XXVI-2 : L'Étranger
Un sourire radieux aux lèvres, Esmène pénétra dans la salle provisoire du Conseil. En l'occurrence, une simple remise épargnée par les combats, dans la périphérie de la ville, et réaménagée pour l'occasion. Les magistrats siégeaient autour d'une vieille table de bois d'occasion et beaucoup restaient présents, malgré leurs blessures. Dans un recoin, les quatre Voyageurs surveillaient la scène, attentifs.
« J'ai réussi à entrer en communication avec Octale, déclara Esmène. Elle a finalement remporté la bataille à la frontière nord. Le combat fut intense, mais les Kalendoriens, tout comme leurs alliés wienskrois, se sont finalement repliés. Aux dernières nouvelles, la disparition de Zagnar a ébranlé tout le pays, d'ailleurs. Il semblerait qu'Arcale, l'une de ses sœurs, ait été proposée à sa succession, mais rien n'est sûr. »
Esmène continua de sourire, enthousiaste.
« Concernant le Neelhan, la situation échappe de même à tout contrôle kalendorien. Le Général pantin a démissionné pour affirmer la souveraineté légitime de Scythlène Scalath. Les résistants se sont finalement alliés à une part non négligeable des forces légales du pays, afin de repousser l'envahisseur. Jour après jour, le soulèvement s'étend dans toutes les villes, et les derniers Kalendoriens, retranchés dans des camps fortifiés, n'osent même plus intervenir. »
Elle se tourna vers Galaniel.
« À ce propos, Néphyle s'est d'ailleurs remise de ses blessures, depuis. Avec l'aide de Qnaua, elle supervise même à l'heure actuelle le siège d'un important bastion kalendorien. » l'informa-t-elle.
Puis elle s'adressa de nouveau à l'assistance toute entière.
« Comme vous pouvez le constater, il ne s'agit que d'excellentes nouvelles. Sur Oriale, la situation politique tourne désormais à notre avantage. En grande partie grâce à notre alliance, ainsi que cette victoire, sur votre planète, contre l'envahisseur kalendorien. »
Elle s'arrêta, pour reprendre, sur un ton plus grave :
« Toutefois, même dans la victoire, n'oublions pas les personnes qui ont donné leur vie. Je sais quel lourd tribut vous avez dû payer pour préserver votre liberté. J'ai combattu à vos côtés et je sais quel fut le courage des Shawniens. Je souhaiterais me recueillir quelques instants afin d'honorer leur mémoire. »
Les pensées de l'assemblée se tournèrent vers les Shawniens morts en braves et un silence cérémonial pesant envahit aussitôt la pièce. Galaniel repensa à Jarélie, une amie chère qu'il ne reverrait plus, à Gehrmnen, qu'il n'avait pas eu le temps de vraiment connaître, ainsi qu'à Zawhyk, son père, qui lui manquait toujours.
Césape préféra ne pas le déranger et se tourna donc vers Alyne.
« Euh... Ça veut dire quoi "se recueillir" ? Ça n'a pas l'air super joyeux.
— Tais-toi et fais comme tout le monde. »
Le gigan mobilisa ses efforts afin de rester éveillé malgré l'ennui du moment. Esmène avait mentionné les morts de la bataille, mais le rapport lui échappait. Au contraire, sur son monde, la coutume exigeait d'organiser une grande fête en l'honneur des défunts, qui rejoignaient alors le paradis céleste. Il étouffa un bâillement et parvint même à masquer sa joie lorsqu'Esmène prit à nouveau la parole.
« Vous avez eu vos morts, mais il n'est plus nécessaire pour vous de poursuivre cette liste funèbre. Car c'est à notre nation que revient, désormais, le devoir de porter le coup de grâce à l'ennemi kalendorien.
— Sans doute, objecta Seyer, cependant, le combat sur Shawn n'est pas encore terminé. Les Kalendoriens ont, certes, battu en retraite, mais ils restent retranchés autour de leur vaisseau-mère, non loin de la cité. Leur menace reste toujours présente.
— Ils ont été vaincus. Une fois leur vaisseau réparé, ils retourneront sur Oriale, l'assura Esmène.
— Peut-être aujourd'hui, fit à son tour remarquer le magistrat-président. Mais, tant qu'ils conserveront ce vaisseau, les Kalendoriens disposeront toujours d'une redoutable arme d'invasion.
— Or, leur vaisseau est désormais vulnérable, renchérit un autre magistrat, si nous le détruisons maintenant, nous écarterons toute possibilité de récidive.
— Vous n'avez pas besoin de le détruire, tempéra Esmène. Octale est en passe de devenir Général Chef et les Kalendoriens n'auront bientôt d'autre choix que de suivre ses ordres. »
Les raisons d'Esmène n'échappaient ni à Galaniel ni aux autres Shawniens. Oriale ne disposait que de trois vaisseaux-mères et chacun d'entre eux représentait donc un atout de poids. Un atout au service d'Octale, une fois qu'elle serait reconnue Général Chef.
Néanmoins, le Conseil préféra ne pas lancer de nouvelle opération dans l'immédiat. Comme l'avait rappelé Esmène, Shawn avait déjà eu à subir son lot de pertes et préférait ne pas en ajouter de superflues.
« Nous laissons aux Kalendoriens une semaine, jour pour jour, pour remettre en état leur appareil et quitter Shawn, définitivement, conclut le magistrat-président. Passé ce délai, nous donnerons l'assaut. »
Un instant, Galaniel se demanda quelles seraient les décisions d'Octale, une fois gravi le dernier échelon d'Oriale. Il l'avait à peine rencontrée et tous deux ne s'étaient entraidés que par nécessité mutuelle. Certes, elle avait signé la paix avec Zyx, mais, à l'inverse de Zagnar, le traité restait limité à dix ans, à l'instar, avant elle, de Sméarn Pteï. Sans compter qu'elle n'avait toujours aucune obligation vis-à-vis de Shawn...
Galaniel préféra oublier ces pensées. Sa méfiance naturelle revenait aussitôt, la menace kalendorienne à peine dissipée. D'autant que la position d'Octale importait peu, finalement. Après des siècles de tergiversations, de tractations, d'échanges secrets, le Conseil avait accepté la protection des Voyageurs. Seyer installerait une Balise, le lendemain, dans les sous-sols de la cité. Comme Galaniel l'avait appris, l'artefact augmenterait le nombre de Failles que pourraient emprunter les Voyageurs, aux alentours de la cité, et permettrait même aux Grands Maîtres d'en générer à volonté.
Quelles que soient les menaces futures, l'Ordre interviendrait, une fois de plus. Et le jeune homme en ferait partie. À son tour, il deviendrait Voyageur, il continuerait de protéger son monde natal, comme tant d'autres, à travers toute la Galaxie.
Entrée sud d'Hyktacrite, une semaine plus tard
Esmène fit en premier ses adieux aux Shawniens, suivie par les autres gardes rouges. De nouveau opérationnel, le vaisseau-mère leur permettrait de revenir sur leur lune natale. À leur retour, Kalendor aurait sans doute capitulé, la guerre, pris fin, et Octale, été reconnue Général Chef.
Du moins l'espérait-elle.
Elle échangea des poignées de main avec les magistrats, les Voyageurs, avant de terminer par Galaniel.
« Je vous souhaite bon courage pour la suite. Peut-être aurais-je l'honneur de vous recroiser un jour, en tant que Voyageur à part entière.
— Peut-être, bon courage à vous aussi. Puissiez-vous faire d'Oriale un monde meilleur. »
Esmène se détourna finalement, accompagnée des autres gardes rouges, pour disparaître à travers le vaisseau noir. Quelques instants plus tard, les réacteurs bleu-vert s'allumèrent, l'appareil trembla, se souleva de terre, prit de l'altitude.
Les Shawniens le suivirent des yeux jusqu'à ce qu'il traverse les nuages glacés. Il ne devint bientôt plus qu'un point, qui partit se perdre dans l'immensité de l'espace.
L'invasion kalendorienne prenait fin.
Seyer tourna la tête vers ses trois apprentis. Cette dernière menace écartée, ils pouvaient partir à leur tour. Déjà, Hyktacrite soignait ses plaies : les échafaudages de bois se dressaient entre les bâtiments effondrés, en partie couverts de neige, la vie reprenait son cours.
Galaniel serra encore plusieurs mains. Lisdon, tout d'abord, qui n'aurait manqué ce départ pour rien au monde, malgré ses béquilles et son bandage autour du crâne. Enthousiaste, le jeune homme n'avait cessé de vanter les exploits de Galaniel lors de la bataille. Une bataille marquée du signe de la Grande Déesse, d'ailleurs, dont les envoyés célestes, selon ses dires, avaient permis de triompher des Kalendoriens impies. Suivit aussi Rhétar, le maître d'armes, qui rappela une dernière fois sa dette envers Alyne.
« Si, un jour, je puis vous être d'une quelconque aide, n'hésitez surtout pas. Et puis, prenez soin de vos coéquipiers, sinon, entre-temps. J'aimerais autant pouvoir tous vous revoir vivants. »
Vint ensuite Aktalin, accompagné de son maître, Cermanfis. À l'instar de Galaniel, le jeune homme quitterait Hyktacrite dans les jours qui venaient, pour retourner aux frontières septentrionales. Accompagné de son maître, il apprendrait à développer ses pouvoirs, afin de devenir, à son tour, un Mage. Tout comme Galaniel, de son côté, deviendrait Voyageur.
Marzog et Ethmine furent les derniers. Ils prirent Galaniel dans leurs bras pour faire à leur tour leurs adieux. Marzog paraissait confiant, mais leur mère, Ethmine masquait mal son inquiétude. Ils venaient à peine se retrouver, mais se quittaient déjà. Quand donc se reverraient-ils ? Pourraient-ils seulement se revoir ?
Les Voyageurs se détournèrent finalement dans l'aube glaciale. Galaniel se retourna une dernière fois pour faire un signe de main aux Shawniens. Ce départ portait avant tout la promesse d'un retour.
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