XXVI-4 : L'Étranger


La réponse d'Epithaï ne tarda pas. Les occupants du vaisseau-mère, désormais en rébellion avec le régime, furent portés au rang de déserteurs. Le soir-même, Arcale apparut dans un communiqué officiel, accompagnée de Rhampsodis. Asax fut accusé de haute trahison, condamné par coutumace à la peine capitale et sa tête mise à prix. Le suivre, le rejoindre serait passible de mort. Propager ses idées, ses discours, son image, serait passible de mort. Dissimuler des informations à son sujet serait passible de mort.

D'autres gradés suivirent cependant l'exemple d'Asax. Des provinces entières entrèrent en rébellion ouverte, le pays plongea davantage dans le chaos. En réponse, Rhampsodis déclencha une vague de répression sans précédent, un régime de terreur. Sa garde blanche s'empara des points stratégiques, toutes les hautes instances passèrent sous sa coupe. Les opposants, lorsqu'ils n'étaient pas exécutés, se faisaient déporter vers le front ouest, pour affronter Octale en première ligne.

« Je ne comprends pas Rhampsodis, avoua Esmène. Kalendor est déjà en train de perdre la guerre alors que, ne lui en déplaise, les femmes sont majoritaires dans nos armées. Comment des gens pourraient-ils encore seulement croire à ce qu'il raconte ? »

Asax croisa les bras.

« Le plus inquiétant reste sans doute qu'il croie à ce qu'il pense. Mais, avant tout, je suppose qu'il cherche aussi un bouc émissaire, une occasion de fragiliser Arcale et d'asseoir encore davantage son emprise sur le pays. Et, tant qu'Octale continue de se rapprocher, il peut se poser en défenseur de Kalendor, alors qu'il en est le véritable envahisseur.

— Pourtant, cela n'empêchera pas Octale de remporter cette guerre...

— L'issue d'une guerre n'est jamais certaine. Octale a certes l'avantage pour l'instant, mais, sur le plan tactique et stratégique, Rhampsodis sait aussi se défendre. Et ce qui m'inquiète le plus n'est pas le dénouement, mais plutôt le sort réservé à Kalendor, à l'issue de cette guerre. »

Il marqua une pause, avant de reprendre la parole.

« J'ai une autre question, Esmène. Cent mille ktobas, c'est le prix que Rhampsodis offre pour ma tête. Déjà, c'est vraiment flatteur –même Octale n'avait pas eu droit à autant, sous le règne de Zagnar – mais, surtout, ça ne vous tente pas ?

— Pardon ? »

Elle esquissa un mouvement de recul.

« Pourquoi ferais-je cela ? se défendit-elle.

— Ai-je vraiment besoin de vous dresser la liste des raisons ? Je suis votre principal ennemi, le plus dangereux, le plus déterminé. J'ai manqué de vous tuer à plusieurs reprises, défait vos armées, contré vos offensives, bombardé vos villes, envahi une bonne partie de votre pays, dévasté vos contrées et celles de vos alliés, massacré vos homologues sans états d'âme.


« Nous sommes en guerre. Déjà, me tuer auparavant n'aurait été rien de plus que de la légitime défense, j'en aurais fait autant à votre place. Mais, maintenant, alors que je suis à votre merci, l'on vient vous offrir une véritable assurance pour votre avenir. Combien gagne un Commandant de la garde rouge ?

— Je ne me bats pas pour l'argent, mais pour mon pays.

— Belle rhétorique pour une paie dérisoire. Alors, qu'attendez-vous ? »

Esmène le considéra, interloquée. Il parlait comme si sa propre vie n'avait pas la moindre valeur à ses yeux, qu'il ne s'agissait que d'un sujet parmi tant d'autres.

« Vous avez renié Kalendor et nous avons un ennemi commun, reprit-elle. Nous sommes presque dans le même camp, maintenant.

— Je n'ai pas renié Kalendor, seulement Arcale. Je me bats toujours pour mon pays, et vous, pour Octale. Ne l'oubliez pas.

— Où voulez-vous en venir, enfin ?

— Je veux connaître votre position, dans ce chaos. Si vous êtes avec ou contre moi. Nous avons été ennemis de toujours, vous m'avez haï pour ce que je vous ai fait subir, et je ne peux que vous comprendre. Ma question serait donc la suivante : me considérez-vous toujours comme un otage, essaierez-vous de m'abattre, de me livrer à Octale ou, au contraire, préférez-vous tirer un trait sur le passé qui nous oppose ?

— Je n'oublie jamais le passé.

— En ce cas, nous pouvons aussi en finir, ici et maintenant, par un duel dans les règles. »

Quelques semaines plus tôt, Esmène aurait sans doute accepté. Le Commandant achevait de se rétablir et sans doute aurait-elle eu ses chances. Une occasion unique, celle de mettre fin à son pire cauchemar, l'homme que redoutait même Octale, l'homme qui avait fait trembler la Brocélie.

Mais la situation était tout autre, désormais.

« Je ne veux plus me battre contre vous. »

Le Commandant hocha la tête.

« J'aurais alors une dernière question à vous poser... »


Les armées rouges s'arrêtèrent à Emawin, dernière cité avant la frontière. Wienskrois et Kalendoriens fanatisés, retranchés à l'intérieur de la ville, offrirent une résistance acharnée, bien que trois fois inférieurs en nombre. Les bombardements ou soutiens à l'arme lourde n'atteignaient que des civils, utilisés comme boucliers humains. Seule restait l'infanterie pour livrer bataille, à chaque coin de rue, chaque maison.

Une véritable boucherie.

Les agents de Rhampsodis, encore, se dissimulaient dans la population pour mener une implacable guérilla urbaine. L'ennemi était partout, invisible, prêt à frapper, à chaque instant.

Dans la cité en flammes, les cadavres s'entassèrent, jour après jour, sans répit, en premier lieu des innocents, le peuple brocélien, qu'Octale voulait libérer. À la différence des armées kalendoriennes ou brocéliennes, Rhampsodis n'épargnerait rien ni personne. Il ne laisserait à ses ennemis que des ruines calcinées, une terre aride, gorgée de sang, des montagnes de cadavres.

Trois jours plus tard, Octale jeta l'éponge, écoeurée. Ses armées quittèrent la ville dévastée. Cet abandon, la première victoire de Rhampsodis, ne contribua qu'à renforcer sa politique et confirmer encore davantage sa mainmise sur tout Kalendor.

Hupias Ecterian, L'Arrivée au pouvoir du 47ème Général Chef d'Oriale



Plus de deux mois après son départ de Shawn, le vaisseau-mère kalendorien revenait enfin sur Oriale ou, plus exactement, Epithaï.

« Vous êtes toujours décidée ? »

Esmène redressa la tête. Dissimulé dans une cape grise, l'ex-Commandant arborait un regard glacial. Depuis des semaines, Rhampsodis tirait les ficelles de Kalendor, mais, d'ici quelques jours, son contrôle deviendrait officiel et irrémédiable.

« Je suis avec vous, répondit-elle. Votre plan reste encore le meilleur moyen de mettre fin à toute cette folie. »

Le visage plus pâle qu'à l'accoutumée, des flammes étincelaient dans les yeux de la Brocélienne. Emawin restait sa ville natale, elle y avait vécu son enfance, avant d'arriver à Kystan, avant de rencontrer la famille Zdalavitch et de devenir garde rouge.

Rhampsodis avait déchaîné l'Enfer, mais, à son tour, il en subirait les conséquences.


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