XXV-4 : Le Cristal de Shawn
Alyne parcourait les pièces désertes de la Grande Arène d'Hyktacrite. Elle poursuivait toujours l'inconnu, mais venait encore de perdre sa trace. Toutes les salles se ressemblaient, ici.
Mue par une intuition, elle s'approcha d'une fenêtre sans vitres. Sa cible courait au cœur même de l'Arène, vers une sortie réservée aux blessés. Sans réfléchir, Alyne enjamba le rebord pour le rejoindre, et se réceptionna sur la terre battue, plusieurs mètres plus bas.
L'inconnu s'arrêta, puis se retourna, comme pour mieux dévisager sa poursuivante acharnée. De la taille d'un homme, il portait des vêtements gris qui dissimulaient jusqu'à son visage.
« Qui êtes-vous ? Un Itinérant ? s'époumona Alyne en Shawnien, afin qu'il l'entende, depuis l'autre bout.
— À en juger par le mépris dans votre voix, je suppose que j'ai affaire à une Voyageuse, une elfine, même. » hurla-t-il en réponse.
Il ricana, avant d'ajouter :
« Je ne suis pas un Itinérant, puisque c'est ce que vous voulez savoir. Et je ne suis pas ici pour vous, non plus. D'autres se chargeront sans doute bien mieux que moi de votre misérable existence. »
Sans ajouter davantage, il fit volte-face, pour disparaître par la sortie. Alyne s'apprêtait à le suivre, mais remarqua aussitôt le chasseur noir en perdition, qui tombait droit sur l'Arène. Jamais elle n'aurait le temps de traverser. Et ces pouvoirs qui refusaient toujours de lui obéir...
À regret, elle fit demi-tour pour se mettre à l'abri.
Zagnar s'extirpa de son Barzac démantibulé, puis se mit à l'abri derrière la carcasse fumante. Les flèches pleuvaient de toutes part, accompagnées d'éclairs, de feu, parfois même de pierres, jetées depuis les hauteurs.
Des Shawniens couraient sur les toits plats des maisons attenantes. Zagnar attrapa son fusil mitrailleur et tira plusieurs rafales, imité par ses soldats.
Galaniel était certainement encore là, quelque part, encore, toujours. Il imaginait son insupportable regard condescendant, ses traits narquois face aux Kalendoriens pris par traîtrise. Il lui ferait payer, il leur ferait tous payer.
« Ripostez ! hurla le Général. Ne restez pas plantés là ! »
Il avisa un mur de pierres disjointes et commença l'escalade d'une habitation vacillante. Même avec leurs A.O.M., mieux valait ne pas rester à découvert. Qu'ils prennent de la hauteur, et ils pourraient affronter les Shawniens au corps-à-corps.
Un rictus mauvais se dessina derrière son casque noir. Rien ne valait de croiser le fer, les tuer de ses mains, les sensations n'en seraient que décuplées.
Une explosion fit voler la porte en éclats. Gehrmnen et Jarélie bandèrent leurs arcs, de même qu'une cinquantaine de Shawniens. Une silhouette noire émergea de la fumée.
Les flèches fusèrent en même temps pour se briser sur son armure. Un éclair pourpre les accompagna, mais s'incurva pour briser un mur.
Sans attendre, l'homme bondit sur ses adversaires, accompagné par de nouvelles silhouettes. Les Shawniens dégainèrent leurs épées et engagèrent le corps-à-corps. Sans marquer d'hésitation, il poursuivit sa route, fit siffler ses deux lames, une dans chaque main. Deux corps tombèrent. Il poursuivit ses attaques, contra un Shawnien d'un côté, désarma un second, transperça un troisième, fit tournoyer ses armes.
À ses côtés, les gardes noirs faisaient des ravages dans les rangs des Shawniens, pourtant plus nombreux. Et, cependant, aucun d'entre eux n'apparaissait comme une menace aussi présente, aussi vibrante, aussi létale que leur meneur. L'armure noire fusait, infaillible, et chaque mouvement de ses bras semait la mort.
Gehrmnen fut repoussé d'un coup de coude sans parvenir à le prendre à revers. La pointe d'une lame siffla, et il ne put l'éviter que de justesse. Le Shawnien perdit l'équilibre, une estafilade sur le front. Son adversaire enchaîna aussitôt pour enfoncer ses deux lames dans deux Shawniens différents.
« On se replie ! »
Gehrmnen se redressa et, paniqué, chercha Jarélie du regard. Il la retrouva, indemne, à lui faire signe de revenir. Sans se faire prier, les Shawniens gravirent quatre à quatre l'escalier de l'Œil de l'Aigle.
Derrière eux, les gardes noirs les talonnaient, achevaient les retardataires, s'engageaient à leur poursuite. Leur meneur fauchait les âmes, sans hésitation ; sur son armure noire maculée de sang, des insignes d'or s'étalaient, sans équivoque, pour avertir de son rang.
Le Commandant.
« Galaniel ! »
Esmène se posa près du jeune homme, accompagnée de ses gardes rouges.
« Nous t'avions complètement perdu de vue, dans la confusion, où étais-tu passé ?
— J'ai croisé un Barzac, il... »
Le Voyageur s'interrompit, pour suivre du regard l'étoile rouge sang s'élever dans les airs.
L'Œil de l'Aigle était attaqué, et les magistrats, en danger mortel.
« On y va, le prévint Esmène. Nous ne sommes plus loin de la muraille intérieure, nos propulseurs tiendront encore jusque-là. »
Galaniel attrapa son bras.
« Je viens avec vous. »
Esmène eut un instant d'hésitation. Une seule personne pouvait être à l'origine d'une telle attaque. Le Commandant de la garde noire, qui, depuis le début de la bataille, avait jusqu'ici brillé par son absence. Cet ennemi implacable, qui l'avait emporté tant de fois, qui triomphait de tous ses affrontements.
Les yeux sombres de Galaniel ne laissaient cependant pas de place à la contestation. Deux de ses amis, Gehrmnen et Jarélie, gardaient le bâtiment, et il ne pouvait les abandonner. À contrecœur, Esmène empoigna le jeune homme, aidée par un autre garde rouge, et alluma ses propulseurs.
Alyne pesta. Impossible de retrouver sa trace, dans ce dédale de ruelles. Le crash lui avait fait gagner trop d'avance.
L'elfine redressa la tête, soupira.
Une étoile rouge sang.
Maintenant, le Conseil se faisait attaquer. Elle pouvait toujours essayer de le rejoindre, puisqu'elle ne retrouvait pas ce fameux inconnu. De toute façon, les Kalendoriens avaient abandonné le front sud.
Elle reprit sa course, cette fois-ci en direction de l'Œil de l'Aigle.
L'inconnu disait ne pas être un Itinérant, elle aurait d'ailleurs reconnu l'aura de sa Pierre. Néanmoins, il restait un adversaire, un danger potentiel, capable de brouiller, supprimer la magie. Un ennemi des Voyageurs...
Seyer esquiva les tirs d'un chasseur noir, puis riposta d'un trait de feu qui s'incurva. Le pilote, garde noir, sans aucun doute, poursuivait ses attaques, sous le dôme. Le fythélien ralentit sa course d'un mouvement d'aile, laissa l'appareil le dépasser, reprit son vol. Ses deux mains rougeoyèrent tandis qu'il s'approchait des réacteurs brûlants.
Un déferlement de flammes, à bout portant.
Le chasseur fut propulsé en avant, moteurs endommagés, et partit en vrille. La parabole de fumée se poursuivit jusqu'à l'extrême périphérie de la cité, et s'interrompit dans une ultime explosion.
Seyer redescendit pour se poser sur le toit d'une maison. Il s'agissait du dernier chasseur, pris au piège sous le dôme, lorsque les mages avaient réinstauré la protection. Les autres continuaient de vrombir, à l'extérieur, mais leurs tirs restaient sans effets, à l'instar de ceux du vaisseau-mère.
Les yeux du Grand Maître se plissèrent lorsqu'ils aperçurent l'étoile de sang achever de se dissiper.
Le signal d'alerte des magistrats.
Ses ailes brassèrent l'air, il reprit son envol.
Les bruits de luttes et de chutes résonnaient désormais dans tout l'escalier. Anxieux, les magistrats se préparaient à rejoindre la salle du Conseil. L'épaisse porte de fonte leur octroierait un sursis, mais ne saurait arrêter bien longtemps leurs adversaires.
Gehrmnen apparut dans les premiers, aussitôt suivi par Jarélie. Une ligne écarlate, mais sans gravité, traversait le front du Shawnien.
« Mettez-vous à l'abri ! Ils arrivent ! »
D'autres guerriers les rejoignirent. Ils lançaient des flèches, renversaient des statues, jetaient des vases, n'importe quoi, dans les escaliers, afin d'arrêter ou, au moins, de ralentir leurs poursuivants.
La porte de fonte se referma sur les magistrats, tandis que se regroupaient les derniers Shawniens. Déjà, le Commandant apparaissait sur le palier.
« Toute résistance ne conduira qu'à votre perte. Rendez-vous. »
Pour toute réponse, les dernières flèches furent décochées, sans effet.
« Ainsi, vous choisissez la mort. »
Sans attendre une seconde supplémentaire, il s'élança pour tracer de nouveaux sillons sanglants, imité par ses gardes noirs. Les Shawniens tombaient les uns après les autres. D'héroïque, leur résistance devenait désespérée.
Gehrmnen esquiva la pointe d'une lame, attrapa de sa main gauche une barre de bois enduite de souffre et l'enflamma au contact du sol. Puis il la fit tournoyer dans les airs et se rua sur le Commandant.
Pour la première fois, le Kalendorien recula, un instant surpris par cette technique de combat peu commune. À défaut de menacer vraiment, les flammes impressionnaient toujours, et leurs mouvements circulaires hypnotisaient le regard, même inconsciemment.
Le jeune homme poursuivit son assaut, essaya de repousser son adversaire jusqu'à un mur. Plus grand, plus fort, plus jeune, les avantages se cumulaient, de son côté. Il avait même déjà triomphé de Galaniel, au Tournoi des Glaces, pour terminer deuxième de sa catégorie. Il comptait parmi les meilleurs combattants de Shawn, et cet étranger, aussi renommé fût-il parmi les siens, l'apprendrait à ses dépens.
Il manqua de peu la tête du Commandant, effleura l'armure noire du bout des flammes, contra la première épée de son adversaire. La seconde sifflait déjà pour venir rencontrer le bâton, qu'elle trancha en deux.
D'un mouvement de poignet, Gehrmnen arracha l'épée des mains de son adversaire, et fit tournoyer son arme endommagée. Un morceau se détacha pour partir en direction du Kalendorien, bientôt rejoint par un lancer du second. Décidé à profiter de l'occasion, le jeune homme se précipita sur son adversaire, la main droite crispée sur le pommeau de sa dernière arme.
Loin de reculer, le Commandant fit de même. Les morceaux de bois rebondirent sur son armure sans même faire hésiter son mouvement. Son bras gauche se déploya, pour faire fuser sa lame restante.
Les deux protagonistes se heurtèrent de plein fouet, avant de rester immobiles quelques instants, l'un contre l'autre.
L'acier avait tranché.
Le Commandant recula d'un pas, une éraflure sur le côté de son armure noire. Face à lui, le Shawnien s'effondra au sol, une plaie béante dans le torse.
Touché en plein cœur.
Un hurlement attira son attention. Jarélie évita l'épée d'un garde, repoussa un autre adversaire, pour se ruer vers lui. Le regard fou, désespéré, la jeune femme n'avait plus rien à perdre. Gehrmnen venait de mourir sous ses yeux.
Gehrmnen, mort.
Lame dressée, elle fendit l'air. Le Commandant l'évita sans peine et riposta aussitôt. Le tranchant de son arme percuta la tête de la Shawnienne ; à son tour, elle s'effondra au sol.
L'homme parcourut la pièce du regard. Aucun survivant. Il ramassa son autre épée, et secoua ses armes ensanglantées avant de les replacer dans leurs fourreaux. Déjà, les gardes noirs achevaient de placer des charges explosives sur la porte de fonte du Conseil.
Il tourna la tête. Huit gardes rouges lui faisaient face, de l'autre côté de la baie d'avrec, et déclenchèrent leurs derniers missiles.
La paroi explosa. Une myriade de copeaux balaya la pièce, sans pour autant importuner le Commandant. Ses armes de nouveau dégainées, il s'avança vers les huit gardes rouges et Galaniel, qui posaient pied à terre. Face à lui, Esmène, leur Commandant, en personne. La femme retira son propulseur, attrapa une épée, puis vint à sa rencontre.
Nouvelle explosion.
La porte du Conseil venait de se briser. Les gardes noirs investissaient la salle afin d'exécuter les magistrats.
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