La question
On a d'abord cru à un problème technique, évidemment. Les serveurs du centre de données ont tout de suite surchauffé, puis après une longue attente, on a vu les images. Un cercle entièrement rempli de blanc. Mais, comme un paysage dont les formes se détoureraient devant nous la seconde suivant l'ouverture d'une porte, c'est la deuxième image qui a vraiment fini de décrocher la mâchoire des physiciennes et physiciens. Sur les écrans de la salle de contrôle d'ATLAS, le plus grand détecteur de particules du CERN, les traces de la désintégration de dizaines de bosons de Higgs occupaient la place centrale du cercle représentant une vue en tranche de la machine. Il n'était jamais arrivé de voir autant de boson de Higgs d'un coup. En général, un résultat significatif se produisait une fois sur plusieurs millions de collisions. Mais après tout, c'était le but de la mise à niveau HiLumi (haute luminosité) que de rendre le Grand collisionneur de hadrons (LHC) plus performant. Il sembla simplement qu'elle fonctionnait beaucoup mieux que prévu. Du moins, c'est ce qu'il nous aurait été permis de penser si nous nous étions contentés de regarder la partie centrale du cercle. Mais une fois passée les couches inférieures, plus rien n'avait de sens. Les protons et les muons effectuaient des transformations impossibles en toutes les autres particules existantes. Et lorsque que nos pupilles suivaient les traces jusqu'aux extrémités du cercle et que nous regardions celui-ci dans son entier, elles se retrouvaient écarquillées pour absorber toute l'étrangeté du mandala de couleurs qui n'auraient jamais dû se présenter dans cette configuration. Une distribution parfaite en une structure qui ne laissait pas de doute à ceux qui dans cette salle avaient vu cette image tout au long de leurs études et de leurs carrières. Découpées en quatre zones, les Higgs au milieu, entourés d'un anneau de bosons de jauge, puis d'un autre anneau supérieur divisés entre les leptons et les quarks, eux-mêmes ordonnés équitablement selon leur type... C'était impossible. Nous avions devant nous le schéma du modèle standard de la physique des particules. Les particules s'étaient ordonnées elles-mêmes non pas pour dessiner une réalité de la nature, mais pour représenter un schéma construit par l'esprit humain.
Puis il y a eu un flash, et le mandala à nouveau. Et encore un flash... La séquence des deux images défilait devant l'assemblée qui commençait à sortir de son apnée. Et à hurler.
Il faut comprendre que si ces traces de couleurs sur des écrans noirs peuvent paraître abstraites, et que la plupart des gens n'auraient pas réagi comme les scientifiques dans cette salle, pour ceux-ci, cela représentait la chose la plus impossible dont on puisse être témoins. Bien sûr, la première image aurait pu convaincre tout le monde d'un problème technique, et bien que personne n'aurait été particulièrement heureux des semaines de travail et de retard que cela aurait représenté, personne n'aurait été absolument surpris. Mais la seconde image était différente. Les intelligences les plus vives qui contemplaient ces écrans l'avaient immédiatement compris : il n'était pas possible qu'un bug produise un résultat semblable, et il était encore bien plus impossible que la réalité le fasse. Ce que montrait cette image, c'était une violation des lois les plus fondamentales de la physique.
Tout a été stoppé. L'accélérateur a été éteint et pendant deux ans, des investigations ont été menées à tous les niveaux possibles : sur les pièces des détecteurs, sur l'accélérateur et ses aimants, sur les logiciels de reconstructions des trajectoires des particules, sur les serveurs sélectionnant et recevant les données... Rien. Aucune défaillance, pas même un cheveu ayant échappé au système de vacuum. Alors on l'a rallumé, pour voir si le problème s'était résolu avec un simple reboot, comme on l'aurait fait avec l'ordinateur du salon.
Le flash suivi du mandala. Le flash, et le mandala. Encore, et encore. Rien n'avait changé.
Personne ne voulait admettre que ce que nous voyions puisse être vrai, même si les autres détecteurs autour de l'anneau que formait l'accélérateur, comme le Solénoïde compact pour muons (CMS), avaient obtenu les mêmes résultats. Personne ne voulait l'admettre, jusqu'à ce que le Tevatron, l'accélérateur de particules circulaire du Fermilab aux États-Unis, soit réhabilité et mise à niveau pour égaler et même dépasser légèrement la puissance de celui du CERN. Le monde de la physique s'était arrêté et les scientifiques autour du globe attendaient les résultats de la reproduction de l'expérience avec un étrange sentiment dans le ventre qui aurait dû ressembler à de l'excitation, mais qui s'apparentait plus à de la terreur. Et alors, une fois de plus, les souffles se sont coupés. Une apnée mondiale provoquée par le nouveau passage d'un fantôme devant la fenêtre.
Le flash. Le mandala. La même séquence. C'était vrai. Pas un problème de la machine, pas une mauvaise interprétation. Une observation confirmée et impossible de la réalité. La physique venait de s'effondrer.
Pendant plusieurs années, des milliers de versions de l'expérience ont été menées. Le principe d'un collisionneur de particules est simple : on émet un faisceau de particules dans une direction et un autre dans la direction opposée, on les fait tourner et accélérer, plusieurs milliers de fois par seconde, dans l'anneau d'aimants qui compose l'accélérateur circulaire, puis on les fait se collisionner au niveau des détecteurs. De l'énergie extrême produite par ces collisions émergent d'autres particules que celles qui se sont collisionnées. Les traces de ces particules sont ensuite reproduites informatiquement et on peut observer leurs trajectoires dans le détecteur, dont la tranche est un cercle. Pour varier les expériences, on peut donc faire se collisionner différents types de particules comme des protons, mais aussi des choses plus lourdes comme des ions. Dans les années qui ont suivi donc, toutes les configurations possibles ont été essayées. Et à chaque fois, le même résultat. Les mêmes deux images. À chaque nouvelle itération, le modèle standard pourtant si bien incarné par les particules sur la seconde image, volait un peu plus en éclats.
C'est durant cette période que ça a commencé. Les délires. Les obsessions. Les interprétations spirituelles. On entendait jusqu'à l'intérieur des tunnels qui creusent des motifs circulaires dans la terre du CERN, des chuchotements religieux, des histoires de communication extraterrestre, ou le pressentiment à demi avoué que cette fois-ci on avait creusé trop profond dans les abîmes cosmiques et qu'on avait réveillé quelque chose de plus ancien même que le temps de Planck. Mais il y avait toujours cette obsession plus forte et tenace que les autres, cet inexplicable besoin d'en savoir plus, de connaître la réponse à la plus grande énigme de notre temps. Cette quête a commencé à envahir tout le monde, pas seulement le monde scientifique, ni même la philosophie et la religion. Non, absolument tout le monde voulait comprendre, et si les théories affluaient par milliers, une se détacha du lot.
Le monde de la physique seul n'était pas capable de fournir une théorie satisfaisante. Mais en collaborant avec le large éventail de disciplines qu'on pouvait trouver dans les universités et centres de recherche du monde entier, une sorte de consensus, sans doute le plus improbable que la science moderne ait connu, s'est dégagé. Celui-ci postulait ce qui se murmurait depuis longtemps déjà : la séquence des deux images constituait un message. Les physiciens et les physiciennes aussi avaient dû s'y résoudre, puisque même en tordant les équations de la physique dans tous les sens, ils ne pouvaient pas expliquer ce que tout le monde observait. Ce n'étaient pas les modèles qui étaient faux ; une force inexplicable et surnaturelle était à l'œuvre. Rien qu'une constante de plus ne pourrait régler.
La première image était la plus difficile à interpréter. Marquait-elle le début du message ou en était-elle un élément en soi ? Y avait-il tellement d'information que les détecteurs saturaient, ou bien y en avait-il juste la quantité exacte pour que nous puissions la lire ? Ce sont les statisticiens, les linguistes, et les informaticiens qui parvinrent à apporter l'interprétation la plus convaincante. Le cercle blanc ne montrait pas du bruit dans le détecteur. Les logiciels fonctionnent pour capturer toutes les collisions significatives, c'est-à-dire celles qui engendrent l'apparition des particules qu'on trouvait lors du Big Bang. Or, l'image était blanche non pas parce qu'il n'y avait rien dessus, mais au contraire parce qu'il y avait tellement de trajectoires sélectionnées comme significatives par le logiciel qu'elles se chevauchaient jusqu'à ce que plus aucune d'entre elles ne puisse être distinguée. En fait, grâce aux supercalculateurs, il avait été possible de compter qu'il y avait sur l'image une quantité de particules correspondant exactement aux faisceaux envoyés. Autrement dit, la totalité des particules avait produit des collisions significatives. Une chose statistiquement inenvisageable, mais qui pourtant avait depuis été observée des milliers de fois. Des milliers d'articles académiques avaient été publiés pour tenter d'interpréter cette image comme un morphème portant un sens dans le message. Grâce au dialogue avec les autres disciplines, les linguistes conclurent que cette image représentait la "signification" ou le "sens", puisque tout ce qui y figurait était significatif.
Ce sont les cosmologues qui apportèrent l'explication pour la seconde image. Puisqu'il s'agissait, sans doute permis, d'une représentation schématique du modèle standard de la physique des particules, alors l'image figurait l'univers, et les linguistes ajoutèrent qu'on pouvait aussi l'interpréter comme montrant ce qui existe, c'est à dire l'"existence". Le monde de la physique objecta que la matière et l'énergie noires n'y étaient pas représentées, mais l'argument fut donné qu'il s'agissait d'un message symbolique, et que le symbole figurait la connaissance actuelle de l'univers selon ce que la science en avait confirmé.
Signification et univers, donc. D'aucun aurait pu argumenter qu'un biais très humain était ici à l'œuvre, mais une fièvre avait couvé dans la population mondiale. Une fièvre provoquant une soif de compréhension inédite dans l'Histoire.
Il a été très vite décidé de mettre encore une fois à niveau le Grand collisionneur de hadrons, pour cette fois-ci doubler sa puissance. Des financements sans précédent ont permis de terminer le chantier en quatre ans seulement.
Nous y étions de nouveau, dans cette salle de contrôle dans laquelle avaient surgi, des années auparavant, des émotions broyant nos estomacs à chaque pulsation qui sur l'écran passait du blanc au multicolore. Allions-nous encore voir la même séquence ? Y avait-il plus ? En tout cas, ce n'était plus seulement nous dans la salle. Le monde entier y était, fixé derrière des écrans qui dans tous les pays afficheraient les cercles et détailleraient la moindre réaction des scientifiques se tenant là debout, nerveux, pensifs.
Le flash. Le mandala.
Et autre chose.
Les chercheurs et chercheuses du CERN s'attendaient à tout, mais pas à la normalité.
Un jet de particules, une collision dessinant une trajectoire dans le cercle. C'était tout. À y regarder de plus près, non, ce n'était pas tout. Il n'y avait justement rien d'autre que ce jet, ce qui était étonnant, mais qui malgré tout pouvait arriver. Cette collision, bien que solitaire, ne violait aucune loi de la physique. Elle était d'une banalité déstabilisante.
Les résultats des autres détecteurs situés le long de l'anneau arrivèrent peu après. Une séquence de trois images qui revenaient en boucle pour eux aussi. Mais cette fois-ci, la dernière image était différente. Un seul jet, là également. Mais ici s'arrêtait la similarité, car sur la séquence de chaque détecteur, le jet sur la dernière image pointait toujours dans une direction précise, et cette direction était différente pour chacun des détecteurs. Il n'a pas fallu longtemps pour comprendre : les jets pointaient vers le centre du Grand collisionneur de hadrons, un point situé à plus de cent mètres sous terre, quelque part au milieu du cercle de vingt-sept kilomètres que formait l'accélérateur dans son tunnel.
On y creusa. D'abord un puits, aussi profond qu'on le pouvait, bien en dessous du point indiqué, jusqu'à ce que les têtes des foreuses fondent à cause de la chaleur des profondeurs. On ne trouva rien. Alors on creusa plus large, au point de créer un gigantesque cratère qui engloutit deux villages. Mais il n'y avait rien.
Ce n'était pas ça.
Où était-ce, si ce n'était pas ici ? Le même processus d'interprétation recommença. Les images étaient à chaque fois de nature différentes, ce qui rendait la tâche ardue. Mais quand d'autres accélérateurs circulaires reproduisirent l'expérience, et qu'eux-mêmes pointaient en leur centre, et non pas vers le CERN, alors on comprit qu'on avait une fois de plus affaire à un symbole. Deux explications concurrentes émergèrent cette fois-ci, sans qu'aucune des deux ne prenne le dessus. Elles partaient du même postulat : les faisceaux pointant au centre des accélérateurs indiquait une direction. Mais si les linguistes y voyaient un symbole représentant la centralité ou bien le concept de lieu, d'autres pensaient que le message ne s'arrêtait pas à de la symbolique. À coup de calculs complexes utilisant la courbure de la trajectoire des jets de particules, des groupes de recherches en mathématiques étaient parvenus à trouver un rapport qu'ils avaient été capables de convertir en coordonnées spatiales. Celles-ci, une fois appliquées au système de coordonnées écliptiques centré sur le Soleil (l'interprétation "centralité" du morphème avait appuyé cet argument), indiquaient un point dans le système solaire, plus précisément dans le voisinage de Pluton dans la ceinture de Kuiper. Nous serions face à une carte des étoiles. Les interprétations allaient plus loin encore. Si les deux premiers morphèmes voulaient dire "signification" et "univers", voire même "sens" et "existence", alors cette carte nous mènerait vers les réponses aux questions les plus fondamentales de l'humanité.
Il n'en fallu pas plus pour qu'un programme spatial se lance dans plusieurs pays, et une course aux étoiles commença, d'abord avec des sondes du côté des agences spatiales, et même avec des projets absurdes de vols habités financés par les milliardaires habituels qui y voyaient encore une opportunité de tirer profit de leur fantasme, et s'imaginaient s'approprier ce qui se trouverait là-bas. Un corps céleste fut identifié par les télescopes, à priori identique aux milliers d'autres objets transneptuniens qui se trouvaient dans cette zone, mais qui semblait coller parfaitement aux coordonnées.
Pourtant, il persistait certains sceptiques de l'explication de la carte. Une portion du monde scientifique militait pour poursuivre la recherche avec les accélérateurs qui seraient sans doute capables de continuer la séquence si on les améliorait encore, plutôt que de compter sur le vœu pieux que le nombre trouvé et traduit en coordonnées soit autre chose qu'une chimère. Mais les quelques mises à niveau incrémentales ne suffirent pas ; il fallait changer d'ordre de magnitude pour espérer obtenir de nouveau résultats. Or, une étude avait été menée pour un projet d'une telle envergure, et la conjoncture avait tant changé depuis nos découvertes que le financement de ce que le CERN nommait son Futur collisionneur circulaire (FCC) pu se faire sans peine.
Un chantier de cette taille prend néanmoins du temps. Nous parlions d'un accélérateur de près de cent kilomètres de circonférence, qui passerait sous le lac et les montagnes et dont la puissance serait de trente fois celle de celui que nous utilisions. Nous ne demandions pas une mise à niveau, mais la création d'une machine d'un nouvel ordre de grandeur, détrônant de très loin le Grand collisionneur de hadrons pour la place de la plus grande expérience scientifique du monde. Il s'agissait tout simplement de la machine la plus grande jamais créée par l'humanité.
Le chantier démarra. Les années passèrent et avec celles-ci, nos carrières avancèrent et se rapprochèrent de leurs termes. Nous étions maintenant âgés et racontions aux étudiantes et étudiants qui entraient au CERN comment s'était passé la découverte, comment le monde avait réagi, et puis, au fil du temps, comment tout cela est devenu la normalité. Nous racontions comment c'était avant, quand nous vivions dans un monde maîtrisé, un monde fini sur lequel l'humanité piétinait sans espérer trouver quelque sens que ce soit. Nous tentions de les convaincre que malgré tout, malgré l'apparent manque de sens du monde, jamais l'envie de comprendre n'avait été absente. Celle de percer les mystères de l'univers.
La conquête des étoiles avait eu bien plus de succès dans l'imaginaire populaire que nous. Pour un temps du moins. Car si tous les efforts de propagande avaient su sécuriser les financements nécessaires à toutes les missions de sondes et d'astromobiles, il fut difficile de continuer à croire que l'astéroïde que tous ciblaient recelait la moindre réponse, une fois celui-ci tant creusé qu'on pouvait voir à travers sur les images retransmises. Il n'y avait rien là-bas, les coordonnées n'en étaient pas, et tout le monde finit par le comprendre. Ce qui ramena toute la lumière sur le Futur collisionneur circulaire quand celui-ci fut enfin aboutit.
Nous nous trouvions à nouveau dans une salle de contrôle, mais elle était bien plus vaste que celle que nous avions connue à ATLAS. Ce sentiment, à nouveau. Toujours le même après une vie de recherche. Cette terreur inexplicable au fond du ventre. Que pouvait-on bien craindre après une vie d'étonnement scientifique et spirituel ? Peut-être que quelque chose vienne mettre fin à notre soif de connaissance. Peut-être que la séquence ne continue pas. Un souvenir remonta du fond de nos mémoires. Celui qui était apparu après que nos expériences avaient été reproduites et confirmées. La conviction que nous étions allés trop loin, et que nous avions aperçu ce qui se cachait juste un instant avant le Big Bang. Alors que recommençait cette étrange apnée que nous pratiquions à chaque fois que nous avions connu un tel moment d'attente, nous comprîmes qu'à cet instant-là, c'est l'abîme qui nous regardait.
Chaque image sembla se figer le temps d'une vie.
Le cercle blanc.
Le mandala.
Le jet solitaire de particules.
Il nous regarde.
Le chaos.
Le chaos jaillit devant nous. Sa confusion sans limites envahit nos esprits. Et nous sûmes que c'était la fin.
Dans le cercle, une seule particule laissait une trace qui s'enroulait en ne suivant aucune règle, dans un motif qui tissait des nœuds avec des courbes dont aucune n'était similaire à la précédente. Et quand la séquence continua et que la quatrième image apparut de nouveau, la particule s'était déplacée de manière totalement différente, suivant des lois inconnues. Nous en avions eu l'intuition immédiatement, et celle-ci se confirma à chaque analyse d'une de ces nouvelles danses : non seulement ces lois nous étaient inconnues, mais elles étaient inexplicables.
Des algorithmes d'apprentissage artificiel furent utilisés pour l'analyse sans qu'ils puissent parvenir à expliquer le comportement de la particule. Les physiciennes et physiciens confirmèrent qu'il s'agissait bien d'une particule spécifique, et non pas d'une différente à chaque fois, mais elle restait complètement élusive. Les mathématiques élaborèrent un théorème montrant que ce n'était pas le hasard qui déterminait le mouvement de la particule, mais qu'il devait y avoir une variable cachée qui le faisait. La physique était pourtant formelle : s'il y avait une variable cachée, elle obéissait à des lois totalement inconnues et ne relevait pas de ce que les connaissances actuelles étaient en mesure d'expliquer. Nous étions face à un grand point d'interrogation, et personne n'avait la moindre idée de comment le résoudre.
Les années passèrent encore, les mises à niveau continuaient à rendre l'accélérateur plus puissant. Mais plus rien d'autre n'en émergeait. Nous étions maintenant à la retraite, et si nous suivions la quête de réponses avec amusement, nous savions au fond de nous que plus rien n'apparaîtrait, que la séquence était finie. Nous nous sommes retrouvés près de l'ancienne salle de contrôle d'ATLAS, maintenant en ruine, pour écouter ensemble une grande annonce que le CERN allait faire. Nous nous sommes assis dans la carcasse d'un vieux bus qui avait un jour trôné au centre de l'espace d'innovation du CERN, juste à côté d'ATLAS. En regardant par ces fenêtres, nous nous sommes rappelé comment notre vieux professeur avait introduit la toute première séance, ici-même, avec une question simple et fondamentale écrite sur une représentation du cosmos : Pourquoi sommes-nous là ?
"Pour percer les mystères de l'univers !", nous sommes-nous exclamés, comme nous l'avions fait des décennies auparavant.
Nous avons allumé le petit écran, et écouté l'annonce. C'était le projet le plus fou jamais envisagé, un chantier qui prendrait un siècle ou plus. Le CERN voulait construire le plus grand accélérateur de particules circulaire imaginable : celui-ci entourera la Terre et fera la taille de sa circonférence. Nous sourîmes et éteignîmes l'écran. Nous savions que cela ne servait plus à rien. Nous avions rejoint depuis longtemps les conclusions des linguistes : la quatrième image symbolisait l'inconnu, le questionnement. Elle terminait la phrase en un point d'interrogation.
SENS.
EXISTENCE.
LIEU.
INTERROGATION.
Nous avions compris ce qu'était cette terreur dans nos ventres. Nous n'étions pas les seuls à ne pas savoir. Nous étions tout entier penchés au-dessus du puits de l'inconnu.
Plus d'un siècle plus tard, l'humanité, qui sans réserve s'était dédiée à ce projet, était en apnée. L'accélérateur, entourant la Terre, allait donner ses résultats.
La séquence commença.
Le cercle.
Le mandala.
Le jet.
Les nœuds.
Et rien de plus.
Il n'y aurait rien d'autre.
L'univers, lui aussi, continuait de se poser la question.
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