XXV-8 : Le Cristal de Shawn
Les lames sifflèrent, fusèrent, rebondirent l'une sur l'autre. Effaré, le Chevalier Onirique ne pouvait que constater, immobile, l'enchainement qui se déroulait sous ses yeux. Il n'aurait eu aucune chance, au corps-à-corps, seul restait le choix du pistolet, face au Grand Maître. Il voulut bouger, grogna.
Quelle que soit l'issue de ce duel, sa mission s'engageait mal. Le Grand Maître empêcherait Gathor de rejoindre ses fidèles et le Commandant prévoyait de le tuer. Non, il devait garder la foi. Leur maître avait échappé aux Voyageurs, s'était réincarné et prendrait sa revanche, bientôt. Il tuerait Dieu.
Le Chevalier Onirique esquissa un mouvement, rendu difficile par la douleur. Rien n'était encore perdu, il suffisait juste de le retrouver, déjà, et, avec un peu de chance, leurs adversaires finiraient par s'entretuer, ils échapperaient à la bataille.
Gathor, Galaniel...
Les armes de Zagnar et Galaniel rebondirent l'une sur l'autre avec rage. La haine de Zagnar décuplait ses forces, mais le Shawnien restait bien décidé à lui faire face. À ses côtés, Marzog, Ethmine, Césape, Rhétar redoublaient d'effort pour contenir les gardes noirs.
L'épée du Général fusa, perça la garde de son adversaire pour entailler sa joue. Il espérait le tuer, mais le Shawnien avait en partie esquivé son assaut. Peu importe, tout au plus s'agissait-il d'un premier sang.
Galaniel ignora la douleur, se concentra sur l'attaque suivante, l'interrompit au dernier instant, riposta. Une rage froide l'animait. Du coin de l'œil, il vit Rhétar reculer, blessé au torse, et redoubla ses assauts. Le jeune homme visa la tête, entailla le casque noir. Zagnar contre-attaqua aussitôt.
« Je vais te tuer, Galaniel, siffla le Général. Je tuerai ceux qui te suivent, je raserai cette ville jusqu'à sa dernière pierre ! »
Les deux Barzacs balayèrent les rangs des Shawniens pour s'avancer vers la place du Cristal. Le premier appareil, déjà mal en point, trois de ses membres arrachés, s'effondra finalement, vaincu par le sacrifice de ses adversaires. Le second poursuivit cependant sa route telle une bête folle, sans plus rien pour l'arrêter.
Le cœur de Galaniel s'emballa. Il ne fallait pas qu'ils parviennent au Cristal. Sans le dôme...
« Je suis ton adversaire, Galaniel ! »
Un instant d'inattention. Son épée lui fut arrachée des mains. Celle du Général tournoya, puis rencontra un mur, tandis que jeune homme se jetait à terre.
D'un mouvement de lame, Seyer arracha une partie du casque noir. Un œil, à demi-fermé par une vieille cicatrice. Une peau livide, désormais traversée par un filet vermeil.
Le Kalendorien esquiva une nouvelle attaque, la rapière du Grand Maître ripa sur l'armure de son torse, virevolta, ébrécha la protection de sa jambe.
Les mouvements s'enchainaient, implacables, imprévisibles. Une entaille traversa le bras du Voyageur, mais ne le fit pas ralentir pour autant.
Il suffisait d'une erreur, une seule erreur, de part ou d'autre, et tout basculerait. Tout...
Le dôme protecteur s'étiola. Les tirs du vaisseau-mère poursuivirent leur course, sans plus s'interrompre, atteignirent le centre-ville.
Le Cristal...
Une demi-seconde.
L'épée du Commandant profita de l'occasion et fusa, plus vive que l'éclair. Le Grand Maître voulut bondir sur le côté, mais ne put l'éviter.
L'acier s'enfonça en dessous de l'épaule.
Le Commandant triomphait, le Commandant...
La main gauche de Seyer agrippa l'épée de son adversaire, la droite profita d'une ouverture et frappa.
L'armure enfoncée, le Commandant recula sous le choc. Il hoqueta du sang, ses pas rencontrèrent le vide, il tomba en arrière.
Le tir du vaisseau-mère fit exploser le Cristal. D'autres suivirent, percutèrent les habitations proches, éparpillèrent les Shawniens.
« Reviens ici ! » beugla Zagnar
Il transperça un nouveau Shawnien, fut contré par Marzog, repoussa le jeune homme d'un coup de pied, se rua sur Galaniel.
Le Voyageur ramassa son épée, para l'assaut, recula, se redressa.
« C'est la fin ! glapit le Général. Vous avez perdu cette bataille, vous allez mourir, ici et maintenant ! »
Il enchaînait les assauts avec fureur, à tel point que Galaniel peinait à le contrer. Tout autour retentissaient les explosions. Décimés par les bombardements, les Shawniens reculaient, sur la place du Cristal, se dispersaient.
Autour des décombres du Cristal, quelques magiciens essayaient encore de contrer l'avancée ennemie, mais furent aussitôt pris pour cible. Le dernier Barzac dévia les traits de flammes, fit siffler sa lame démesurée. Il trancha en deux un bloc de pierre qui fusait vers lui, puis faucha les rangs des Shawniens.
Parmi les magiciens, Aktalin se jeta au sol. Il avait perdu de vue son maître, Cermanfis, dans la fumée des incendies. Le Cristal était en miettes, ses copeaux bleus translucides éparpillés sur toute la place. Présent depuis des temps immémoriaux, il était devenu symbole de culte, à la gloire de la Déesse éponyme. Il avait traversé les âges, les millénaires, pour se voir détruit en ce jour par la folie d'un homme.
À sa place, seul subsistait un icosaèdre de pierre, grand comme la main. Pourtant, aucune légende ne faisait mention d'un tel artefact, à l'intérieur. Aktalin s'approcha jusqu'à l'objet pour le saisir. Le magicien ne pouvait ignorer une telle aura. Le Cristal n'était qu'une enveloppe, un catalyseur, tout au plus, et il avait désormais son cœur entre les mains.
Il se redressa, rappelé à la réalité par une explosion proche. À quelques mètres, seulement, le Barzac se tourna vers lui. Le magicien interrompit une rafale de balles, battit en retraite.
Un tir du vaisseau-mère souleva le sol. Aktalin fut projeté en avant pour s'écraser dans la neige, plusieurs mètres plus loin. L'artefact lui échappa des mains, roula dans la poudreuse. Derrière lui, le Barzac leva sa lame ensanglantée.
Aktalin ferma les yeux.
Hurlement.
Le fauve se jeta sur la machine de mort pour le frapper de sa hache. L'acier grinça, le métal se tordit, le Barzac recula. Césape s'acharna, pulvérisa une articulation, avant d'être projeté en arrière par un bras valide.
Le Voyageur s'écrasa contre un mur, puis retomba sur ses pieds, déterminé. Des blocs de pierre se soulevèrent pour aller percuter de plein fouet son adversaire. Un premier, un deuxième, un troisième, qui firent perdre l'équilibre au Barzac.
Césape se précipita, frappa de nouveau. À grands renforts de cris et de coups de hache, il fit éclater les membres l'un après l'autre. Son adversaire s'agita, sans parvenir à reprendre le dessus. Le gigan ne lui laissait aucun répit, l'empêchait de se redresser. Bientôt les quatre bras, les deux jambes devinrent inutilisables, l'appareil tout entier ne fut plus qu'une carcasse inutile et fumante.
Le Voyageur poussa un hurlement de victoire.
Quelques mètres plus loin, Aktalin écarta les décombres pour retrouver l'icosaèdre. Il étendit la main ; ses doigts se refermèrent sur les vingt faces de l'artefact, toutes recouvertes de neige.
La pierre étincela d'une intense lueur bleutée. Le magicien fut repoussé en arrière, l'artefact s'éleva dans les airs.
« Ainsi, vous avez survécu. » hoqueta le Chevalier Onirique.
Seyer descendit les marches pour se porter jusqu'à lui. Adossé contre un mur, l'homme, gravement blessé, avait à peine pu descendre les escaliers. Il remarqua les entailles sur le costume de Seyer, et surtout cette tache sanglante, à hauteur de l'épaule. Un faible sourire traversa son visage douloureux.
« Vous n'êtes pas invincible, Voyageur. Vous gagnez peut-être, aujourd'hui, mais Gathor se souviendra. Vous ne pourrez pas le maintenir longtemps dans le mensonge. Il prendra sa revanche, bientôt. »
Ses membres se mirent à trembler, de la bave se mêla au sang, à la commissure des lèvres, ses yeux s'opacifièrent.
Poison.
Les Chevaliers Oniriques avaient cette désagréable manie de ne jamais se laisser prendre vivants. Autant d'informations potentielles de perdues.
Tant pis.
Seyer se figea. La magie se déchaînait, dans le centre-ville. Un pouvoir qu'il n'avait croisé qu'une seule fois, au cours de sa vie.
Le cœur du Cristal venait de s'activer.
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