Chapitre 3
"J'ai réussi en somme ce que dans le champ du commerce ordinaire on voudrait pouvoir réaliser aussi aisément : avec de l'offre j'ai créé la demande."
Jacques Lacan
Emily arrive à quatorze heures avec le fleuriste pour tout agencer en vue de la soirée. Je la suis un peu partout pour la contredire régulièrement lorsqu'elle donne des directives et ruiner ainsi ses efforts. Elle est au bord des larmes et cela me divertit énormément. Son tailleur est très vite maculé de pollen de lys, je ne manque pas de lui faire remarquer que sa tenue est fichue, qu'elle ne pourra pas porter ça ce soir. Pendant qu'Emily part pleurer un instant dans la salle de bain je vais me plaindre au fleuriste de l'infâme odeur des lys, je lui dit de les remporter et d'amener quelque chose de plus délicat qui ne gâchera pas les arômes de mes vins.
Mon petit sommelier québécois arrive en même temps que le traiteur et s'en sort bien mieux que mon assistante pour orchestrer une mise en place idéale autour des grands crus choisis. Des bouchées de flétan en gravlax au poivre de Séchuan pour le Riesling, des feuilletés de colvert aux trompettes de la mort pour le Pommerol, des sushis dorade et caviar, une foule de petites boulettes croustillantes de légumes et un plateau de fromages de chèvres, plus présentable et plus raffiné que les immondes choses paysannes à la mode il y a cinq ans. Pour être certain de vendre du cognac des bouchées au chocolat ont été commandées sur mesure chez Patrick Roger.
Comme je n'ai plus grand monde à persécuter et qu'il n'est que 16h je décide après avoir fait le tour du buffet de sortir prendre l'air. Tout est disposé avec précision et rigueur comme j'aime, des fleurs aux couverts, d'ailleurs je mets une fourchette étincelante dans ma poche avant de quitter l'appartement.
L'herbe est encore verte et parfumée dans le Park et je flâne un moment sans vraiment savoir vers où je vais. Je passe près du pont sous lequel j'ai laissé la clocharde se débrouiller avec ses tripes et un morceau du service de mariage de Liz Price mais je ne trouve qu'un mur sale et aucune trace de mon forfait. Je hausse les épaules et prolonge ma promenade vers ma cave. La boutique est tenue par Glawdys, une jeune fille blonde et stupide dont le physique suffit à vendre des caisses de six bouteilles même si elle ne fait pas la différence entre du cidre et du Dr. Pepper. Au fond du showroom je tire les lourdes grilles et me dirige vers le fond de la pièce. Les pierres brutes conservent une fraîcheur et une obscurité qui me conviennent en tous points même si ce fut difficile et couteux de trouver un pareil édifice à Manhattan. Sur mon trousseau il y a une clef qui ouvre la porte blindée entre les Pommards et les je-ne-sais-pas-quoi puisque ce n'est pas moi qui les range. La porte s'ouvre sur un escalier en pierre que je descends en sifflotant une vieille chanson dans le noir.
https://youtu.be/iPUmE-tne5U
I'm walking on Sunshiiiiiine, wo-ho...
Quelques mètres après la dernière marche je sors la clef qui ouvre la grille en métal rouillé. Les bruits et les grincements de la vieille ferronnerie déclenchent un spasme et un frétillement dans mon ventre. J'entends les petits bruits des cafards et des souris qui s'écartent sur mes pas. Instinctivement je recherche une odeur de moisi que je ne trouve pas et me félicite de cette cave bien saine. Ça couine encore un peu sur la droite derrière une porte en bois brut. Mais ce ne sont pas les souris.
La petite chose attachée au mur lève vers moi ses deux orbites vides lorsque je passe le seuil. Elle est assise nue dans ses propres déjections et un peu de son sang même si j'ai réussis à me me concentrer très fort pour rester maître de moi. Ce qu'il lui reste de dents lui permet tout juste de se faire comprendre et je réussis à percevoir un très faible "laissez-moi sortir, dirai rien, pitié" le cri de la victime classique que je ne relève même pas. Je regarde ma montre Tag Heuer et m'aperçois que je ne pourrai pas me détendre avec elle très longtemps vu qu'on m'attend.
-Chérie je ne vais pas pouvoir rester très longtemps aujourd'hui. Je vais te donner le choix : raphia ou tire-bouchon?
-...itié...
-Je ne t'entends pas, tu ne fais aucun effort. Ce sera donc tire-bouchon, ça me mettra en jambes pour ce soir. Je vais t'expliquer comment on ouvre un grand cru, et j'ose espérer que tu apprécieras la noble comparaison.
Un hurlement terrifié s'échappe de sa gorge alors que je dégaine l'ustensile de ma poche. Dans un premier temps je vérifie que le flacon est à bonne température en enfonçant profondément mes doigts à la place de ce qui étaient ses yeux il y a quelques jours. Ma cave est excellente à ce que je peux constater en me léchant les doigts. Sans prêter attention aux cris qui fusent de mon petit vin de pays je dégaine le couteau de sommelier de mon instrument et entreprend de lui décapsuler la gorge pour atteindre sa trachée. Un flot de borborygmes et d'humeur se répand alors. Je tapote amicalement sa joue pour ne pas perdre les dernière secondes de sa conscience, il serait dommage qu'elle rate la première gorgée de la nouvelle cuvée Bateman qui a si longuement mûrit. J'entaille soigneusement la peau du buste jusqu'au sein gauche en regrettant amèrement qu'elle ne participe pas plus à la dégustation. Je suis obligé de briser deux côtes pour accéder à son cœur parce que c'est trop serré pour laisser passer ma main au travers de la cage thoracique. Une érection débute lentement mais durement lorsque je m'aperçois que dans son coma elle a eu la gentillesse de laisser son cœur battre pour moi encore un peu. Je plonge le tire-bouchon dedans et l'extrait du mieux que je peux entre ses os. Je suis obligé de donner un coup de dent pour sectionner l'artère et récupérer ainsi le précieux bouchon tandis que le nectar jaillit en longues saccades sur mes Berluttis. Je trempe mon doigt dedans et avant de le porter à ma bouche je m'adresse à ma compagne de libations :
-A la tienne, Christiane! Ou quelque soit ton nom, parce que ça n'a jamais eu vraiment d'importance en fait, pas vrai?
La porte en face la cave de mon premier millésime perso dissimule une douche multi-jets et une penderie qui offre du choix. J'en profite pour utiliser un masque tenseur Clarins afin de raffermir mes traits et d'offrir un visage plus frais à mes invités tout à l'heure.
Comme il fait un peu frais je me décide pour une marinière à manches longues Jean-Paul GAULTIER sur un pantalon Dolce & Gabbana et active l'incinérateur dans lequel j'ai placé mes vêtements de maître de chai opportun avec un pincement au cœur pour mes souliers en cuir.
Le jour perd de sa lumière quand je sors de la cave avec un signe de tête pour Glawdys qui n'a aucun souvenir de mon entrée et semble surprise de me voir sortir de la cave. Je me sens en pleine forme et je suis d'une humeur radieuse, presque heureux de retrouver mes deux Texans grossiers et vulgaires pour le soir. Je saute dans un Über pour rentrer chez moi et me réjouis de lui faire faire un trajet aussi court, ce sera encore meilleur de ne pas lui laisser la monnaie.
Emily est encore très tendue lorsque je rentre contrairement à Marco qui vérifie avec une attention obséquieuse la propreté et l'alignement des verres sur la table de dégustation.
-Ah! Monsieur Bateman just...
-Pat! Appelez-moi Pat, Emily.
-Pardon, Pat. Je dois vous parler, c'est au sujet de la fin de la semaine, vous deviez partir pour Paris Vendredi matin mais j'ai réussi à obtenir le rendez-vous que vous souhaitiez pour dix-huit heures, je dois donc décaler votre vol mais vos rendez-vous du samedi comm...
-Emily?
-Oui Pat!
-Qui est payée plus grassement qu'une dinde de Noël pour gérer mon planning de façon efficace?
-C'est moi monsieur Pat.
-Alors à quel moment dans cette soirée pensez-vous que j'ai envie d'en entendre parler?
-Aucun moment monsieur.
-Vous êtes un trésor de perspicacité Emily. Envoyez moi un mail avec les modifications de mon planning et actualisez mon compte, mon Cloud, bref, tout ce qui rentre dans vos fonctions. Faites votre job et tout ira très bien.
La soirée est un véritable succès. Liz Price noie son manque de volonté à perdre du poids dans le Riesling allemand, Tim en profite pour glisser sa carte à deux mannequins russes aussi expressives que la glace sous le caviar, le mâle Texan signe à Emily un bon de commande de 225 000$. Lorsque Saskia Price lève vers lui un verre de Cognac en mentionnant qu'elle n'aime boire que cela Emily s'empresse de refaire un bon de 78 000$ supplémentaire.
Les yeux verts fardés de noir et drapés dans une robe Balenciaga prune avec un décolleté bénitier s'approchent de moi tout sourire.
-J'adore tes fêtes Pat, je regrette tant d'avoir été enfant et d'en avoir manqué autant.
-Merci d'avoir mis tes lèvres sur un verre d'alcool ce soir, tu as illuminé ma soirée. Si tu veux organiser une dégustation avec des amis ou juste pour toi tu n'hésites pas n'est-ce pas?
-Tu es adorable Pat, dit-elle en répondant à SMS.
-As-tu goûté le Pommerol ma chérie?
-Non, je n'aime pas le vin rouge, mais c'est gentil de me le proposer. Je vais devoir y aller de toutes façons, Dylan m'attend à Soho.
-Viens dîner avec ton ami à l'occasion! Ça me ferait plaisir de le rencontrer.
-J'y penserai Pat, mais il est très occupé et peu souvent à Manhattan. Merci pour le Cognac, je dois filer.
Elle disparaît après avoir passé sa main blanche sur mon avant-bras dans une caresse équivoque. Je bénis intérieurement Christiane d'avoir apaisé mes acouphènes métalliques et les relents ferreux dans la gorge.
Je déteste quand elle fait ça. Je ne supporte pas d'aller à un rendez-vous avant de prendre l'avion, je suis obligé de traîner une valise Louis Vuitton derrière moi comme un petit commercial de province en quête de prospects. Je me dis que je vais lui supprimer sa prime de Noël ou son intéressement si cette greluche n'est pas capable de gérer un planning et de trouver un moyen de faire porter mes affaires par une compagnie privée.
Je suis devant un immeuble bien entretenu de Hell's Kitchen et me promener dans le quartier m'a rappelé des souvenirs heureux de ma jeunesse. La lueur du réverbère à l'entrée se reflète sur le lierre lisse et brillant qui encadre la porte. Je sonne et entre, une plaque en cuivre m'invite à patienter dans une petite pièce confortable et chaleureuse décorée de vieilles gravures représentant des légumes et des fruits. Je prends place dans un gros fauteuil en cuir vintage bien entretenu et remets mon casque bluetooth pour finir l'écoute de l'album It won't be soon before long des Maroon 5. C'est leur second album, plus sexy et plus fort, Adam Levine a pris en maturité. l'inspiration des années 80 est perceptible sur chaque morceau, Prince, Shabba Ranks, Talking Head. Alors que j'envisage d'écouter tout de suite l'album suivant je suis contrarié par des bruits de pas qui viennent du couloir.
Un homme grand vêtu d'un costume Prince de galles rouille en tweed apparaît dans l'encadrement de la porte. Son regard intense ne trahit aucune émotion mais témoigne d'un intérêt non feint à mon égard.
-Monsieur Bateman je suppose? Votre assistante a une force de persuasion exceptionnelle je suis normalement pris pour les six prochains mois.
-Je vous en prie, appelez-moi Pat. Emily est une perle je dois l'avouer.
- Passons dans mon cabinet s'il vous plait, propose le Dr. Lecter en m'indiquant le chemin avec un geste d'une main aux doigts longs et fins.
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