Galaniel courait à travers le bâtiment, poursuivi par le Général. Sur sa gauche, une ouverture percée de colonnades lui offrait une vue imprenable sur la place du Cristal. Les derniers Shawniens fuyaient sous les bombardements, les Kalendoriens prenaient le contrôle.

Au centre, un icosaèdre s'élevait dans les airs, toujours plus grand, entouré par une tornade de glace. Fusils, canons, mitrailleuses le prenaient pour cible, mais les projectiles, de même que les tirs du vaisseau-mère, disparaissaient dans les parois gélatineuses.

Galaniel se plaqua derrière une colonne pour échapper aux sifflements des balles. Dans la confusion, le jeune homme s'était retrouvé séparé de Marzog et d'Ethmine, mais pas de Zagnar.

« Galaniel ! Galaniel ! Vas-tu encore te cacher longtemps ? Es-tu lâche à ce point, ou te reste-t-il encore assez d'honneur pour venir m'affronter en face ? »

Nouveaux tirs. Galaniel quitta son abri, lança une boule de feu en guise de riposte, reprit sa course. Contrairement à lui, le Général n'était pas seul, un groupe de gardes noirs l'accompagnait encore.

Et, seul, contre une dizaine, le jeune homme savait n'avoir aucune chance.

Il s'arrêta, se dissimula derrière la dernière colonne. Au-delà, seul subsistait un gouffre béant, envahi par les flammes. Un tir de vaisseau-mère avait tranché le bâtiment en deux.

Zagnar continua de s'approcher.

Les parois de l'icosaèdre se mirent à bouillonner. Sur la place, les Kalendoriens reculèrent. Un jet d'eau émergea de l'artefact, tournoya, balaya plusieurs soldats. Des pics de glace suivirent, projetés dans toutes les directions.

Les soldats continuèrent néanmoins leurs tirs. De nouveaux serpentins d'eau claquèrent dans l'air glacial. Ils balayèrent la place, percutèrent leurs adversaires, se regroupèrent autour de certains, se solidifièrent.

Les Kalendoriens commencèrent à fuir. Face à eux, l'icosaèdre continuait de grossir, insensible à leurs assauts. Une main palmée émergea d'une face.

Son armée subissait de lourdes pertes et battait en retraite, mais peu importait. Peu importait l'issue de cette bataille, le sort de ses troupes, et même le sien, du moment que son ennemi juré rendait l'âme, en ce jour.

Galaniel.

L'épée à la main, Zagnar poursuivit sa course. S'il ne devait plus tuer qu'une seule personne, ce serait lui, cet infâme assassin. Un rictus mauvais éclaira sa face. Le Shawnien n'avait plus nulle part où aller, il abandonna son refuge précaire et vint à sa rencontre.

Les lames s'entrechoquèrent ; les gardes noirs se portèrent aux côtés de leur Général. Galaniel perdit son arme, fut déséquilibré, roula près du précipice, évita un coup d'épée.

« Tu me déçois, Galaniel, persifla Zagnar. Tu es lent, vulnérable, empoté. »

Les mains du jeune homme se refermèrent sur le pommeau de son arme. Il la dressa au dernier instant, pour se protéger d'un coup mortel.

« Tu n'as pas l'étoffe d'un Général, répliqua-t-il. Tu es incapable de me vaincre toi-même, mais préfères attaquer à dix contre un. Bel exemple d'honneur, en vérité. »

Le sourire de Zagnar s'effaça, ses yeux brillèrent de haine.

« Tuez-le, maintenant. »

— Alors là, franchement, tous mes principes les plus élémentaires m'empêchent de vous laisser faire. Après tout, c'est un peu mon copain. »

Césape s'avança, de son pas lourd caractéristique, une hache épaisse entre les pattes. Quelques blessures légères parcouraient sa fourrure ébouriffée, entre ses vêtements lacérés.

« Salut, Galaniel, je vois que tu es très populaire, par ici. »

Les gardes noirs restèrent un instant figés, face à la carrure du nouvel arrivant. Zagnar ne se montra pas pour autant impressionné. Bien qu'imprévue, l'intervention de ce trublion ne modifierait en rien ses plans.

« Tuez-moi l'autre comique, aussi. »

— Qui, moi, comique ? Pour votre gouverne, je suis le vaillant, l'intrépide, l'ineffable Césape Victorèle, le pourfendeur d'un dragon ! Et le démolisseur d'un de vos Barzacs, ça doit sans doute compter, aussi. »

Trois créatures émergèrent de l'icosaèdre. Des tornades de cristaux blancs cerclaient leurs silhouettes allongées, pour recouvrir en partie leur peau azurée. Trois pupilles dorées perçaient leur tête triangulaire, tandis que trois cheveux cyan, plus épais que le poing, venaient s'enrouler tout autour de leur crâne.

Trois Gardiennes.

Elles se réceptionnèrent au sol. Quelques gardes firent feu. La première créature étendit ses doigts palmés. Un mur de glace se matérialisa face à elle, pour arrêter net les projectiles. Puis, d'un mouvement du poignet, elle le fit éclater. Une myriade de copeaux tranchants, un typhon blanc déferla sur les rangs Kalendoriens.

Sur un toit proche, Seyer s'avança, pour contempler la scène.

L'Icosaèdre de l'Eau, les Gardiennes des Océans Éternels. Le Cristal lui avait servi de réceptacle, de protection, de cachette, même, des millénaires durant, jusqu'à aujourd'hui.

Il devait intervenir, avant que la situation ne devienne hors de contrôle. Cette brèche ouvrait sur un autre univers et de nouvelles créatures surgiraient. Elles ne faisaient que se défendre, sans doute, face à l'agression des Kalendoriens. Néanmoins, il ne pouvait les laisser ravager la ville, d'autant que le pire restait encore à venir.

Léviathan...

Ses connaissances relevaient pour beaucoup de la légende, mais même un Grand Maître n'aurait aucune envie de découvrir les créatures qui se terraient encore, de l'autre côté.

Et puis, il lui manquait sa Pierre, depuis qu'il l'avait projetée vers l'Œil de l'Aigle. Jamais il n'aurait le temps de retourner la chercher.

Tant pis.

Il compterait sur ses seuls pouvoirs de magicien. Les arcanes, même, s'il le fallait.

« Cermanfis, mon ami, je vais avoir besoin de ton aide. »

Il aurait besoin des pouvoirs de chaque mage shawnien ; des flammes crépitèrent sur ses mains.

Galaniel perdit l'équilibre, et ne se rattrapa que de justesse au bord du précipice. Même avec l'aide de Césape, la situation restait désespérée. Le gigan, quelques mètres plus loin, se faisait contrer par quatre gardes noirs en simultané. Une lame atteignit sa patte, lui fit perdre sa hache.

Le jeune homme jeta un regard vers le bas. Deux étages de chute, il aurait pu survivre, s'aider de la magie. Cependant, les flammes lui compliqueraient la tâche.

Au-dessus de lui, Zagnar dressa son épée vengeresse. Il n'avait plus le choix, maintenant.

Une explosion secoua le bâtiment. Le plafond s'effondra pour séparer Zagnar de ses gardes. Le Général perdit à son tour l'équilibre, ainsi que son arme.

Galaniel profita de l'occasion pour remonter sur la corniche et se rua sur l'épée, en même temps que son adversaire. Tous deux empoignèrent l'arme, Zagnar frappa le Voyageur du coude pour le faire lâcher prise.

La lame chercha son adversaire. D'un coup de genou, Galaniel fit perdre l'équilibre au Général. Ils roulèrent au sol, le Shawnien reprit possession de l'arme, avant que Zagnar ne lui fît une prise au bras.

« À genoux, Galaniel, cracha-t-il, prosterne-toi donc devant le nouveau Général Chef. »

La douleur lui arracha un cri. Néanmoins, il agita l'arme pour se défendre et, même sans atteindre son ennemi, le contraignit à relâcher la pression. Le Général riposta cependant aussitôt par un coup de poing, et lui fit à nouveau perdre l'épée.

Les flammes du précipice se reflétèrent sur l'acier avant de l'engloutir.

Grondement sourd. Le bâtiment trembla de nouveau, le sol se fissura jusqu'à se séparer en deux. Une Gardienne émergea de l'ouverture pour se placer entre les deux antagonistes.

« Hors de mon chemin ! rugit Zagnar. Vous ne me faites pas peur ! Vos petits tours n'impressionnent personne ! Si vous vous opposez à moi, vous mourrez aussi ! »

La Gardienne se tourna vers lui pour le fixer de ses trois yeux de glace, presque étonnée. Elle étendit ses doigts palmés. Une tornade de glace entoura Zagnar, le souleva dans les airs, avant de le projeter au loin.

Puis elle se tourna vers Galaniel. Le jeune homme restait adossé contre une colonne à demi-effondrée, haletant, le bras douloureux. Ses yeux fixaient la créature inconnue, qui venait de lui sauver la vie.

« Qui que vous soyez, vous avez toute ma gratitude. »

La Gardienne étendit ses doigts palmés. Le sang de Galaniel se figea.