XXVII-2 : Le 47ème Général Chef d'Oriale

Rhampsodis ouvrit une dernière porte pour arriver dans une ruelle secondaire. Des dizaines de gardes blancs le rejoignaient, ainsi que des véhicules blindés.

Puis le Wienskrois fit volte-face pour placer de nouveau Arcale juste devant lui. Dans la pénombre du couloir se détachaient une ombre, deux yeux brillants, l'éclat sinistre de deux lames ensanglantées.

Asax.

« Décidément, vous n'abandonnez jamais, vous, persifla Rhampsodis.

— Lâchez-la.

— Pourquoi donc ? Pour que vous m'assassiniez ? Tous les moyens sont bons pour arriver à nos fins, n'est-ce pas là même vos propres dires ? »

Asax s'approcha de quelques pas, tandis que Rhampsodis, sur la défense, reculait dans la ruelle.

« Allez-y, frappez donc, railla le Wienskrois. Tuez donc cette pauvre Arcale ; achevez de décimer cette famille que vous avez servie des années durant ! Vous me reprochez mon inhumanité, mais ne valez pas mieux que moi, en somme. Comme moi, vous avez tué, égorgé, massacré, pour faire valoir votre suprématie. Comme moi, vous êtes prêt à assassiner de sang-froid, y compris des innocents. Nous sommes pareils, Asax !

— Silence !

— Pour me tuer, il vous faudra perdre votre âme. Vous deviendrez comme moi, alors, la personne que vous haïssez le plus. »

Les doigts d'Asax se crispèrent sur son arme. L'éclat de ses yeux devint aussi froid que la mort.

« Mon âme, je l'ai déjà perdue depuis longtemps. »

Une lueur de panique traversa Rhampsodis, l'espace d'une seconde. Il relâcha sa captive alors même qu'Asax l'attaquait. L'épée rencontra le bras d'Arcale, évita de peu le Wienskrois, se dégagea, chercha de nouveau sa proie.

Rhampsodis para, de justesse.

Des gardes blancs s'interposèrent, leur Général battit en retraite. Les lames d'Asax sifflèrent ; deux corps s'effondrèrent. Il repoussa un nouvel assaut, puis attrapa la main d'Arcale pour l'entraîner en arrière.

Il ne pourrait plus rejoindre Rhampsodis. Les gardes, les blindés, affluaient dans sa direction. Les tirs ennemis commencèrent à pleuvoir, bien qu'inefficaces.

Asax disparut de nouveau dans le bâtiment, bifurqua, tua un garde blanc, poursuivit sa course à travers un couloir tortueux.

« Où... où est-ce que vous allez, comme ça ? » demanda Arcale.

Sans répondre, il poursuivit sa course pour descendre dans une cave, rencontra un dernier soldat égaré. Sa lame siffla une nouvelle fois, sans même laisser à son adversaire le temps de réagir. Il continua, traversa des rangées de tonneaux, se glissa dans un interstice, enfonça une porte condamnée.

Des escaliers vétustes s'enfonçaient à travers les profondeurs. Il alluma une lampe-torche, puis s'engagea dans les marches, imité par Arcale. Des crânes s'entassaient sur les parois, se répandaient au sol. Les couloirs se démultipliaient, dans la pénombre, pour former un labyrinthe inextricable.

Aucun garde blanc ne les retrouverait ici.

Les catacombes.

« Astiana, il la détient prisonnière. » gémit Arcale.

Asax resta impassible, ne ralentit pas même le pas. Une main crispée contre son bras blessé, Arcale le suivait toujours, le visage livide.

« Il... il la tuera si je ne reviens pas. »

Asax s'arrêta. Sa lampe-torche projetait des ombres inquiétantes dans le cimetière souterrain. Une fois de plus, l'homme faisait face à la mort, sa seule essence.

« Considérez-la donc comme morte, si cela vous aide, je ne suis pas en mesure de la libérer.

— Commandant,

— Je ne suis plus Commandant, la coupa-t-il. Vous m'avez publiquement dénigré, condamné à mort, même, vous vous souvenez ? Je n'ai plus d'ordre à recevoir de vous.

— Je... je n'avais pas le choix.

— Tout le monde a toujours le choix ; mourir en aurait été un, par exemple. »

Elle resta interdite quelques instants, ses yeux interloqués dévisagèrent l'ombre qui lui faisait face.

« Vous... pourquoi m'avez-vous sauvée, alors ? »

Asax porta une main à la tête.

« Qu'une chose soit claire : ce n'était pas mon objectif. Esmène aurait dû vous tuer, sans hésiter, lorsque Rhampsodis vous utilisait comme bouclier, afin de pouvoir ensuite le tuer, lui, l'instant d'après. Et, tout à l'heure, je ne comptais pas non plus vous épargner, sauf que le Général l'a compris au bon moment.

— Vous avez hésité, pourtant, aussi.

— C'était une erreur, que je ne commettrai pas une seconde fois. »

Ce regard... Les mêmes yeux que Sméarn Pteï. Sa main avait suspendu la mort, quelques secondes fatidiques. Il la connaissait depuis son enfance, l'avait vue grandir, en même temps que son frère et sa sœur. Une famille qu'il s'était juré de protéger. Une famille qu'il avait été incapable de protéger. Pourquoi fallait-il en plus qu'il dût lui-même porter le coup fatal ?

« Vous... vous n'êtes pas comme lui. » articula-t-elle.

Asax ricana.

« Dans ce monde, les idéalistes se font piétiner. Si vous voulez le pouvoir, il faut lui abandonner son âme. »

Il soupira.

« La porte sud est tenue par quelques fidèles, ils vous laisseront sortir et rejoindre Octale. Et, d'ici quelques instants, l'agitation vous aidera à passer inaperçue. Pour votre sœur, je ne peux pas faire davantage. Cependant, elle reste un atout de poids pour Rhampsodis, donc il ne devrait pas la tuer.

— Il n'y a pas que la mort qui m'inquiète...

— Rhampsodis risque déjà d'avoir un certain nombre de préoccupations, dans les heures qui viennent. Ça aura déjà le mérite de l'occuper, même si je ne peux rien promettre de plus concernant Astiana. »

Ses yeux se parèrent d'un éclat funeste.

« Par contre, ce soir, au plus tard, il sera mort. J'en ai fait le serment. »

***

Le vaisseau-mère kalendorien émergea des nuages pour se positionner hors de distance des armes lourdes. Un essaim de chasseurs noirs émergea de l'appareil et se mit en formation de défense.

« Je me demandais quand ils interviendraient, ceux-là, maugréa Rhampsodis.

— Général, ils diffusent un signal, sur toutes les fréquences.

— Évidemment. Affichez-le-moi ! »

La silhouette de Thuran apparut sur l'écran du centre de commandement. Le visage grave, l'ex-capitaine prit la parole.

« Mes frères, le jour est venu pour vous de faire un choix. Le choix de laisser un étranger asservir notre pays ou bien de nous dresser, tous ensemble, pour combattre notre indépendance menacée. À l'heure qu'il est, le mariage que prévoyait Rhampsodis a échoué, Arcale lui a échappé. Plus rien ne légitimise les ordres du Wienskor. »

L'image se brouilla pour laisser place à un message enregistré d'Asax. Revêtu de son armure noire, l'œil à demi-fermé par une large balafre, l'ex-Commandant prit à son tour la parole.

« Des siècles plus tôt, nos ancêtres se sont battus pour obtenir leur indépendance, pour faire en sorte que nous soyons autre chose qu'une simple province wienskroise. Et nous le sommes devenus. Nous avons même gouverné cette lune, nous avons montré à tous ce dont nous étions capables.

« Car nous sommes Kalendoriens, tous, soldats, civils, hommes, femmes, jeunes ou vieux. Nous sommes Kalendoriens et nous n'avons aucun ordre à recevoir d'un étranger. Nous sommes Kalendoriens et, s'il le faut, nous nous battrons afin de pouvoir suivre notre propre voie.

« Aujourd'hui, je suis revenu pour cette nation que j'ai déjà défendue tant de fois ; je suis revenu vous demander de retourner vos armes contre l'envahisseur wienskrois. Seul, je ne peux rien, mais, ensemble, unis sous le même drapeau, nous renverserons les armées blanches, nous récupèrerons notre souveraineté ! Nous sommes nés libres et nous mourrons libres, plutôt que de vivre esclaves ! »

Sa tête se rapprocha de la caméra, ses yeux se plissèrent ; le Général ne put s'empêcher de ressentir un frisson glacial lui parcourir l'échine.

« J'en fais le serment, Rhampsodis : avant la fin de cette journée, tu seras mort. »

La communication se coupa.

Le Général resta interdit quelques instants, puis asséna un formidable coup de poing sur la table.

« Jamais ! Kalendor est à moi et tu ne me le reprendras pas ! Tu ne m'auras pas ! »

Asax n'était pas un démon, mais un homme, et les hommes mouraient. Et, puisqu'il refusait de se soumettre, il mourrait, comme tous les autres.

Des explosions retentirent dans toute la ville. L'hymne kalendorien, pourtant interdit, traversait les rues. Le cri de la révolte gronda d'autant plus que le Wienskrois ne pouvait plus utiliser Arcale pour apaiser les esprits.

« Faites donner les chars. » grogna-t-il.

Que l'on empêche sa prise de pouvoir dans la douceur et il écraserait toute contestation dans le sang. Son regard se tourna vers la fenêtre, vers le ciel. À distance, le vaisseau-mère le narguait, plusieurs chasseurs noirs s'approchèrent de la ville.

« Nous avons des rapports de sabotage sur plusieurs bases. Certains canons de défense sont désactivés, et beaucoup de vaisseaux, non opérationnels. »

Évidemment.

Rhampsodis se leva. Les combats se propageaient à travers toute la ville. Des explosions parcouraient les maisons, les flammes se répandaient.

« Général, des vaisseaux brocéliens sont en approche. »

Plusieurs escouades rouges traversèrent le ciel pour atteindre la cité, aux côtés des chasseurs noirs. De nouvelles explosions secouèrent le sol, tandis que les vaisseaux blancs décollaient pour rencontrer leurs adversaires.

Rhampsodis se servit un verre d'alcool.

« Si je m'attendais un jour à voir Kalendoriens et Brocéliens combattre côte à côte. La guerre est une expérience passionnante, décidément. »

Il avala le contenu d'un trait, avant de reprendre.

« C'était donc cela, ton plan, Asax ? Miner les forces de l'intérieur et puis quoi d'autre, ensuite ? Un assaut complet d'Octale ? »

Il ricana, se servit un deuxième verre.

« Très bien, nous serions peut-être à forces égales, alors. L'assaut durerait des jours, des semaines, et il ne resterait rien de cette stupide cité. Non, ça ne te ressemblerait pas, ça, tu as sans doute encore prévu autre chose. »

Il posa les mains sur la table, indécis. Le Wienskor disposait de centaines de milliers d'hommes, ici. Un soulèvement populaire ne le renverserait jamais, quelques sabotages ne suffiraient pas non plus. La menace d'Asax ne pouvait être que du bluff, il ne pouvait pas perdre, il ne pouvait pas mourir.

Restait Octale, encore, toujours. La Brocélienne profitait de la situation jusqu'à bientôt se présenter en libératrice de Kalendor. Il avala un nouveau verre.

« On croit rêver. » maugréa-t-il.

Peu importait. Il restait le seul maître de cette ville et le resterait encore longtemps. Il poursuivit ses ordres. Les chars se répandirent dans les rues, la garde blanche se déploya, ses troupes tirèrent sans sommation, écrasèrent tout mouvement de contestation.

Epithaï tremblait, mais ne lui échapperait pas. Explosions, feu et larmes devenaient ses nouvelles parures, les parures sanglantes apportées par le Wienskor. Arcale pouvait s'échapper, Asax, s'agiter, Octale, menacer, il ne bougerait pas. Nul ne pouvait rien contre lui. Quand bien même perdrait-il ce combat qu'il serait le dernier à mourir, il ne resterait plus rien de cette capitale orgueilleuse, seulement des ruines, des cendres, des cadavres.

« Général, nos troupes viennent de retrouver Arcale.

— Ah, excellent, faites-la donc revenir ici.

— Euh, cela risque d'être difficile. Elle vient de sortir par la porte sud et se dirige vers le campement d'Octale. »

Le verre que tenait Rhampsodis éclata.

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