XXV-7 : Le Cristal de Shawn
« Ici, ce sera parfait. »
Le Chevalier Onirique fit quelques pas sur l'esplanade, en périphérie du centre-ville. Suffisamment loin du Cristal et de ses magiciens pour activer sans crainte l'inhibiteur, mais toujours sous le dôme de protection. Le nord de la muraille intérieure apparaissait à seulement quelques pâtés de maisons, mais les combats s'annonçaient surtout à l'est. Ici, les rues se faisaient désertes, si ce n'étaient ces quelques Shawniens retardataires, occupés à rejoindre le centre.
Un vent glacial se leva. L'homme tourna la tête en direction d'Alyne. Le teint encore plus pâle que d'habitude, l'elfine restait debout, l'orgueil de son regard remplacé par une incoercible terreur.
« Elle ne nous est plus d'aucune utilité, vous pouvez l'achever. » proposa-t-il au Commandant.
La pression de la pointe se détacha de sa nuque, les jambes d'Alyne se dérobèrent.
« L'honneur, vous connaissez ?
— Si ça vous amuse, de relâcher une Voyageuse...
— Contrairement à vous, j'ai une parole et je m'y tiens. »
Alyne releva un regard éberlué ; le Commandant lui fit signe de partir. Sans demander son reste, l'elfine se redressa, perdit l'équilibre, se rattrapa, puis disparut par un escalier, une main crispée sur l'épaule.
Le Chevalier Onirique activa l'inhibiteur, dans l'une de ses poches, puis sortit une arme à feu. La magie brouillée, le Grand Maître devenait sans défense.
Un sifflement strident traversa l'esplanade. Le Chevalier fut propulsé plusieurs mètres en arrière avant de s'écraser au sol, la poitrine ensanglantée. Son arme lui échappa des mains, puis rebondit par-dessus le rebord de l'esplanade, avant de se perdre dans la rue attenante.
« Plus un geste ! »
À son tour, le Commandant dégaina un fusil. Le Voyageur venait d'utiliser un pistolet de modèle inconnu et le tourna dans sa direction, en même temps.
Les mains du Commandant se firent moites, sous leur gantelet noir. Le Chevalier Onirique ne brouillait pas seulement la magie, mais l'empêchait aussi d'utiliser les capacités de son A.O.M.
Quel imbécile.
« Qu'est-ce qu'on fait ? demanda le Voyageur. On meurt tous les deux, ou... ? »
Du coin de l'œil, le Commandant observa le Chevalier Onirique. Malgré la décharge, l'homme respirait encore.
« Je ne sais pas quelle arme vous venez d'utiliser, répondit-il, mais elle ne semble pas aussi létale que la mienne. Une seule balle me suffira.
— Il s'agit d'un pistolet sonique, de facture zyssienne. J'avais réglé son intensité au minimum, mais, maintenant, la décharge sera maximale. Et, croyez-moi, elle vous sera fatale, qui plus est à la tête.
Le Commandant et le Voyageur se firent face quelques instants. Aucun d'eux ne pourrait éviter l'impact. Que l'un fît feu et l'autre, par réflexe, tuerait son adversaire dans l'instant.
« Faisons ça autrement, proposa le Commandant. Un duel à l'arme blanche, dans les règles de l'art. Pas d'armes à feu.
— Ça me va. Vous jetez votre arme, alors ?
— Je n'ai aucune confiance en vous, Voyageur, d'autant que vous pourriez très bien en posséder d'autres. Je conserve mon fusil, mais je vous jure sur l'honneur que je n'en ferai pas usage contre vous. Tant que vous respectez votre parole, du moins. »
Quelques secondes s'écoulèrent.
« J'avais déjà entendu parler de votre code d'honneur, sur Oriale, répondit Seyer. C'est fort louable. »
Il jeta son arme par-dessus l'esplanade ; ses doigts se refermèrent sur le pommeau de sa rapière.
« C'est le moment, hoqueta le Chevalier Onirique. Tirez !
— Toi, déjà, tu la fermes, pour commencer. »
La baffe le prit de court. Sans perdre des yeux le Voyageur, le Commandant plongea sa main dans une poche du vêtement gris pour en retirer l'inhibiteur.
« Eh, c'est à moi, ça !
— Plus maintenant, d'autant que je vais en avoir besoin. »
Le Commandant rangea l'appareil en même temps que son fusil, puis dégaina ses deux épées.
Les deux adversaires s'avancèrent l'un vers l'autre.
Alyne s'adossa contre un mur, les membres tremblants.
Inspiration. Expiration. Elle était suffisamment loin pour utiliser la magie, mais il fallait avant tout qu'elle se calme. Au moins un peu, même si elle doutait pouvoir réfréner le martèlement dans sa poitrine.
Elle était vivante, déjà, rien d'autre ne comptait.
Elle retira son manteau autrefois blanc et posa la main sur sa blessure. Une lueur pâle émana de ses doigts. L'épée du Commandant avait laissé une plaie nette, mais difficile à guérir par la seule magie.
La douleur reflua, un peu, le sang arrêta de se répandre, elle en avait déjà suffisamment perdu.
Elle poursuivit encore son sortilège durant plusieurs minutes. La douleur continua de se dissiper sans s'arrêter tout à fait. Néanmoins, elle redevenait supportable.
Elle survivrait. Mieux valait juste ne pas trop utiliser le bras gauche, pour l'instant. Elle se releva, manqua de défaillir, se reprit.
Rien d'insurmontable.
Elle ferma les poings. Des crépitements bleus parcoururent ses mains poisseuses de sang.
Les Kalendoriens arrivaient à la muraille intérieure. Des tirs fusèrent, les projectiles furent déviés ou interrompus par les derniers magiciens.
Deux Barzacs, en partie endommagés, menaient l'avant-garde, et agitaient des lames démesurées. Les troupes à pied suivaient, dont un attroupement de gardes noirs.
Galaniel arrêta net une rafale de mitraillette et continua de fixer l'avancée ennemie. Près de lui, les Shawniens répondaient par quelques projectiles, mais sans grand effet. Ses doigts se crispèrent sur son épée, la bataille se terminerait au corps-à-corps.
Ils devaient faire front, les empêcher de passer la muraille éventrée, les empêcher d'atteindre le Cristal. Il parcourut les rangs du regard. Marzog comme Ethmine se tenaient à ses côtés, Rhétar patientait, quelques mètres plus loin. De son côté, Césape, impatient, presque enthousiaste, sa lourde hache à la main, poursuivait d'interminables palabres. Depuis le début de la bataille, le gigan n'avait pas encore porté le moindre coup et avait juste suivi son groupe.
Tout le contraire de Galaniel. Le jeune homme ne prononçait plus le moindre mot, son attention restait focalisée sur les ennemis qui arrivaient. Gerhmnen et Jarélie étaient morts, Esmène et Lisdon, blessés, Alyne avait failli périr sous ses yeux et, même maintenant, il ignorait son état. Pour finir, Seyer les avait laissés pour affronter les pires ennemis, le Commandant de la garde noire, ainsi qu'un Chevalier Onirique.
Le jeune homme se revoyait sur le champ de bataille, aux côtés de son père, Zawhyk. Combien mourraient encore avant la fin ? Combien d'amis, encore ? Il refusait d'être l'un des derniers survivants, une nouvelle fois, une dernière fois. Il refusait de perdre la famille, les compagnons, qui lui restaient.
Face à eux, les Kalendoriens restaient nombreux, malgré leurs pertes, tandis que les Shawniens avaient vus leurs rangs clairsemés par les bombardements et les affrontements. Le groupe de l'entrée est, notamment, avait subi le plus de dommages.
Un vent glacial siffla ; depuis le ciel désormais assombri, une neige drue se mit à tomber. Galaniel dressa son arme, de même que les autres Shawniens. Les soldats noirs arrivaient sur leur position.
L'épée de Seyer entailla le gantelet du Commandant, aussitôt le Kalendorien érafla le costume du Grand Maître sur toute sa largeur.
Quelques gouttes de sang perlèrent sur la main du Commandant. La blessure, sans gravité, ne le gênerait pas outre mesure, néanmoins, son adversaire l'avait atteint. Bien peu restaient capables d'un tel exploit.
Il raffermit la prise sur son arme. Face à lui, le Voyageur affichait une concentration inébranlable, ses yeux scrutaient le moindre de ses mouvements. Ce premier échange leur avait beaucoup appris, l'un sur l'autre. Tous deux étaient passés maîtres dans l'art des armes blanches, jusqu'à s'ériger en véritables légendes vivantes. Tous deux avaient vu la mort en face, tant de fois qu'ils renonçaient à en compter les occasions. Tous deux, enfin, comprenaient le danger absolu que représentait l'autre, en cet instant.
Ivre de rage, Zagnar transperça un Shawnien, contra une nouvelle épée, laissa un garde noir se charger de son assaillant.
Les deux armées s'étaient heurtées de plein fouet. Le front avait hésité, quelques instants, entre Shawniens et Kalendoriens, avant de reculer, vers l'intérieur de la ville.
Les armées noires avançaient mètre après mètre, cadavre après cadavre. Les gardes noirs se démenaient, aux côtés de leur Général, et les deux derniers Barzacs faisaient des ravages.
Il ne perdrait pas cette bataille, il ne pouvait pas perdre cette bataille. Les pertes seraient innombrables, elles l'étaient même déjà, mais il l'emporterait. Il se battrait jusqu'au bout, il ferait couler le sang à flot, c'était d'ailleurs déjà le cas. Il les tuerait tous, à commencer par ce Galaniel.
Il parcourait du regard la mêlée environnante à la recherche de son adversaire. Où était-il, ce lâche, ce meurtrier ? Il lui avait échappé une fois, mais, cette fois-ci, il ne pourrait plus reculer, il ne pourrait plus fuir.
Ses yeux s'agrandirent lorsqu'ils reconnurent la silhouette du jeune homme, aux prises avec d'autres Kalendoriens, une vingtaine de mètres plus loin. Zagnar s'élança. Lui, encore, enfin...
Un Shawnien essaya de lui bloquer la route. Le Général le transperça, furieux, et poursuivit sa course. Un frisson de plaisir le parcourut. Bientôt, il ferait de même à Galaniel, il assouvirait sa vengeance. Il lui ferait payer la mort de son père, ces mois de souffrance, cette interminable bataille. Il lui ferait payer...
Un nouveau Shawnien. Il contra l'attaque, le repoussa.
« Dégagez. » grogna-t-il.
Près de lui, son escorte de gardes noirs peinait à suivre. Les Shawniens les attaquaient de toutes parts. L'affrontement tournait au chaos le plus total.
Peu importait. Il frappa, encore et encore, afin de poursuivre son avancée. Sa haine le portait, le ferait triompher.
« GALANIEL ! »
Le Shawnien se tourna vers lui, le visage aussi froid que la mort. Zagnar exultait. Leurs armes s'entrechoquèrent avec fureur.
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