XXVII-3 : Le 47ème Général Chef d'Oriale
Rhampsodis s'avança vers le campement militaire, un drapeau vermeil à la main. De leur côté, les Brocéliens avaient dressé un drapeau blanc.
Octale l'attendait, en armure, accompagnée de conseillers comme de sa garde rouge. Le regard du Wienkrois se durcit lorsqu'il aperçut Arcale, entre les tentes. Des soldats achevaient de lui confectionner un bandage autour du bras.
« Général, quel bon vent vous amène ? »
Octale lui adressa un sourire triomphant. Rhampsodis s'arrêta face à elle pour la toiser de toute sa hauteur.
« Mon épouse est ici, je suis venu la récupérer.
— C'est vrai que vous êtes marié, maintenant, toutes mes félicitations. La réception était très jolie, à ce que j'ai entendu dire, avec beaucoup d'ambiance, j'aurais aimé pouvoir être là.
— Trêve de plaisanteries, Arcale Ragl est mon épouse, elle doit m'obéir selon les coutumes wienskroises.
— Sans doute, sans doute, seulement vous vous trouvez dans un campement brocélien. La seule loi qui s'applique ici est donc ma loi, or il se trouve qu'elle diffère quelque peu de vos mœurs barbares. »
Rhampsodis esquissa un sourire forcé. S'il voulait triompher de cette vipère, il devait avant tout maîtriser ses émotions. Il pouvait encore la battre à son propre jeu, récupérer Arcale, reprendre la main sur Kalendor, gagner cette guerre.
« Vous parlez beaucoup, Octale, mais, au fond, vous ne valez pas mieux qu'elle. Sans vos troupes, sans la garde rouge, sans vos armes, vous seriez la même femme, impuissante, sans gloire et sans honneur. Et vous prétendez devenir Général Chef, de surcroît ?
— Je ne vous permets pas, Rhampsodis !
— En ce cas, prouvez-le-moi ! Réglons ce différent maintenant, à mains nues, selon les règles du Kaltan, comme à l'ancienne. Si je perds, je brise mon mariage avec Arcale et vous faites d'elle ce que vous voulez, mais, si je gagne, vous me rendez mon épouse. »
Octale resta silencieuse quelques secondes, le regard dans le vide.
« Alors ? reprit Rhampsodis, un sourire carnassier figé sur le visage. Si vous êtes aussi redoutable que vous le prétendez, vous ne devriez rien avoir à craindre.
— Astiana.
— Pardon ?
— Si vous perdez, vous relâchez aussi Astiana.
— Ça, c'est hors de question. »
Octale s'approcha de lui.
« Si vous étiez si sûr de vous, nous pourrions même nous battre pour le titre de Général Chef. »
Rhampsodis se renfrogna, tandis qu'elle poursuivait.
« Pour que votre proposition soit acceptable, il faut des risques des deux côtés. Or, actuellement, Arcale est déjà chez moi et vous n'y pouvez rien.
— Et si je vous renvoyais plutôt Astiana en pièces détachées ? Je suis sûr qu'Arcale apprécierait votre aide en la matière. »
Octale leva les yeux au ciel.
« Jusqu'au bout, vous restez un sauvage, Rhampsodis, ne croyez pas que cela restera toujours sans conséquences.
— J'ai autre chose à faire que d'écouter vos sermons.
— Sinon, je peux toujours vous proposer un compromis : si je perds, vous reprenez Arcale, mais, si je gagne, non seulement vous annulez ce mariage, mais vous vous engagez aussi à ne plus faire le moindre mal à Astiana. Vous la ferez sortir de son cachot et la traiterez avec les honneurs qui lui sont dus. »
Rhampsodis croisa les bras, le visage impassible.
« Enfin, après, persifla Octale, je comprendrais que vous craigniez d'affronter une femme seule et désarmée, votre cadette, de surcroît.
— J'accepte. »
Le soleil couchant irradiait la plaine de ses feux ardents. Brocéliens comme Orcaliens se réunirent en cercle autour des deux antagonistes.
Les règles restaient simples : tous les coups seraient permis, excepté l'utilisation d'armes. Personne d'autre ne devait interférer dans ce duel, qui prendrait fin par abandon ou inconscience d'un de deux Généraux.
Le Prince Bleu s'avança pour donner le signal. Rhampsodis s'élança aussitôt pour percuter son ennemie de toute sa force. La taille, le poids, la force brute accumulaient autant d'avantages. Octale, de son côté, misait sur la souplesse, la vivacité, la précision.
Elle se coulait entre ses assauts, évitait ses coups de poings meurtriers, ripostait. Un serpent contre une brute.
Les clameurs des Brocéliens s'intensifièrent. Seuls les Orcaliens restaient silencieux, attentifs, curieux du dénouement. Arcale, sur le côté, retenait son souffle.
Octale perdit son équilibre, s'écrasa au sol. Rhampsodis s'était montré plus vif, plus rapide que ne le laissait supposer sa corpulence. Elle roula, évita de nouveaux coups dévastateurs, se redressa, esquiva. Le Wienskrois la croyait sans doute à sa merci, désormais, et enchaînait les attaques sans discontinuer.
Une ouverture.
Elle se faufila entre ses mouvements, l'entraîna dans son élan, le déséquilibra.
La lourde masse de Rhampsodis s'écrasa dans la poussière. Sans lui laisser le temps de réagir, Octale se glissa jusqu'à lui pour enchaîner sur une prise implacable.
Rhampsodis se débattit, le serpent resserra ses anneaux.
« Il serait peut-être temps d'abandonner, siffla Octale.
— Jamais ! souffla-t-il. Tu ne gagneras jamais, je... »
Torsion du poignet. Craquement. Le Wienskrois poussa un hurlement de douleur.
« Sal... »
Le contact soudain du sol contre son crâne mit aussitôt fin à ses insultes. Il redressa la tête, cracha de la terre et du sang.
« Tsss, ce ne sont pas des façons de s'adresser à un Général. » susurra Octale.
Il grogna, tandis qu'elle poursuivait, une lueur sadique dans les yeux.
« Je me ferai un plaisir de te briser chaque articulation, l'une après l'autre, si tu continues de t'obstiner.
— Je... je... j'abandonne. »
— Plus fort ! Tous n'ont pas entendu ! »
La pression d'Octale s'amplifia, la douleur s'intensifia.
« J'abandonne ! hurla-t-il. Vous avez gagné ce duel, Octale ! »
L'étau se desserra. Octale se redressa, un sourire de victoire sur les lèvres.
« Maintenant, vous mettez fin à votre mariage avec Arcale. »
Il grogna, extirpa de sa main gauche le papier aux lettres dorées, puis le tendit à son interlocutrice. Octale déchira le papier en deux, en quatre, en huit, jusqu'à ne plus laisser que des confettis qui s'envolèrent au vent.
« Je répudie officiellement mon épouse, Arcale Ragl, selon les coutumes wienskroises, ânonna Rhampsodis. Qu'elle aille au diable.
— Croyez-moi, sourit Octale, vous risquez bien plus qu'elle d'y aller. Bien plus vite, surtout. »
Elle s'accroupit près de lui. Vaincu, le colosse restait étendu de son long.
« Aujourd'hui n'est rien d'autre qu'un avant-goût de ce qui vous attend, siffla-t-elle. Continuez de vous obstiner et je vous briserai, Rhampsodis. Je vous conseille de prendre quelques jours afin d'y réfléchir. »
***
Rhampsodis pénétra dans la pièce, la mort dans l'âme. Ce duel avait entaché sa réputation, instillé des doutes chez ses alliés, dont Xelang Ramngorath. Et puis, de quoi avait-il l'air, maintenant, incapable de combattre, avec son poignet cassé ? Le moral de ses troupes venait de prendre un coup, alors que ses ennemis n'attendaient qu'une faiblesse de sa part.
Et, pour couronner le tout, le Prince Bleu venait de reconnaître Octale Général Chef. Ils attaqueraient ensemble, d'ici quelques jours et, désormais, la bataille lui apparaissait plus qu'incertaine.
Il grogna, attrapa une bouteille d'alcool, commença à boire à même le goulot. Il en avait besoin, son poignet lui faisait un mal épouvantable et cette douleur restait encore bien pâle en comparaison de son orgueil piétiné.
Peut-être valait-il mieux rendre les armes, finalement. Arcale lui échappait, mais il pouvait encore intriguer de sorte à conserver son emprise sur Kalendor. Et puis, il lui restait Astiana. Peut-être pourrait-il faire pression sur elle, si les gardes blancs parvenaient à remettre la main sur Arcale. Encore qu'une telle éventualité restait sans doute peu probable. Qu'importe, il trouverait bien un autre moyen. À son tour, il la convaincrait de le marier, il règnerait sur Kalendor et le Wienskor de nouveau réunis. Il ne deviendrait sans doute pas Général Chef, mais ses descendants, à la tête d'une telle puissance, auraient toutes leurs chances.
« Bonsoir, Rhampsodis. »
Il sursauta. Dans la pénombre, l'homme s'approcha de lui. L'éclat des étoiles firent étinceler un acier funeste.
« Qu'est-ce que... Qu'est-ce que vous faites ici ? »
Le Général lâcha sa bouteille, voulut attraper une arme, mais, à son tour, l'épée lui échappa des mains.
« Laissez tomber, reprit l'homme. Avec votre main gauche, vous n'avez aucune chance, de toute façon.
— Comment... comment êtes-vous entré ?
— Vous vous en étonnez encore ? Durant quelques heures, la protection du palais a été négligée, aujourd'hui. Il faut dire que vos gardes blancs ont eu de quoi s'occuper : mariage, soulèvement, assaut aérien... »
Il pointa son arme vers le Général.
« Ajoutons à cela que je connais toutes les caches de ce bâtiments, tous les passages, tous les secrets. Je me suis contenté de venir ici, lorsque vous étiez bien trop occupé par ailleurs, puis je vous ai attendu. Toute la journée. »
Rhampsodis frissonna, recula pour se cogner à un mur.
« Ne faites pas cela, répondit-il. Je suis blessé, incapable de me défendre. Je suis même prêt à vous laisser tout ce que vous voulez. Je reconnaitrais Octale Général Chef, je mettrai fin à cette guerre...
— Je suis seulement venu vous tuer, Rhampsodis, et aucune de vos paroles n'y changera rien.
— Ne faites pas cela, Asax, ce... ce serait un meurtre.
— En effet, c'est un meurtre. »
Rhampsodis réprima les battements de son cœur. La mort lui faisait face, sa mort.
« Nous avons combattu ensemble, autrefois, reprit-il. Vous, moi, Sméarn. Nous avons même été amis. Car nous sommes tous de la même trempe, Asax. Nous faisons preuve de la même fermeté envers nos ennemis.
— Nous n'avons jamais été amis, Rhampsodis, seulement des alliés de circonstance. »
Asax continua de s'approcher. Sa lame se posa sur le torse du Général. Rhampsodis avait presque épuisé tous ses recours. Le regard de son interlocuteur ne reflétait qu'un mur de glace, mais, malgré tout, le Général essaya de conserver bonne contenance.
« Vous ne reprochez mes actions en Kalendor, mais n'avez guère fait mieux au Neelhan ou en Brocélie. Nous sommes des soldats, Asax et, pour triompher, devons abandonner toute empathie.
— Ces actions, ce sont au Neelhan et à la Brocélie de me les reprocher. Vous, vous êtes déjà mort.
— Vous... vous ne le ferez pas, trembla Rhampsodis. Vous ne le pouvez pas. »
Il guetta la réponse, dans l'obscurité. Depuis des mois, il contrôlait tout, prévoyait les réactions de ses ennemis comme de ses alliés. Mais, en quelques heures, les cartes lui avaient échappé, la partie s'était retournée à son total désavantage. Alors que le matin lui offrait encore les promesses d'un avenir radieux, le soir le retrouvait seul, acculé, blessé, face à la mort.
La réponse s'abattit sur lui tel un couperet.
« Vous savez aussi bien que moi que c'est faux. »
Chuintement métallique.
Dans le silence de la nuit, un cœur s'arrêta de battre.
La guerre était finie.
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