Chapitre 14 : "Je sais donner des ordres !"
Le lendemain matin, Gatien s'était réveillé avec un mal de tête atroce. Marina lui avait alors passé quelques médicaments, malgré les protestations de Romain, et Hervé avait retiré la mixture verdâtre qu'il lui avait posée sur tout le corps durant la nuit.
-C'est un remède naturel contre toutes les blessures possibles, avait-il expliqué au blessé. C'est ma grand-mère qui me l'a apprise, avait-il ajouté en posant une nouvelle portion de mixture.
Gatien avait mangé, but, et réussit à raconter son histoire peu après le déjeuner. Tout le monde s'était installé dans la petite cabane construite au-dessus de lui et l'avait écouté avec attention.
Quand Gatien avait raconté la chute finale d'Estelle et de KC, Adèle avait lâché un sanglot, Hervé avait tourné la tête vers le fossé, Martine avait regardé Gatien avec compassion, et Romain et Marina s'étaient jetés un bref coup d'œil.
-Tu veux qu'on tente de descendre en bas pour voir si on peut la retrouver ? avait ensuite demandé Marina en se tournant vers Gatien.
Romain avait ouvert la bouche pour protester, puis s'était repris, se contentant d'observer Gatien avec attention.
-Non, avait répondu celui-ci. Je ne veux pas la voir écrasée...
Alors Romain avait fait évacuer la cabane pour permettre à Gatien de pleurer sans spectateurs.
Le jour suivant, Hervé était venu changer la mixture, puis lui avait donné à manger. Il avait fallu attendre encore une journée pour que le petit garçon donne son accord à Gatien pour sortir de la cabane. Il lui avait alors retiré la mixture, s'était assuré qu'il avalait toute la nourriture présentée, et l'avait aidé à enfiler des habits propres et à se lever.
Il leur avait ensuite fallu plusieurs minutes pour que Gatien réussisse à tenir debout, mais le remède d'Hervé était visiblement très efficace : le blessé n'avait plus que des courbatures et quelques hématomes.
-Eh ben, avait fait le gamin avec l'un de ses rares sourires. KC, elle t'avait bien cassé !
Et Gatien avait alors trouvé l'humour d'Hervé vraiment douteux.
Ce ne fut que quatre jours plus tard que Gatien fut suffisamment guéri pour marcher sans aide.
-Mon remède est extraordinairement efficace ! déclara Hervé, après l'avoir annoncé aux autres.
-Enfin ! s'exclama alors Romain. On va pouvoir bouger !
Marina lui lança un regard réprobateur, mais le soulagement se lisait dans ses yeux : elle aussi, elle ne se sentait pas à l'aise près de ce fossé où devaient croupir le cadavre d'une vieille dame, d'une adolescente et d'une chienne.
Martine ordonna de faire leurs bagages : ils partaient !
-Où ? demanda Gatien, qui n'avait plus rien à lui : la cabane de KC s'était volatilisée, emportant ses affaires.
Les habits qu'ils portaient, c'étaient des vêtements de Romain.
-On cherche à quitter le royaume, répondit Adèle. D'après les vieilles dames de la cour, il existe un pays vaste et paisible où la paix et le respect règne.
-Vraiment ? s'étonna Gatien. Comment est-ce possible ?
-Aucune idée, fit Romain en éteignant le feu. Mais mon arrière-grand-mère disait que c'était un endroit merveilleux qu'elle aurait bien aimé visiter si c'était autorisé.
-Il y a une frontière à ce royaume ? On ne pourra pas la passer ! Et pourquoi Antoine n'aurait pas lancé ces troupes à la conquête de ce territoire s'il est si merveilleux ?
-Il y a une frontière, dit Martine, c'est vrai. Mais nous avons avec nous les meilleures voleuses, plus un autre voleur entraîné par les résistants à l'art du combat : toi.
-Chouette ! s'exclama Adèle. On est le club des voleurs aux cheveux de feu ! C'est trop cool !
-Hervé est un génie en informatique, ajouta Martine. Son oncle était informaticien et ingénieur à la ville du coin, et lui a transmis son savoir. Et Hervé a un véritable don ! Il pourra couper en quelques secondes le système de surveillance, brouiller la connexion, et retourner les robots contre les soldats si besoins. Quant à Romain, il est un très bon acteur si on a besoin d'une excuse pour approcher des soldats, ou de les convaincre de nous emmener quelque part : dans la salle de contrôle, par exemple.
Romain sourit avec fierté, puis ferma la fermeture éclair de son sac.
-Et toi ? demanda Gatien à Martine. Quel est ton avantage ?
La jeune fille prit son temps pour réfléchir, puis haussa les épaules en souriant :
-Je sais donner des ordres ! déclara-t-elle. Il n'y a pas mieux, non ? Sans ordres, sans plans, il n'y a pas d'actions, donc pas de réussites !
Devant cette logique imparable, Gatien resta silencieux. Il aida Hervé à mettre un sac sur son dos, puis revint à Martine :
-Et pour la deuxième question ? Antoine et ses conquêtes ?
-Son territoire est assez grand, répondit Martine en enfilant un manteau. Et ce territoire merveilleux est rempli de papillons. Et il a peur des papillons...
Alors que les autres finissaient de ranger, Gatien s'avança vers le fossé en prenant une longue inspiration. Il devait y jeter un coup d'œil, sinon il le regretterait toute sa vie.
Il arriva à un mètre du bord. Là, il s'arrêta. Il se mordit la lèvre inférieure, hésita, puis avança d'un pas, puis d'un autre, pour finalement se mettre à genoux et se pencher prudemment vers le fond. Il retint sa respiration et y jeta un coup d'œil...mais il ne vit rien : le fossé était trop profond, on ne voyait que du noir.
Gatien gémit et se laissa aller en arrière. Étendu dans l'herbe sur le dos, il recommença à respirer en regardant le ciel, fronçant les sourcils pour retenir les larmes : il n'y avait plus rien à faire. Ce serait inutile de tenter de descendre, la falaise n'offrant aucune prise et le fond étant trop loin. Il n'y avait aucune chance qu'Estelle ait pu survivre à la chute.
-Allez, on y va, lui lança Romain en surgissant dans son champ de vision.
Il l'aida à se relever, lui donne un sac à dos, et l'encouragea à s'éloigner du fossé.
-Cela ne sert à rien de rester ici, assura-t-il à Gatien. Il faut avancer, c'est tout. Elle avait l'air forte : elle aurait souhaité que tu sois toi aussi courageux dans cette épreuve.
Bien sûr, Romain avait raison. Mais Gatien trouvait cela tout de même trop dur. Il fit quand même de son mieux pour suivre les autres sans s'effondrer.
Ils marchèrent de longues heures, traversant les plaines, s'arrêtant de temps à autre pour se reposer et boire aux ruisseaux. Martine menait la marche, Adèle gambadant à ses côtés. Derrière eux venaient Romain et Marina, qui parlaient de tout et de rien. Et enfin, Hervé tenait compagnie à Gatien à l'arrière : le petit garçon lui déballait tout son registre de plaisanteries, sans paraître se rendre compte que son interlocuteur de l'écoutait pas. Cependant, comme lui-même ne semblait pas passionné par ses blagues, ni prêter vraiment attention à tout ce qui sortait de sa bouche, Hervé lui aurait sans doute pardonné s'il l'avait remarqué.
Alors que la nuit tombait, ils s'arrêtèrent près d'une cascade, épuisés.
-Un voleur, un robot patrouilleur et une princesse fugitive entrent dans un bar... fit Hervé, le seul à ne pas s'être rendu compte que les autres s'étaient effondrés.
Il continua de marcher tout droit, les yeux dans le vagues, et manqua tomber dans le bassin d'eau. Marina le rattrapa juste à temps.
-Eh ! Her' ! Fais gaffe où tu mets les pieds !
-Oups, fut la seule réponse de l'enfant.
Marina le ramena vers les autres et le fit asseoir sur un rocher. Elle l'aida à se décharger de son gros sac, puis s'installa contre un tronc d'arbre.
-Je propose de s'arrêter là pour la nuit, dit la jeune fille. Ça te va, Martine ?
-Affirmatif, répondit la princesse. Cousin ? Tu montes le camp ?
-Oh non ! J'ai presque tout fait la dernière fois, pendant que vous vous affairiez tous autour du rouquin !
Son ton était rempli de mépris. Gatien tenta donc de ne pas le prendre personnellement. Il se redressa et fit de son mieux pour sourire :
-Si vous voulez, je peux monter le camp.
-Houlà, non ! s'exclama Romain. Tu ne sais pas comment il faut faire ! La première et dernière fois où on a accepté d'héberger d'autres vagabonds, en échanges de viandes, le blondinet et la brunette ont tout cassé en tentant de monter les tentes ! On a dû retourner en ville pour voler du nouveau matériel.
Il se tourna vers sa cousine et ajouta :
-C'est pour ça, qu'on n'avait dit qu'on ne se mêlerait plus aux autres voyageurs !
Martine leva les yeux au ciel.
-Alors va donc dans les environs pour t'assurer qu'il n'y a aucun danger près d'ici, ni d'autres vagabonds, Romain. Hervé et Adèle monteront le camp en montrant à Gatien comment faire. Moi, je vais faire du feu.
-Parfait, accepta Romain avant de se tourner vers Marina. M'accompagnez-vous gente demoiselle ? ajouta-t-il en lui présentant son bras.
-Bien évidemment ! s'exclama-t-elle en sautant sur ses pieds. Allons-y !
Et ils s'enfoncèrent dans les bois, bras-dessus bras-dessous.
-Pff... soupira Adèle avec un sourire moqueur. Tu parles, Martine, qu'ils vont vérifier que nous sommes seuls ! Oh, peut-être qu'ils le feront...mais ils vont bien passer la majorité de leur temps à s'embrasser et se dire des mots doux !
-Taratata, on baisse d'un ton, jeune fille ! lui lança Martine avec un regard amusé. Tu préfères qu'ils s'embrassent au milieu du camp ?
-Beurk ! Non ! Sans façon !
-Nous sommes donc d'accord.
Elle remit ses cheveux en arrière d'un geste du poignet, et ajouta en prenant une voix plus douce et chantante, ressemblant à Marina :
-Maintenant, je vais préparer le feu de camp, même si je risque de passer la majorité de mon temps à roucouler avec mon grand amour !
Sur ces mots, la princesse éclata de rire et partit chercher du bois en prenant la main d'un personnage imaginaire. Adèle dissimula son rire derrière une fausse toux et hua la pâle imitation de Marina et Romain, alors qu'Hervé souriait de toutes ses dents, les yeux remplis de paillettes.
Quant à Gatien, il n'était pas vraiment encore intégré au groupe. Il se contenta donc d'un faible sourire, n'osant pas trop rire des plaisanteries de ses nouveaux compagnons de route.
-Bon, à nous, maintenant ! s'exclama Adèle en reprenant son sérieux. On monte le camp, et plus vite que ça !
*
Vivre en bande, dans la nature, c'était une chose que Gatien n'aurait pas recommandé à un ami : il y avait toujours un problème ! Un coup, l'un se tordait la cheville et retardait tout le monde, s'attirant la colère d'un autre. Une autre fois, un deuxième était de mauvaise humeur et pourrissait la journée du reste de l'équipe en se plaignant. Parfois ils atterrissaient dans un terrier d'ourapin, en voulant secourir l'un d'entre eux qui avait dévalé une pente sur le derrière, et repartaient en tremblant de peur, anxieux à l'idée de se retrouver nez à nez avec l'animal. Et quand un objet disparaissait, il y avait toujours des accusations de tous les côtés, jusqu'à ce que tous se rendent compte que l'objet en question était simplement rangé dans un sac - mais l'ambiance restait tout de même tendue pour plusieurs heures.
Bref, après trois jours de marches, Gatien commença à regretter son voyage en compagnie de seulement Estelle, puis Idil. Qu'est-ce qu'il n'aurait pas donné pour les retrouver toutes les deux, et qu'ils repartent vagabonder en solitaire !
Celui que Gatien ne pouvait pas supporter, c'était Romain. Ce type le méprisait, le mettait toujours à l'écart, et semblait refuser l'idée qu'il puisse être accepté dans leur bande. Le prince se montrait plus compréhensif et amical quand la conversation tournait vers Estelle - sans doute parce qu'il redoutait de perdre Marina comme Gatien avait perdu la jeune fille - mais il l'ignorait le reste du temps, sauf pour le réprimander au moindre faux pas.
-Magne-toi, Gatien, disait-il chaque matin. Tu nous mets en retard, faut qu'on se dépêche de se mettre en route !
Ce n'était pas sa faute s'il avait du mal à se réveiller ! Pourtant, il n'avait aucun intérêt à rester dormir, vu qu'il ne faisait que des cauchemars. C'était bien la preuve qu'il ne faisait pas exprès de rester endormi !
Encore deux jours de marches, et Gatien commença à être épuisé. Il pensait tout de même avoir une meilleure endurance ! Mais ses blessures encore fraîches devaient le fatiguer davantage qu'il ne le pensait.
-Je n'en peux plus... soupira-t-il en s'écroulant près de Martine, devant le feu qu'elle venait d'allumer. On ne pourrait pas prendre un jour de repos ?
-Et puis quoi encore ! s'exclama Romain. Tu t'incrustes dans notre équipe et tu oses te plaindre de nouveau ? Mais, reste, reste, je t'en prie : prends donc un jour de repos ! Mais nous, on continue !
-Je trouve que c'est une très bonne idée, de rester une journée de plus ici, répondit la princesse à Gatien. Cela nous permettra de ramasser des fraises des bois, d'autres fruits si possible, et de chasser. On pourra en profiter pour reprendre des forces, et ça fera du bien de se reposer un moment.
Son cousin la regarda, dépité, puis poussa un soupir d'exaspération en s'éloignant pour aider Marina à monter la dernière tente.
Hervé s'avança vers Gatien et Martine, s'assit à leurs côtés, et demanda :
-Dans combien de temps arriverons nous à la frontière ? Moi aussi je suis épuisé de marcher, marcher et marcher...
-D'après la carte que j'ai volé dans la bibliothèque de mon père, on en a encore pour un mois au minimum, soupira Martine. C'est pas gagné, mais on peut y arriver.
Hervé la regarda d'un air septique, puis s'étendit dans l'herbe et ferma les yeux. Il semblait plus pâle que d'habitude, et de grands cernes marquaient son visage. Il était fatigué, c'était certain, et paraissait bien frêle.
-MARTINE ! MARINA ! ROMAIN !
Tous se tournèrent vers Adèle qui descendait une colline en courant, agitant les bras en l'air.
-Quoi ? fit Romain en se précipitant vers elle.
La fillette s'effondra dans ses bras, essoufflée.
Sa sœur arriva à son tour et aida Romain à l'emporter jusqu'au feu où Gatien lui tendit une gourde remplie d'eau.
Adèle refusa de boire, tentant de parler sans réussir à retrouver son souffle. Elle était partie soulager sa vessie plus loin, une dizaine de minutes plus tôt, alors qu'avait-elle pu voir qui la mette dans un état pareil ?
-J'ai...j'ai...j'ai...j'ai vu...vu...vu... hoqueta-t-elle.
-Vu quoi ? demanda Marina en regardant la colline avec méfiance.
-Des...des...des ro...ro...
-Robots ?
-Ou...oui...iii ! Im...Impé...pé...
-Impériaux ? s'exclama Romain en ouvrant de grands yeux.
Adèle se tut et prit une longue inspiration, puis se tourna vers Martine et déclara :
-Des robots, impériaux, se dirigent, vers nous. A mon avis, ils sont là dans dix minutes.
Martine bondit sur ses pieds et donna un coup rageur dans une bûche, envoyant une multitude d'étincelles sur Hervé qui se recula hâtivement.
-Comment ont-ils fait pour nous retrouver ? Et pourquoi maintenant ?
-Je ne sais pas, mais ils ont l'air de savoir précisément où nous sommes.
-Euh, Martine... fit Romain avec un air inquiet. Ne me dis pas que t'as encore ton téléphone sur toi ?
La princesse se précipita vers sa tente et fouilla dans son sac. Elle en sorti un téléphone et jura.
-Mais je ne l'ai pas allumé depuis notre fuite ! s'exclama-t-elle. Pour le pister, il faut qu'il soit allumé !
Elle appuya sur une touche et l'écran s'illumina aussitôt.
-Il n'est pas éteint, fit remarquer Marina.
-Qui y a touché ? demanda Romain en regardant chacun d'entre eux avec colère. Si les robots n'arrivent que maintenant sur nous, le téléphone a été allumé ce matin.
-On peut tracer vos téléphones quand ils sont allumés ? s'étonna Gatien. Mais bon, peut importe : à mon avis, il vaudrait mieux laisser le téléphone là et filer avant leur arrivée. On réglera les comptes plus tard.
Marina et Adèle, qui avaient déjà presque fini de tout ranger, approuvèrent. Mais Romain n'eut pas l'air d'apprécier.
-C'est toi, n'est-ce pas ? lança-t-il à Gatien. J'aurai dû m'en douter ! Tu n'apportes que des malheurs ! Eh bien puisque c'est comme ça, ton chemin se sépare du notre à partir de maintenant.
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