XXV-6 : Le Cristal de Shawn


Le Commandant poursuivit sa course à travers la ruelle. La place du Cristal se trouvait juste devant lui, en proie aux affrontements. Comme prévu, le sort protecteur s'était interrompu et le Voyageur, dans le ciel, ne pouvait pas protéger plus que le centre-ville. Tout Grand Maître qu'il fût, d'ailleurs, il ne pourrait pas supporter bien longtemps toute la puissance de feu du vaisseau-mère.

Enfin, à l'est, les Shawniens fuyaient face aux bombardements et Zagnar reprenait son avancée. Le Général ne rencontrait presque plus aucune résistance, désormais, et ne tarderait pas à atteindre le centre-ville, à son tour.

« Ce n'est pas vous que je recherchais mais cela ne m'empêchera pas de vous tuer. »

La tornade blanche bondit d'un toit pour se dresser face à lui, alors que le Commandant pénétrait dans la place du Cristal.

Une jeune femme au visage étrange, de grand yeux d'un bleu de glace, des cheveux de neige, un teint particulièrement pâle.

Voyageuse ? Peu importait, le Commandant avait affronté tant d'adversaires. Elle ne serait jamais qu'une de plus.

Les doigts d'Alyne crépitèrent. Une sphère bleutée fusa, sans atteindre sa cible. Sans laisser de répit à son adversaire, l'elfine se rua aussitôt pour engager le corps-à-corps. Le Kalendorien fit de même.

Les deux doubles-lames de l'elfine rencontrèrent les épées du Commandant.

« Vous êtes plus forte que vous ne le paraissez, mais cela ne vous sauvera pas pour autant. » fit remarquer le Kalendorien.

Il enchaîna les attaques. Une double-lame échappa aux doigts d'Alyne pour se planter dans un mur proche. L'elfine raffermit sa prise sur sa dernière arme afin de lui opposer une défense impénétrable. Juste un instant d'inattention, elle ne se ferait pas avoir une seconde fois. Il ne pouvait pas la vaincre, de toute façon, il ne restait rien de plus qu'un humain, juste un peu plus dégourdi que ses congénères. Un humain. Elle, elle était non seulement une elfine, mais surtout une Voyageuse, une Élue de la Grande Déesse.

Il ne pouvait pas l'emporter, il ne pouvait pas...

Sa dernière lame lui échappa des mains. Elle n'avait rien vu venir. Elle se rappelait encore son duel contre Galaniel, mais le Commandant atteignait un tout autre niveau. Elle voulut esquiver l'attaque suivante, le coup fatal qu'il lui destinait.

L'épée s'enfonça à hauteur de son épaule gauche.

Non...

Elle recula pour heurter un mur. La douleur l'irradiait, brouillait ses pensées. Elle ne pouvait pas finir ainsi, pas comme ça. Tuée par la main d'un humain. Pas un Itinérant, ni même un serviteur des Ténèbres : vampire, schrögun... non, un humain, un simple humain.

« C'est... c'est vous, le Commandant. » comprit-elle.

Galaniel l'avait mise en garde, mais elle avait refusé de l'écouter. Comme lui, elle restait mortelle, mais ne le réalisait que maintenant.

Face à elle, le Commandant dressa une dernière fois sa lame.

Choc.

L'épée de Galaniel s'interposa au dernier instant. Ivre de rage, le jeune homme redoubla ses assauts. Ce Commandant incarnait la mort en personne et il briserait sa faux, cette fois-ci. Il se battrait de toute son énergie, de toute sa force, de toute sa volonté, il mettrait un terme à cet insoutenable fleuve de sang. Plus que pour les morts, il se battait pour ceux qui vivaient encore, pour protéger les amis qui lui restaient, à n'importe quel prix.

Incrédule, Alyne le vit enchaîner les assauts avec une vivacité qu'elle n'aurait pas cru possible, frapper avec une force qui n'était plus humaine. Face à autant de fureur, le Commandant recula. Une de ses armes arme faillit lui être arrachée des mains, il se baissa pour éviter un coup mortel, l'épée de Galaniel érafla son armure.

Le Kalendorien s'écarta une nouvelle fois, le Voyageur se rua sur lui. Le Commandant se déroba au dernier instant et déséquilibra son adversaire. Entraîné par son élan, Galaniel s'écrasa tête la première, laissa échapper son arme, voulut la récupérer.

Un coup de pied du Commandant envoya au loin son dernier espoir. La haine décuplait les capacités, mais elle aveuglait toujours, elle détruisait. Un sentiment qu'il avait appris depuis longtemps à ne plus éprouver, de même que la pitié.

Il ne laissa pas même au jeune homme le temps de se relever. Sans un mot, la pointe de sa lame fusa sur la nuque du Shawnien.

Horrifiée, Alyne s'élança, la main valide refermée sur le pommeau d'une des ses doubles-lames. Toute son épaule gauche irradiait une douleur insupportable, le sang imbibait son manteau blanc, mais elle l'ignora. Des informations, rien de plus. Elle était une elfine, elle...

D'un mouvement brusque, le Commandant lui arracha son arme. Elle perdit l'équilibre, la douleur de son épaule redoubla lorsqu'elle heurta le sol, presque au point de perdre connaissance.

Elle allait mourir. Ils allaient mourir, tous les deux. Des larmes envahirent son champ de vision.

« Laissez-les ! »

Seyer se posa près d'eux, ses ailes se dissipèrent pour lui faire reprendre sa forme originelle. Les Shawniens affluaient de toutes parts, sur la place du Cristal, et les gardes noirs s'égaillaient dans les ruelles attenantes. Une partie des magiciens se réunissait de nouveau autour du Cristal pour reprendre l'enchantement. À la seule différence que, beaucoup plus bas, le dôme ne protégeait désormais plus que le centre-ville.

« Faites ce que vous voulez de la Voyageuse, par contre je vais vous demander de laisser partir Galaniel. »

L'homme vêtu de gris émergea d'une ruelle. Seyer haussa un sourcil, tandis qu'Alyne reconnaissait l'inconnu qu'elle avait poursuivi à travers la cité.

« Et je peux vous demander pourquoi je ferais ça ?

— Galaniel est bien plus important que vos vaines querelles de gouvernance orialienne ou même que ce conflit galactique entre Voyageurs et Itinérants. Ou devrais-je l'appeler Gathor ? »

Son regard clair rencontra celui du jeune homme hébété.

« Je suis venu vous soustraire aux Voyageurs, maître. Et s'il faut, pour cela, tuer ce Grand Maître, alors ainsi soit-il.

— Ne... ne faites pas ça.

— Je n'ai pas le choix. Il ne me laissera pas faire, les Voyageurs connaissent votre secret, maintenant, mais ce n'est que pour mieux vous retourner contre nous. »

Seyer croisa les bras.

« Galaniel est libre de faire ce qu'il veut, y compris de partir, reprit le Grand Maître. Nous ne le retenons pas de force.

— Tant qu'il restera avec vous, Galaniel ne sera pas libre.

— Vous m'avez l'air bien renseigné, reprit le Commandant, mais, pour l'instant, je ne vois pas en quoi vous pourriez m'être utile.

— J'ai un inhibiteur, qui l'empêchera d'utiliser sa magie ; nous nous battrons à armes égales. »

Le Commandant se porta vers Alyne, puis posa sa lame contre sa nuque.

« Pour commencer, Voyageur, vous allez déjà vous débarrasser de votre Pierre ou, sur l'honneur, je lui tranche la tête, menaça le Kalendorien. De toute façon, je doute que vous ayez encore la possibilité d'invoquer les pouvoirs de votre "dieu", à ce stade. »

Quelques gouttes de sang parcoururent la peau blanche de l'elfine. Seyer soupira.

« Très bien. »

Il attrapa sa Pierre et la lança vers l'Œil de l'Aigle. L'artefact se mua en projectile incandescent, puis disparut de leur vision.

« Maintenant, reprit l'inconnu, je propose que l'on quitte cette place pour un endroit moins fréquenté. Nous nous battrons seuls à seuls. »

Galaniel interrogea Seyer du regard. De nombreux Shawniens les entouraient, désormais, et se tenaient prêts à intervenir.

« Je m'en occupe, les rassura le Grand Maître. La muraille intérieure reste votre priorité ; Zagnar ne tardera pas à l'atteindre.

— Allez, on y va ! »

Tremblante, Alyne se redressa sous l'ordre du Commandant. La présence froide de l'acier ne lui offrit aucun répit. Elle s'engagea dans la ruelle, à la suite du Chevalier Onirique et de Seyer.


Marzog courait, du mieux qu'il pouvait. Les explosions retentissaient dans toute l'avenue. Les bâtiments éclataient sous la pluie de missiles, poutres et briques volaient en tous sens, dans un océan de poussière.

Accompagné d'Ethmine, tous deux portaient sur leurs épaules Lisdon. Le casque fracassé par une pierre, le jeune Shawnien s'était tordu une cheville dans un éboulement de débris. Enfin, à moins que sa jambe ne fût en fait cassée, ils n'avaient pas vraiment pris le temps de vérifier.

Derrière, les armées noires les poursuivaient de près. Des tirs de mitraille se faisaient entendre, désormais rendus mortels par l'absence de magiciens.

« Vous... vous devriez me laisser, répéta Lisdon. Je ne fais que vous ralentir. »

Marzog grogna sans lui répondre. En l'état actuel, son souffle restait trop important pour engager des conversations stériles.

Ils approchaient de la muraille intérieure, mais le Shawnien eut un pincement au cœur lorsqu'il l'aperçut. La fortification se voyait défigurée par des ouvertures béantes, des pans entiers se répandaient au sol, au même titre que certains bâtiments proches.

Une ruine, incapable de leur offrir un véritable atout face aux Kalendoriens.

Au moins, le dôme réapparaissait dans le ciel, ici, pour les protéger des bombardements. Et, derrière la muraille, certes endommagée, les Shawniens se réunissaient afin de mettre un terme à l'avancée kalendorienne.

Marzog esquissa un sourire. Ils revenaient à l'abri, enfin.

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