourd dans son dos... Mais il savait qu'il ne tiendrait pas longtemps. Il fallait trouver une solution.
-IL N'Y A PAS DE VILLAGES, PRES D'ICI ? hurla-t-il à Martine.
-NON !
Puis, quelques secondes, plus tard, elle ajouta :
-MAIS IL DEVRAIT Y AVOIR UNE RIVIÈRE PAS LOIN !
Une rivière ? En quoi cela pouvait-il les aider ?
La trajectoire de Martine et d'Hervé changea légèrement, et ils se retrouvèrent bientôt face à un cours d'eau rapide.
-Argh ! hoqueta Romain en arrivant à son tour avec Marina. Co...comment on fait pour traverser ?
-On ne traverse pas ! répondit Martine, aussi rouge qu'une tomate après l'effort.
Elle fouilla dans le sac d'Hervé et en sortit un carton de la taille d'une boite à chaussure, puis une pompe électrique. Ensuite, sous le regard ahuri de Gatien, elle déroula un matelas pneumatique et commença à le gonfler.
-Très épais, assez grand, résistant, ça ira ! décréta-t-elle en regardant autour d'elle, comme pour vérifier que les robots n'étaient pas encore arrivés.
-Mais où as-tu trouvé ce truc ? demanda Gatien avec incompréhension.
-Cela fait partie du matériel qu'on a embarqué avant de s'enfuir du château, au cas où, répondit Romain en levant les yeux au ciel.
-Vite ! fit Adèle, affolée.
La pompe émit une petite lumière verte, et Martine la remit dans le sac d'Hervé tandis que Marina refermait le bouchon du bateau désormais gonflé.
-En voiture ! s'exclama Martine en le mettant à l'eau.
-En bateau, plutôt ! rectifia Romain en sautant à l'intérieur, deux rames télescopiques à la main.
Martine et Marina tinrent le bateau collé à la rive pendant que les autres montaient, puis sautèrent à leur tour à l'intérieur et le courant les entraîna à toute allure.
Il y avait juste assez de place dans leur petit navire pour accueillir les six adolescents et leurs sacs. Les rames ne servaient en fait qu'à éloigner le bateau du bord quand le courant les projetait vers le rive, mais n'arrivaient pas à leurs épargner toutes les secousses et les rebonds.
A un moment, une rame se brisa sous un choc, et ce dernier manqua faire basculer Hervé par-dessus bord. Gatien le rattrapa de justesse, mais fit tomber le sac de Romain au passage.
-Bordel ! s'exclama le prince. Mais t'es pas bien ? Tu viens de nous faire perdre une tente, un tiers des provisions, mes habits que je ne t'avais pas prêté, et mes effets personnels !
-T'aurais préféré perdre Hervé ? répliqua Gatien.
Il serrait maintenant le bras du petit garçon qui tremblait de peur afin d'éviter qu'il ne soit de nouveau déséquilibré.
-Arrêtez de vous disputer, bon sang ! fit Martine, tentant au mieux de leur éviter des rebonds endiablés à l'aide de la dernière rame.
-C'est ton cousin qui est égocentrique !
-La ferme, morveux !
-LA FERME, TOUS LES DEUX ! hurlèrent Martine et Marina en chœur.
La nuit commençait à tomber et ils voyaient de moins en moins le paysage. Ils allaient toujours aussi vite, personne ne sachant comment tout cela allait se terminer.
Hervé fermait les yeux, accroché aux bras de Gatien et Marina. Adèle pleurait en silence, collé à Romain qui la serrait contre lui. Martine travaillait toujours d'arrache-pied avec sa rame, jusqu'à ce qu'elle ne se brise à son tour. A partir de là, la princesse se prit la tête entre les mains et s'assit au milieu des sacs pour ne pas tomber.
Gatien ne sut jamais combien de temps ils étaient restés ainsi, ballottés d'un bord à l'autre, tournant parfois sur eux-mêmes. En tout cas, la nuit était tombée depuis longtemps quand Adèle sécha ses larmes et demanda :
-Vous croyez que les robots ont perdu notre trace ?
-Oui, dit Martine en levant la tête vers elle. Ils ont dû arriver jusqu'au buisson où se trouve mon téléphone, puis ils ont cherché aux alentours pour nous trouver. A mon avis, ils ont dû conclure que nous étions partis depuis longtemps, oubliant le téléphone là.
-Alors ils n'ont plus de quoi nous pister ? On va pouvoir arriver de l'autre côté de la frontière ?
-Oui, Adèle, on va réussir, approuva Martine.
La fillette sourit et serra la main que sa grande sœur lui tendait.
Martine, elle, alluma une lampe de poche et tenta de voir où ils se trouvaient, ce qui était difficile vu les secousses.
-Il est temps de mettre pied à terre, dit-elle. Je ne veux pas tester plus longtemps la solidité du bateau, ni sa capacité à rester à l'endroit.
Romain laissa Adèle dans les bras de Marina, puis attendit que le bateau ne heurte de nouveau le bord. Il agrippa alors un arbuste qui se trouvait là, mais le lâcha en poussant un cris rageur : le bateau allait trop vite.
Sa cousine vint l'aider, puis Gatien. A eux trois, ils réussirent à s'accrocher à l'arbuste suivant, mais l'arrêt fut brutale et Hervé manqua de nouveau tomber à l'eau.
-Dépêchez-vous ! s'exclama Romain, grimaçant sous l'effort. Je ne pense pas que ça va tenir longtemps.
Adèle se tint au bras de Romain et sauta à terre. Marina lui lança les sacs, aida Hervé à sortir du bateau, puis le suivit à son tour.
-Martine, fit Gatien. A toi.
-Non : à toi. Sans vouloir te vexer, j'ai plus de forces que toi.
Gatien ne protesta pas : il avait l'impression que l'arbuste allait lâcher d'une seconde à l'autre. Il sortit avec précaution, puis tint une poignée du bateau depuis la rive. Martine sortit à son tour. La plante fut alors arrachée du sol et la princesse eut juste le temps d'attraper la main de son cousin qui tomba à l'eau, le courant emportant le bateau.
Marina poussa un cri et accourut pour aider Gatien et Martine à sortir le prince de l'eau.
-Hum, Hervé ? fit Martine quand son cousin s'affala par terre. Je crois bien qu'on va avoir besoin de ta mixture spéciale : Romain s'est cogné et coupé avec les cailloux de la rivière...
*
Trois jours plus tard, ils reprirent la route. Marina n'était pas convaincue que Romain soit véritablement remis de son passage dans l'eau, qui l'avait en plus à moitié assommé, mais le prince était catégorique : ils avaient assez perdu de temps comme ça.
Marina, Adèle et Gatien était parti la veille voler une boutique dans un village voisin pour remplacer ce que Romain avait perdu quand son sac était tombé dans la rivière. Tout s'était bien passé, mais il ne valait mieux pas s'attarder davantage, juste au cas où.
Quant au mystère du téléphone, personne n'avait encore avoué l'avoir allumé.
-Faites gaffe, ça glisse, prévint Martine quand ils longèrent une falaise, arrivés dans des milieux montagneux.
En effet, il y avait de la mousse partout. Tous se concentrèrent et firent attention aux endroits où ils posaient les pieds.
-ATCHOUM ! éternua Adèle juste derrière Gatien.
Celui-ci sursauta et dérapa. Pour éviter de tomber dans le vide, il se raccrocha à Marina, qui se trouvait juste devant lui, et l'aurait emportée dans sa chute avec lui si Romain ne les avait pas saisi tous les deux par les bras pour les maintenir en place.
-Mais regarde un peu ce que tu fais ! s'exclama-t-il en lançant un regard noir à Gatien.
-Adèle m'a surpris, se justifia l'adolescent.
-Eh bien ce n'est pas la peine de manquer faire tomber quelqu'un avec toi pour autant !
-Désolé, s'excusa Gatien en rougissant. C'était un réflexe.
Marina lui adressa un sourire crispé, signe qu'elle acceptait ses excuses, et continua à avancer.
Cet accident mis de côté, le reste de la journée se passa bien, jusqu'à ce qu'ils montent le camp à l'ombre d'un grand chêne, au milieu de dizaine d'autres chênes.
-Hervé, Gatien, allez donc voir si vous pouvez trouver des fruits aux alentours, leur dit Romain à ce moment-là.
Les deux garçons obéirent, bien sûr, et se retrouvèrent vite seulement tous les deux, au milieu des chênes.
-J'aimerais bien monter dans un arbre, chuchota Hervé en regardant autour de lui.
-Pourquoi donc ? s'étonna Gatien.
-Je ne sais pas, j'ai toujours rêvé de monter au sommet d'un arbre, comme un écureuil.
-Ah...
Gatien ne sut pas quoi ajouter. Que voulait-il qu'il fasse de cette déclaration ?
-Je vais grimper à un chêne ! s'exclama finalement Hervé.
-Quoi ?
-Je vais grimper !
Et, sans laisser le temps à Gatien de protester, Hervé se hissa sur une branche, un large sourire aux lèvres.
-Tu risques de tomber ! le prévint Gatien, pas vraiment rassuré.
Mais le petit garçon semblait bien trop content de pouvoir enfin monter dans un arbre pour l'écouter.
-Fais bien attention !
Hervé grimpa sur une branche plus haute, se hissa sur une autre, puis encore une. Il se retrouva bientôt à huit mètres du sol.
-Bon, c'est bon, là ! intervint Gatien. Tu es assez haut comme ça. Redescends, maintenant !
-Mais je ne suis pas arrivé au sommet, protesta le gamin.
-Tu vas te casser quelque chose, si tu continues !
-Encore une branche, au moins !
Hervé se dressa sur la pointe des pieds pour se hisser sur une dernière branche, mais elle était visiblement trop haute et il se retrouva coincé, les bras accrochés à la grande branche, les jambes dans le vide.
-Gatieeeeen ! gémit l'enfant. Je peux plus bougeeeeer !
Gatien se laissa aller contre le tronc d'un chêne, désespéré. Mais qu'avait-il fait pour se retrouver dans une telle situation ?
-Je ne sais pas grimper aux arbres, Hervé ! lui cria-t-il pour se faire entendre. Tu ne peux vraiment pas descendre ?
-Nooooon !
Gatien lâcha un soupir d'exaspération.
-Bon, restes ici, je vais chercher les autres pour voir s'ils peuvent venir te décrocher. Bouge pas, surtout !
-T'inquiètes, de toute façon, je suis coincé... soupira Hervé. Mais dépêche-toi ! Je sens que je vais bientôt plus pouvoir tenir !
Gatien jura et s'élança vers le camp.
-Hervé est coincé en haut d'un arbre et va bientôt lâcher si on ne vient pas l'aider ! s'exclama-t-il en arrivant devant Martine et Marina, qui le regardèrent avec de grands yeux.
-Co...comment ? fit Marina.
-Qu'est-ce qu'il fiche dans un arbre ? demanda Romain en s'approchant.
-Il voulait monter, je n'ai pas pu l'en empêcher.
-Tu aurais dû !
-Allons l'aider, intervint Martine.
-Je sais grimper aux arbres, précisa Marina. Je vais le décrocher.
Ils suivirent Gatien en courant jusqu'au chêne où était censé se trouver Hervé...mais il n'y était plus.
-Hervé ? fit Adèle en regardant les branches.
Martine poussa un cri horrifié et se précipita vers un buisson. Elle écarta les feuilles et fit apparaître le corps étendu d'Hervé. Marina vint l'aider et elles l'en sortirent avec délicatesse.
-Il est tombé ? demanda Gatien, inquiet.
-Tu le vois encore accroché en haut, peut-être ? répliqua Romain en lui jetant un regard lourd de reproches.
Ils s'approchèrent des filles et d'Hervé, et remarquèrent que la tête du petit garçon était fendue à l'arrière.
-Le buisson a amorti la chute, murmura Marina en regardant l'état du reste du corps, mais il a dû heurter une branche en tombant et s'est cogné la tête. Un gros coup. Il n'a pas souffert, mort sur le coup.
Adèle gémit et éclata en sanglot. Sa sœur, la prit dans ses bras, le regard rivé sur ce qui était désormais un petit cadavre. Martine, elle, se releva et alla vomir plus loin.
Quant à Gatien, il se sentait si mal qu'il avait l'impression qu'il allait lui aussi rendre son déjeuner. Tout s'était passé si vite, c'était si radical, il ne s'y attendait tellement pas...il avait du mal à accepter que le gamin n'était plus.
Romain jura, donna un coup de pied dans un caillou, puis repartit vers le camp sans même lancer un regard méprisant à Gatien, ce qui prouvait à quel point il était secoué.
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Eh oui, encore un mort. Promis, je ne tuerai que trois autres personnages :)
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