Chapitre 10 : "Franchement, bravo"

Cela faisait une heure qu'ils roulaient, et les résistants semblaient avoir été distancés depuis un bon bout de temps. La voiture était on-ne-peut-plus performante et s'adaptait d'elle-même à tous les terrains sur lesquels elle roulait sans ralentir. Gatien était impressionné. Estelle avait rentré des instructions dans l'ordinateur relié à la voiture, et celle-ci avait trouvé d'elle-même la meilleure façon de semer les avions et les camions lancés à leur trousse.

-J'adore cette voiture, déclara Gatien après avoir vérifié pour la énième fois qu'ils n'étaient plus suivis. Et pourquoi as-tu inséré l'hirondelle dedans ?

-C'est la catégorie de voitures spécialement réservées aux chefs de la résistance, expliqua Estelle en ouvrant la boite à gants. Elles sont remplies des dernières nouveautés de la technologie et ont presque une intelligence artificielle. Il faut juste leur donner des ordres, comme « semer des poursuiveurs et trouver un coin désert ». Et pour les activer, il faut absolument l'hirondelle pour garantir que nous appartenons bien à la classe des personnes autorisées à l'utiliser.

-Comment sais-tu tout cela ?

-J'observe, je demande, je m'informe... soupira Estelle. Ah ! C'est la voiture d'Hélène !

Elle brandit un carnet contenant une carte d'identité et un permis de conduire au nom de la cheffe.

-Tu crois que ces voitures sont équipées de traceurs ? s'inquiéta Gatien.

-Non, répondit la jeune fille. Les chefs se font trop confiances entre eux et savent qu'aucun d'eux ne trahiraient les autres. Et comme cette voiture ne peut être utilisée qu'avec l'hirondelle et qu'aucun chef ne se laisserait voler son pendentif, il n'y a pas de risque qu'elle soit volée. Ils ont dû être bien étonnés de voir qu'on a réussi à l'activer !

-Tant mieux, alors. Et où va-t-on, maintenant ?

Estelle haussa les épaules, et Gatien se sentit perdu : n'étant pas allé à l'école, il ne connaissait même pas la géographie du pays. Alors comment pouvait-il savoir où ils pourraient vivre heureux et tranquilles.

-On fait comme je le dis depuis le début, déclara Estelle. On cherche un endroit désert, où on pourra vivre seuls et sans problème, sûrs que personne ne viendra nous y trouver. Si on y arrive, ce serait bien de quitter le pays. Mais j'avoue que cela me fait un peu peur, vu qu'on ne sait pas ce qu'il y a à l'extérieur. Ça ne peut pas être pire, mais y a-t-il seulement un territoire habitable ? Le roi aurait sans doute tenté de coloniser le reste du monde s'il y avait un intérêt à cela...

-Donc tu veux toujours vivre en tant qu'ermite, en conclut Gatien, déçu.

-Oui, assura Estelle. C'est la meilleure solution. Et tu ferais bien de l'accepter. Je te rappelle que ton idée, à toi, c'était de t'engager dans la résistance. Eh bien on peut être d'accord sur le fait que ça a été un fiasco total ! Et tu m'as trahie en nous y faisant entrer, souviens-t-en. Je t'avais bien fait comprendre que je ne voulais pas y aller.

-Oui, oui, soupira Gatien. Désolé.

La chienne émit une sorte de ricanement, comme si elle le trouvait particulièrement pathétique.

-Bon, alors trouvons un endroit où vivre en ermites, fit Gatien.

Il tenta de paraître joyeux et appuya sur un bouton pour demander à la voiture - qui traversait maintenant de vastes plaines où poussaient quelques arbres - d'accélérer.

Malheureusement, il dut se tromper de bouton car la voiture dévia subitement de sa trajectoire quelques mètres plus loin et dévala une petite pente à toute allure avant de rentrer dans un arbre. Des coussins pneumatiques apparurent devant Estelle et Gatien pour les empêcher de passer à travers le pare-brise, sous le choc de la collision, et Idil poussa un jappement de frayeur en s'agrippant au siège. La chienne aurait sans doute tenu le choc ainsi, mais elle eut tout de même le droit aux coussins gonflables qui l'écrabouillèrent entre eux.

-Et zut... grommela Gatien, se laissant aller contre le dossier de son siège et permettant ainsi aux coussins de gonfler encore davantage.

L'adolescent en avait marre de lui, de sa maladresse, et surtout de sa malchance. Ne pouvait-il pas pour une fois faire quelque chose de bien jusqu'au bout ?

Il vit des mains s'élever vers le plafond, entre les cousins, et applaudirent sans joie.

-Clap, clap, clap, dit Estelle. Bravo, Gatien. Franchement, bravo. Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas eu le droit à l'une de tes fameuses démonstrations de maladresse.

-Tu sais ce qui m'énerve le plus chez toi, Estelle ? soupira Gatien. C'est que tu dis toujours tout haut ce que je ressens à l'intérieur. Donc j'ai deux fois la même morale et les mêmes railleries.

-Ben j'ai la solution pour toi, la carotte, dit Estelle en tentant de se dégager des coussins. Tu n'as qu'à faire attention et réfléchir avant d'agir ! Ah, mais comment on désactive ces machins...

Gatien sentit qu'elle tapotait l'écran à l'aveuglette, puis la pression des coussins se relâcha.

-Magnifique, constata Estelle alors que les coussins se résumaient à un petit sac vide. Non, mais regarde-moi ce désastre !

Gatien n'avait pas besoin d'elle pour regarder : le capot de la voiture était défoncé, une grosse branche d'arbre était tombée sur le toit, le cabossant et faisant un trou à la droite d'Idil, et le pare-brise étaient en miettes.

Estelle retira l'hirondelle du plateau de commandes, le repassa autour du cou de Gatien, et sortit de la voiture en prenant son sac. Gatien l'imita, dépité : ils n'avaient visiblement plus d'autre moyen de transport que leurs pieds.

-Allez, ma belle, fit Estelle alors qu'Idil sautait à terre. Tu ne saurais pas où on pourrait trouver un coin pour se reposer ?

La chienne remua la queue et partit en courant.

-On ne va pas aussi vite que toi ! lui rappela Estelle.

Idil revint aussitôt, puis cala son pas sur celui de son amie et de Gatien.

-Tu m'en veux, pour la voiture ? s'inquiéta celui-ci en réajustant les sangles de son sac à dos.

Estelle soupira.

-Non, je ne crois pas... Je pense que c'est à cause de l'habitude. C'est triste, tu ne trouves pas ? Mais bon, on est seuls au monde, alors on se serre les coudes ! C'est ce qui fera notre force : s'entre-aider, se faire confiance, rester ensemble et s'écouter mutuellement.

-Ce que je ne fais pas trop depuis le début, en fait, constata Gatien avec désolation.

-T'en fais pas, ma carotte. Tu vas t'améliorer, je sais que tu peux le faire. Il te fallait juste un temps pour t'adapter.

-J'espère que tu dis vrai...

Ils suivirent Idil durant deux heures à travers les plaines, sans s'arrêter et en ne parlant que de ce qu'ils aimeraient trouver comme nouvelle habitation. Le soir commençait à tomber, ce qui les fit marcher plus rapidement : la chienne semblait leur dire par ses aboiements joyeux qu'ils étaient presque arrivés à un endroit où il leur serait possible de se reposer.

-J'espère qu'elle nous conduit à une grotte, dit Gatien. Vide, si possible. Il fera un peu froid, mais on sera à l'abri du vent.

-Je préférerai un terrier vide d'ourapin, moi. L'odeur n'est pas très agréable, mais il y ferait chaud.

-Tu crois qu'il y en a dans la région ?

-Je ne pense pas, répondit Estelle. Dommage.

-Quoique, la dernière et première fois qu'on est rentré dedans, c'était parce qu'on était en fuite, soupira Gatien. Ce qui n'est pas très cool.

-Nous sommes en fuite, répliqua Estelle.

-Bon, bah j'avais la cheville tordue et le nez en sang... Donc, ça ne me rappellerait pas de très bons souvenirs.

Idil s'arrêta brusquement, ce qui les fit sursauter. Ils levèrent les yeux et se rendirent compte qu'ils se trouvaient devant une longue clôture.

-Propriété privée ? demanda Gatien. Je ne vois pas de panneaux.

-C'est peut-être la délimitation du territoire du duc de Nyria, supposa Estelle. Regarde : il y a un portail !

Gatien s'avança et poussa le portail : il était ouvert. L'adolescent le referma aussitôt, surpris.

-Ce n'est pas bon, ça, si un portail est ouvert. A quoi servirait-il de mettre une clôture si on peut la franchir aussi facilement ?

Idil se mit à grogner en direction d'un petit bois, à une centaine de mètres.

-Euh, on fait quoi ? demanda Gatien alors que la chienne se plaçait devant eux, comme pour les protéger. Les résistants ne nous ont quand même pas rattrapés ?

-Si seulement, fit Estelle en voyant avec horreur la créature qui s'avançait vers eux, sortant du bois.

La bête était aussi grande qu'un ours, avec des poils noirs tachetés de blanc. Ses longues pattes arrière semblaient extrêmement puissantes et longues. De grandes oreilles se dressaient au sommet de sa tête et son gros museau tressautait, comme si l'animal reniflait l'air autour de lui.

-Bon, eh bien il y a des ourapins dans la région, observa Gatien en tentant de rester calme. Point positif : on a la réponse à une de nos questions. Point négatif : ils sont plutôt agressifs et dangereux. On court !

Estelle l'attrapa par le bras pour l'empêcher de bouger :

-Attends, on ne sait pas si courir pourrait attirer sa colère.

L'animal les aperçut enfin et, voyant son territoire envahi par des étrangers, poussa un grognement de défi et s'élança vers eux en montrant les crocs.

-Cette fois, on court ! déclara Gatien.

-La clôture, il faut la passer ! cria Estelle en reculant. Plus le choix !

Gatien se précipita vers le portail et le poussa afin de l'ouvrir. Il se glissa de l'autre côté de la barrière et tint le portail en hurlant :

-Estelle ! Grouille-toi !

La jeune fille évita un trou, sauta par-dessus le sac abandonné que Gatien avait fait tomber en s'enfuyant, s'arrêta et retourna instinctivement le récupérer... Le temps de prendre dans ses bras ce deuxième sac, l'ourapin l'avait rattrapée. Idil se jeta sur lui pour permettre à Estelle de s'éloigner. La jeune fille courut et se glissa de l'autre côté de la barrière.

Alors que Gatien allait refermer la porte, Estelle la bloqua et siffla pour appeler la chienne. Celle-ci avait sauté sur le dos de la bête et plantait à présent ses dents dans son cou. L'ourapin grognait de douleur et tentait en vain de faire tomber son assaillant. Idil savait se battre, elle n'était pas une chienne d'élite mutée pour rien !

-Idil ! cria Estelle. Allez, viens ! Dépêche-toi !

La chienne obéit enfin et sauta du dos de son adversaire. Puis, l'ourapin sur les talons, elle fila vers Estelle. Celle-ci vit Idil passer entre ses jambes, puis tenta de refermer le portail. Elle le poussa de toutes ses forces mais, dans sa hâte, oublia malencontreusement de retirer sa main droite du bord : elle poussa un cri de douleur quand ses doigts se firent écrasés entre la clôture et le portail claqué.

-Estelle ! s'exclama Gatien, la voyant se décomposer sous l'effet de la douleur.

Elle avait l'impression de ne plus sentir ses doigts, comme s'ils avaient été coupés. Pourtant ils étaient toujours là...

Elle rouvrit doucement le portail pour retirer ses doigts, mais l'ourapin arriva à ce moment-là sur elle. Par réflexe, elle tendit sa main devant elle pour se protéger. Encore une mauvaise idée : la bête avait la gueule grande ouverte et la main entra à l'intérieur en se cognant contre les crocs. L'ourapin s'arrêta, surpris, et recula la tête pour retirer ce corps étranger de sa bouche. Estelle en profita pour claquer le portail au nez de l'animal une bonne fois pour toute, puis le vit recracher deux doigts.

La jeune fille regarda sa main droite avec horreur, puis s'évanouit lorsque la douleur éclata.

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